« On s’attaque enfin aux causes de l’alzheimer, plus qu’aux symptômes ».
Le neuroscientifique Pierre Magistretti explique comment la compréhension de la maladie a évolué, offrant enfin l’espoir d’un vrai traitement.
tdg.ch/alzheimer 27.01.2025, 07 h 59
Les travaux scientifiques ont permis d’identifier de nouveaux paramètres, qui pourraient expliquer le développement de la maladie neurodégénérative.
- En bref :
Pierre et Christine Magistretti présentent leur livre : « La Corne d’Ammon : Les mystères du cerveau ».
- Pourquoi la maladie d’Alzheimer, résiste-t-elle toujours à la science ?
Parce que, pour l’instant, la science n’a que des réponses partielles, quant aux causes de la maladie. Nous savons qu’elle résulte d’une dégénérescence des neurones mais il faut comprendre pourquoi et comment ces cellules cérébrales se dégradent. Quand il a décrit la maladie, Aloïs Alzheimer a identifié deux types de dépôts anormaux, dans le cerveau post-mortem : la plaque amyloïde (un agrégat de protéine bêta-amyloïde), et des lésions neurofibrillaires.
Puis, dans les années 90, des études ont mis en évidence une forme génétique de la maladie qui ne concerne que 2 à 3% des cas. Cette forme génétique est causée par des mutations liées à la production ou à la dégradation d’une forme pathologique de cette protéine bêta-amyloïde. À partir de là, une hypothèse dominante est née : c’est l’accumulation de la protéine bêta-amyloïde, qui est à l’origine de la maladie.
La recherche académique, aussi bien que celle des pharmas, a donc cherché un traitement qui « nettoie » le cerveau, de cette protéine en surplus. Après vingt ans de travaux scientifiques, et 40 milliards de dollars investis, l’efficacité des molécules mises au point, est limitée, voire nulle.
- Pourtant, la récente autorisation d’un traitement (lecanemab), ciblant la plaque amyloïde, a suscité beaucoup d’enthousiasme. Un peu trop ?
Il y a un tel désespoir de ne rien avoir à proposer, que la moindre avancée est présentée, comme très positive. Les médicaments, qui ont été approuvés aux États-Unis, puis en Europe, ont une efficacité assez modeste sur le déclin cognitif, et de gros effets secondaires potentiels. On parle notamment, d’hémorragie cérébrale.
Sincèrement, si j’étais atteint de la maladie d’Alzheimer, je ne les prendrais pas.
Aujourd’hui, il faut admettre que l’hypothèse dominante était marginale, et qu’on a fait fausse route, durant vingt ans.
- Est-ce que d’autres hypothèses émergent ?
Il y en a deux : la cause neuro-inflammatoire et la cause énergétique, ou métabolique.
La première veut que la microglie, c’est-à-dire les cellules immunitaires du cerveau, présente un excès d’activité. Comme si le processus inflammatoire s’emballait et finissait par endommager le cerveau. La seconde se concentre sur la capacité du cerveau à consommer le glucose, qui est le carburant de toutes nos cellules. Quand cette capacité diminue, on parle d’hypométabolisme.
Or, un facteur de vulnérabilité au niveau d’une protéine appelée ApoE a été identifié. Elle existe en trois versions, ApoE2, ApoE3 et ApoE4. Les personnes ayant ApoE2 sont protégées contre Alzheimer, celles qui ont ApoE3 sont neutres et celles qui ont ApoE4 sont sujettes à l’hypométabolisme cérébral, parfois assez jeunes, et ont cinq fois plus de risques de développer la maladie. Environ 35% des patients qui ont Alzheimer possèdent ApoE4.
Donc, c’est là-dessus, que se concentre la recherche ?
Oui, il y a un
renouveau scientifique vis-à-vis de cet aspect métabolique.
Certains parlent de diabète de type 3, puisqu’on s’intéresse à la manière, dont
le cerveau consomme le glucose. Dans mon laboratoire, nous nous intéressons
particulièrement aux astrocytes, un type de cellules gliales, (ndlr: cellules essentielles à
l’activité neuronale), qui fournit de l’énergie aux neurones.
Chez les patients alzheimer, il a été démontré, qu’elles étaient moins capables de capter le glucose. Et c’est aussi à leur niveau, que s’exprime la fameuse protéine ApoE4.
Une spin-off de mon laboratoire, GliaPharm, basé au Campus Biotech à Genève, a donc pour objectif de compenser ce déficit d’activité. C’est ce que nous sommes en train de faire, grâce à une nouvelle molécule. Les travaux menés sur des animaux, incitent à l’optimisme : lorsqu’on réactive la consommation de glucose, cela réactive aussi les fonctions cognitives, et protège les neurones.
Alors cette fois, on peut s'enthousiasmer ?
Il faut toujours être prudent mais ce chantier métabolique est le plus prometteur. Vraisemblablement, nous nous attaquons enfin à l’une des causes plutôt qu’aux symptômes. Plusieurs groupes de chercheurs obtiennent des résultats qui laissent penser que ça peut fonctionner. Il y a aussi des travaux sur la possible cause inflammatoire mais ils sont moins spécifiques à la maladie d’Alzheimer, la marge de progrès semble donc moins importante.
Un roman, au cœur du cerveau.
Cinq jeunes
neuroscientifiques, qui doivent résoudre des énigmes, afin d’accéder à la
direction d’un nouvel institut de recherche sur la maladie d’Alzheimer.
C’est la trame de « La Corne d’Ammon : Les mystères du cerveau »,
le nouveau livre de Pierre et Christine Magistretti.
« Nous avions envie de raconter les neurosciences dans un roman, et, lors d’un voyage à Venise, nous sommes tombés sur une carte de la ville, dont l’apparence a fait germer quelques idées d’énigmes. Il nous a semblé que c’était une façon accrocheuse d’évoquer la thématique », raconte Pierre Magistretti.
La « Corne d’Ammon », c’est l’ancien nom de l’hippocampe, cette partie du cerveau, très impliquée dans la mémoire. Ce qui laisse penser, qu’au-delà de l’intrigue, l’ouvrage vise à transmettre des connaissances scientifiques.
« C’est avant tout un roman, dont l’action se déroule dans le milieu des sciences et de la recherche, mais il y a des digressions, qui permettent d’aborder les neurosciences de manière vulgarisée, en particulier la maladie d’Alzheimer », explique le coauteur.
Une rencontre autour du livre, est prévue le 14 mars, dans le cadre de la Semaine du cerveau.