Par J.P. Escaffre
Première phase de la propagande (années milieu 1980) : l’hôpital est trop dépensier (alors qu’il avait été constaté que la France avait accumulé un retard considérable, d’où un effort financier important de modernisation - loi Weil), il faut "maîtriser les dépenses" ; L’hôpital public est une "boîte noire", sous entendu les personnels passent leur temps à mentir à la tutelle ministérielle, "les syndicats font ce qu’ils veulent" ; faut donc contrôler. Pourtant, n’importe quel chercheur aura pu constater que l’hôpital public est l’un des milieux les plus ouverts aux études les plus diverses.
Deuxième phase de la propagande , préparatoire à la suivante (fin des années 80) : faut maintenir les coûts ; vous hospitaliers, vous êtes incapables de calculer des coûts (alors que le système comptable est en Europe l’un des plus précis du monde), on va donc vous fournir une méthode importée des USA (car tout ce qui vient de là bas, c’est d’un tout autre niveau qu’en Europe, c’est l’évidence, même si leur système comptable n’est pas unifié) ; à y regarder de plus près, on s’aperçoit que la méthode imposée partout en Europe, les DRG (renommés PMSI en France pour mieux cacher l’objectif) est non seulement une technique très pauvre, mais n’a pas été conçue pour calculer des coûts : c’était pour justifier politiquement une tarification pour les assureurs. Mais gare à ceux qui crient haut et fort à la supercherie, et bonnes primes pour les professionnels muselés qui l’appliquent et contrats de "recherche" juteux pour les chercheurs. Décidément, vis à vis de ces deux catégories d’intellectuels, Gramsci avait vu juste du fin fond de sa prison mussolinienne. Pas très courageux...
Troisième phase , durant les années 90, soit juste après la chute du mur (ce n’est plus de la propagande) : on transforme la pseudo analyse des coûts en ce qu’elle est véritablement, malgré la très faible fiabilité des données : une tarification dite T2A applicable partout, dans le public et dans le privé, histoire de "démontrer" que le privé est "moins cher que l’hôpital public trop dépensier". Comme toujours, on trouve des "intellectuels organiques" pour dire qu’il faut s’y faire des coûts élevés, et que conséquemment chacun devra payer à sa convenance une surprime, pas à la Sécu (faut pas grever encore plus les charges de "nos" entreprises compétitives), mais auprès d’assureurs que chacun pourra choisir "librement".
Quatrième phase , début 2000 : on réorganise l’ensemble du système sanitaire, en le technocratisant complètement (exit les représentations démocratiques), et en imposant des restrictions drastiques uniquement dans le public : faut bien créer un espace de marché de plus en plus large pour les cliniques privées. Mais comme la population et les soignants risquent de réagir violemment, alors on accroît considérablement les pouvoirs des directeurs (à l’hôpital et à l’ARH puis bientôt à l’ARS), tout en cassant les statuts des personnels en les personnalisant sous forme de contrats sous couvert d’efficacité (embaucher "l’excellence").
A qui profite le crime ? Les cliniques privées appartiennent désormais à des groupes financiers, le plus souvent d’origine américaine. Quant aux assureurs non mutualistes, ils appartiennent à qui ? à des compagnies d’assurance US pour la plupart (souvent liées à des associations religieuses us). Resterait bien AXA comme assureur français (dont les dirigeants ont la réputation d’être des supports de l’Opus Dei), mais son capital est majoritairement détenu par du capital étranger ... Ainsi, toute la propagande et les techniques utilisées eurent comme objectif de transformer les budgets de la Sécu en épargne captable pour les transférer vers les Etats-Unis d’Amérique. La méthode utilisée : on crée artificiellement un marché unifié à l’échelle européenne en imposant la technique DRG (les pseudo groupes homogènes de patients le symbolisant), puis on technocratise autoritairement le secteur public, ce qui crée un espace pour le capital américain pour l’essentiel. En France, avec le dernier vote au parlement, il faut le déclarer clairement : la Sécurité Sociale française est morte.
Sans doute mue par l’expérience acquise, la "réforme" fut beaucoup plus rapide. "On" commença par créer les LMD au niveau européen, ce qui permit de faire sauter le monopole des diplômes d’État et de symboliser un marché de la formation supérieure au niveau de l’Europe, comme le furent les DRG au niveau hospitalier. Puis "on" serra drastiquement la vis des budgets (avec de nouvelles techniques comptables) et "on" déclara que l’Université devait chercher son argent ailleurs... Pas l’Université française dans son ensemble, non, chaque université. "On" les autonomisa donc, et "on" les mis en concurrence ... pour la recherche du pognon. Pour ce faire, on détourna les instances représentatives démocratiquement élues, pour les substituer par un Président au pouvoir étendu après avoir détruit le statut universitaire pour les nouveaux entrants (embauchés selon leur "excellence"). "On" impliqua, comme d’habitude, suffisamment d’intellectuels universitaires pour cautionner la logique, conscients ou inconscients : on retrouva, as usual, l’armée des "intellectuels organiques" chère à Gramsci. Ainsi donc, "on" divisa l’Université nationale dans chaque pays européen en autant d’universités en concurrence, avec des diplômes portant les mêmes libellés ( "transparence" de marché) mais que n’importe quelle institution publique ou privée peut se prévaloir. "On" technocratisa les systèmes publics pour limiter autoritairement leur expansion (la stratégie de technocratisation sert classiquement à cela), ouvrant ainsi un espace aux institutions privées. A qui appartiennent ces institutions privées nouvelles ? A des capitaux d’origine anglo-saxonne pour l’essentiel. Pour ceux qui ont eu l’occasion de faire de la formation supérieure dans les pays de l’Est européen, cette stratégie y a été déjà expérimentée : stratégie d’étranglement des universités nationales, implantations d’institutions privées britanniques et américaines (avec succursales bancaires à l’intérieur), prix d’inscription élevé sous propagande de formation diplomante "de niveau international" (avec publicité des classements de pseudo niveaux internationalement reconnus).
La France suit le même chemin : "on" divise l’Université française en universités concurrentes, ainsi donc affaiblies par rapport aux universités américaines qui entendent s’y établir. Havard a un budget équivalent à celui de l’enseignement supérieur français, la stratégie de bon sens eut été de conforter l’Université française par une coopération renforcée entre les universités régionales afin de faire pièce. Mais non, "on" préfère l’affaiblir. Et c’est ainsi que déjà au moins deux institutions anglo-saxonnes se sont implantées à Paris (en économie). A bientôt des filiales de formations US à Rennes, Nantes, Marseille, etc. "On" trouvera toujours des "intellectuels organiques" et des élus de tous bords pour justifier l’injustifiable.
Tout cela n’étonnera pas ceux qui s’intéressent à la rentabilité des capitaux : en Europe, les secteurs de l’énergie, de la retraite / santé, et de la formation supérieure sont désormais les seuls à rentabilité sûre à deux chiffres. Tout cela n’étonnera pas non plus ceux qui s’intéressent à l’intelligence économique états-unienne, dont l’objectif est fondamentalement de récupérer l’épargne européenne. Merci aux "intellectuels organiques" européens de les y aider ...