Les patients malades de la santé publique

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cobalt

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Dec 19, 2008, 7:35:35 AM12/19/08
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Les patients malades de la santé publique

La réforme en cours pousse les hôpitaux à «rentabiliser» leurs pratiques, au détriment du suivi des séropositifs. Une politique que dénoncent les soignants hospitaliers spécialistes du VIH.
 
Depuis 2007, un nouveau système de tarification hospitalière, appelé T2A, a été mis en place. Auparavant, les ressources allouées aux hopitaux étaient reconduites par rapport au budget de ­l'année précédente. Désormais, les ressources sont calculées à partir de l'activité, celle-ci est mesurée sur les «actes» médicaux réalisés. Bref, plus l'activité est importante, plus le service dispose de moyens. Le problème, c'est que tout le travail qui relève du paramédical ou du social n'est pas comptabilisé en actes. Une circulaire appelée «Frontière du 31 août 2006 » * permettait néanmoins de corriger le tir et d'inclure les séjours de très courte durée, courants dans le suivi du VIH, dans ce mode de calcul. Mais, pour cela, la prise en charge doit comporter plusieurs examens réalisés par des professionnels de santé médicaux et paramédicaux. Une synthèse diagnostique ou thérapeutique au moins provisoire doit aussi être réalisée par un médecin. Si l'une de ces conditions n'est pas respectée, les actes sont facturés séparément, à des tarifs bien inférieurs.

Suite à cela, de nombreux services traitant le VIH ont vu leur dotation réduite en 2008, car la T2A n'avait pas pris en compte ­l'ensemble des activités pratiquées. Pour le professeur Christine Katlama, de l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris, «avec la nouvelle tarification, on ne s'y retrouve pas. On nous promet des ­choses très chères ou très peu chères mais rien pour les dépenses intermédiaires que nous avons mises en place dans les services VIH. L'hôpital public offre un panier de soins pluridisciplinaires pour le suivi des séropositifs et la T2A ne veut pas le prendre en compte !».

Panne de transfert
Une dotation dite MIG (pour mission d'intérêt général) était censée compenser cela. Mais ce transfert ne fonctionne pas. Ce que confirme le professeur Yazdan Yazdanpanah du CHU de Tourcoing, dans le Nord : «Selon les schémas de l'hôpital, un patient qui a une tuberculose et qui doit être soigné plusieurs mois, n'est pas «rentable». Parfois, les MIG refusent de le prendre en charge. Mais nous travaillons pour la société, les MIG doivent le reconnaître ! Le système actuel nous restreint. Disposer d'une tarification plus élevée serait plus juste.» Avec cette tarification, le système d'hôpital de jour (HDJ), très utilisé en matière de suivi du VIH, paraît lui aussi remis en cause. En juillet dernier, les experts du Rapport Yeni 2008 soulignaient pourtant tout son intérêt : «Les hôpitaux de jour sont des structures précieuses qui proposent, selon le principe de l'unité de lieu et de temps, des soins globaux: bilan, éducation thérapeutique, prise en charge psychosociale, nutritionnelle, etc. Définir une tarification prenant en compte la spécificité des prises en charge réalisées dans les structures HDJ VIH pour les séjours ne relevant pas de la circulaire «Frontière» serait une avancée pour les patients infectés par le VIH.»

Quand, à Lille, le Dr Riff a expliqué aux patients séropositifs les conséquences de la nouvelle tarification, leur réaction a été la suivante : «Est-ce qu'on aura encore à manger?» Car le repas ne sert pas qu'à manger : «Pour des patients très fragilisés, la restauration est un espace où on a aussi des relations avec des aides soignantes, qui peuvent par exemple rassurer avant de faire un nouvel examen. C'est aussi un lieu de rencontre avec les associations. Bref, on y crée du lien, l'effet sur la prise en charge du patient est bénéfique.»

Militant à l'association Aides, Franck ­Barbier rappelle que «les séropositifs ont besoin d'accompagnement social, d'éducation thérapeu­tique et de prévention. L'hospitalisation de jour permet ça. Les soins en ville peuvent également amener de bonnes choses. L'intérêt, c'est d'avoir une offre diversifiée». Or, avec la T2A, on détruit un système qui a prouvé son efficacité pendant des années dans les hôpitaux publics. «Ma consultation avec un patient dure de 45 à 60 minutes, confirme le professeur Jean-Marie Lang. Et si elle ne rentre pas dans l'hospitalisation de jour, je dois la facturer 23 euros. C'est impossible à gérer.»

Fini l'éducation thérapeutique
Dans ce cas, faudra-t-il raccourcir le temps de la consultation pour que les services ne perdent pas d'argent ? Certains le font déjà, le professeur Lang s'y refuse. L'éducation thérapeutique est elle aussi menacée. «Dans mon service, avec une file active de 1 600 patients, le personnel souffre d'une charge de travail qui a énormément augmenté, ­ajoute Yazdan ­Yazdanpanah. Les infirmières ont moins de temps de présence face aux patients et il devient très difficile de faire de l'éducation thérapeutique.» Dans le service du docteur ­Isabelle Ravaux à Marseille, les moyens ont déjà été revus à la baisse pour 2008. «En novembre, les vacations de gynécologie et celles d'ophtalmo­logie ont été supprimées», regrette-t-elle.

Depuis 2006, tout séropositif est censé bénéficier d'une synthèse annuelle, afin de faire le point de façon détaillée sur son état de santé, son traitement et sa qualité de vie. Toutefois, malgré une tarification spéciale mise en place depuis novembre 2007 pour que la T2A ­prenne en compte cette synthèse (consultations ­sociales, psychologiques et diététiques comprises), de nombreux services se sont vu contester leurs déclarations tarifaires par l'assurance maladie.

À Toulouse, le docteur ­Martine ­Obadia a cherché à comprendre quelles difficultés se posaient dans son service, pour réaliser cette indispensable synthèse : «Il y a notamment des problèmes de secrétariat avec de grandes difficultés à grouper les consultations. Et surtout, il est souvent difficile de faire la synthèse le même jour alors que c'est nécessaire pour respecter la tarification.» Dans cas, que faire? Le professeur Patrick Massip n'y va pas par quatre chemins : «On nous demande de tricher avec la tarification, en trichant sur les délais, sur les actes pratiqués. Moi, j'assume, je triche. Sinon on va couler et ce sont nos patients qui en paieront le prix.»
En mai dernier, lorsqu'elle présentait la réforme hospitalière du projet de loi actuellement à l'étude (loi Hôpitaux, patients, santé, territoire), la ministre de la Santé Roselyne Bachelot-Narquin admettait que le modèle actuel de la T2A «ne tient pas assez compte de la situation sociale des patients». Sa promesse? «Je veux accroître les ressources allouées aux établissements ayant une proportion importante de patients en situation de précarité.»

Depuis, rien n'a changé. Récemment, les autorités de santé ont vivement discuté du prix des nouveaux anti­viraux disponibles, comme l'anti-CCR5 ­Maraviroc, qui nécessite la réalisation préalable d'un test de tropisme, considéré comme coûteux. Cela fait bondir le professeur Jean-Marie Lang: «De quelle rentabilité parlons-nous? Souvenons-nous du débat qui a suivi l'arrivée des trithérapies, en 1996. On nous accusait de donner des médicaments trop chers! Mais en six mois, nous avions fait la démonstration de la ­différence, avec une baisse incroyable de la mortalité. Il faut raisonner en termes d'économies. Avec les trithérapies et le suivi multi­disciplinaire, combien d'infarctus en moins, combien de cancers des poumons évités? Combien de personnes qui ont pu reprendre un travail?» Sur le terrain, ce mouvement d'exaspération n'est pas encore véritablement ressenti par les séropositifs, même si les associations dénoncent cette situation depuis un moment. Soignants et personnes vivant avec le VIH auront donc tout intérêt à présenter rapidement un front commun, afin de sauvegarder la qualité des soins prodigués en France.Emmanuelle Cosse

* Circulaire DHOS-F1/M72A/2006 n° 376 du 31 août 2006 relative aux conditions de facturation d'un GHS pour les prises en charge hospitalières en zone de surveillance de très courte durée ainsi que pour les prises en charge de moins d'une journée.
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