Les patients malades de la
santé publique |
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La
réforme en cours pousse les hôpitaux à «rentabiliser» leurs pratiques, au
détriment du suivi des séropositifs. Une politique que dénoncent les soignants
hospitaliers spécialistes du VIH.
Depuis 2007, un nouveau système
de tarification hospitalière, appelé T2A, a été mis en place. Auparavant, les
ressources allouées aux hopitaux étaient reconduites par rapport au budget de
l'année précédente. Désormais, les ressources sont calculées à partir de
l'activité, celle-ci est mesurée sur les «actes» médicaux réalisés. Bref, plus
l'activité est importante, plus le service dispose de moyens. Le problème, c'est
que tout le travail qui relève du paramédical ou du social n'est pas
comptabilisé en actes. Une circulaire appelée «Frontière du 31 août 2006 » *
permettait néanmoins de corriger le tir et d'inclure les séjours de très courte
durée, courants dans le suivi du VIH, dans ce mode de calcul. Mais, pour cela,
la prise en charge doit comporter plusieurs examens réalisés par des
professionnels de santé médicaux et paramédicaux. Une synthèse diagnostique ou
thérapeutique au moins provisoire doit aussi être réalisée par un médecin. Si
l'une de ces conditions n'est pas respectée, les actes sont facturés séparément,
à des tarifs bien inférieurs.
Suite à cela, de nombreux services
traitant le VIH ont vu leur dotation réduite en 2008, car la T2A n'avait pas
pris en compte l'ensemble des activités pratiquées. Pour le professeur
Christine Katlama, de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, «avec la nouvelle tarification, on ne s'y retrouve
pas. On nous promet des choses très chères ou très peu chères mais rien
pour les dépenses intermédiaires que nous avons mises en place dans les services
VIH. L'hôpital public offre un panier de soins pluridisciplinaires pour le suivi
des séropositifs et la T2A ne veut pas le prendre en compte !».
Panne de transfert
Une dotation dite MIG (pour mission d'intérêt général) était censée
compenser cela. Mais ce transfert ne fonctionne pas. Ce que confirme le
professeur Yazdan Yazdanpanah du CHU de Tourcoing, dans le Nord : «Selon les
schémas de l'hôpital, un patient qui a une tuberculose et qui doit être soigné
plusieurs mois, n'est pas «rentable». Parfois, les MIG refusent de le prendre en
charge. Mais nous travaillons pour la société, les MIG doivent le reconnaître !
Le système actuel nous restreint. Disposer d'une tarification plus élevée serait
plus juste.» Avec cette tarification, le système d'hôpital de jour (HDJ), très
utilisé en matière de suivi du VIH, paraît lui aussi remis en cause. En juillet
dernier, les experts du Rapport Yeni 2008 soulignaient pourtant tout son
intérêt : «Les hôpitaux de jour sont des
structures précieuses qui proposent, selon le principe de l'unité de lieu et de
temps, des soins globaux: bilan, éducation thérapeutique, prise en charge
psychosociale, nutritionnelle, etc. Définir une tarification prenant en compte
la spécificité des prises en charge réalisées dans les structures HDJ VIH pour
les séjours ne relevant pas de la circulaire «Frontière» serait une avancée pour
les patients infectés par le VIH.»
Quand, à Lille, le Dr Riff a
expliqué aux patients séropositifs les conséquences de la nouvelle tarification,
leur réaction a été la suivante : «Est-ce qu'on
aura encore à manger?» Car le repas ne sert pas qu'à manger : «Pour des patients
très fragilisés, la restauration est un espace où on a aussi des relations avec
des aides soignantes, qui peuvent par exemple rassurer avant de faire un nouvel
examen. C'est aussi un lieu de rencontre avec les associations. Bref, on y crée
du lien, l'effet sur la prise en charge du patient est bénéfique.»
Militant à l'association Aides, Franck Barbier rappelle que «les séropositifs ont besoin d'accompagnement social,
d'éducation thérapeutique et de prévention. L'hospitalisation de jour
permet ça. Les soins en ville peuvent également amener de bonnes choses.
L'intérêt, c'est d'avoir une offre diversifiée». Or, avec la T2A, on
détruit un système qui a prouvé son efficacité pendant des années dans les
hôpitaux publics. «Ma consultation avec un
patient dure de 45 à 60 minutes, confirme le professeur Jean-Marie Lang. Et
si elle ne rentre pas dans l'hospitalisation de jour, je dois la facturer
23 euros. C'est impossible à gérer.»
Fini l'éducation
thérapeutique
Dans ce cas, faudra-t-il raccourcir le temps de la
consultation pour que les services ne perdent pas d'argent ? Certains le font
déjà, le professeur Lang s'y refuse. L'éducation thérapeutique est elle aussi
menacée. «Dans mon service, avec une file
active de 1 600 patients, le personnel souffre d'une charge de travail qui
a énormément augmenté, ajoute Yazdan Yazdanpanah. Les infirmières ont
moins de temps de présence face aux patients et il devient très difficile de
faire de l'éducation thérapeutique.» Dans le service du docteur
Isabelle Ravaux à Marseille, les moyens ont déjà été revus à la baisse pour
2008. «En novembre, les vacations de
gynécologie et celles d'ophtalmologie ont été supprimées»,
regrette-t-elle.
Depuis 2006, tout séropositif est censé bénéficier d'une
synthèse annuelle, afin de faire le point de façon détaillée sur son état de
santé, son traitement et sa qualité de vie. Toutefois, malgré une tarification
spéciale mise en place depuis novembre 2007 pour que la T2A prenne en
compte cette synthèse (consultations sociales, psychologiques et
diététiques comprises), de nombreux services se sont vu contester leurs
déclarations tarifaires par l'assurance maladie.
À Toulouse, le docteur
Martine Obadia a cherché à comprendre quelles difficultés se posaient
dans son service, pour réaliser cette indispensable synthèse : «Il y a notamment des problèmes de secrétariat avec
de grandes difficultés à grouper les consultations. Et surtout, il est souvent
difficile de faire la synthèse le même jour alors que c'est nécessaire pour
respecter la tarification.» Dans cas, que faire? Le professeur Patrick
Massip n'y va pas par quatre chemins : «On nous
demande de tricher avec la tarification, en trichant sur les délais, sur les
actes pratiqués. Moi, j'assume, je triche. Sinon on va couler et ce sont nos
patients qui en paieront le prix.»
En mai dernier, lorsqu'elle
présentait la réforme hospitalière du projet de loi actuellement à l'étude (loi
Hôpitaux, patients, santé, territoire), la ministre de la Santé Roselyne
Bachelot-Narquin admettait que le modèle actuel de la T2A «ne tient pas assez compte de la situation sociale
des patients». Sa promesse? «Je veux
accroître les ressources allouées aux établissements ayant une proportion
importante de patients en situation de précarité.»
Depuis, rien
n'a changé. Récemment, les autorités de santé ont vivement discuté du prix des
nouveaux antiviraux disponibles, comme l'anti-CCR5 Maraviroc, qui
nécessite la réalisation préalable d'un test de tropisme, considéré comme
coûteux. Cela fait bondir le professeur Jean-Marie Lang: «De quelle rentabilité parlons-nous? Souvenons-nous
du débat qui a suivi l'arrivée des trithérapies, en 1996. On nous accusait de
donner des médicaments trop chers! Mais en six mois, nous avions fait la
démonstration de la différence, avec une baisse incroyable de la mortalité.
Il faut raisonner en termes d'économies. Avec les trithérapies et le suivi
multidisciplinaire, combien d'infarctus en moins, combien de cancers des
poumons évités? Combien de personnes qui ont pu reprendre un travail?»
Sur le terrain, ce mouvement d'exaspération n'est pas encore véritablement
ressenti par les séropositifs, même si les associations dénoncent cette
situation depuis un moment. Soignants et personnes vivant avec le VIH auront
donc tout intérêt à présenter rapidement un front commun, afin de sauvegarder la
qualité des soins prodigués en France.Emmanuelle
Cosse
* Circulaire DHOS-F1/M72A/2006 n° 376 du 31 août 2006
relative aux conditions de facturation d'un GHS pour les prises en charge
hospitalières en zone de surveillance de très courte durée ainsi que pour les
prises en charge de moins d'une journée.