Sylvain Spinelli : "Le problème de la "manipulabilité" est fondamental dans le cadre d'un jury, il est problématique dans le cadre d'un vote "en réunion", mais il est à mon sens non pertinent et sans objet dans le contexte d'une élection démocratique. Le Vote de Valeur que nous proposons ne s'intéresse qu'au contexte de l'élection démocratique."
Le vote est dit stratégique lorsque, au lieu d'exprimer les
préférences sincères, il prend en compte les tendances supposées
des autres votants et les règles du scrutin, afin d'optimiser son
effet.
Voici comment sa prépondérance varie, selon la taille de
l'électorat :
> Le 22 juin 2017 à 23:17, Sylvain Spinelli <sylvain....@gmail.com>
a écrit :
> Bonjour,
> Il est fondamental de différencier le contexte et l'objectif
d'un vote avant d'évaluer les défauts et qualités des systèmes mis
en œuvre.
> Le problème de la "manipulabilité" est fondamental dans le cadre d'un jury, il est problématique dans le cadre d'un vote "en réunion", mais il est à mon sens non pertinent et sans objet dans le contexte d'une élection démocratique. Le Vote de Valeur que nous proposons ne s'intéresse qu'au contexte de l'élection démocratique.
On aboutit donc à la conclusion inverse : l'expression des choix est d'autant plus trafiquée que le choix est collectif, ou disons plutôt, que le choix est médié (car n'est pas ce qu'on voit dans une foule).
C'est pourquoi, s'il y a possibilité d'une stratégie, elle aura lieu.
Ce n'est pas de notre ressort. Ce n'est pas une question de volonté personnelle. C'est constitutif de l'élection moderne.
D'où l'intérêt, n'est-ce pas, de percevoir le type de stratégie propre à chaque mode de scrutin.
Bonjour,
Vous adoptez là une définition très restrictive du vote dit
"stratégique", en ne retenant que les stratégies relatives aux
postures des autres votants. Je vous rejoins sur la prépondérance
selon la taille de l'électorat lorsqu'on n'intégre que cet aspect
de la manipulabilité.
Pour garder votre définition du vote stratégique, disons alors
que le problème de "manipulabilité" est un sur-ensemble plus large
qui est la possibilité que des électeurs aient intérêt, dans
certains cas, à produire un bulletin qui ne corresponde pas à
leurs véritables opinions.
Dans un jury, dont l'objectif est de faire émerger une vérité, il
est fondamental que le système de vote soit le plus robuste
possible vis à vis de cette manipulabilité pour préserver
l'intégrité du jury et ne pas inciter les membres à s'éloigner de
leur véritable opinion pour des raisons non avouables comme le
chauvinisme, la corruption, etc.
Dans une réunion, comme un conseil d'administration, le vote est
précédé de discussions ouvertes où chacun s'exprime. La notion
même de "véritable opinion" a moins de sens, car il ne s'agit plus
faire émerger une vérité mais d'opérer des choix. Ces choix sont
parfois purement subjectifs, parfois plus objectifs consistant à
faire émerger LA meilleur solution (on revient alors à une forme
de recherche de vérité objective à priori). Mais contrairement à
un membre du jury, il est en droit de changer d'avis au fil de la
discussion. Le participant à la réunion peut cependant être
malhonnête vis à vis de ses acolytes en ne votant pas conformément
à ce qu'il affirmait (non pas suite à un changement d'avis, mais
par calcul et anticipation des votes des autres participants),
voire, avec encore plus d'anticipations, mentir sur son opinion
pendant les discussions pour influencer les autres membres et
faire échec à leur propre malhonnêteté... bonjour l'ambiance ;)
mais c'est la triste réalité dans certains contextes...
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Sylvain : Je ne vois pas en quoi déterminer "à qui la faute" change la question. Le fait est que le vote de valeur récompense / encourage les votes optimisés par rapport aux votes sincères.
Imaginons qu'un groupe politique A suive scrupuleusement les consignes d'un parti tandis que le groupe B se contente d'exprimer sincèrement ses opinions, le groupe A se retrouveraient à gagner plus facilement les élections et B s'en rendrait assez rapidement compte, quel que soit le système et les acteurs.
Il me semble que notre responsabilité à nous, théoriciens des jeux, est de proposer un système de vote qui non seulement permet l'expression d'un vote sincère mais aussi l'encourage, autrement on s'exposerait à ce que la pratique électorale réduise à néant l'intérêt théorique du changement de mode de scrutin.
Salut,
intéressant tout ça :)
La distinction entre vote "sincère" et vote "optimisé" ne me paraît pas aussi facile à déterminer. Et la distinction "sincère"/"optimisé" laisse entendre qu'il y en a un correct et un l'autre non.
Il me semble que la distinction se situe sur un autre plan.
Au moment de voter nous faisons, je crois, tous et toutes un
équilibre entre deux considérations : "ce que je pense des
candidatxs" et "ce que je souhaite comme résultat des élections".
Ce sont deux choses bien différentes qui peuvent mener à voter de
manière différente effectivement.
Pour certainxs la première phase a beaucoup plus de poids que la
seconde, pour d'autres c'est le contraire, et pour d'autres chaque
phase a son importance. Et en plus, cet équilibre peut changer
d'un contexte à l'autre.
Exemple : unx votantx pourrait très bien avoir voté pour Hamon (sachant qu'il n'y avait presque aucune chance d'arriver au second tour), c-a-d en donnant plus de poids à "ce que je pense des candidatxs", puis voter Macron au second tour pour éviter que LePen soit élue, c-a-d en donnant plus de poids à "ce que je souhaite comme résultat". Ce n'est ni bien ni mal, c'est son choix.
Unx votantx de Mélenchon parcontre, en restant sur un mode "ce
que je pense des candidatxs" exclusif, peut très bien s'abstenir
au second tour. Ce n'est ni bien ni mal, c'est son choix.
Est-ce mal de donner plus de poids à "ce que je souhaite comme
résultat" face à "ce que je pense des candidats" ? À mon avis non.
Chacun vote selon ses propres critères. Et même si pour quelqu'un
le critère prépondérant est "ce que je souhaite comme résultat",
ça n'est pas pour autant un vote moins sincère.
L'intérêt du/de la votantx militantx radicalx sera de maximiser les chances de victoire de son/sa candidatx, ok très bien. Et l'intérêt du/de la votantx non militantx sera d'exprimer son vote sur une base "ce que je pense des candidatx", très bien aussi.
Gérard, tu sembles considérer que si une partie de la population ne fonctionne que sur le critère "ce que je souhaite comme résultat" alors cela va pousser le reste de la population à fonctionner de même sur ce critère uniquement.
Je suis d'accord avec toi dans des structures de petites
dimensions où un secteur sais qu'il peut faire pencher la balance
avec une consigne de vote coordonné. Je le sais parce que je l'ai
vécu.
Dans le cas d'une élection présidentielle, je ne pense pas que ça
puisse être le cas. Les militants radicaux sont une minorité et la
grande majorité de la population vote plutôt en suivant le critère
"ce que je pense des candidats". C'est ce que démontrent les
expérimentations, mais aussi la typologie de vote aux élections
législatives allemandes ou luxembourgeoise.
J'irais même plus loin : avec un VdV, sans l'assurance de gagner en faisant un vote coordonné et radical, le militant (non fanatique) utiliserait aussi les notes intermédiaires au moment de voter. Pour la raison suivante :
Prenons 3 candidats : A que j'aime beaucoup, B que j'aime bof, et C que je n'aime pas du tout.
Si je fais A+2, B-2 et C-2, ne sachant pas ce que va faire le reste de la population, je risque de faire élire C, que j'aime le moins, à cause de mon -2 à B qui, s'il avait eu plus d'appui, aurait pu l'emporter.
En d'autres termes, à vouloir privilégier exclusivement le
meilleur, je peux m'exposer au pire.
Par ailleurs, si le VdV était implémenté, les candidatxs et les
partis se positionneraient de manière différente par rapport aux
autres candidats et partis. En effet, avec le système actuel il
suffit de récolter plus d'appuis que les autres pour gagner. Avec
un VdV il faut récolter plus d'appuis et/ou moins de rejet. Ceci
inciterait les partis à faire campagne de manière à minimiser
l'usage des notes négatives à leur encontre.
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Bonjour Gérard,
Merci pour le développement de votre point de vue.
Pour ma part, ma vision d'une élection démocratique est éloignée
de la théorie des jeux où le postulat est que tous les
joueurs ne cherchent qu'à gagner.
Je ne partage pas l'idée que celui qui ne vote pas "optimisé"
serait le "naïf" ou le "dindon de la farce". Le vrai problème
serait que l'électeur ne comprenne pas cette dimension. Mettre en
place le Vote de Valeur exigera de la pédagogie pour expliquer ces
différentes approches du vote (même si cela reste très simple
comparé à des systèmes par classement notamment).
Avec le Vote de Valeur, le seul point à bien comprendre est que
si vous n'utilisez pas au moins une fois la valeur minimale et une
fois la valeur maximale, alors vous n'avez pas exploité toute la
puissance d'expression que votre bulletin vous offre. C'est comme
si vous aviez voté "un peu blanc". Certes cela pourrait être le
résultat d'une incompréhension du système (à résoudre par de la
pédagogie), mais cela est aussi et surtout le résultat d'un choix
délibéré de l'électeur :
Ainsi, dans la pratique d'un monde politique organisé par des partis "stratèges", le vote de valeur serait exactement identique au scrutin majoritaire et n'amènerait donc strictement rien de mieux, CQFD.
Si la société se trouve fracturée au point où tous les électeurs
seraient les godillots de leur parti incapables d'émettre un
bulletin qui s'écarte de leur consigne, en effet, le Vote de
Valeur reviendrait à un vote mono-nominal (scrutin majoritaire).
Je rappelle que toutes les expériences menées jusqu'à présent (y
compris celles de 2017) invalident cette hypothèse : cette
pratique est très minoritaire, correspondant vraisemblablement aux
militants de chaque parti.
La théorie des jeux avance d'autres approches d'optimisation avec notamment la stratégie du "leader rule", généralement jugée comme la plus "efficace", intégrant les sondages dans le processus d'optimisation. Si tous les électeurs adoptent une telle stratégie, alors le VdV se "transforme" en un "vote par approbation", à savoir un vote par valeur ramené à sa forme la plus pauvre avec 2 valeurs possibles (tous les candidats sont répartis sur les 2 valeurs extrêmes du VdV).
Une autre stratégie encore, dirigée par la peur de certains candidats amène l'électeur à donner le minimum au(x) candidat(s) qu'il craint particulièrement et le maximum à tous les autres. A nouveau cette stratégie ramène le VdV à un vote par approbation.
En affinant, il existe potentiellement autant de stratégies qu'il y a d'électeurs. Bien que ces stratégies soient contradictoires, leur point commun est d’appauvrir le message en n'exploitant que les 2 valeurs extrêmes du VdV (-2 et +2), ce qui ramènerait le VdV à un vote par approbation (si 100% des électeurs adoptaient de telles stratégies). Ce foisonnement de stratégies de votes est inévitable et naturel, mais je pense qu'il restera minoritaire car les électeurs préfèrent user pleinement de la richesse du bulletin du VdV (comme les expériences le montrent).
Posons à présent l'hypothèse que je me trompe. Imaginons... 20 ans après la mise en place du VdV en France, par assimilation de toutes ces stratégies, une majorité d'électeurs finit par les adopter systématiquement... Nous serions alors proche d'un vote par approbation qui est un système déjà très satisfaisant, bien meilleur qu'un vote mono-nominal. Dans ce scénario, il faut alors renverser la question : quel danger démocratique voyez-vous à ce qu'une minorité continue d'utiliser les valeurs intermédiaires ? A moins d'adopter un jugement moral sur les votes optimisés, je ne parviens pas à trouver de défauts à cette liberté offerte aux électeurs de produire un bulletin plus subtile (exploitant aussi les valeurs intermédiaires) ou plus mesuré (n'exploitant pas les valeurs extrêmes). Bien au contraire !
Bonjour Gérard,
Vos exemples et cette dernière vidéo (excellente, merci pour le lien) montrent clairement que votre vision est malgré tout ancrée sur cette idée qu'il y a un côté nocif aux votes "stratégiques" par rapport aux votes "sincères". Je laisse les guillemets sur ces 2 termes car, comme le relève très bien Loïc, je considère qu'ils sont mal appropriés dans un contexte démocratique.
Bien sûr que les votes "stratégiques" peuvent changer le résultat d'une élection. Il est amusant de constater que dans l'exemple G/D/ED, ce sont ceux qui votent "stratégiques" qui y perdent (les électeurs de G qui ont survalorisé D). Un vote "stratégique" est toujours un jeu à quitte ou double... Raison pour laquelle je ne crois pas qu'une majorité d'électeurs adopteraient systématiquement et sur le long terme une telle posture (en Australie, je pense que c'est leur système de vote fondé sur le classement qui est une approche malsaine et qui contraint l'électeur à déformer son opinion). Autre remarque, même avec un système le moins manipulable possible comme un référendum, les électeurs peuvent voter "stratégiques" (au sens où il n'ont pas exprimé ce qu'ils souhaitaient vraiment) et faire basculer le vote : je pense ici aux britanniques qui ne croyaient pas que le Brexit l'emporterait et qui ont regretté leur vote 'oui' au lendemain du résultat...
Je pense à présent bien comprendre votre vision et je vous
remercie pour ces longs échanges. Pour conclure, voilà pourquoi je
n'y adhère pas...
Premièrement, parce que cette vision me parait philosophiquement
intenable, je m'explique... Le fondement de la démocratie est que
le peuple est souverain. Ma vision de l'élection démocratique
correspond à cette idée : en nous dotant d'un système souple et
puissant en terme d'expressivité, nous ne pouvons plus critiquer
les défauts du système et nous avons les élus que nous méritons !
Si trop d'électeurs ont voté "n'importe comment" (par stratégie,
inconscience ou négligence), nous devons néanmoins assumer ce
choix collectif, c'est le revers de la démocratie ! Dans votre
vision, l'élection cherche à sélectionner "le meilleur" ou "le
bon" candidat, actant que ce "meilleur" n'est pas forcément ce qui
est inscrit dans le bulletin, puisque les électeurs peuvent voter
"stratégiquement". Ainsi un bon système électoral dans votre
approche chercherait d'une manière ou d'une autre à recadrer ou
corriger les "errements" des électeurs. C'est contradictoire avec
le principe fondamental de souveraineté du peuple et donc
philosophiquement difficilement défendable.
Deuxièmement, parce que les objectifs que je juge prioritaires pour une élection démocratique sont, jusqu'à preuve du contraire, les mieux mis en œuvre par le Vote de Valeur, je m'explique... Faire émerger le "bon" choix est un objectif chimérique par construction puisque le vote est anonyme et que les électeurs peuvent ne pas indiquer leurs "vraies" préférences. Se fixer un tel but inatteignable s'avère au final spécieux et amène certains à des aberrations comme prôner le Jugement Majoritaire... A mes yeux, au delà du système de vote, l'enjeu fondamental d'une démocratie est de préserver la cohésion sociale d'une nation. De cet enjeu, je tire 3 objectifs prioritaires à un système d'élection démocratique:
Je pense que le Vote de Valeur répond au mieux à ces 3 objectifs
prioritaires. Commençons par le dernier point : le bulletin du VdV
nous permet d'exprimer librement notre ressenti, ne nous oblige
pas à un vote utile en contradiction avec nos opinions; cette
liberté devrait sensiblement faire diminuer l'abstention et
favoriser la dynamique démocratique. Pour le 1er objectif, toutes
les expériences montrent que les systèmes de vote par valeurs
répond à cet enjeu d'éliminer les postures clivantes, je crois
pouvoir dire qu'il est aujourd'hui acté par la communauté
scientifique. La preuve est moins bien établie pour le 2ème
objectif car il n'est pas aisé de caractériser un projet politique
"irréaliste", mais la démarche intellectuelle de l'électeur est
équivalente, voire encore plus naturelle que pour les candidatures
clivantes. Ce qui est important de relever ici est que la tendance
inévitable de l'électeur à développer des stratégies de votes avec
le VdV favorisera et renforcera généralement ces 3 objectifs !
Le Vote de Valeur répond donc bien à ma vision des enjeux d'une
élection démocratique et les votes que vous jugez négativement
"stratégiques" y contribuent plus qu'ils ne les combattent !
Mais je ne prétend pas détenir la vérité. D'autres conceptions de
la démocratie peuvent amener à établir d'autres objectifs à un
système électoral...
Encore merci pour ces échanges,
Bien à vous,
Sylvain