Le Monde : Diplômées, les filles retournent près des leurs

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Guy NICOLAS

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May 10, 2022, 7:31:05 AM5/10/22
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Cet article dans Le Monde daté du 11 mai 2022…

À plus.
Guy

Diplômées, les filles retournent près des leurs

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Alice Raybaud

Les jeunes femmes rurales ont tendance, plus que les garçons, à revenir dans leur ville après leurs études

REPORTAGEBOUCONVILLE, SAULCES-MONCLIN (ARDENNES) -envoyée spéciale

La maison est postée au bord de la route principale, qui traverse quasiment toute la commune de Bouconville. Peu de passage sur cette départementale, tracée au milieu de vastes étendues agricoles : à part pour rendre visite à l’un des cinquante habitants de ce village des Ardennes, « il n’y a pas de raison de venir par ici », remarque Sophie Limousin, 28 ans, qui tend une tasse de thé à son amie, assise à la table du salon. Copines depuis le lycée à Vouziers, vingt kilomètres plus loin, Laurine Piekarek et elle déjeunent régulièrement ensemble. Elles s’étaient un peu perdues de vue pendant leurs années d’études. L’une n’avait jamais envisagé qu’un départ temporaire, l’autre rêvait de quitter le coin pour de bon. Toutes deux se sont retrouvées ici, dans la campagne où elles ont grandi.

Leur trajectoire reflète celle de nombre de jeunes femmes ayant grandi à la campagne ou dans les petites villes. Davantage encouragées que les garçons à faire des études, et donc à se rendre dans de grandes agglomérations, les jeunes femmes des villes petites ou moyennes ont également plus tendance à retourner s’installer dans leur territoire d’origine. C’est la conclusion d’une étude publiée dans la revue Travail, Genre et Sociétés (n° 46, La Découverte, 2021), réalisée par les sociologues Elie Guéraut et Fanny Jedlicki, chercheurs associés à l’Institut national d’études démographiques.

« Sacrifice provisoire »

« Les jeunes femmes obtiennent de meilleurs résultats scolaires que les garçons : plus souvent bachelières, elles vont ensuite chercher le diplôme là où il se trouve », explique Fanny Jedlicki. Localement, elles font face à une offre de formation plus restreinte, avec de rares filières dites « féminines », et tendent davantage à se rendre dans les pôles universitaires. Mais pour elles, le départ se pose bien souvent en d’autres termes que pour les jeunes hommes qui font aussi le pas vers la grande ville. « Elles vivent une double injonction, celle de quitter le lieu d’origine pour étudier et celle de continuer, malgré tout, à investir les liens de proximité », souligne Elie Guéraut.

Une partie d’entre elles adaptent alors leur choix de formation à « l’espace des possibles local », observe la doctorante Perrine Agnoux, qui suit les parcours de jeunes femmes en Corrèze, et particulièrement de bachelières pro « aide à la personne », filière d’avenir d’un département vieillissant. « Le départ en ville, pour acquérir une autre qualification, est vécu par beaucoup comme un sacrifice provisoire avant le retour », souligne-t-elle. Laurine Piekarek, l’amie du lycée de Sophie Limousin a, elle, renoncé aux études de médecine pour devenir kiné – trop long, et trop loin de la bande de copains. La jeune femme originaire d’Authe, village de moins de 100 âmes, choisit une école d’infirmiers. Mais elle vit très mal ses années à Laon, dans l’Aisne voisine.

« Ici, on se connaît tous, on se soutient. Dès qu’il fait beau, on est dehors, on va se promener avec nos chiens, on va aux champignons », explique Laurine Piekarek, qui est très engagée dans la vie d’Authe, au comité des fêtes, au club de foot et au conseil municipal. Elle a pu s’installer avec son conjoint, un agriculteur du coin, dans une maison du bourg. Il n’a jamais été question de vivre, une fois le diplôme en poche, ailleurs que dans cette commune, où se trouve toute sa famille, jusqu’au grand-père. Surtout depuis que sa mère a des problèmes de santé. « Maintenant, j’ai régulièrement des soins à faire à ma maman », explique l’infirmière, qui exerce en libéral.

Dans les territoires ruraux, les jeunes femmes font l’expérience d’une multiplication de rappels aux origines. « Certains parents font preuve d’une inquiétude parfois jugée envahissante, avec des coups de téléphone extrêmement fréquents que connaissent peu les garçons », constate Elie Guéraut. Dans ces espaces où les solidarités locales jouent un rôle central, un travail du soin est attendu d’elles. « Il y a une nécessité presque morale de rentrer le week-end puis de rester, pour aider les aînés, garder les frères et sœurs, mais aussi pour revitaliser les territoires. Cette réassignation spatiale les touche plus que les hommes », abonde Perrine Agnoux.

Une conjugalité précoce, fréquente dans les classes populaires rurales, contribue aussi au retour de certaines jeunes femmes, quand elles se sont mises en couple tôt avec un « gars du coin ». A Bouconville, dans l’ancienne maison des grands-parents de son conjoint, qu’ils ont rénové à deux, Sophie Limousin raconte ne s’être jamais prédestinée à revenir s’installer dans la campagne ardennaise. Fille d’une infirmière et d’un metteur au point en usine, elle qui grandit à Vouziers, 5 000 habitants, passe son temps à dire qu’elle « partira ». Et elle part, d’abord en classe prépa à Reims, puis en école de commerce à Strasbourg. « J’ai vécu le rêve toutes ces années », dit-elle. La « liberté » de pouvoir sortir au dernier moment, ne plus avoir à avaler les kilomètres pour la moindre activité… Elle rentre de moins en moins le week-end, et finit par se séparer d’Alexandre, son petit copain depuis le lycée. Après une année en Colombie, elle décide de passer le concours pour devenir élève officier, elle qui rêve depuis toujours d’une carrière dans l’armée. Elle est acceptée à Saint-Cyr, en Bretagne, qu’elle doit intégrer lors de la rentrée suivante.

Obstacles économiques

Mais entre-temps, elle se remet en couple avec Alexandre. Une semaine avant de signer son contrat, elle appelle l’école pour dire qu’elle a changé d’avis. Elle emménage alors dans le village d’enfance de son conjoint, qui a décidé de reprendre la ferme familiale. Pour elle, trouver un emploi correspondant à ses qualifications n’est pas simple. Elle parvient à décrocher un poste de formatrice de commerciaux sur la région.

Le départ vers une grande agglomération se heurte aussi à des obstacles économiques et symboliques. Pour cette jeunesse issue des campagnes et des petites villes, où les milieux populaires sont surreprésentés, la mobilité étudiante, identifiée comme un vecteur d’émancipation sociale, peut ainsi s’accompagner de « nombreuses désillusions », notent les sociologues Jedlicki et Guéraut. Dans les grandes villes, où la quasi-totalité des sociabilités impose des dépenses et où elles n’ont aucune attache, les difficultés à se loger et la concurrence, parfois, avec le job étudiant, compliquent les études.

« S’ajoute une barrière symbolique, le sentiment parfois de ne pas appartenir au monde de leurs nouveaux camarades, auquel elles se mêlent peu », analyse Fanny Jedlicki. La fréquence des retours dans la famille, souvent chaque week-end, ne leur permet pas d’investir la vie étudiante, et génère parfois une fatigue qui peut peser sur les études elles-mêmes. « Dans ce contexte, un échec ou des difficultés durant les premières années vont davantage mener à un abandon », souligne Perrine Agnoux.

La rupture géographique n’est pas anodine pour ces jeunes femmes, que le manque de formations sur place a contraintes à une mobilité rapide et parfois brutale, au sortir de l’adolescence. Comme Juliane Laconi, originaire de la Meuse, qui a déménagé à Metz en août 2020, pour suivre un BTS management commercial opérationnel. « Je ne connaissais personne et le climat dans mon école était difficile. Je me sentais très seule », confie la femme de 21 ans.

Très déprimée, elle décide, en novembre, de rentrer chez ses parents. En l’absence de formation correspondante autour de chez elle, Juliane, encore fragilisée psychologiquement, décide de poursuivre ses cours à distance avec le Centre national d’enseignement à distance. Elle s’inscrit au campus connecté de Bar-le-Duc (Meuse), juste à côté, un lieu où elle vient réviser trois jours par semaine. Pas une solution miracle toutefois face à ces documents de travail devant lesquels elle se sent « livrée à elle-même ».

Les retours des jeunes femmes en ruralité découlent aussi des difficultés auxquelles elles sont confrontées au moment d’intégrer le marché du travail très concurrentiel des bassins urbains. « Les jeunes femmes rurales, a fortiori de classes populaires, qui se rendent dans les plus grands pôles urbains, se sont le plus souvent dirigées vers des formations relatives aux lettres, aux sciences humaines et sociales, ou aux arts à l’université publique. Des filières qui sont peu rentables sur le marché du travail », précise Elie Guéraut.

« Gap énorme »

Les contraintes économiques se révèlent, là encore, une barrière importante, quand la durée de recherche d’emploi tend à s’allonger. Une fois les bourses et autres aides disparues, rester loin de chez elles devient impossible pour beaucoup de ces jeunes femmes. « Dans certains cas, elles passent par plusieurs années de maintien difficile, au prix d’une grande précarité. Le retour subi est alors plus douloureux, avec une forte difficulté à convertir son diplôme dans l’espace rural d’origine », note le sociologue.

Daliane Luzurier, 28 ans, nous reçoit dans le hangar de son entreprise. Le bâtiment se distingue nettement, derrière le snack-friterie, à l’entrée de Saulces-Monclin, dans le centre des Ardennes. Elle grandit dans une commune voisine de 200 habitants. Aussi, lorsque cette musicienne entre à l’Institut d’études supérieures des arts, à Paris, après quelques années en fac d’histoire à Reims, elle expérimente « un gap énorme »« Tout était beaucoup plus compliqué et je me sentais moins en sécurité. Financièrement aussi, cela commençait à devenir difficile. »

Elle rencontre, lors d’un festival, celui qui deviendra son mari et tombe enceinte très vite, sans que ce ne soit prévu. « Dans une école privée parisienne, c’était pas top. Je sentais bien le décalage avec mes camarades. » En sortie de formation, avec un enfant en bas âge, difficile de trouver un poste dans le milieu culturel, pour elle qui enchaîne donc les boulots alimentaires. Les dettes s’accumulent à cause du logement qu’ils ont acheté en banlieue, quand son oncle leur propose de reprendre une branche de l’activité de l’entreprise familiale de BTP. Exsangue, elle décide d’accepter.

Il faut alors s’adapter à une culture professionnelle dans laquelle elle ne s’était jamais projetée. En tant que femme, ce n’est pas simple. « On me prenait pour la secrétaire, on refusait parfois de s’adresser à moi. On a perdu beaucoup de clients », confie-t-elle. Mais le retour est une « bouffée d’oxygène », après des années en dilettante. « On vit sans avoir à demander de secours aux parents. Je peux faire garder ma fille plus facilement », se réjouit-elle. Surtout, Daliane se plaît à se dire qu’elle pourra élever ses enfants comme elle l’a été. Au milieu de grands espaces et tout près de sa famille, dont elle souffrait d’être séparée.


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