MHD

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Laurent Caillette

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Apr 29, 2018, 9:15:00 AM4/29/18
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Le 1^er mars 2018 Vladimir Poutine dévoilait un ensemble de systèmes d'armes déjà opérationnels, ou en passe de l'être. Parmi eux on a le projectile Avangard, annoncé comme pouvant frapper n'importe quel point du Globe, et se déplaçant à plus `20.000 km/h`. À la différence d'un missile balistique il peut manœuvrer durant sa phase de descente, donc il échappe à tous les dispositifs d'interception disponibles à ce jour. Un autre système non moins intriguant est un missile de croisière avec une portée illimitée. Il est également question d'un sous-marin autoguidé se déplaçant à plus de `100 km/h` à une profondeur de plus de `1000 m`, lui aussi avec une portée illimité. Sans oublier l'équipement des forces Russes avec des lasers de combat.

La traduction de la totalité du discours est disponible en ligne : "Presidential Address to the Federal Assembly"
.

Cette annonce est historique dans la mesure où c'est la première fois qu'il est publiquement fait état de sauts technologiques permis par la MHD (magnétohydrodynamique), bien que le mot ne soit pas prononcé.

Cette annonce représente une évolution majeure à la fois sur le plan stratégique et technologique. Un élément de comparaison serait le déploiement du premier missile balistique intercontinental. Non seulement les rapports de forces entre les nations s'en sont trouvés bouleversés, mais le développement de lanceurs a permis de déployer des satellites dont nous bénéficions tous les jours pour la communication, la géolocalisation, la météorologie, etc.

Nous allons voir pourquoi les caractéristiques de ces armes font irrésistiblement penser à l'emploi MHD. Bien sûr nous parlerons une nouvelle fois de Jean-Pierre Petit. 


=== La MHD, rappel

La MHD est l'application des Forces de Laplace à des fluides. Wikipedia nous dit que "La Force de Laplace est la force électromagnétique qu'exerce un champ magnétique sur un conducteur parcouru par un courant." Ce phénomène est réversible : si on fournit deux composantes, on obtient la troisième. Autrement dit l'écoulement d'un fluide conducteur peut produire un courant électrique, et un courant électrique peut accélérer ou ralentir l'écoulement d'un fluide. Si on chauffe de l'air suffisamment, il se transforme en plasma, qui est un fluide conducteur. 


=== Jean-Pierre Petit

"L'article de décembre 2017 sur Jean-Pierre Petit"
présentait quelques-uns des travaux de ce chercheur, en évoquant l'utilisation de la MHD par un aéronef hypersonique, Aurora. L'existence d'Aurora n'a jamais été reconnue publiquement. 

Évidemment Jean-Pierre Petit s'est fendu d'un commentaire "Les nouvelles armes stratégiques Russes"
. Ce n'est pas ma préférée, pour comprendre tout le potentiel de la MHD, y compris dans le domaine de l'armement, je conseille plutôt les deux vidéos suivantes :

"Interview de Jean-Pierre PETIT -- Prague Juin 2012 (version française)-_"

"Jean-Pierre Petit about the secret American MHD technology"
(en français sous-titré en anglais)

La seconde donne beaucoup de détails sur le fonctionnement d'Aurora, un aéronef propulsé par la MHD. Elle aborde des sujets très pointus comme la formation du plasma sur les bords d'attaque. 


=== Secrets

Faisons une petite pause le temps de nous demander comment des informations aussi confidentielles peuvent se retrouver sur YouTube, et accessoirement au rayon "ésotérisme" de la Fnac, pour ce qui est du livre de Jean-Pierre Petit "OVNIs et armes secrètes américaines". 

En vrai c'est pire. Jean-Pierre Petit est l'auteur de bandes dessinées de vulgarisation "Les aventures d'Anselme Lanturlu". Dans le volume intitulé "Le Mur du silence" 
paru en 1992, il décrit les techniques utilisées par des armes qui représentent ajourd'hui le dernier-cri technologique, et dont le fonctionnement demeure encore ultra-secret. Il y a un escargot qui parle et une héroïne très sexy. Ces bandes dessinées sont téléchargeables gratuitement. 

Le programme militaire ultrasecret commenté par l'escargot qui parle, toi aussi tu bloques un peu ?

Il est important de réaliser qu'un secret est une notion très relative. À l'armée j'étais sous-officier sur une base aérienne hébergeant des missiles nucléaires. Il y avait pleins de zones interdites d'accès. Le nombre de missiles ? Les objectifs des missions ? Hyper-classifiés. Sauf que les missiles étaient promenés sur des chariots bien visibles à travers la clôture, et n'importe qui pouvait les photographier au téléobjectif. Le "secret" était surtout une convention sociale destinée à valoriser l'activité, mais le but de la dissuasion nucléaire demeure de faire savoir qu'on a des armes et qu'on est prêt à les utiliser, justement pour ne pas devoir les utiliser. Là où je me suis pris une claque, c'est le jour où j'ai acheté un numéro du Monde Diplomatique. Par hasard il y avait cette fois-là un très bon article sur la dissuasion nucléaire discutant de choses comme de la doctrine d'emploi, du budget et des modes de déploiement, plein de choses que tout les militaires auraient instinctivement évité d'aborder même dans des discussions privées. Car le secret, c'est d'abord un cloisonnement intellectuel destiné à préserver des conventions sociales. Et concernant les systèmes d'armes, ce qui compte vraiment ce sont les caractéristiques opérationnelles, le principe de base n'intéresse que les ingénieurs et les directeurs de recherche. Et c'est comme ça qu'une information qu'on croit hyper-secrète se retrouve chez marchand de journaux du coin. Tous les experts du renseignement le savent : plus de `80 %` des données pertinentes viennent de sources publiques (y compris et notamment les publications de recherche). Le problème après c'est de faire le tri.


=== Cadre stratégique

Les systèmes d'armes révélés sont l'aboutissement de programmes initiés par la Russie dans les années 2000, lorsque les USA dénoncèrent le traité ABM (Antiballistic Missiles), un traité pour ne pas développer d'armes destinées à contrer les missiles balistiques intercontinentaux, piliers de l'"équilibre de la terreur". En effet un missile avec une trajectoire purement balistique laisse quelques minutes, une fois son départ détecté, pour déclencher des mesures d'interception qui profitent de sa trajectoire prévisible. Celui qui se croit capable d'intercepter tous les missiles balistiques peut donc lancer une première frappe d'annihilation sans craindre les représailles. Évidemment un tel système est une chimère, le moindre ratage peut entraîner des millions de morts dans son camp. Mais il favorise un discours belliqueux (mythe de la première frappe qui réussit impunément) et force l'adversaire à investir dans un grand nombre de missiles technologiquement dépassés.

Rien que par leur annonce, les nouveaux systèmes d'armes russes renversent la situation. Tout d'un coup les missiles balistiques destinés à une première frappe //et// les dispositifs antimissiles déjà déployés deviennent obsolètes. Conceptuellement c'est une remise au goût du jour de la dissuasion nucléaire dans sa version asymétrique (celle voulue par de Gaulle).

Comment les Russes ont-ils pu mettre au point en une quinzaine d'années des systèmes d'armes qui selon Jean-Pierre Petit nécessitent au moins le double en recherche et développement ?


=== Avangard

Pour situer Avangard, commençons par évoquer les projets Ajax et Aurora.

Aurora est un projet secret des USA pour atteindre des vitesses hypersoniques grâce à la MHD. En gros il s'agit de transformer l'air en plasma pour l'accélérer puis le ralentir, de façon à éviter la création d'une onde de choc. (En gros, hein. La somme d'astuces pour faire fonctionner ce truc est absolument démentielle.)

De son côté l'URSS avait Ajax, un project analogue à Aurora. Ajax bénéficiait des travaux de Sakharov qui avait fait quelques trouvailles dans le domaine de la MHD. Donc dans les années 2000 les Russes ne partaient pas de zéro. 

J'ai toujours été dubitatif sur l'utilisation militaire d'Aurora. Un bon point de comparaison ce serait le mythique SR-71, un avion mis en service en 1966 et volant la vitesse hallucinante (pour l'époque) de `Mach 3,5`, ce qui le rendait impossible à intercepter. Mais son modèle aérodynamique ne permet pas d'embarquer des armes, ce qui l'a cantonné à un rôle de reconnaissance. Et sa complexité de mise en œuvre a du fortement limiter son utilisation. 

Il en va probablement de même pour Aurora, qui doit nécessiter 1000 h de maintenance pour 1 h de vol. Et pas moyen d'ouvrir une trappe pour lâcher des missiles à `Mach 8`. Et la bulle de plasma qui entoure l'appareil, qui a la vertu d'absorber les ondes radar, ne doit pas aider à voir ce qui se passe dehors. Ce qui est ennuyeux pour un appareil supposé faire de la reconnaissance. 

Donc il est probable qu'Aurora soit juste un prototype. Faut-il abandonner l'idée d'un chasseur ou d'un bombardier propulsé par la MHD ? Dans une des vidéo mentionnées plus haut Jean-Pierre Petit affirme que le bombardier B2 est doté d'un dispositif MHD. Il se base sur un extrait d'1 s où l'appareil passe en régime transsonique, avec une énorme étincelle de court-circuit. Avant d'être aussi catégorique je pense qu'il faudrait envisager d'autres hypothèses que la propulsion MHD, peut-être que l'étincelle est provoquée par un dispositif d'émission radar, ou de contre-mesures électroniques.

Tout ça pour dire que la MHD ne résoud pas tout. Que nous dit Poutine sur le système d'arme Avangard ? L'engin acquiert une altitude et une vitesse orbitales grâce à un lanceur classique. La vitesse orbitale c'est `30.000 km/h` environ. Une trajectoire orbitale n'est pas limitée en distance, donc un détour par le Pôle Sud c'est gratuit. Après l'engin effectue un retour vers la mésosphère pour commencer un vol plané dans sa bulle de plasma. Pas besoin de propulsion MHD, pas besoin de regarder ce qui se passe dehors, un guidage inertiel suffit. La perte d'énergie cinétique et potentielle alimente le générateur MHD, qui fournit l'énergie pour ioniser l'air en plasma et limiter le frottement, ce qui diminue la chauffe et augmente la distance sur laquelle des manœuvres sont possibles pour déjouer toute interception. 

Comme l'énergie augmente avec le carré de la vitesse, même si la trajectoire en vol plané a soustrait un tiers de la vitesse initiale, il en reste assez pour que l'impact fasse l'effet d'une petite bombe nucléaire, bien que l'arme ne rentre pas dans cette catégorie. 

Tout se passe comme si les ingénieurs russes avaient remis à plat leurs connaissances -- MHD comprise -- en se demandant ce qu'ils pouvaient faire pour un coût raisonnable, et ils étaient arrivés à cette idée de projectile autoguidé, qui évite d'intégrer trop de nouveautés d'un coup. Notons que Lockheed Martin a testé un système d'arme analogue il y a quelques années, d'après leur annonce publique l'appareil s'est perdu lors de sa rentrée dans l'atmosphère.


=== Missile de croisière et sous-marin

Concernant le missile de croisière et le sous-marin à rayon d'action illimité, j'ai cru un moment qu'ils utilisaient un "moteur Stirling"
. Avec juste une source chaude et une source froide, le moteur Stirling est capable de produire du mouvement avec un bon rendement énergétique. Comme une réaction de fission contrôlée produit en premier lieu de la chaleur, ça suffit pour alimenter un moteur Stirling qui fait tourner une hélice. Les principales limitations de ce mode de propulsion sont la vitesse (pas moyen d'atteindre une vitesse supersonique) et la détectabilité par effet Doppler sous certains angles, à cause du mouvement de l'hélice. En altitude, un moteur à hélice permet d'atteindre `900 km/h`, et la plupart des missiles de croisière se limitent à une vitesse subsonique. 

Mais puisqu'un réacteur nucléaire peut produire énormément de chaleur, autant chauffer directement l'air pour l'accélérer. On a l'impression qu'un réacteur nucléaire pèse très lourd, à cause du blindage anti-radioactivité, des turbines et du système de refroidissement. Mais si on veut juste de la chaleur, il suffit de rapprocher deux bouts de combustible de façon à obtenir la masse critique. On fait passer de l'air dans une tuyère, et ça en fait un beau jet de gaz brûlant accéléré. On y récupérer de l'énergie sous forme de courant électrique grâce à la MHD puisqu'elle est réversible, et réutiliser cette énergie pour orienter le flux //sans aucune pièce mobile// ce qui est parfait pour un engin qui doit rester en vol pour une longue durée.

Moi j'aimais bien mon histoire de petit robot avec un moteur à bielle et une hélice en bois, surtout qu'il ne crache pas de la radioactivité partout. Mais si la protection de l'environnement était vraiment la priorité on ne ferait plus de guerres depuis un siècle ou deux.

Concernant le sous-marin autoguidé, vu la vitesse annoncée, il ne peut pas s'agir d'une propulsion par hélice. Donc encore une fois, avantage à la MHD.


=== Lasers

Parmi les nouveaux systèmes d'armes, Poutine mentionne également des lasers. Ça fait longtemps que les lasers sont utilisés comme désignateurs de cible, éventuellement comme armes aveuglantes (même si l'usage sur des humains est prohibé). Par rapport à des obus ou missiles, un laser a l'avantage d'un effet pratiquement instantané, et pas de délai de rechargement s'il est suffisamment refroidi. Ça en fait une arme de choix pour détruire ou endommager des aéronefs qui se déplacent très vite mais ne peuvent pas embarquer beaucoup de blindage thermique. Le problème de la diffraction par l'atmosphère se résoud en augmentant la puissance du laser. Le plus dur ça reste de trouver une source d'énergie. Sur un champ de bataille ce n'est pas pratique de se promener avec une centrale nucléaire et une "Z machine"
. (La Z machine est un condensateur géant, qui emmagasine l'énergie électrique avant de la relâcher dans un temps très bref.)

Qu'est-ce que vient faire la MHD là-dedans ? La MHD, on l'a déjà dit plein de fois, c'est les courants de Laplace donc c'est réversible. À un moment, il y avait sur le site de Jean-Pierre Petit une page où il révélait une idée de Sakharov sur l'utilisation d'un solénoïde garni d'explosif pour générer un courant électrique très bref et très intense. Pour alimenter un canon laser antiaérien, il suffit de brancher à proximité des fûts explosifs générateurs de courant électrique. L'interception d'un aéronef ennemi avec un laser reviendrait alors dix à cent fois moins cher qu'avec un missile. 


=== Conclusion

Dans les pays de l'OTAN le discours de Poutine a été très peu relayé ou commenté. Par exemple, Le Monde consacre au sujet un seul article aimablement intitulé "Poutine exhibe les missiles russes pour conforter sa popularité"
en s'interdisant bien de soulever l'hypothèse que la Russie ait pu reprendre l'initiative technologique dans le domaine des armements. Mettons de côté le fait que la mauvaise idée c'était la dénonciation du traité ABM, et constatons juste que tout la quicaillerie coûteuse vendue comme "armes de dissuasion" est du jour au lendemain bonne à mettre à la poubelle. Il vaudrait mieux pour plein de gens -- y compris le très-otanien journal Le Monde -- que le contribuable occidental ne se pose pas trop de questions.

Dommage, ç'aurait été l'occasion de réévaluer le potentiel industriel de la MHD, sujet complèment disparu de la recherche civile occidentale depuis plus de 30 ans. Jean-Pierre Petit n'est pas avare de commentaires désolés sur le sujet. En tant que pionnier du domaine il était aux premières loges pour constater comment un sujet aussi prometteur a pu se retrouver à l'écart de toute recherche universitaire. 

Au-delà de sa portée politique, le discours de Poutine marque le début d'une révolution industrielle dans le domaine de la génération de courant électrique et de la propulsion.

Nous verrons si les entreprises d'armement aux USA lâchent quelques-uns de leurs secrets. Les pays d'Europe, eux, seront réduits à payer des brevets.


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