Un groupe de professionnels de santé propose de faire de
l’infirmière le professionnel référent chargé d’assurer la coordination entre le
psychiatrique, le médico-social et le social dans le cadre d’une refonte de la
prise en charge des patients en santé mentale.
Composé de 13 personnes (dont
des directeurs d’hôpitaux, un assistant social, des psychiatres et une
infirmière cadre de santé (1)) et animé par Michel-Léopold Jouvin, ce groupe de
travail a remis un rapport (2) de 31 pages à la commission que préside Edouard
Couty sur l’organisation des prises en charge en psychiatrie et santé mentale.
La commission Couty, installée par la ministre de la Santé le 7 juillet dernier,
doit elle-même remettre son rapport à Roselyne Bachelot à la
mi-décembre.
Dans l’introduction à son rapport, intitulé Note et
propositions portant contribution aux travaux de la commission Couty, le
groupe des 13 déplore que la mise en œuvre de la politique de secteur dans le
domaine de la psychiatrie se soit éloignée de « sa conception originelle
» qui était « d’assurer à tout patient une garantie de prise en charge
dans la continuité et la proximité ».
« La coordination entre les
divers acteurs qui peuvent concourir à traiter des patients atteints de troubles
mentaux ou de handicaps psychiques reste trop souvent insuffisante »,
constatent les auteurs.
Professionnel référent
« A l’instar
de ce qui se fait dans des pays voisins, il paraît opportun de désigner un
professionnel référent, en l’occurrence infirmier qui serait le correspondant
des médecins généralistes », suggèrent-ils. Pourquoi choisir un infirmier ?
Il se trouve qu’aujourd’hui, « très souvent, les infirmiers sont la cheville
ouvrière qui va être à l’origine de la prise en charge »,
constatent-ils.
La technique du professionnel de santé référent, expérimentée
aux Pays-Bas, se révèle « très efficiente », selon le rapport, en ce
qu’elle permet au médecin généraliste, souvent « le premier acteur à
intervenir dans le champ du soin », notamment pour des états dépressifs,
« d’avoir une aide spécialisée à sa disposition et ainsi, d’éviter les
hospitalisations injustifiées », voire les prescriptions excessives de
psychotropes.
Ce professionnel référent, conçu sur le modèle anglo-saxon du
« case manager », serait aussi l’interlocuteur référent des patients
suivis. Ses larges prérogatives lui permettraient de faire l’interface entre ce
qui relève du soin et ce qui relève du médico-social ou du social. Seraient
ainsi « évités des retards dans la prise en charge et notamment dans
l’ouverture de dossiers nécessaires à l’accompagnement du patient », comme
par exemple une demande d’allocation logement ou d’allocation pour adulte
handicapé (AAH), estiment les auteurs.
Responsabilité et formation
Pour rendre
les choses plus aisées, les 13 suggèrent d’octroyer à l’infirmier référent «
un droit de tirage a priori », autrement dit, la possibilité de déclencher
sans délai « la mise en œuvre des allocations nécessaires à la prise en
charge du patient ». En contrepartie, l‘infirmier référent, « porterait
la responsabilité de sa décision ». Si une telle organisation ne s’inscrit
pas dans la tradition française, observent les auteurs du rapport, « tout
montre qu’un acteur professionnel responsabilisé et dûment récompensé pour son
engagement est toujours fondé à augmenter ses performances ».
Pour
accompagner cette révolution dans les pratiques, le rapport Jouvin préconise de
mettre en place une politique de ressources humaines adaptée : « Afin
d’optimiser la gestion des ressources humaines dans un dispositif territorial,
il devrait être possible de recruter des personnels contractuels (…) Une telle
démarche supposerait que l’établissement de territoire puisse être, dans
certaines circonstances, acheteur de prestations. »
Michel-Léopold
Jouvin proposent de réformer la formation des professionnels exerçant en
psychiatrie et en santé mentale. « Pourquoi ne pas concevoir qu’un médecin,
un infirmier, un psychologue, un assistant social, etc. ont besoin de
compétences communes dans leur pratique ? », s’interrogent-ils avant de
proposer « un système d’unités capitalisables », qui, ajoutent-ils
aurait l’avantage d’être compatible avec l’intégration des filières au schéma
universitaire européen LMD (licence-master-doctorat).
Plus spécifiquement, en
ce qui concerne les infirmiers, si la mise en place d’un diplôme commun « a
représenté une avancée certaine en matière de reconnaissance des titres et des
métiers », les auteurs déplorent « qu’alors que les infirmiers ont
progressé dans leurs compétences et leur capacité à exercer des soins somatiques
en psychiatrie, il reste des insuffisances en matière de formation spécialisée
».
Le tutorat mis en place dans de nombreux établissements spécialisés
présente des inconvénients, ajoutent-ils, et notamment une déperdition de temps
soignant.
Il paraîtrait donc opportun aux auteurs du rapport d’envisager, en
se fondant sur le principe des unités capitalisables, la mise en place de
formations « à géométrie variable » pour les infirmiers. « Si le
programme était redécoupé en unités de valeurs, il serait possible de permettre
aux intéressés, pendant leur cursus mais aussi au-delà, d’accumuler des unités
capitalisables plus spécialisées dans un domaine ou un autre.
»
Délégations de tâches et T2A
Au
chapitre des délégations de tâches, les auteurs constatent qu’il en existe déjà
« de facto » en psychiatrie. « Le médecin psychiatre n’est plus
systématiquement en première ligne lorsqu’il s’agit d’un primo entretien avec un
patient », soulignent-ils. Il n’est pas rare qu’une infirmière s’en charge,
voire un psychologue ou une assistante sociale. Pour Michel-Léopold Jouvin et
ses collègues, il conviendrait de « formaliser ces délégations de tâches de
manière claire ».
En ce qui concerne le financement de la prise en
charge en psychiatrie, les auteurs se prononcent clairement en faveur de la T2A
(tarification à l’activité), aujourd’hui appliquée uniquement dans le champ du
MCO (médecine-chirurgie-obstétrique).
En conclusion, les auteurs affirment se
tenir à la disposition de la commission Couty pour développer leurs propositions
et formuler des modalités précises de mise en œuvre dans l’hypothèse où certaine
de leurs idées seraient retenues.
C. A .
(1) Francine Chaumet, cadre supérieur de santé au
Centre hospitalier interdépartemental de Clermont Oise, spécialisé dans la lutte
contre les maladies mentales.
(2) Rapport consultable sur
www.apmnews.com/documents/Jouvin_Psychiatrie_qkc78u.pdf