Les molécules d’eau peuvent s’écouler collectivement, formant des courants, des vagues et des tourbillons, ou tout autre comportement propre aux fluides. Comme l’eau, l’électricité se compose de particules distinctes (des électrons) ; on pourrait donc s’attendre à ce qu’elle se comporte de la même manière, soit comme un fluide. Cependant, les électrons sont beaucoup plus petits que les molécules d’eau et de ce fait, ils sont davantage influencés par leur environnement (le métal qu’ils traversent) que par leurs homologues — ils ne peuvent donc pas adopter un comportement collectif.
La théorie prédit toutefois que dans certaines conditions — à des températures extrêmement basses, proches du zéro absolu, et dans des matériaux purs et sans défaut — le mouvement des électrons est guidé par les effets quantiques. Dès lors, ils pourraient s’écouler comme un fluide, n’exerçant aucune résistance. En exploitant ce phénomène, il serait donc possible de concevoir des dispositifs électroniques plus efficaces. Mais jusqu’à présent, il n’y avait jamais eu de preuve directe de ce comportement particulier. Or, « voir, c’est croire », rappelle Leonid Levitov, professeur de physique au MIT.
Dans une nouvelle étude, une équipe composée de chercheurs de l’Institut Weizmann des sciences et du MIT rapporte avoir observé pour la première fois des électrons circulant sous forme de tourbillons, au sein de cristaux de ditelluride de tungstène. Ces structures sont courantes dans les fluides, mais les électrons ne peuvent généralement pas en produire.
Lorsque les électrons traversent la plupart des métaux et semi-conducteurs ordinaires, leurs moments et leurs trajectoires sont influencés par les impuretés du matériau et les vibrations entre les atomes qui le composent. Ces processus guident leur comportement. Mais en leur absence, les effets quantiques prennent théoriquement le dessus : les électrons ne se comportent alors plus comme des particules individuelles, mais parviennent à « capter » le comportement quantique de leurs congénères pour se déplacer ensemble. Ils forment ainsi un fluide électronique visqueux.
Il y a quelques années, Levitov et ses collègues de l’Université de Manchester avaient rapporté une première preuve de comportement de type fluide des électrons dans le graphène — une feuille de carbone de l’épaisseur d’un atome. Dans cette expérience, ils avaient gravé un mince canal avec plusieurs goulots d’étranglement, via lequel ils ont fait passer un courant. Ils ont alors mesuré la chute de potentiel électrique à chaque étranglement, pour évaluer le débit : ils ont découvert que la conductance des électrons dépassait la conductance maximale possible pour les électrons libres, connue sous le nom de limite balistique de Landauer.Les chercheurs ont donc obtenu une signature claire du fait que les électrons avaient adopté un comportement de type fluide. Ces résultats suggèrent un nouveau mécanisme d’écoulement hydrodynamique dans les cristaux purs minces et ouvre de nouvelles possibilités d’exploration et d’utilisation de la fluidique électronique dans les systèmes électroniques à haute mobilité, écrit l’équipe dans Nature. En effet, à l’état fluide, la dissipation d’énergie diminue, ce qui est particulièrement intéressant pour le développement d’appareils électroniques à faible puissance. « Cette nouvelle observation est un autre pas dans cette direction », conclut Levitov.