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Article de Le Monde sur le Gaucho

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Lilian Morinon

non lue,
24 juin 2002, 14:07:0124/06/2002
à

Les apiculteurs accusent un insecticide de tuer les abeilles
Lundi 24 juin 2002
(LE MONDE)

Chaque printemps, près du quart des ruches françaises perdent leurs
occupantes, faisant redouter la disparition d'une espèce précieuse. Les
producteurs de miel ont lancé des procédures judiciaires contre le Gaucho,
un insecticide fabriqué par Bayer dont la nocivité fait toutefois l'objet
d'études contradictoires.

Qui tue nos abeilles ? La question taraude les apiculteurs français
qui, chaque printemps, assistent, impuissants, à l'agonie d'une partie de
leurs pensionnaires. Aux premières floraisons, 300 000 ruches disparaissent,
sur les 1,35 million dispersées dans le pays. Par endroits, l'hécatombe est
plus massive encore, comme cette année dans le Gers, la Haute-Garonne ou le
Morbihan. Des exploitations se retrouvent anéanties en moins d'un mois par
un fléau invisible.

Les producteurs de miel ont leur idée sur les coupables : les
insecticides et plus singulièrement l'un d'eux, le Gaucho, qui polarise leur
colère. A l'automne 2001, 350 apiculteurs et leurs syndicats ont porté
plainte contre X..., notamment pour " exposition ou vente de produit
agricole falsifié, corrompu ou toxique". Une information judiciaire a été
ouverte, confiée au juge d'instruction Guy Ripoll, du pôle financier de
Paris. Le magistrat a entendu comme témoin assisté la société Bayer, en tant
que personne morale. Les plaignants reprochent également à l'Etat d'avoir
"hâtivement octroyé", selon leur avocat, Me Bernard Fau, l'autorisation de
mise sur le marché, au début des années 1990.

DES ÉTUDES CONTRADICTOIRES

La multinationale d'origine allemande commercialise le Gaucho. Cet
insecticide, dont la molécule active est l'imidaclopride, n'est pas
pulvérisé sur les cultures. Il enrobe la semence de tournesol, du maïs ou du
blé et libère ses principes actifs au fur et à mesure de la croissance de la
plante. Avec ce produit dit systémique, Bayer pensait régler une partie des
problèmes de pollution agricole, en évitant les traitements massifs et
aériens. Le dosage de l'imidaclopride ne dépasse pas 50 milligrammes à
l'hectare.

Mais des études réalisées en 1998 par l'Institut national de recherche
agronomique (INRA), du Centre national de recherche scientifique (CNRS) et
de l'Agence française de sécurité sanitaire et alimentaire (Afssa), ont
souligné deux effets. D'abord, la persistance de l'imidaclopride dans les
fleurs et le pollen de la plante. Ensuite, sa rémanence dans le sol, alors
que Bayer a longtemps argué de la disparition rapide de son produit. Les
chercheurs ont également constaté l'extrême sensibilité des abeilles à cette
molécule, même à des doses infimes, n'excédant pas trois particules par
milliard. Selon les apiculteurs, une nouvelle étude du CNRS, qui confirme
les travaux antérieurs, vient d'ailleurs d'être remise au ministère de
l'agriculture.

Mais Bayer peut avancer d'autres recherches, contradictoires. L'une
d'elles, menée en 1998, a comparé l'état de deux ruchers, l'un situé en
bordure d'un champ traité avec du Gaucho, l'autre installé près d'un champ
non traité avec ce produit. Aucune différence significative n'a été
enregistrée. "Aucune étude n'a prouvé de manière formelle que le Gaucho est
responsable des troubles observés par les apiculteurs", estime Me Olivier
Baratelli, l'avocat de la firme. "Je persiste à croire que ce produit est
bon pour l'environnement", juge également Jacques My, secrétaire général de
l'Union des industries de la protection des plantes (UIPP).

L'entreprise allemande fait remarquer que les semences de tournesol
issues de cultures traitées au Gaucho ne sont plus commercialisées en France
depuis janvier 1999, date à laquelle le ministre de l'agriculture, Jean
Glavany, a décidé un moratoire sur leur homologation. Or la mortalité des
abeilles persiste. L'argument suscite la colère des producteurs de miel. Ils
rétorquent que les semences Gaucho restent commercialisées pour d'autres
plantes, notamment le maïs, que viennent butiner les abeilles pour faire des
provisions d'hiver. Ils avancent également que les semences Gaucho ont été
remplacées immédiatement sur le marché par les semences Régent, du
concurrent Aventis CropScience. Ces dernières contiennent une autre molécule
active, le fipronil, qui éveille à son tour les soupçons de la profession.

Les apiculteurs sont confortés dans leurs convictions à la vue des
dégâts sur leur cheptel. A 29 ans, Florent Vacher a repris l'exploitation
familiale, soit 1 200 ruches, à La Ferté-Saint-Aubin (Loiret). Chaque année,
il lui fallait racheter 300 essaims, à 50 euros pièce, pour compenser les
pertes du cheptel. Lassé, il a finalement décidé, voici trois ans,
d'installer son petit monde bourdonnant au milieu des bois, se spécialisant
dans les miels d'acacia et de châtaignier. Sa production annuelle est passée
de 70 à 30 tonnes, mais la mortalité a considérablement diminué. A Satolas
(Isère), Robert Yvrard n'a également plus de souci : il fait butiner ses
abeilles chez un producteur de tournesol spécialisé dans l'alimentation des
oiseaux, secteur où le cahier des charges interdit le traitement des cultur!
es.

DÉPÔT DE PLAINTES

Pour les autres, le problème reste pendant. "Pour compenser la
mortalité, les hommes peuvent soit acheter des essaims ou des reines, soit
diviser les essaims survivants en deux, explique Henri Clément, producteur
en Lozère et un des meneurs, depuis six ans, du combat de la profession.
Mais, dans ce cas, les essaims doivent se regonfler et c'est la récolte de
miel qui s'en ressent." Avec un nombre de ruches égal, la production
nationale est ainsi passée de 32 000 tonnes en 1995 à 25 000 tonnes en 2001,
quand la consommation nationale avoisine 40 000 tonnes.

Après des années de lutte politique, les victimes ont donc décidé
d'investir le terrain judiciaire et portent plainte à chaque épisode de
mortalité anormale. Le plus souvent, les affaires sont classées sans suite.
Mais par deux fois cette année, la justice a découvert une piste de contamin
ation. Dans le Morbihan, elle soupçonne une mauvaise pratique agricole, des
produits nocifs ayant été mélangés alors qu'ils n'auraient jamais dû l'être,
ce qui a décuplé leur nocivité. Dans le Gers et la Haute-Garonne, le juge
d'instruction de Saint-Gaudens a mis en examen trois personnes. Elles
auraient, selon les griefs, importé illégalement d'Espagne des produits
n'ayant pas reçu d'agrément, ce que nient les intéressés. La gendarmerie
soupçonne l'existence de ramifications dans d'autres parties de la France.
Une ! enquête préliminaire est également en cours en Vendée.

Ces affaires arrangent Bayer. "Elles prouvent que nous ne pouvons être
accusés de tous les maux", estime Me Baratelli. Son confrère, Me Frau, n'est
pas de cet avis et poursuit sa fronde contre le Gaucho. Le moratoire sur les
semences de tournesol s'achève en février 2003. Le ministère de
l'agriculture a reconduit, en janvier, l'homologation des autres semences
Gaucho pour une durée de dix ans. Les apiculteurs ont déposé une requête
devant le Conseil d'Etat afin que soit annulée l'autorisation de mise sur le
marché et espèrent une décision avant la fin du mois de juillet. Le même
Conseil d'Etat avait rejeté en 1999 la requête, de Bayer cette fois,
demandant l'annulation du moratoire : les magistrats avaient notamment
motivé leur décision par le principe de précaution.

Dans leur guérilla juridique, les apiculteurs ont obtenu une victoire
non négligeable. En portant plainte devant la Commission européenne, ils ont
entravé la fusion entre Bayer, fabricant du Gaucho, et CropScience, qui
commercialise le Régent. Bayer a deux mois pour revendre la marque Régent et
devrait perdre ainsi quelque 200 millions d'euros de chiffre d'affaires.
Parallèlement, Bayer a engagé des poursuites contre trois dirigeants
apicoles. La société leur reproche une campagne de dénigrement, dans ce qui
ressemble de plus en plus à une lutte sans merci.

Benoît Hopquin


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L'Union européenne saisie du dossier


La fronde des apiculteurs contre les produits phytosanitaires, en
particulier le Gaucho, est longtemps restée française. Mais, depuis quelque
temps, elle gagne d'autres pays européens. En Italie, en Belgique, en
Autriche, aux Pays-Bas, au Portugal et, dans une moindre mesure, en Espagne,
les producteurs de miel expriment également leur inquiétude. Le Parlement
européen s'est saisi du dossier et a demandé à la Commission de l'examiner à
son tour.

A l'extérieur de l'Union européenne, le Canada et la Nouvelle-Zélande
s'interrogent également.


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