Le Monde : Budget des universités : les raisons des tensions

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Guy Nicolas

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Sep 30, 2023, 8:26:08 AM9/30/23
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Bonjour !

Eh oui, toujours à relever malgré le temps qui passe…

Le Monde daté aux 1 et 2 octobre 2023 :

Budget des universités : les raisons des tensions

Les présidents dénoncent la situation critique de leurs établissements, loin de celle décrite par le chef de l’Etat

Soazig Le Nevé

Le ton est grave, lorsque Guillaume Gellé, patron de l’association France Universités, qui regroupe les présidents d’université, prend la parole devant les députés de la commission des affaires culturelles et de l’éducation, qui l’interrogent sur les conditions de la rentrée, le 27 septembre. « Que dirait-on si, pour des raisons budgétaires, les universités étaient contraintes de former moins de médecins alors qu’on en manque déjà cruellement ? De former moins d’ingénieurs et de techniciens, quand on sait les besoins immenses de l’industrie ? »

Rarement rentrée universitaire aura été aussi abrupte. Début septembre, les dirigeants des 74 universités françaises ont subi une attaque en règle de la part d’Emmanuel Macron, qui, tout de go, lors d’un échange avec le youtubeur Hugo Travers, a affirmé qu’il n’y avait « pas de problème de moyens » dans l’enseignement supérieur public. Les chefs d’établissement ne seraient, en fait, que de piètres gestionnaires, par ailleurs peu capables de faire évoluer l’offre de formations et d’assurer l’insertion professionnelle des étudiants.

Dans la foulée, la ministre de l’enseignement supérieur, Sylvie Retailleau, enjoignait aux présidents d’université de libérer de leurs fonds de roulement quelque 1 milliard d’euros d’« argent public qui dort » afin de financer la majeure partie des mesures en faveur du pouvoir d’achat des fonctionnaires, décidées en juillet par son collègue chargé de la fonction publique, Stanislas Guerini. Sauf que les sommes détenues dans ces fonds de roulement sont déjà largement gagées dans le cadre de projets d’investissements pluriannuels de rénovation énergétique des bâtiments ou d’achat d’équipements de recherche.

Dépense par étudiant en baisse

A Sorbonne Université, le budget géré par Nathalie Drach-Temam atteint 800 millions d’euros, « soit le budget de la ville de Strasbourg », illustre-t-elle. « Nous avons des plans d’investissements pluriannuels pour pouvoir développer de grosses plates-formes de recherche, financées en plusieurs fois, de manière cumulative, ce qui prouve que nous sommes de bons gestionnaires ! », se justifie la présidente. Aussi, regarder à un instant T ce qu’il reste dans un fonds de roulement est insignifiant à ses yeux. « Aucune structure privée ne s’arrêterait sur le budget disponible à un instant T », tranche-t-elle.

A quand la fin du dialogue de sourds teinté de défiance entre le gouvernement et la communauté universitaire ? « On en est à se demander si la France aime ses universités, et la réponse est peut-être non, considère Alain Fuchs, président de l’université Paris Sciences et Lettres. Elles ne sont pas l’endroit où il est le plus prestigieux de faire ses études, cette position est très spécifique à notre pays. On se bat pour être reconnus comme des institutions qui forment la future élite, au plus près de la recherche, comme les universités le font partout dans le monde ! »

Toutes les études convergent pour constater que les dépenses de l’Etat consacrées aux universités sont en chute libre. Entre 2008 et 2021, le nombre d’étudiants a augmenté de 25 % quand le budget de l’enseignement supérieur a progressé de moins de 10 % (en euros constants), d’où une baisse de 12 % de la dépense par étudiant, a calculé l’économiste Thomas Piketty. Dans le même temps, l’Etat demande aux universités de le suppléer, en payant les frais résultant de l’avancement et des mesures catégorielles qu’engrangent, au cours de leurs carrières, les fonctionnaires que sont les enseignants-chercheurs, soit une manne équivalent à plus de 600 millions d’euros depuis 2012, selon l’association France Universités.

La conséquence d’un tel désengagement étatique est très concrète sur les campus : faute de moyens, les recrutements d’enseignants titulaires sont « gelés », la perte d’attractivité des métiers du supérieur s’aggrave. « Au total, il faudrait ouvrir plus de 11 000 postes pour retrouver les taux d’encadrement de 2010 » dans les universités, selon Julien Gossa, maître de conférences en sciences informatiques à l’université de Strasbourg, qui a compilé un ensemble de données sur l’entrée dans la carrière universitaire.

Risque de paupérisation

« La question est de savoir si la dotation que l’Etat octroie, chaque année, aux universités est une dépense ou un investissement », résume Hervé Branchereau, président de l’association des directeurs financiers des établissements d’enseignement supérieur, lui-même en poste à l’université de Nantes. Cette somme, appelée « subvention pour charge de service public » (SCSP), est reconduite quasiment à l’identique depuis des années, sans tenir compte de l’afflux d’étudiants nés du pic démographique de l’an 2000.

Lorsque de nouvelles formations ouvrent après des réformes gouvernementales, tels les parcours d’accès spécifique santé (PASS) et les licences avec accès santé (LAS), les postes d’enseignants ne sont financés par l’Etat qu’à hauteur de 80 %, le reste étant réglé sur fonds propres. Selon France Universités, près de 20 établissements étaient en déficit fin 2022 et la majorité des 74 le seront fin 2023.

S’abstenir de recruter pour pouvoir payer factures et dépenses de fonctionnement est « un mécanisme pervers », souligne Hervé Branchereau. « On court le risque que les universités se paupérisent et que les étudiants aillent voir ailleurs. On observe déjà, cette année, un tassement des inscriptions à l’université [– 3,4 %] et une augmentation dans la sphère de l’enseignement privé [+ 3,3 %], poursuit-il. Il y a un vrai risque de décrochage. »

S’ajoute une pesante culture de l’opacité, rapporte Simon Gilbert, vice-président de l’université Paris-Est-Créteil. « Personne ne sait exactement ce qu’est le soutien financier de l’Etat pour tel ou tel établissement. A Créteil, nous avons compris que nous étions les moins bien dotés à l’occasion d’une audition de la Cour des comptes durant laquelle nous avons pu constater des écarts importants, relate-t-il. Nous touchons 5 500 euros par an et par étudiant quand l’université Paris-Saclay en obtient 12 000… »

Même constat à Lille, où Régis Bordet souligne que l’établissement qu’il préside reçoit 7 600 euros par an et par étudiant, alors que l’université Aix-Marseille, comparable en taille, disposerait de 10 300 euros. « Nous accueillons 20 % d’étudiants en plus de ce que nous permet notre subvention. On veut bien jouer le jeu, mais pas avec les deux pieds dans un sac à patates quand d’autres font allègrement le 110 mètres haies », raille-t-il.

« Dépendance à la subvention »

Comme ces données sont la traduction du soutien effectif de l’Etat à un territoire, celles-ci devraient être publiques, estime Simon Gilbert, qui s’en est ouvert à sa tutelle, en vain. « On ne parvient jamais à aborder frontalement le sujet, le rectorat nous dit qu’il faut retravailler sur nos données… C’est une manœuvre dilatoire », affirme-t-il.

Au ministère de l’enseignement supérieur, on explique que la « part socle » de la subvention pour charge de service public est le « fruit de l’histoire », fixée lorsque les universités ont pu gérer leur masse salariale, à partir de 2007. Puis, « chaque année, les enveloppes additionnelles correspondant aux mesures nouvelles sont réparties selon des critères objectifs et équitables en fonction des caractéristiques des établissements », assure l’entourage de Sylvie Retailleau, sans plus de détails. Et « de manière plus complémentaire, des crédits sont alloués à certains établissements sous-dotés afin de rééquilibrer leur dotation ».

A l’université de Bordeaux, la « dépendance à la subvention » de l’Etat est moindre qu’ailleurs : « Nous répondons beaucoup aux appels à projets », expose son président Dean Lewis. Ainsi, 43 % du budget est constitué de ressources propres et 57 % de dotation publique. « Mais si cette dernière n’est pas suffisante pour payer la masse salariale, nous ne parviendrons pas à mettre en œuvre les grands projets de filières d’avenir voulus par le chef de l’Etat dans le cadre du plan France 2030 », prévient-il.


A Créteil, un manque de moyens et de « reconnaissance » de l’Etat

Le 21 septembre, des enseignants de Staps ont eu un échange musclé avec le président de l’université Paris-Est-Créteil, Jean-Luc Dubois-Randé

Soazig Le Nevé

Il pleut des cordes sur les dalles délabrées où se presse une quinzaine d’enseignants de la filière sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps) de l’université Paris-Est Créteil (UPEC). Le mégaphone et les sifflets appellent au ralliement, en ce 21 septembre : dans quelques minutes, les manifestants gagneront l’étage de la présidence de l’établissement, pour remettre leur démission d’une partie de leurs activités : ils continuent de faire cours mais ils refusent d’endosser toute tâche administrative ou pédagogique complémentaire, afin de protester contre ce qu’ils estiment être « un manque de reconnaissance » de l’Etat.

Ces enseignants du secondaire affectés dans le supérieur (ESAS) ont un profil particulier : professeurs agrégés, certifiés ou de lycée professionnel, ils sont majoritaires au sein de la filière Staps de l’UPEC de même que dans la plupart des instituts universitaires de technologie (IUT) et instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé).

Ils assurent 384 heures annuelles de cours, soit deux fois plus que les enseignants-chercheurs, et s’engagent massivement à exercer des missions pédagogiques de suivi des étudiants. Sauf que depuis la mise en place d’un nouveau régime indemnitaire, le 1er janvier 2022, ils ne bénéficient plus de la même prime que leurs confrères enseignants-chercheurs.

Début septembre, espérant calmer les démissions massives annoncées un peu partout en France à l’appel du « collectif 384 », le ministère de l’enseignement supérieur a débloqué 50 millions d’euros pour revaloriser la prime des ESAS – qui reste moindre que la gratification touchée par les enseignants-chercheurs lorsqu’ils exercent des fonctions de gestion administrative et pédagogique. « Nous avons le sentiment d’être des enseignants inférieurs aux autres », résume Guillaume Dietsch, agrégé d’éducation physique et sportive, avant de scotcher au sol, au seuil du bureau de la présidence, sa lettre de démission de son poste de directeur des études.

« Je me bats ! »

A Créteil, la rentrée, chaotique, a dû être décalée pour les étudiants de première année de Staps. Les groupes de travaux dirigés et les emplois du temps ont été décidés, dans la panique, par des agents administratifs qui n’ont pas tenu compte des options souhaitées par les étudiants. « Je devais être en tennis et on m’a inscrite en escalade, témoigne Elisa Dussourd, en troisième année. Cela aura un impact sur mes notes car il faut être performant dans ce sport, et je risque de perdre des chances d’être admise dans le cadre de mes candidatures à l’entrée en master. »Dans l’immédiat, il manque à Elisa une convention pour un stage, en théorie prévu fin octobre. « Aucun enseignant ne va me la signer », s’inquiète-t-elle tout en affirmant soutenir le mouvement des ESAS.

« Au-delà de la question de notre prime, reprend Guillaume Dietsch, ce qui nous effare, c’est combien l’Etat se désengage. L’université de Créteil accepte d’accueillir plus d’étudiants sans que les moyens suivent ! Ici, l’Etat débourse en moyenne 700 euros de moins par an et par étudiant que dans les autres universités. » Dans le couloir, la colère monte, les manifestants sont rejoints par des dizaines d’étudiants et enseignants-chercheurs qui tapent contre les murs jusqu’à faire sortir de réunion le président, Jean-Luc Dubois-Randé. « Exigez ce qui vous est dû !, lui lancent-ils. Il faut récupérer ces 700 euros pour nos étudiants et recruter des enseignants et des personnels administratifs ! »« Nous disons la même chose que vous et faisons le même constat d’injustice, rétorque le président. Le rectorat nous impose des capacités d’accueil systématiquement supérieures à ce que nous pouvons absorber. Je n’ai pas le pouvoir de la ministre, ni de l’Etat, mais croyez bien que je suis en mode combat ! »

En cinq ans, 10 000 étudiants supplémentaires ont été accueillis à l’UPEC, soit une hausse des effectifs de 20 %, contre 5 % en moyenne nationale. « Nous n’avons obtenu que 10 millions d’euros supplémentaires, il nous manque 20 millions d’euros. Et pourtant, je peux vous dire que je me bats ! », assure le président, sans paraître véritablement convaincre son auditoire.

Face au manque de moyens, un seul levier est à la disposition des établissements : le gel des recrutements d’enseignants titulaires, ceux-ci étant remplacés par des vacataires, moins onéreux en termes de masse salariale. « L’année prochaine, quatre postes seront vacants en Staps, vous engagez-vous à les remplacer, monsieur le président ? », interpelle un enseignant.

« On va essayer de traverser la vague sans être dans une politique de gel de postes délirante », promet M. Dubois-Randé tout en précisant qu’avec un budget déficitaire pour la seconde année consécutive, apparaît une menace pour l’UPEC : la mise sous tutelle rectorale, qui serait alors synonyme d’un gel total des recrutements d’une durée de deux ans.


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