Bonjour Gérard, merci de votre réponse. Je me suis laissé quelques jours pour décanter vos arguments.
Votre premier point me fait songer que Borda, sur la question du vote stratégique, ne fait pas très bien mais fait tout de même un peu mieux que le vote de valeur.
** Dans un vote de valeur, votre électeur peut mettre +2 à Fillon et -2 à Macron, quand bien même il tolérerait bien Macron. Il peut ainsi mettre autant à Macron qu'à Poutou, et n'utiliser son suffrage que pour avantager son favori.
** Dans un vote Borda, votre électeur pour classer Macron dernier pour avantager son favori, mais c'est au prix de mettre Poutou en deuxième. Il n'a peut-être aucune chance de gagner à ses yeux, mais si tous ses camarades font le même calcul, et que la plupart des électeurs de gauche votent honnêtement... il prend tout de même un sacré risque.
Le vote Borda, en ce sens, freine à mes yeux les ardeurs sournoises.
** Si Poutou sort vainqueur d'un vote de valeur, votre électeur ne tombera pas trop dans la flagellation : il aurait certes pu mettre un score plus honnête à Macron (comme un +1) et cela l'aurait peut-être fait gagner, mais bon, cela faisait élire Macron, son numéro 2... Pour ce qui est de Poutou, il lui a mis -2, il ne pouvait pas faire mieux. Et il a mis son favori Fillon loin de tous les autres, il ne pouvait pas faire mieux. Son favori Fillon a perdu, et lui et son camp n'auraient rien pu y faire.
** Si Poutou sort vainqueur d'un vote Borda, votre électeur ne pourra s'en prendre qu'à lui-même. Il l'avait placé juste derrière son favori Fillon. Non seulement, mettre Macron en deuxième place aurait peut-être pu faire élire Macron plutôt que Poutou, mais en plus, mettre Macron en deuxième et Poutou en dernier pouvait peut-être faire élire son favori Fillon plutôt que Poutou ou Macron !
Votre second point ne me convainc pas trop, sans doute parce qu'il est réduit à une trop grande simplicité.
** Dans votre premier exemple, nous avons deux électeurs et un candidat "centriste" en la personne de Hamon. Une égalité parfaite aurait pu se dessiner si l'électeur de droite avait voté Fillon → Hamon → Poutou et l'électeur de gauche Poutou → Hamon → Fillon. Mais votre électeur de gauche est modéré et il place Hamon en premier.
** Dans votre deuxième exemple, le candidat "centriste" devient Fillon. L'électeur de gauche fait une suite logique Hamon → Fillon → Le Pen, et votre électeur de droite est un électeur modéré, qui place Fillon en premier plutôt que Le Pen.
Vous avez raison, selon l'offre politique de l'élection, le résultat n'est pas le même.
Mais il me semble d'abord que le vote de valeur aurait produit les mêmes effets.
** Dans votre premier cas, on peut imaginer que Fillon récolte +2 -2, et Poutou -2 +1. À moins que l'électeur de droite ne colle aussi -2 à Hamon (et on n'arrive qu'à une égalité !), Hamon obtient un score positif et gagne.
** Dans votre deuxième cas, on peut imaginer que Hamon récole +2 -2, Le Pen -2 +1. Fillon reste sans doute dans le positif, à moins que l'électeur de gauche ne lui colle -2 à lui aussi, schéma identique.
Je pars du principe que face à une offre Fillon Hamon Poutou, ou face à une offre Fillon Hamon Le Pen, l'électeur de droite ne donne pas la même note à Hamon. Une sorte de "classement" dans les valeurs distribuées, qui dépend de l'offre politique !
On peut bien sûr réfuter mon analyse, et préférer imaginer que l'électeur de droite, peu importe les candidats autour, juge Hamon pour ce qu'il est, point. Et que l'électeur de gauche fasse de même pour Fillon et lui colle -2, qu'il y ait "en plus Le Pen, c'est pire" ou pas. On se retrouve alors avec des votes militants. Et on est dans la même situation inextricable que lors d'un vote uninominal à deux tours : une voix Fillon, une voix Hamon, rien pour les autres ; ou plutôt Fillon 0, Hamon 0, Poutou/Le Pen -4.
Pire encore, je crois que le vote de valeur donne trop de pouvoir aux esprits radicaux. Si l'un des deux électeurs se modère et ne colle qu'un -1 à quelqu'un, quand l'autre électeur colle des -2 à tous les autres... c'est celui-ci qui l'emporte. L'électeur de gauche ayant mis seulement -1 à Fillon pourra s'en mordre les doigts, en découvrant comment l'électeur de droite a, lui, procédé et collé -2 à Hamon comme à Poutou / -2 à Hamon comme à Le Pen. On se retrouve en plein dilemme du prisonnier. Le résultat est le même avec Borda... les regrets en moins, la volonté de se radicaliser et de ne plus jamais jouer avec les valeurs proposées en moins, bref, à l'élection suivante, on ne se retrouve pas dans un schéma uninominal.
Borda oblige l'électeur à avouer ses affinités et ses "moins pires", il l'oblige à nuancer son propos. Et tous doivent nuancer dans les mêmes proportions, équilibrant ainsi le poids de chacun.
Oui, alors, le vainqueur change en fonction de l'offre politique. Mais dans votre exemple, "un électeur" représente tout un clan. Or justement, je crois que Borda permet de scinder ces groupes. Je trouve important qu'on puisse savoir combien de partisans de M. Fillon, en son absence, iraient vers Juppé plutôt que Le Pen // vers Macron plutôt que Le Pen. Et combien d'électeurs de Macron sont plutôt pour Hamon en n°2 ou pour Fillon en n°2. Combien d'électeurs de Hamon penchent plutôt pour Mélenchon ou Macron en second choix ? Les partisans de Mélenchon sont-ils vraiment si peu nombreux à pencher aussi pour Le Pen ? Serait-elle chez eux souvent cataloguée n°11, ou n°2 ? Ces sous-groupes, chez Borda, font immédiatement effet. Via le vote de valeur, ce n'est finalement pas si facile de nuancer, et c'est même risqué si les électeurs qui ne pensent pas du tout comme vous ne sont pas du genre à nuancer du tout. Avec Borda, tout le monde nuance.
Cela dit je trouve, dans vos démonstrations, très intéressant et très important de comprendre qu'un vainqueur n'est pas le même selon les candidats en lice. C'est quelque chose d'assez pernicieux... ou peut-être pas pernicieux, mais alors difficile de faire admettre sans que cela ne choque ou ne titille. J'ai le sentiment que le vote de valeur n'enraie pas ce phénomène. Et le vote uninominal viendrait trancher dans le vif en faisant élire le plus vieux, ce qui soulage notre argumentaire en faveur d'un autre système !