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Derrière la "Refondation", un vieux projet socialiste...

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VGR

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18 mai 2002, 00:26:0418/05/2002
à
Voici le texte qui circule sous le manteau au sein de la Grande Muette et
qui a déclenché l'ire de quelques "grands chefs". vous êtes seuls juges :

Derrière la « Refondation », le projet d'une dénaturation de l'armée de
Terre.

Le 22 février 1996, le Président de la République, Jacques Chirac annonçait
le passage d'une armée majoritairement de conscription à une année
entièrement professionnelle. Cette réforme, qui s'achève en ce moment s'est
faite sans opposition politique notable : si la Droite l'approuvait très
majoritairement, la Gauche ne pouvait s'opposer ouvertement à une mesure
populaire auprès des jeunes gens. Derrière ce silence de la gauche se
cachait toutefois une crainte rentrée : la peur irrationnelle que l'armée
professionnelle ne profite de la première occasion pour mener un coup de
force et lui barrer la route du pouvoir.

Nous allons montrer de quelle manière elle a utilisé son retour au pouvoir
en 1997 pour détourner la réforme qui s'amorçait et profiter du
bouleversement dans les Armées pour tenter de créer une armée qui ne lui
fasse plus peur : une armée d'une part subvertie, c'est-à-dire démilitarisée
et affaiblie dans son moral et dans sa cohésion : une armée d'autre part
dénaturée, détournée de sa vocation et de ses valeurs, et idéologisée dans
un sens « républicain ». Bien que le sujet dépasse la seule armée de Terre
(la Marine nationale étant particulièrement mise en accusation par les
idéologues socialistes), c'est cette institution qui sera ici presque
exclusivement étudiée.

Ce détournement, s'il s'est mis en place élément par élément depuis 1997,
s'est accéléré ces derniers mois. Le but évident de cette frénésie est de
créer une situation irréversible dans le cas d'une alternance politique au
printemps 2002. En effet, suffisamment de « bombes à retardement » sont
maintenant en place pour que la subversion et la dénaturation de l'armée se
poursuive et aboutisse en peu d'années, même sous un autre gouvernement. La
seule parade à cette évolution est qu'un futur gouvernement issu de
l'opposition actuelle soit averti et convaincu du danger que court l'armée
de Terre, revienne sur les plus dangereuses des mesures prises par le
gouvernement socialiste et insuffle un nouvel esprit aux transformations en
cours.

Après avoir brièvement rappelé de justes fondements sur lesquels aurait pu
s'établir la mutation de l'Armée de Terre en une « armée de métier », nous
allons rapidement étudier en quoi la réforme menée s'écarte de ces
fondements, singulièrement dans sa principale référence théorique, le «
Livre Vert » ; puis nous discernerons en quoi la réforme menée, la «
Refondation », n'est que l'application d'un programme idéologique vieux de
trente ans et élaboré dans des cercles proches du Parti socialiste. Enfin
nous tenterons de dessiner des pistes quant aux actions à mener pour
s'opposer à la dénaturation programmée de l'armée de Terre

1 / L'ARMÉE DE MÉTIER

Le modèle qu'avait à l'esprit le Président de la République lors de son
annonce de la professionnalisation des Armées était clair : celui d'une
armée à forte spécificité, à fort esprit combatif, renforcée par une
cohésion et des traditions solides ; c'était là en effet le modèle de
I'armée britannique, que le chef de l'État prit explicitement en exemple.

Ce modèle était également celui qu'imaginaient tout naturellement la plupart
des cadres de l'Armé de Terre : ce n'était pas seulement celui de l'Armée
britannique, c'était celui que vivaient déjà les nombreuses unités
professionnelles de l'Armée de Terre. Enfin, le passage à une armée
entièrement professionnelle renvoyait dans l'esprit de beaucoup à l'ouvrage
avant-gardiste du colonel De Gaulle, écrit en 1934 : Vers l'Armée de métier.
Dans cet ouvrage, le futur chef de la France Libre décrivait avec précision
ce modèle d'une armée à forte spécificité et fort esprit combatif. Outre les
pages bien connues préconisant la création d'un corps blindé-mécanisé, le
colonel De Gaulle y dressait un portrait précis du visage qu'aurait une
armée ce métier selon ses voeux et indiquait 1'importance essentielle du
développement de l'« esprit militaire » en son sein.

« L'esprit militaire, en effet, confère aux guerriers groupés sous son égide
le plus haut degré de puissance. D'autres passions ou certains appétits
peuvent, pour un instant, provoquer l'élan des foules. Mais nulle force ne
s'établit que par le goût de vivre rassemblé, le souci d'agir en commun,
l'ardeur à s'effacer au profit du tout que souffle cet âpre génie »( ).

Le cadre privilégié du développement de cet esprit militaire, dans une
application du principe de subsidiarité, devait être le régiment :
· « l'armée, pour la plupart (des soldats) est une entité si vaste qu'elle
leur parait une abstraction. Mais le régiment, cela se voit, se mesure, se
connaît. L'homme y a sa place à lui. (...) Aussi la tradition a-t-elle
toujours donné aux divers corps de troupe leur figure particulière »( ).

Enfin le colonel De Gaulle répondait d'avance à ceux qui pensent aujourd'hui
qu'une armée à haute technicité ne requiert plus de cultiver cet « esprit
militaire » :

· « tandis que s'accroissent sur les champs de bataille la densité du péril
et la dispersion des combattants, la cohésion morale s'impose davantage. (.)
Demain chaque groupe combattra seul, ne faisant rien cependant sans l'aide
des camarades, déclenchée au loin par froids messages, codes anonymes,
horaires impersonnels. (...) Au milieu des forces centrifuges déchaînées par
le combat, aucune unité ne restera cohérente sans les liens tissés à la
longue par la vie des régiments : connaissance mutuelle, habitudes communes,
"honneur du navire" »( ).

Le modèle pressenti par le colonel De Gaulle, fondé sur des éléments
permanents du métier militaire, qui demeurent au delà des modifications du
contexte géopolitique, apparaît clairement : celui d'une institution
professionnelle à forte cohésion interne, notamment à l'échelle des
régiments, trouvant dans l'esprit militaire « la force qui lui permettra de
faire face aux situations les plus périlleuses et les plus complexes ».

Ce modèle semble au premier abord aller de soi : dans l'esprit du public,
l'armée professionnelle étant moins nombreuse qu'elle n'était quand elle
était mixte, elle doit compenser par cet esprit militaire porté au plus haut
degré ce qu'elle perd en quantité. Dans les faits pourtant, l'expérience
d'autres armées professionnelles montrait dès avant 1996 que leur tendance
naturelle pouvait être à l'inverse à une banalisation. Bernard Boene, un des
plus éminents sociologues français spécialisés dans l'étude de l'institution
militaire, mettait en garde conte ce danger dès le lendemain de la guerre du
Golfe, alors que l'on parlait de plus en plus de professionnalisation :

· « Soumise aux pressions croisées du marché du travail, d'une culture
englobante de plus en plus libérale et sociale, ou de la recherche de
l'efficacité (souvent traduite en termes de productivité d'une main d'ouvre
devenue rare et chère), une armée de métier est tentée de s'abandonner à la
seule rationalité technicienne et gestionnaire. Au point de passer par
pertes et profits ces aspects d'apparence non rationnelle (le cadre
symbolique et normatif, la dimension affective des relations communautaires,
le charisme des chefs, la cohésion, les traditions, etc.) qui n'en font pas
moins figure - toute la littérature militaire est là pour le dire -
d'impératifs fonctionnels (...) En d'autres termes, l'armée de métier ne
transforme pas nécessairement tous ses personnels en milItaires purs et durs
: prenant à contre-pied le sens commun, elle a plutôt tendance à en
"banaliser" une bonne partie. Certes, cette dérive n'a rien d'inéluctable
(les Britanniques ont su lui résister pendant longtemps), mais la ligne de
plus grande pente est clairement située, et on sait ou elle peut mener : a
une confusion possible sur les finalités ultimes de l'institution et leurs
conséquences organisationnelles » ( ).

Le maintien dans une armée de métier d'un fort esprit militaire demande donc
une volonté claire et des efforts constants, afin de ne pas tomber dans la
« ligne de plus grande pente » de la banalisation. Or si une volonté claire
est apparue depuis 1997 et particulièrement depuis 1999, c'est celle de
précipiter l'armée dans cette pente pour des motifs idéologiques.

2 / « REFONDATION » ET « LIVRE VERT »

En janvier 1999 le chef d'État-major de l'armée de Terre (CEMAT), le Général
Mercier, signait un document, le premier d'une longue série de textes
prétendument « refondateurs » (le « Corpus ») : 1'« Exercice du Métier des
Armes dans l'Armée de Terre », appelé aussi par ses auteurs « le Livre
Vert » ou humblement, « le texte fondateur »( ). Ce document de 33 pages
veut définir les nouvelles références éthiques d'une Armée de terre «
refondée »( ) ; le CEMAT écrit lui-même dans la préface que « ce document
constitue la référence éthique sur laquelle se construira l'armée de terre
nouvelle au service de la France »( ). Une rapide étude de ce document va
nous permettre de discerner en quoi les fondements théoriques de la «
Refondation » sont gravement viciés.

a ) Accueil du « Livre Vert »

Lors de sa publication, le Livre Vert a été parfois accueilli comme le
fondement d'un nécessaire « réarmement moral » de l'Armée de terre, trop
timide dans l'affirmation de ses valeurs. Ainsi le Cercle d'Études et de
Recherche sur la Défense (CERD), groupe d'officiers en deuxième section ou à
la retraite, pensait pouvoir écrire dans son bulletin de novembre 1999 que
le texte « insistait avec force et talent sur la nécessité de maintenir et
de développer dans l'Armée de terre les valeurs morales traditionnelles et
le patriotisme (...) Sur cet aspect des choses, l'ensemble du document est
excellent. »

Cette interprétation favorable, celle d'un texte renforçant les valeurs et
l'esprit militaires, apparaît maintenant comme ayant été erronée. Les
intentions véritables du Livre Vert s'éclaircissent peu a peu avec le
bénéfice du recul et la publication de documents dérivés de plus en plus
explicites, précisant et appliquant dans divers domaines l'esprit du « texte
fondateur » ( ) .

En outre, diverses décisions, déclarations, articles, notes d'officiers
généraux et supérieurs ont permis, au cours de la même période, de
comprendre les intentions précises cachées derrière des formulations restées
ambiguës dans les documents du « corpus », et en particulier dans le Livre
Vert.

b ) La méthode dialectique du « Livre Vert »

D'emblée, le Livre Vert a été reçu par les cadres de l'armée avec une
perplexité certaine. Celle ci tenait à la volontaire ambiguïté du document,
a son utilisation d'expressions traditionnelles dans un sens détourné, en un
mot à sa maîtrise d'une redoutable dialectique.
Comme l'avait été le CERD, beaucoup ont été rassurés de voir que certains
fondements de l'esprit militaire (le patriotisme, la spécificité militaire,
la nécessité de l'esprit de corps...) y étaient cités. Mais peu ont été
attentifs au fait que les vertus militaires étaient neutralisées une à une
dans une présentation dialectique, toujours sur le même modèle « (telle
vertu militaire) est importante et réaffirmée avec force, mais ne pourra
être cultivée que dans le respect (de tel principe contradictoire). »

Ce modèle se décline ad libitum :

· La spécificité militaire est réaffirmée, puis mise en accusation : « la
claire conscience de (la spécificité militaire) est nécessaire (...), la
banalisation de (l'institution) exposerait à de fâcheux contresens » (... )
« Néanmoins, une affirmation excessive de la spécificité de la spécificité
militaire serait non moins fâcheuse »( ).

· La discipline rappelée, puis relativisée : « Il en découle une exigence de
discipline, qui singularise les armées au point que les anciens règlements
ont pu écrire qu'elle en 'faisait la force principale'. Mais, dans le même
temps, cette discipline n'exonère pas le soldat (...) de sa responsabilité
individuelle. »( ).

· La combativité sapée elle aussi : « La 'mission', dans son esprit est
toujours à exécuter 'coûte que coûte'. Mais dès lors que cet usage se
traduit de fait par la destruction et la mort, il s'oppose à une exigence
véritab1ement fondatrice qui est celle de nos sociétés dont le soldat n'est
que le délégataire : le respect absolu de la personne humaine, notamment de
la vie. Cette contradiction (...) ne peut être esquivée( ) » Au lieu de
résoudre cette contradiction paralysante, en rappelant que le respect de la
personne n'est pas « absolu » mais peut céder le pas à un plus grand bien,
par exemple la sauvegarde de la communauté nationale, les auteurs la
laissent béante.

· L'esprit de corps est réaffirmé : « dépassement dans un être collectif qui
hausse le soldat au-delà de ses inclinations propres » mais en prenant
compte des « aspirations individuelles puissantes qui sont l'une des
caractéristiques des sociétés modernes »( ). Mais cet esprit de corps dans
les régiments doit se garder d'être « hypertrophié » et se développer dans
« le respect et l'estime des autres unités »( ) de même doit-il se garder,
« autre déviation encore plus grave » d'un esprit de corps qui «
(refermerait) la communauté militaire sur elle-même, ce qui la retrancherait
de la communauté nationale »( ).

· De même la hiérarchie : « la discipline (...) exige une autorité ferme de
la part des chefs, de même que l'obéissance des subordonnés. Mais (...) une
efficacité supérieure ne pourra être trouvée sans une adhésion profonde
(...) qui ne peut reposer sur des rapports hiérarchiques fondés sur la
crainte ou l'obéissance passive »( ).

· Et le rôle du chef : « deux écueils sont à éviter : d'une part, la
dilution des responsabilités et, d'autre part, une conception jalouse et
possessive du commandement qui peut se révéler fortement contre-productive »
( ) .

Le piège de cette dialectique est que ni le premier terme, ni le deuxième
terme, s'il est bien compris, ne sont clairement faux. L'inattentif pourra
lire le document et se dire que les vertus militaires sont réaffirmées. Il
ressort clairement, avec le bénéfice du recul, que spécificité militaire,
discipline, combativité, esprit de corps (en un mot l'« esprit militaire »)
sont au contraire systématiquement mis sur la défensive : le régiment devra
constamment prouver, et cela a déjà commencé, que son « esprit de corps »
respecte les « aspirations individuelles », ne nuit pas à l'« estime »
envers les autres unités, ne referme pas « la communauté militaire sur
elle-même ». Le chef devra prouver que son commandement n'est pas «
jaloux », « possessif » ou « fondé sur la crainte », etc.

c ) Des définitions faussées

Cette méthode dialectique permet aux auteurs du Livre Vert de mettre en
accusation les vertus et l'esprit militaires tout en protestant de leur
amour pour eux. Une méthode complémentaire consiste, pour les auteurs, à
reformuler des définitions fondamentales, concernant l'armée et la vocation
du soldat et de l'Armée dans des termes alambiqués qui, si on les lit de
près, s'écartent gravement d'une juste conception de ces notions.

Service de la « mission » ou de la France ?

Ainsi, la toute première phrase de l'ouvrage n'est ni fausse, ni totalement
satisfaisante :

« L'armée de terre française est une communauté d'hommes et de femmes qui
peut exiger de chacun, dans des situations extrêmes, un engagement total au
service e de la mission »( ).

Un « engagement total » « dans des situations extrêmes » ? Pourquoi cette
formulation ambiguë au lieu de dire simplement que le cour de la vocation du
soldat réside en ce qu'il accepte d'avance de donner sa vie... dans des
situation « extrêmes » certes, mais qui ne sont pas marginales : ces
situations qui sont au soldat ce que le feu est au pompier, c'est à dire une
situation qui n'est pas permanente mais qui définit sa vocation spécifique.

Mais donne-t-il sa vie pour la mission ? Un poncif militaire est certes de
répéter que la mission « est sacrée »... cependant quel soldat donnera sa
vie pour la mission en elle-même ? Sur quel monument aux morts prétend-on
que les soldats des guerres passées sont morts. « pour la mission » ? Bien
entendu, pour compléter ce que nous avons dît plus haut, le cour de la
vocation du soldat réside en ce qu'il accepte d'avance de donner sa vie, non
pour la mission, mais pour la France( ). La mission n'est qu'un moyen, elle
n'est que le cadre dans lequel opère le soldat( ).

On pourrait passer rapidement sur cette formulation étrange s'il s'agissait
d'un texte écrit à la va-vite, et non du « texte fondateur » d'une «
nouvelle Armée de terre ». On pourrait croire en outre à une maladresse s'il
s'agissait d'un fait isolé. Or à aucun moment la conception traditionnelle
de la vocation militaire énoncée mille fois depuis qu'existe des armées ne
se trouve dans le Livre Vert.

Service de l'État ou de la France ?

Revenant sur la spécificité du soldat, le Livre Vert affirme( ) qu'il est un
« citoyen au service de son pays ; ses devoirs et ses droits sont d'abord
ceux du citoyen et de tout serviteur de l'État. » Le glissement est léger en
apparence mais lourd de conséquences : le soldat n'est plus au service de la
France, sous l'autorité du pouvoir politique légitime ; il est d'abord un
« serviteur de l'État ». Le document lui reconnaît cependant une spécificité
: « sa spécificité réside dans le fait de se trouver détenteur, au nom de la
nation dont il tient sa légitimité, de la responsabilité, directe ou
indirecte, d'infliger la destruction et la mort, au risque de sa vie, dans
le respect des lois de la République, du droit international et des usages
de la guerre, et ce, en tous temps et en tous lieux »( ). Ici encore, rien
n'est faux à strictement parler dans cette formulation, mais on a
l'impression qu'il y manque l'essentiel : le service de la France, qui avait
été évoqué a minima (« citoyen service de son pays »), n'apparaît plus.
Est-ce un oubli ?

Loin d'être innocentes, ces définitions compliquées qui semblent passer à
coté de l'essentiel posent les fondements d'une définition dénaturée du
soldat. Les points principaux de cette nouvelle définition sont les suivants
:
· On crée une césure entre le soldat et la France : le soldat n'est plus lié
à la France au-delà des vicissitudes politiques du moment. Il n'est plus
qu'un « serviteur de l'État », détenteur par délégation de la force. Le
soldat, au lieu de servir la France sous les ordres du gouvernement légitime
du moment, sert l'État.

· Le dévouement, allant jusqu'au sacrifice de sa vie, est détourné de son
vrai sens : il n'est plus motivé par un amour désintéressé de la France ; il
devient un dû non plus à la France, mais à l'État. Le fait que l'État lui
confie des armes (ce qui est appelé un « privilège exorbitant ») met le
soldat en situation de débiteur vis-à-vis de l'État. Le dévouement et le
sacrifice des soldats ne sont plus que le paiement de cette dette.

Légitimité de l'action militaire

Une définition détournée est également donnée de la légitimité de l'action
militaire. Au lieu que cette action soit jugée ou non, légitime d'après des
critères objectifs (réaction à une agression, défense des intérêts
supérieurs de la France.), cette légitimité est ici relative, puisqu'elle
dépend du soutien ou non de l'opinion publique à son action :

· « La légitimité de son action, dès lors que l'armée est en opérations, est
indispensable au moral et au nécessaire cadre étique de l'engagement du
soldat. L'Armée trouve en effet une source d'inspiration puissante dans la
reconnaissance de son action par la nation »( ).

· On notera, exemple typique du « tour d'esprit » du Livre Vert, la manière
dont le détournement de la définition de la « légitimité » est opérée: la
première phrase semble en reprendre la définition traditionnelle, mais la
deuxième phrase introduit subrepticement, et comme allant de soi,
l'équivalence entre « légitimité » et « reconnaissance de son action » par
la « nation », entendue ici comme « opinion publique ».

Un patriotisme idéologique

Le patriotisme au moins, évoqué à plusieurs reprises dans le Livre Vert,
comme le remarquait le CERD, échappe-t-il à ce type de détournement ? Ce
point est à la fois le plus important et le plus complexe de l'ensemble des
définitions faussées données par le Livre Vert. On ne pourra l'évoquer ici
que schématiquement.

Depuis 1789, deux conceptions du patriotisme cohabitent en France :

· une conception traditionnelle, qui allait auparavant de soi : le
patriotisme est un amour de prédilection dû au pays qui nous a vu naître et
grandir ; il n'est pas une opinion, ni l'adhésion à une idéologie, mais un
devoir de reconnaissance envers un pays concret et charnel. Il unit tous les
fils de ce pays, au-delà des philosophies et des idéologies.

· une conception selon laquelle le patriotisme implique une adhésion à une
idéologie donnée, en résumé celle des Droits de l'Homme et de la Révolution.

Contrairement à la conception traditionnelle, cette conception
révolutionnaire divise les Français selon qu'ils adhèrent ou non à cette
idéologie.

Cette dichotomie est illustrée dans de nombreux ouvrages( ), mais résumée de
manière lapidaire par le chef vendéen Charrette qui se réclamait de la
conception traditionnelle : « Pour (les révolutionnaires), la Patrie semble
n'être qu'une idée, pour nous elle est une terre. Ils l'ont dans le cerveau
; nous, nous l'avons sous les pieds, c'est plus solide »( ).

L'armée doit-elle s'identifier à la conception révolutionnaire, idéologique,
du patriotisme ? Un manuel militaire publié sous la IIIe République,
pourtant portée à l'emphase républicaine, avait la prudence de reprendre la
conception la plus traditionnelle et consensuelle, celle qui unit les
Français au lieu de les diviser selon des lignes idéologiques :

· « Le patriotisme; c'est l'amour de la Patrie, amour poussé jusqu'au
sacrifice de l'existence. La Patrie, c'est le pays qui nous a vu naître avec
l'ensemble de ses traditions, avec les moeurs, les habitudes, les idées
communes à nous tous, Français, et avec le lourd passé de gloire que nous
ont transmis nos ancêtres et que l'étranger nous envie. Le patriotisme est
un sentiment instinctif, aussi naturel que l'amour que nous portons à nos
parents.( ) »

Le Livre Vert n'a pas cette retenue quand il évoque le « patriotisme » c'est
toujours sous le visage du patriotisme idéologique et révolutionnaire. Nulle
part la France n'est évoquée sans être rapportée à un système idéologique :

· « (.) la nation reste bien le cadre d'une communauté de destin des hommes
et des femmes qui la composent. Pour la France, cette communauté offre la
particularité de se définir, dans la République, en référence à des valeurs
universelles qu'elle a contribué à promouvoir, bien traduites par la
Déclaration des droits de l'homme et de citoyen et synthétisées dans sa
devise même.( ) »

· « (...) il n'y a pas alternative entre le service de la France et des
exigences plus élevées, dés lors que la République française se définit pour
une large part à travers la référence à des valeurs universelles qu 'elle a
elle-même contribué à construire.( ) »

· « Cette nation est la France, un "vouloir vivre ensemble" d'une communauté
d'hommes et de femmes historiquement unis autour de valeurs communes( ) »

· (L'action militaire s'inscrit) « dans le respect des valeurs fondatrices
de la communauté nationale exprimées à travers la déclaration des droits de
l'homme et du citoyen et traduites dans la devise de la République.( ) »

Ces définitions montrent le basculement opéré entre la définition du manuel
de 1938 et le Livre Vert le « pays qui nous a vu naître » est devenu un
abstrait « vouloir vivre ensemble » autour d'une idéologie officielle (aussi
légitime soit-elle par ailleurs, là n'est pas la question). L'inconvénient
d'une telle définition, nous l'avons vu, est qu'elle divise les Français
selon leur adhésion ou non à cette idéologie. L'avantage est que ce
pseudo-patriotisme est éminemment malléable puisqu'il est lié à des idées et
non plus à un sol, et pourra sans peine se transformer en euro-patriotisme
quand le temps sera venu pour la France de perdre sa souveraineté
militaire( ), de même que pourra être justifié l'engagement dans tout
conflit repeint aux couleurs de la « Défense des Droits de l'Homme »
indépendamment de l'intérêt national français.

Sous des dehors à première vue inoffensifs, le Livre Vert, par sa maîtrise
dialectique et son utilisation de définitions faussées, est une machine de
guerre contre l'esprit militaire que le colonel De Gaulle voyait pourtant
comme le fondement de l'armée de métier. Cette dérive, et cette
dénaturation, s'expliquent quand on comprend que le Livre Vert ne cherche
pas à poser les bases d'une armée de métier, mais a accompagner, à
justifier, parfois à camoufler, l'instauration d'une « armée nouvelle » en
rupture avec les conceptions traditionnelles.

3 / LE MODÈLE DE L'« ARMÉE NOUVELLE »

Outre qu'il met les vertus militaires sur la défensive, le Livre Vert pose
le principe d'une « rupture » entre l'armée d'avant la « Refondation » et la
« nouvelle armée de terre » qui naîtra de cette dernière. Cette rupture
n'est pas innocente : elle permet de remettre en cause les fondements de
l'armée pour en reconstruire une autre, qui ne serait que l'ombre de la
précédente, sur les bases que les idéologues socialistes élaboraient depuis
longtemps.

a ) Une rupture artificielle

Pour le Livre Vert, les temps de l'armée d'avant la professionnalisation «
sont désormais révolus »( ), une « Refondation » est en cours, « c'est bien
une nouvelle armée de terre »( ) qui est en construction.

Ces expressions laissent perplexes les cadres militaires. La
professionnalisation, même pour ceux qui n'appartenaient pas à des unités
professionnelles depuis longtemps( ), n'a rien changé de fondamental à leur
métier : leur vocation était de défendre la France avec des appelés( ), leur
vocation reste maintenant la même avec des engagés. Le changement est réel
dans bien des domaines (instruction, gestion des personnels...) mais ne
touche pas l'essentiel. Par ailleurs, les structures de l'armée restent
globalement identiques, à quelques créations et dissolutions près( ). On est
loin d'une véritable « Refondation » ou d'une « Revolution in Military
Affairs (RMA), » telle que l'envisage Donald Rumsfeld pour la défense
américaine.

Les promoteurs de la Refondation veulent en fait, artificiellement,
justifier une rupture, un esprit de « table rase » afin de créer une armée
nouvelle. Ils prétendent que le modèle qu'ils développent l'est en réponse à
une situation nouvelle : la professionnalisation, le nouveau contexte
géopolitique etc.( ) Or leurs thèses sont tout sauf nouvelles : elles datent
de 30 ans, et descendent en ligne directe des travaux de « clubs » traitant
dans les années 1970, au sein du Parti socialiste, des questions de défense.

b ) Naissance des réseaux « Armée nouvelle ».

Il faut remonter de quelques années dans le temps pour comprendre le coup de
force idéologique qu'est en train de subir l'Armée de Terre. Au début des
années 1970, alors que régnait un fort antimilitarisme à la gauche de la
gauche, un certain nombre de personnalités membres ou proches du Parti
socialiste initièrent une réflexion plus constructive afin de proposer un
modèle réaliste d'armée professionnelle dans un État socialiste.

Cette réflexion, élaborée dans le cadre d'associations et de « clubs » se
retrouvant sous la bannière de 1'« Armée Nouvelle »( ) par des hommes comme
Charles Hernu, Pierre Dabezies ou le Gal Jean Becam( ), établit le constat
suivant :

· l'armée de conscription allait probablement être, à terme, remplacée par
une armée professionnelle, malgré la méfiance de la gauche à l'égard de
cette idée - le pire scénario étant celui d'une professionnalisation menée
par un gouvernement de droite, et à laquelle la gauche n'oserait s'opposer
de peur de s'aliéner les sympathies des jeunes électeurs( ).

· La Gauche devait donc en prendre son parti, et formuler, en vue de son
arrivée au pouvoir, son modèle pour une armée professionnelle.

Travaillant sur ces prémices, les réseaux « Armée nouvelle » ont établi un
modèle assez cohérent d'armée professionnelle socialiste. Les
caractéristiques principales de cette « Armée nouvelle » ont été clairement
énoncées dans le livre de Charles Hernu Soldat-Citoyen publié en 1975. C'est
ce modèle qui transparaît depuis 1997 dans les discours et les écrits des
personnalités socialistes chargés des questions de défense, et en
particulier dans les rapports parlementaires du prolifique député Bernard
Grasset (PS Charente~Maritime) en 1999 et 2000.

c )De l'« Armée nouvelle » à la « Refondation »

Nous allons voir de quelle manière ce modèle a servi de guide à l'essentiel
des réformes significatives qui, ces dernières années, ont accompagné la «
Refondation » et détourné la professionnalisation du modèle que le chef de
l'État avait indiqué.

Une armée de fonctionnaires, de techniciens

Ce modèle préconisait une armée de « techniciens »( ), de fonctionnaires de
la défense, où l'« esprit militaire » loué par le colonel De Gaulle ne
devait plus avoir droit de cité.

Dans ce projet d'« Armée nouvelle », les soldats ne devaient plus faire un
métier « à part », mais devenir des « fonctionnaires d'un type particulier
chargés de la défense »( ) ; dans cette normalisation du métier des armes, à
la notion d' « état » militaire devait se substituer celle de « fonction »
militaire( ). « Le militaire est un citoyen comme les autres, qui a
simplement choisi de participer a la protection armée du pays pendant un
certain nombre d'armées »( ).

Le Livre Vert reprend presque mot à mot ces conceptions: la spécificité du
soldat, comme nous l'avons vu, est mise sur la défensive dans le Livre Vert
où il est décrit comme « un citoyen au service de son pays; ses devoirs et
ses droits sont d'abord ceux du citoyen et de tout serviteur de l'État »( ).
En outre, il est un « membre de la fonction publique »( ), au même titre
sans doute qu'un employé du fisc.

« Civilianisation » des esprits et des personnels.

Ces fonctionnaires, ces techniciens de la défense devaient pour les groupes
« Armée nouvelle » avoir une mentalité de civils : Conséquence logique,
l'esprit militaire traditionnel n'avait plus a être cultivé : pour Charles
Hernu, « Vigny est mort. Son romantisme n'est plus de mise.( ) » ; « La
gloire des armes, la fraternité des armes, la majesté du métier des armes,
le sacrifice de la vie, le sang versé, tout cela a existé. Mais (..) pour
sauver l'armée - c'est-à-dire pour la démocratiser - , ne faut-il pas la
démythifier, la désacraliser, et, comme nous l'avons souvent réclamé au
Parti Socialiste la "civiliser" ? »( )

Hernu précisait son modèle pour cette armée : non plus « la tradition
guerrière française », mais une « mentalité de 'casque bleu'( ) » ". On
comprend que nous ayons constaté que le Livre Vert, n'encourage ni les
vertus guerrières, ni la combativité ! Pour un « fonctionnaire », «
technicien de la défense », avec une mentalité de « casque bleu », l'usage
même de la force est l'occasion de scrupules sans fin : « L'usage de la
force (..), dès lors (qu'il) se traduit de fait par la destruction et la
mort, (...) s'oppose a une exigence véritablement fondatrice qui est celle
de nos sociétés dont le soldat n'est que le délégataire : le respect absolu
de la personne humaine, notamment de sa vie( ) ».

Le slogan d'une campagne de recrutement en 1998 avait suscité l'atterrement
de beaucoup au sein de l'Armée de Terre : « Avec ce casque, vous serez
cuisinier », « avec cette paire de rangers, vous serez secrétaire »
promettait-elle, réduisant l'état militaire à des emplois de type civil. Des
officiers supérieurs, interpellés à ce sujet, ont plaidé la maladresse ou le
malentendu. On a du mal à croire à une simple maladresse, tant cette
campagne reflète les consignes de Bernard Grasset, qui appelle dans son
rapport parlementaire de 1999( ) à ce que le « recrutement (fasse) l'objet
d'une attention particulière, de façon à ne pas privilégier exclusivement le
'fanatisme militaire' ».

Outre cette démilitarisation des esprits, à laquelle on peut ajouter le
recrutement délibéré de personnels peu motivés par la vie militaire, les
théoriciens de 1' « Armée nouvelle » prévoyaient, pour plus de sûreté, un
influx massif de civils dans l'institution : « il faut (...) civiliser
certains secteurs où l'uniforme n'a plus rien à faire »( ) : « tous les
services qui pourront l'être sans dommage, et la plupart des corps, seront
démilitarisés.( ) » Ce point du programme a été consciencieusement appliqué:
si le nombre brut de personnels civils dans l'armée de Terre n'a augmenté
qu'assez modérément, leur proportion dans une armée au format plus réduit a
augmenté de manière spectaculaire. Surtout, leur répartition a changé,
puisqu'ils sont maintenant présents en nombre au sein des régiments (une
quarantaine( )). La présence de civils au sein des régiments a pour
conséquence de raboter l'esprit militaire dans les unités: la disponibilité
et l'esprit de discipline des personnels militaires souffre de la présence
de ces fonctionnaires, souvent syndiqué, travaillant dans les mêmes services
qu'eux( ). Surtout, la cohésion et l'esprit de corps ne peuvent plus se
faire qu'« au rabais », entre « collègues » et non plus entre frères
d'armes, pour ne pas exclure le personnel civil, « membre à part entière de
la communauté » pour le Livre Vert( ).

Lien armée-nation dévoyé

L'alignement sur le monde civil devait en outre dans I 'Armée nouvelle être
cultivé par le lien armée-nation : il s'agissait de « faire de l'armée une
institution populaire et comprise de la nation parce qu'intégrée à elle »( )
; la spécificité militaire était vue comme l'obstacle principal à ce lien :
Pierre Dabezies appelait dans le Figaro du 17 sept 1974 à « modifier
finalement ces structures et ce style de l'armée, obstacle manifeste à son
insertion normale dans la société( ) ». Dans une stricte continuité avec ces
conceptions, le rapport d'information parlementaire de Bernard Grasset du 10
février 1999 déclinait, entre d'autres propositions tout à fini
raisonnables, un programme de mesures destinées à « casser » l'esprit
militaire, entendu comme un obstacle au lien armée-nation.

Bien entendu, le lien armée-nation est une préoccupation légitime et
importante de l'armée. Mais on comprend en quoi ce lien est ici dévoyé : il
ne s'agit plus de faire connaître et apprécier l'armée dans sa spécificité,
mais de donner un argument de plus à l'alignement de l'institution militaire
sur le « monde civil » ou l'« opinion ». Le Livre Vert prône ainsi une armée
« à l'écoute de la nation, en phase avec elle, avec ses problèmes et son
évolution( ) ». Cette phrase apparemment anodine se prête en fait à une
exploitation universelle : toute réforme subversive est et pourra être à
l'avenir justifiée par l'injonction que l'armée doit être « en phase » avec
la société et « ses problèmes et son évolution ». A l'inverse, toute unité
brillant par un esprit de corps, des traditions, une personnalité propre
particulièrement développés, au lieu d'être considérée comme une « belle
boutique » propre à servir efficacement la France, est soupçonnée de
s'éloigner d'autant du monde civil et de trahir le lien armée-nation.
Cette volonté de s'aligner sur le monde civil est une constante dans
l'action récente de certains responsables de l'armée de terre. Un exemple
particulièrement criant de cet esprit et des extrêmes auquel il mène est
l'interview accordée par le Gal Raevel, chef du Sirpa-terre, au magazine
érotique homosexuel Tétu, et dont les propos ont été repris dans Le Monde du
4 mai 2000 sous le titre « l'armée se veut accueil1ante pour les
homosexuels ». Le Gal Raevel y déclare : « L'armée de terre, telle que nous
sommes en train de la construire, se veut l'émanation de la nation. (...) A
l'instar des entreprises, l'armée de terre suit les évolutions de la société
et la reconnaissance du phénomène homosexuel fait partie de ces évolutions »
; et il poursuit : « La question s'est posée de savoir si on veut faire une
armée très dure, en ne recrutant que des Rambo, mais avec le risque de voir
cette armée se couper de la nation qu'elle est censée protéger, ou une armée
moins monolithique, mais qui soit en osmose avec la nation ».
Cette volonté d'être « en phase » avec les « problèmes » et l'« évolution »
de la société ne pourra-t-elle pas empêcher demain l'armée de s'opposer à
l'introduction de drogues dans ses enceintes si ces dernières devaient être
dépénalisées ? De quel droit l'armée chercherait-elle à se préserver d'une
évolution de la société ?

Or, paradoxe qui semble échapper aux idéologues du Livre Vert et de l'Armée
nouvelle, chacun peut constater que le monde civil ne demande nullement à
l'institution militaire de s'aligner sur lui. Au contraire, non seulement
les unités qui recrutent avec le plus de facilité et qui obtiennent la plus
grande fidélisation de leurs personnels sont celles qui cultivent la plus
forte spécificité militaire( ), mais un applaudimètre sur les Champs-Élysée
un 14 juillet montrerait que ces unités sont aussi les plus appréciées des
civils présents( ). Avec le passage à l'Armée de métier, l'opinion a le
sentiment d'avoir droit sinon à des « Rambo », du moins à autre choses que
des « fonctionnaires » ou des « bidasses professionnels ». L'abaissement du
niveau de spécificité et d'exigence dans l'armée de terre, par un discours
de l'alignement sur le monde civil tournant à l'obsession, est en réalité
antinomique et de son attractivité dans le recrutement, et de l'« adhésion
de la communauté nationale à cette armée( ) » auquel le Livre Vert accorde
tant d'importance( ).

Un contrôle idéologique, en particulier du corps des officiers

Dans le modèle « Armée nouvelle », cette armée vidée de son esprit militaire
devait en revanche être placée sous un contrôle idéologique serré, «
recevoir une formation idéologique d'un type nouveau »( ).

L'Armée n'est ainsi plus respectée par le pouvoir politique comme une
institution « à part », certes subordonnée au gouvernement légitime, mais
vouée à la défense de la France au-delà des changements de régime et
d'idéologie. Cette conception traditionnelle est même diabolisée : se croire
au service d'une « Nation préexistante à la démocratie » est considéré comme
une idée séditieuse( ). L'armée doit devenir une armée « de régime », une
armée laïque, citoyenne et républicaine. Cette « formation idéologique »
prend aujourd'hui la forme d'une mise au pas : il s'agit de la reprise en
main d'une institution considérée comme suspecte a priori, comme l'était la
Bundeswehr lors de sa prudente édification lors des années
d'après-guerre( ). Il n'est pas excessif de comparer l'effort actuel de mise
au pas à celle que subit l'armée lors de l'« affaire des fiches » au début
du siècle, résumée par le Gal Yves Gras : le gouvernement Waldeck-Rousseau
« s'attaqua (....) à l'autonomie traditionnelle de l'armée et entreprit de
« républicaniser » le corps des officiers que la gauche dénonçait comme une
oligarchie dangereuse pour le régime.( ) »

Cette mise au pas se traduit par un discours fortement idéologique dans le
Livre Vert, comme dans ses documents dérivés : en particulier ce que le
Livre Vert appelle « patriotisme », nous l'avons vu, est en fait l'adhésion
à une idéologie officielle( ). La devise « Honneur et Patrie » y est
détournée de manière presque risible puisqu'il y est expliqué en substance
que l'« Honneur » n'est rien d'autre que le respect des Droits de l'Homme et
que la « Patrie » se définit par rapport à ces mêmes Droits de l'Homme( ).
Afin de justifier l'imposition de cette idéologie dans l'armée, le Gal
Jean-René Bachelet( ) affirme que cette dernière est « en quête de
sens( ) », et se propose de combler cette attente en la mettant sous une
chape de plomb républicaine et « politiquement correcte. »

Un aspect particulier de cette idéologisation est l'hostilité croissante
envers toute manifestation publique de la religion catholique( ) : il a
largement été fait écho, dans la presse, du bras de fer ayant opposé le
Ministère de la Défense au Vatican au sujet de la nomination de Mgr Le Gai
au poste d'évêque aux Armées en 2000. Mais c'est maintenant tous les usages
et traditions qu'on veut faire passer au tamis d'un laïcisme dogmatique :
combien de temps les cavaliers pourront-ils encore fêter Saint Georges, et
les sapeurs Sainte-Barbe( ) ?

Bien entendu, si un effort particulier dans ce contrôle porte sur le corps
des officiers : « casser » les solidarités naturelles et les traditions de
ce corps rendrait plus facile une mise au pas idéologique. Le projet « Année
nouvelle » déjà voulait modifier le « recrutement et la formation des
officiers »( ) : « cette formation nouvelle des officiers (serait menée)
dans le cadre d'un enseignement ouvert, démocratisé, en prise directe sur
les grandes écoles, l'Université( ) ». Avec pour but d'interdire que se
perpétue une « caste militaire », « les collèges militaires style 'La
Flèche'( ) » et « les écoles préparatoires aux métiers des armes
disparaîtront en tant que telles »( ).

Ces citations d'il y a trente ans décrivent assez précisément ce qui a été
imposé aux lycées et écoles militaires ces dernières années. Les lycées «
style La Flèche » n'ont pas disparu, mais ont été normalisés et
démilitarisés : ordre serré, uniformes militaires, cérémonies aux couleurs
ont disparu, tandis que le « Prytanée militaire de la Flèche » devient le
« Lycée national de la Flèche( ) »

Plus profonde encore est la déstructuration du recrutement et de la
formation à I'École Spéciale Militaire de Saint-Cyr. La « Réforme » de
l'École est probablement, de toutes les mesures imposées à l'Armée de terre
depuis la publication du Livre vert, celle qui a suscité les oppositions les
plus nombreuses( ). Le bouleversement est en effet de taille au lieu d'être
articulée en trois années, la formation est éclatée en 6 modules d'un
semestre (2 à dominante militaire et 4 à dominante académique) : certains
élèves-officiers suivront les 6 semestres, d'autres, recrutés tardivement
grâce a des incitations financières, n'en suivront que 4 ou 2( ). Cette
atomisation de la formation et du recrutement rendront impossible, outre la
cohésion au sein d'une « Promotion », la transmission des traditions au sein
de l'École avec la perte du lien entre « anciens » et « jeunes ». Craignant
sans doute que certains officiers issus de l'école mettent peu d'ardeur a
contribuer au démantèlement de cette dernière, le Commandement de la
Formation a eu la prudence d'instituer depuis l'année 2000 des tests
d'évaluation psychologique pour sélectionner les instructeurs affectés à
Coëtquidan : les officiers trop « traditionnels », qualifiés de «
psychorigides », sont ainsi refusés( ), ce que la presse a interprété comme
une volonté d'écarter de ces postes les officiers catholiques.

Les documents du « Corpus » du Livre Vert laissent clairement présager que
l'adhésion des soldats, et singulièrement des officiers, aux « valeurs
institutionnelles »( ) sera un élément déterminant de l'appréciation portée
sur leur action, en un mot de leur notation.

Au-delà des risques d'injustice, cette idéologisation, cette politisation de
l'armée et du corps des officiers est d'une gravité extrême.

D'abord, et c'est le point le plus grave, elle trahit et dénature la
vocation de l'armée, qui est d'être l'armée de la France et non d'une
idéologie. Un Saint-Cyrien de la Promotion Veille au Drapeau répondait déjà
aux théories similaires de Jean Mialet( ) dans un numéro du Casoar dans les
années 60, en s'opposant à ce que l'armée s'identifie à une idéologie,
fut-t-elle républicaine, craignant qu'elle ne soit plus alors que l'armée
d'une partie du pays : « Car alors quelle serait cette partie ? Quels
seraient les bons et quels seraient les mauvais citoyens ? Le gouvernement
en place étant l'inspirateur des réponses apportées, l'Armée ne
risquerait-elle pas de se confondre avec une garde prétorienne au service
d'un régime ? »

Cette idéologisation représente une trahison morale vis-à-vis des militaires
eux-mêmes. Les militaires sont astreints à un « devoir de réserve » en
matière politique ou philosophique dont la contrepartie est qu'on ne leur
demande pas de professer l'idéologie dominante du moment.
Cette idéologisation risque, si la greffe prend, de stériliser et
d'uniformiser la pensée des militaires, traditionnellement libre, en
particulier chez les officiers : Jean Guitton s'étonnait ainsi pour la
louer, de l'extrême liberté (des pensées des officiers, y compris) sur ce
que pourtant ils font profession de vénérer( ). « Comment en effet des
esprits libres comme Lyautey (auquel pensait Guitton) ou Leclerc
auraient-ils trouvé leur place dans une armée jugeant les officiers sur
l'"adhésion" qu'ils montrent aux valeurs institutionnelles » ?
Cette idéologisation risque enfin, comme dans la IIIe République du début du
siècle ou dans l'Union Soviétique des années 1937-1941, de porter aux
échelons de responsabilité des officiers incompétents mais politiquement
inféodés aux gouvernants. Le « haut responsable de la Défense » déjà cité,
signant du pseudonyme « Verus », met en garde contre le détournement
possible de nouvelles règles permettant à l'avenir l'avancement accéléré
d'officiers désignés « à fort potentiel » : « (...) s'il est vrai que ce
type de gestion est tout à fait nécessaire lorsqu'il est conduit
objectivement c'est 1'usage partisan pouvant (en) être fait qui constitue un
danger permanent dont le passé a déjà démontré l'existence et la
nocivité »( ).

L'atténuation de la discipline, de l'autorité et des distinctions entre les
grades

Dans l'« Armée nouvelle », l'autorité devait bien sûr être allégée : «
Alléger l'autorité, ce sera rendre supportable une discipline indispensable
à base de responsabilité. Dans un avion, dans un char, officiers et soldats
forment une équipe soudée, fraternelle. Il n'y a pas besoin du galon pour
créer la valeur ni pour donner l'autorité. Pourquoi rétablir, hors du char
et de l'avion, des différences que les soldats, s'ils étaient au combat
réel, ne connaîtraient pas ?( ) »

Outre les passages du Livre Vert relativisant l'autorité étudiés ci-dessus,
ce point est illustré par de récentes évolutions d'importance variable, mais
allant toutes dans le sens d'une atténuation de la différence entre les
grades, voire d'une confusion délibérée des distinctions de catégories :
anecdotiques en apparence, certains points ont touché des points symboliques
de la tenue, comme l'introduction du col « officier » dans la tenue des
élèves sous-officiers de Saint-Maixent ou le port du Grand Uniforme de
Saint-Cyr par des cadres sous-officiers. Moins anecdotique, le port de
galons dits de « basse visibilité », normalement réservés au combat et peu
lisibles, dans un but de camouflage, est rendu obligatoire dans la plupart
des unités : cette directive n'est sans doute pas sans rapport avec la
philosophie implicite au rapport Grasset-Cova de 2000( ) qui voyait dans ces
galons un moyen d'atténuer la différence entre les grades( ). D'autres
évolutions sont actuellement évoquées, allant dans ce même sens : un
général, commandant 1'École de Saint-Maixent, a récemment déclaré vouloir
remplacer le terme « sous-officier » par un autre, moins dégradant. Si un
nouveau terme apparaît, on peut deviner qu'il sera soigneusement choisi pour
entretenir la confusionnisme entre le corps des officiers et celui des
sous-officiers( ).

Au-delà de ces glissements symboliques, une tendance lourde dans l'ensemble
des armées depuis 1997 est la relativisation de l'autorité des cadres, ce
que les idéologues de l'« Armée nouvelle » appelaient une « réforme
démocratique »( ). Le style de commandement souvent mis en accusation, et
les moyens d'exercer ce commandement sont rognés : le nouveau bulletin de
punition introduit fin 2001 rend les punitions disciplinaires plus
difficiles à appliquer et encourage le puni à faire recours de sa punition,
et la punition elle-même n'est plus effectuée en local d'arrêt que dans des
cas extrêmes( ). Cette même année à commencé à fonctionner un Conseil des
Militaires siégeant à Paris : un militaire en désaccord avec une décision de
tout ordre (mutation, envoi en stage, .) peut s'y adresser sans avoir à en
'référer' aux supérieurs qu'il met en cause.

L'évolution vers la syndicalisation de l'armée

Les promoteurs de l'Armée nouvelle prévoyaient une syndicalisation pure et
simple : « les officiers, sous-officiers, troupes sous contrat d'une armée
de techniciens devront, dès lors, bénéficier de tous les droits
d'association syndicaux et leurs traitements devront être ceux de
"fonctionnaires" militaires ayant accepté une mission particulière de
défense( ) »

Certes, la syndicalisation ouverte de l'Armée de terre n'est pas prônée
ouvertement par les « Refondateurs »( ), mais des dérives importantes sont
déjà visibles, essentiellement issues du rapport Grasset-Cova en 2000( ) :
les présidents de catégorie dans les régiments (militaires du rang,
sous-officiers, officiers subalternes), jusqu'ici désignés par le chef de
corps après une consultation informelle, seront désormais élus au « suffrage
universel ». Les deux députés demandent à ce qu'il soit accordé à ces
représentants « davantage de temps et de moyens » (décharges de service,
bureau, ordinateur, téléphone, facilité de transport) pour assurer leur
mission. De même, les représentants au Conseil Supérieur de la Fonction
Militaire (CSFM) sont élus au sein des Conseils de la Fonction Militaire des
différentes armées. Comment éviter qu'à terme, ces élections à des places
potentiellement convoitées ne donnent lieu à des campagnes électorales avec
divisions attaques ad hominem, promesses voire « étiquettes »
syndicalo-politiques( ) ? Les réformes de 2001 dans ce domaine créent un
équilibre instable( ) qui, si elles ne sont pas abolies rapidement, ne sera
qu'une phase intermédiaire vers une syndicalisation de l'armée.

Un frein à la syndica1isation ouverte de l'armée est le fait que, jusqu'ici
au pouvoir l'intérêt immédiat de la gauche s'y oppose( ). On peut s'attendre
en revanche à ce que, si elle retourne dans l'opposition, elle suscite des
revendication dans ce sens.

La féminisation

La féminisation des armées n'avait pas été préconisée par les promoteurs de
1'armée nouvelle dans les années 70. Elle a cependant été reconnue dès les
années 80 comme contribuant à ses objectifs de fragilisation de
l'institution militaire; et a été embrassée avec enthousiasme par les
idéologues socialistes. Charles Hernu, dans Défendre la Paix (p 149), y
accordait déjà une grande importance, comme signe de « progrès social » dans
les armées, et Bernard Grasset, dans son rapport de 1999, proposait d'«
accentuer la féminisation des armées » afin, là encore, de renforcer le lien
armée-nation. « Le taux de femmes officiers demeure inférieur à celui des
femmes cadres dans les administrations et dans les entreprises »
constatait-il, avant de préconiser que « la féminisation des armées soit
développée de telle sorte que le taux de femmes dans l'institution et leur
répartition dans les différents emplois tendent vers un rapprochement avec
la situation constatée dans la société civile ». Le député socialiste ne
reconnaît dans ce domaine aucune spécificité au monde militaire, et même les
unités de combat doivent à terme être féminisées dans des proportions dignes
du monde civil, cette féminisation devant se faire « en évitant, dans la
mesure du possible, de maintenir au sein des forces des bastions
masculins. »

La féminisation est donc présentée comme un bien objectif, contribuant à
l'alignement des comportements militaires sur ceux de la société civile. La
Directive relative à la formation militaire générale, issue du Livre Vert (p
11), présente la féminisation comme un moyen de faire évoluer les
comportements militaires traditionnels : « la féminisation (...) constitue
un facteur clé dans le processus d'éducation des comportements ». Un effort
délibéré est en conséquence fait dans le sens de cette féminisation dans les
armées : 18% des élèves sous-officiers à l'ENSOA de Saint-Maixent sont
aujourd'hui des femmes, soit environ le double de leur proportion actuelle
dans l'Armée de Terre.

Sans reprendre l'ensemble des arguments s'opposant à une féminisation sans
discernement de l'armée( ), on ne rappellera que pour mémoire certaines
conséquences néfastes sur l'attitude au combat des unités liées à l'influx
de personnels féminins :

· l'affaiblissement moral de l'unité : l'hétérogénéité du groupe fragilise
ce dernier, en particulier en opérations et dans des situations de stress
important ;

· Cet affaiblissement peut être aggravé par les problèmes de moeurs dans une
unité mixte, avec des conséquences graves sur le moral de l'unité et des
conjoints ; la fréquence de tels problèmes impose qu'ils soient mentionnés
ici au-delà de la boutade graveleuse ;

· le sentiment d'injustice et de perte de confiance dans l'institution qui
naît de la différence de traitement au bénéfice des personnels féminins : la
charge de travail que ces personnels ne peuvent assurer du fait de leurs
limites physiques est réparti sur le reste de l'unité, tandis que des
barèmes sportifs inégaux permettent aux femmes d'intégrer tel stage ou telle
école avec des résultats inférieurs à leurs homologues masculins ;

· une dépréciation du métier militaire, aux yeux des engagés eux-mêmes : «
pourquoi un jeune homme cherchant un rite de passage vers le monde adulte
masculin voudrait-il se tester dans les rangs mixtes de l'armée
d'aujourd'hui - ça ne peut pas être bien dur, puisque les filles le font, »
constatait la journaliste américaine Kate O'Beirne à propos des problèmes de
recrutement de l'Army ; qu'elle liait à sa féminisation excessive ;

· comme l'ont montré quelques exemples depuis la guerre du Golfe, quand des
soldats d'Armées occidentales sont tués, blessés, ou capturés, la réaction
de l'opinion est plus vive s'il s'agit de femmes. L'engagement d'unités
mixtes verra sans doute une aggravation de l'impératif « zéro mort », au
détriment de l'efficacité.

d ) Quelques remarques sur la mise en oeuvre de cette subversion

Les réseaux « Armée nouvelle » voulaient rassurer les socialistes sur le
fait que l'Armée de terre pouvait être subvertie de la même manière que
d'autres institutions dans les années 60-70. Charles Hemu écrivait ,dans le
Figaro du 5 novembre 1973 : « quand on sait comment la magistrature, la
police, l'Église ont, de l'intérieur, évolué en se posant des problèmes sur
leur rôle dans la société, on ne voit pas pourquoi, au sein de l'armée, un
tel mouvement de réflexion ne s'amorcerait pas( ) ». Chacun peut constater
que cette subversion, amorcée, avec l'arrivée de la gauche au pouvoir en
1981, est mise en ouvre de manière systématique et accélérée depuis 1997 et
le retour des socialistes au gouvernement.

Cette mise en ouvre s'est faite de manière camouflée : Si, a posteriori, on
peut constater que l'ensemble des mesures imposées à l'armée depuis 1997
correspond au programme des réseaux « Armée nouvelle », chaque mesure est
systématiquement motivée officiellement par des prétextes tout autres :
l'influx de civils dans les corps de troupe, justifiée comme étant une
mesure rendue techniquement nécessaire (reclassement de fonctionnaires issus
d'une industrie de défense en réduction), correspond, par le plus grand des
hasards, à une mesure « Armée nouvelle » ; le port des galons « basse
visibilité » n'est jamais présenté au sein de l'armée comme étant une mesure
visant à atténuer les différences entre les grades, est explicitement, et
sans doute correctement, présentée ainsi à l'Assemblée Nationale ; la
réforme de Saint-Cyr est elle présentée comme destinée à « assurer
l'épanouissement professionnel des officiers( ) » tandis que la féminisation
est présentée comme une nécessité de recrutement plutôt que comme un but en
soi. Cette dissimulation systématique a permis de retarder chez beaucoup de
cadres la prise de conscience de ce qu'un mouvement de fond s'opérait.
Il n'est pas nouveau que des politiques veuillent détourner l'institution
militaire dans le sens de leur idéologie. Ce qui est nouveau depuis 1997, et
singulièrement 1999, c'est :

· La détermination dont font preuve le Premier ministre et ministre de la
Défense et certains parlementaires pour imposer les réformes « Armée
nouvelle ».

· Le fait que, contrairement à 1981, au lieu de défendre l'identité de
1'Armée, qui n'est pas réductible à l'idéologie du régime à un moment donné,
de nombreux généraux se font les zélotes de ces réformes. Sans doute
l'ambition personnelle, voire des accointances idéologiques,
expliquent-elles l'attitude de certains d'entre eux. Chez la plupart
cependant, il semble que le manque de formation philosophique, sociologique
et politique, et une certaine perte de repères consécutive à l'effondrement
de la menace traditionnelle à l'Est, les ait rendu perméables au seul modèle
cohérent qui ait été proposé, celui de 1'« Armée nouvelle », quels que
fussent les vices de ce modèle.

4 / QUE FAIRE ?

a ) Pourquoi si peu de réaction ?

L'Armée, corps majoritairement sain, s'est pourtant montrée particulièrement
vulnérable devant le discours « refondateur » qui, plus qu'une subversion,
est une réelle dénaturation de l'Armée de terre, de ses valeurs et du sens
de, son action. Ses cadres n'ont certes pas, dans leur immense majorité,
prêté volontairement la main à cette dénaturation, mais ils n'ont pas su s'y
opposer. Pourquoi ?

D'abord par manque de formation philosophique et politique. Peu au fait des
débats idéologiques tournant autour de leur institution, les cadres, et en
particulier les officiers, n'ont pas su discerner que ces évolutions qu'ils
constatent et déplorent sont autre chose qu'une fatalité : l'application
délibérée d'une idéologie.

Comme nous l'avons indiqué, les procédés utilisés par les « Refondateurs »
ont contribué à brouiller les cartes. En particulier, le talent dialectique
du Gal Bachelet, « éminence grise » des Refondateurs, sa communication
omniprésente et l'image d'« officier catholique », qu'il affiche
ostensiblement, ont empêché beaucoup de discerner clairement ce que cachait
cette « Refondation ».

Par manque de temps pour étudier les réformes et les nouveaux documents. Le
terme de « surchauffe » qu'a utilisé le chef d'État-major de l'armée de
Terre pour désigner la situation actuelle n'est que trop juste. Accaparés
par des tâches quotidiennes, peu d'officiers ont eu le loisir d'analyser la
machine de guerre que certains politiques et certains généraux mettaient en
place.

Un esprit de discipline mal compris. Des scrupules mal placés peuvent
conduire certains cadres à ne pas vouloir s'opposer à la « bonne parole »
venue d'en haut. C'est un sentiment habituellement louable, mais qui n'est
plus de mise face à la dénaturation de l'armée. Cette dénaturation est un
détournement de ce qui fait la nature essentielle de l'armée, et aucun
gouvernement ne peut légitimement porter atteinte à cet essentiel, sous
peine de mettre la France en grave péril.

Pour ces raisons, bien que des lieux d'expression militaire, sites Internet
ou revues, se soient fait l'écho de l'opposition à telle ou telle mesure,
aucun contre-discours cohérent n'est opposé à celui des propagandistes du
Livre Vert. Les discours les plus pernicieux sont donc répandus sans que la
contradiction n'y soit apportée, et ceux qui pourraient s'y opposer n'y
voient plus clair, croient être le « dernier carré » et se découragent.

b ) Actions possibles

Or il n'en est rien : ce « dernier carré » est en fait la majorité
silencieuse. La rupture souhaitée par les refondateurs, en particulier une
rupture générationnelle dans le corps des officiers n'est pas encore
accomplie. Il est encore temps d'agir contre cette subversion et cette
dénaturation. On peut espérer que l'alternance politique probable au
printemps 2002 allégera la pression idéologique qui pèse sur l'Armée de
terre, et cette perspective est sans doute la raison de l'accélération des
réformes depuis un an. Des actions sont possibles :

· D'abord en réfutant les slogans et arguments des propagandistes du Livre
Vert et en démasquant la logique d'ensemble de leur action. La présente
fiche est une maladroite tentative pour exposer l'idéologie derrière la «
Refondation ». Elle peut faute de mieux être diffusée par capillarité, de
proche en proche, mais elle serait plus convaincante si des officiers
rédigeaient et diffusaient, chacun dans son domaine de compétence, de plus
solides analyses des manoeuvres en cours (proto-syndicalisme, lutte contre
les traditions, subversion dans les écoles de formation, décloisonnement
juridique, analyse de l'effet néfaste de mesures similaires dans des armées
étrangères...) ou diffusaient des analyses qui existent sans doute déjà sur
beaucoup de points. On ne s'opposera pas à la subversion en en restant aux
« propos de popote », mais en développant une analyse et un contre-modèle
sérieux.

· En ne baissant pas les bras devant la situation actuelle : les cadres
peuvent faire beaucoup pour préserver encore l'esprit militaire dans leur
unité et y atténuer ou retarder les manoeuvres subversives Ils pourraient à
l'inverse être tentés de bénéficier du nouvel esprit pour renoncer à
certaines exigences de leur métier. La plus grande rigueur personnelle
s'impose afin de ne pas prêter la main à certaines dérives.

· Les cadres subalternes de contact (commandants d'unité, président des
lieutenants, lieutenants anciens...) doivent se sentir un devoir plus urgent
encore qu'auparavant d'éducation des jeunes cadres arrivant en régiment, qui
n'auront pas forcément reçu en école (surtout Officiers Sous Contrat qui ne
suivent que trois mois d'instruction à Coëtquidan, mais aussi ESM, ENSOA)
les bases de l'esprit militaires qui y étaient dispensées auparavant.

· Pour les chefs, en défendant leurs subordonnés contre des pratiques
abusives : trop de chefs pavent le terrain à l'introduction de syndicats
dans l'armée en ne remplissant pas ce rôle, en particulier dans le cadre de
la « surchauffe » actuelle des armées. Le triste exemple, des événements
récents dans la Gendarmerie doit servir d'avertissement.

· En retournant aux meilleures sources pour retrouver une saine réflexion
sur la vocation du soldat et de l'Armée. Les écrits et biographies des
grands officiers français sont le meilleur des contrepoisons au Livre Vert,
puisque chaque page y parle de l'amour de la France et d'une vision
authentique du métier des armes. Leur étude peut se lire individuellement ou
en petits groupes.

En revanche, certains écueils sont à éviter :

· Une généralisation excessive : parmi les réformes de ces dernières années,
certaines sont une authentique adaptation au changement de « format » et de
recrutement( ) ; une opposition systématique non seulement ne serait pas de
mise, mais serait une manière de concourir à la subversion de l'institution.
De même, le Livre Vert mêle ses thèses viciées avec de sains rappels. Le
discernement s'impose donc.

· Des réactions publiques et débridées. Des « coups de gueules » publics de
militaires d'active, même justifiés sur le fond, peuvent contribuer à la
fragilisation de l'esprit militaire.

Un choix politique

Les actions et la motivation individuelles des cadres de l'armée ne pourront
pas indéfiniment préserver l'essentiel si un tournant n'est pas opéré par
les responsables politiques de la défense et la haute hiérarchie militaire.
Il appartient au pouvoir politique issu d'une probable alternance au
printemps 2002 de choisir quelle armée il souhaite pour la France :
· une armée telle que les socialistes l'ont préparée selon le modèle de
1'« Armée nouvelle » ? Qu'on ne s'y trompe pas : cette triste armée, sans
esprit militaire ni cohésion, paralysée par un syndicalisme de moins en
moins larvé, sera incapable de remplir efficacement ses missions. Les vagues
récentes de démissions de jeunes cadres (Saint-Cyriens, mais aussi
sous-officiers) préfigurent l'impossibilité pour cette armée sans
rayonnement de recruter non seulement des soldats, mais aussi des cadres
motivés et de qualité. Le spectacle d'armées professionnelles étrangères
ayant connu une dérive similaire est parlant( ).

· ou une armée véritablement « de métier », telle que la décrivait le
colonel De Gaulle, cultivant sans honte spécificité et valeurs militaires.
A grands traits, on peut suggérer des mesures qu'un nouveau pouvoir
politique devra être prêt à appliquer d'urgence s'il voulait opérer ce
changement de cap salutaire :

· Retirer puis refondre sur des bases saines le corpus issu du « Livre
Vert. »

· Revenir, avec souplesse mais détermination, sur l'élection des présidents
de catégorie au sein des régiments. L'élection des représentants au CSFM par
les CFM paraît moins porter à conséquences.

· Revisiter la réforme de Saint-Cyr, en particulier le recrutement
d'étudiants en 2ème et 3ème années attirés par des incitations financières.

· Redéfinir la place des civils et des femmes dans l'institution d'une
manière qui permette la préservation de la cohésion et de l'aptitude au
combat des unités projetables et mette fin au sentiment d'injustice que
beaucoup ressentent en comparant leur sort à celui de ces deux catégories de
personnels.

· Protéger juridiquement la spécificité militaire : un décloisonnement
croissant expose l'Armée de terre à des empiètements juridiques de plus en
plus paralysants (alignement sur le droit général du travail, champ
d'application toujours plus large de l'article L223-l du Code Pénal sur la
« mise en danger d'autrui », interprétation restrictive de la position « en
service » lors d'accidents, décisions militaires remises en cause par les
tribunaux administratifs...)

· Enfin, mettre fin à la « surchauffe » causée par des engagements de
l'Armée de terre disproportionnés par rapport à son volume (« suremploi »)
et souvent éloignés de sa vocation (« mésemploi ») : Vigipirate, nettoyage
de plages, garde de dépôts d'Euros, etc. Cette surchauffe prolongée amène,
évolution très récente, de nombreux cadres à souhaiter à voix basse la
création de syndicats dans l'armée( ). Cette évolution délétère ne pourra
être contrecarrée sans un retour à un rythme plus raisonnable.

Les cadres d'active attendent particulièrement des officiers jeunes
retraités et des généraux en deuxième section qu'ils soient leur voix dans
ce débat étant donnée l'extrême agressivité d'une certaine hiérarchie à
l'égard de tout cadre portant un jugement simplement perplexe sur tel ou,
tel point de la « Refondation( ) ». On peut imaginer aussi des initiatives à
l'image de la création aux États-Unis, par des civils attachés aux questions
de défense, du Center for Military Awareness, association dont le but est de
combattre la paralysie des armées par un carcan idéologique « politically
correct( ) » et une dérive privilégiant des impératifs de gestion à court
terme à la préparation au combat.

CONCLUSION

Les enjeux de cette bataille contre la « ligne de plus forte pente » vers la
banalisation et la perte de l'esprit militaire sont importants : certaines
dérives, une fois ancrées dans les moeurs, seront quasiment irréversibles à
court terme. Le colonel De Gaulle assurait certes que les vertus militaires,
si elles sont parfois décriées comme aujourd'hui, renaissent invariablement
:

· « Même quand un bouleversement d'idées ou d'institutions les en a, pour un
temps détournés, (les États) y reviennent tôt ou tard. Et l'on voit la
Convention faire honneur aux vertus des soldats, pour lesquelles les
Constituants n'avaient eu qu'outrages et menaces.( ) »

Toutefois, il ne s'agit pas d'attendre que « tôt ou tard » ces vertus
renaissent. C'est maintenant qu'il faut « livrer bataille » pour défendre
l'armée de Terre, et non quand le mal sera fait, faute de quoi
l'affaiblissement moral et la spirale des démissions retireront l'essentiel
de leur capacité opérationnelle aux armées françaises et marqueront une
étape supplémentaire dans la marginalisation politico-militaire de la
France. A l'heure où la « fin de l'histoire » n'est plus qu'un doux rêve et
le « choc des civilisations » une menace crédible, il faut se battre avec
énergie pour que la France, quand elle y fera appel, trouve encore une armée
sur laquelle elle puisse compter.

*democrate06*

non lue,
18 mai 2002, 01:10:5118/05/2002
à

"VGR" <mv...@wanadoo.fr> a écrit dans le message de news:
ac4l58$k5n$1...@wanadoo.fr...

lourd.

Motus

non lue,
18 mai 2002, 01:13:3718/05/2002
à
"VGR" <mv...@wanadoo.fr> a écrit dans le message de news:
ac4l58$k5n$1...@wanadoo.fr...
> vous ętes seuls juges :

Bon, ben VGR, hop, en taule !
Non mais.
--
Motus
pas vivendi
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@lepen.fr captain@²Qroc

non lue,
18 mai 2002, 10:13:3718/05/2002
à
Record battu du copié-collé......69KO!

"VGR" <VraiGro...@wanadoo.fr> a écrit dans le message de news:
ac4l58$k5n$1...@wanadoo.fr...

fredericS

non lue,
18 mai 2002, 02:37:5818/05/2002
à
la vérité t'embête ?

"*democrate06*" <democ...@wanadoo.fr> a écrit dans le message de news:
ac4nov$mcb$1...@wanadoo.fr...

-<>-ssseb-<>-

non lue,
18 mai 2002, 07:34:2818/05/2002
à
Excellente analyse.
Bravo.


Johny Walker

non lue,
18 mai 2002, 16:22:5818/05/2002
à
Un si long message dans ce nid de gauchards tordus et de nymphomanes
débiles, t'as aucune chance d'être lu, Lulu.
Ici ça ne suce que du coco et du socialo.


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