Le Monde : La détresse des étudiants refusés en master

19 views
Skip to first unread message

Guy NICOLAS

unread,
Oct 12, 2021, 8:43:30 AM10/12/21
to paris...@googlegroups.com
Salut !

L’étude de plus en plus fermée…

A+
Guy

Le Monde daté du 13 octobre 2021 :

La détresse des étudiants refusés en master

Alice Raybaud

Depuis la réforme de 2017, la tension s’est accrue sur les cursus de droit, d’économie et de psychologie

A la rentrée, Julie Espenon a vidé son appartement étudiant. « Plus besoin » : à l’issue de sa licence de sciences de la vie à l’université de Toulon, la jeune femme de 24 ans n’a obtenu aucun master pour poursuivre ses études. Elle avait postulé à une vingtaine de formations partout en France, en neurosciences – elle voudrait travailler sur l’autisme –, biologie, immunologie… Et observé, impuissante, les refus s’égrener jusqu’à la mi-juillet. 

Comme des milliers de diplômés de licence qui se trouvaient sur le carreau cette année, elle a alors saisi le rectorat, légalement tenu de lui trouver au moins trois solutions d’admission. « On a soumis mon dossier à des masters de psychologie, sans lien avec ma licence. Cela n’avait aucun sens »,s’étonne Julie qui, après avoir été refusée par les universités sollicitées, a demandé à ce que des propositions plus adéquates soient réalisées. « Mais on était arrivé en septembre, c’était un peu tard pour trouver une place. » Les six ultimes demandes en master de biologie faites par son rectorat lui sont revenues négatives. « J’ai l’impression que tout s’est effondré. Avec mon dossier, mes profs me disaient que cela allait rouler », se désole-t-elle.

Après avoir redoublé sa première année de licence, Julie Espenon a validé ses deux dernières années avec 12 de moyenne. « Dans ma famille, je suis une des seules à avoir accédé à l’université. Je n’avais personne pour m’aiguiller, me dire par exemple de faire ma troisième année dans une autre ville avec un master ciblé », raconte cette fille d’une employée de mairie et d’un ancien gendarme. Ses cartons sous le bras, elle est rentrée au domicile familial, d’où elle envoie des CV pour des postes de technicien de laboratoire. Dans l’attente de recandidater en 2022… Sans aucune certitude de réussite.

Engorgement inédit

Maîtriser les stratégies d’orientation est devenu indispensable pour les étudiants du premier cycle universitaire, tant la pression à l’entrée en master s’est accrue ces dernières années. Si le nombre d’étudiants en licence a augmenté de 155 000 entre 2010 et 2019, il n’a progressé que de 70 000 au niveau master. Le passage au bac + 4, moment où se fait la sélection depuis la réforme de 2017, s’est transformé en véritable goulet d’étranglement. « La tension augmente d’année en année, encore plus après deux ans de crise sanitaire où on a eu des taux de réussite plus importants », souligne Anne Fraïsse, présidente de l’université Paul-Valéry à Montpellier.

Cette année, les témoignages de détresse de jeunes sans admission ont afflué sur les réseaux sociaux, dès la fin juin, sous le hashtag #EtudiantsSansMaster. Sans solution, malgré une licence en poche et, souvent, des notes correctes, des milliers d’étudiants ont alors voulu faire valoir leur « droit à la poursuite d’études », consacré par la réforme. Selon les chiffres ministériels de fin septembre, on comptabilise ainsi 7 414 saisines classées recevables par les rectorats (contre 7 103 en 2020), pour lesquelles seulement « plus d’un tiers » des étudiants ont obtenu des propositions d’admission. Sachant que les conditions pour pouvoir saisir le rectorat avaient été durcies en pleine période de candidatures, avec un décret paru le 21 mai 2021 : les étudiants doivent désormais justifier d’au moins cinq demandes d’admission préalables, contre trois initialement. « On n’a jamais eu autant de demandes d’accompagnement, observe Paul Mayaux, président de la FAGE, organisation étudiante. Beaucoup se trouvent complètement démunis, parce qu’ils n’ont pas pu saisir le rectorat, ou qu’il ne leur propose aucun master, ou bien totalement déconnectés de leur projet. »

La tension concerne surtout certaines filières, comme la psychologie, l’économie et le droit. Dans cette dernière, une grande partie des masters ne sont entrés dans la réforme qu’en 2020 – ils disposaient d’une dérogation –, entraînant un engorgement inédit. « On a dû aligner nos capacités d’accueil du M2 sur nos M1. Mais en droit, l’accès à nombre de concours se fait en M1 : on coupe les ailes aux étudiants, regrette Delphine Tharaud, directrice du master de droit privé général et européen à Limoges, qui ne propose plus que 25 places. On est obligés de dire non à des personnes qui ont des mentions. C’est violent, surtout dans un contexte de Covid déjà difficile. »

Les enseignants ne cachent pas leur sentiment d’impuissance. « Des jeunes viennent nous voir à la sortie des amphis pour nous supplier de les prendre, et nous disent “je n’ai plus d’avenir” », raconte Alexandre Mayol, vice-doyen de la faculté de droit, économie et administration de Metz. Face à ce « grand gâchis », il a décidé de « surbooker » ses masters, tout en sachant que ce ne peut être pérenne. « On n’a pas de solutions. On peut leur proposer de retenter l’an prochain, mais les dossiers s’empilent, abonde Anne Fraïsse. J’ai un étudiant avec 14 de moyenne en psychologie qui est 102e sur liste d’attente, c’est dramatique. »

« Aucune visibilité »

Avec une moyenne de 13/20 à sa licence de droit à Paris-II - Panthéon-Assas, Ana-Maria Kordic, 23 ans, n’aurait jamais pensé se retrouver le bec dans l’eau. Mais après vingt candidatures dans des masters de relations internationales ou de droit, elle n’a récolté que des refus. « La pilule a été dure à avaler. » D’autant qu’elle n’a pas pu bénéficier de l’aide du rectorat. Pour la saisine, il lui fallait ajouter un justificatif de son diplôme dans les quinze jours suivant son dernier refus. « J’ai eu beau harceler ma fac, je ne l’ai pas eu dans les temps. » Ana-Maria Kordic s’est donc inscrite dans une formation complémentaire en relations internationales à Assas (qui ne délivre pas de diplôme national, seulement un « certificat »), et cherche un stage pour améliorer son CV. 

Mais les cabinets préfèrent les étudiants déjà en master ou diplômés de licence professionnelle, plus aguerris à la pratique. « Tout est hors champ pour moi, on ne fait pas grand-chose avec une licence générale », déplore-t-elle. « Pourquoi nous encourager à faire des études pour en arriver là ? », interroge en écho Thaïs Jubin-Huerne, 22 ans, sans inscription après sa licence de droit à Paris-Saclay.

Face au désarroi des étudiants pendant l’été, la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, a annoncé la création de 4 400 places en master. « Cela n’a pas de sens, réagit Anne Fraïsse. Des places de master, cela ne se crée pas comme ça. » A Paul-Valéry, l’ouverture de 300 places en cette rentrée dans les filières déficitaires était organisée de longue date. « On joue le jeu, mais mon université est massivement désencadrée. Avec ce type d’opération, on annonce de l’argent ponctuel, pas de masse salariale permanente qui permet de créer de nouveaux parcours », dénonce la présidente. « Sans titulaires, à même d’encadrer des mémoires, c’est tout simplement impossible », juge Delphine Tharaud, à Limoges. 

Outre l’engorgement démographique, c’est la désynchronisation des procédures d’admission – chaque université ayant son calendrier propre – qui est mise en cause. « Nous n’avons aucune visibilité sur les places vacantes, que ce soit chez nous ou ailleurs. Les étudiants pris au fil de l’eau dans plusieurs vœux, au sein de facs différentes, ne se désinscrivent pas et bloquent ces places », décrit Mme Fraïsse. Si bien que certains responsables de master découvrent leur promotion incomplète le jour de la rentrée. « On fait de l’artisanat : on appelle une à une les personnes qui ne se sont pas présentées, puis celles de la liste complémentaire », raconte M. Mayol.

Marie est de ceux qui ont été contactés sur le tard. L’étudiante de 21 ans, diplômée d’une licence de droit à Bordeaux, avait presque abandonné. Refusée dans une trentaine de masters, puis dans cinq des propositions faites par le rectorat, elle passe l’été très angoissée : des plaques d’eczéma apparaissent sur ses bras, elle perd des cheveux et le sommeil. « J’étais une étudiante moyenne, mais j’ai réussi à manager plusieurs contrats de travail avec mes études, ce n’est pas rien », témoigne celle qui a été auxiliaire de vie, standardiste, agente d’entretien ou de bibliothèque. Pour cette fille d’une femme de ménage, les études représentent « une porte de sortie, pour vivre correctement ». Elle envoie alors des mails à des dizaines de responsables de master. Le 29 septembre, elle reçoit une réponse : une place est libre dans le master de droit public général de Paris-VIII. Elle doit déménager précipitamment. « C’est la pagaille. Heureusement, j’ai de la famille en banlieue parisienne. Mais cela va être compliqué pour rattraper les cours qui ont déjà commencé, faire les démarches du Crous et trouver un job étudiant. »

Colère palpable

La refonte du site Trouver mon master, annoncée par Frédérique Vidal, doit répondre à ce dysfonctionnement dans l’allocation des places. Sur le modèle de Parcoursup, cette nouvelle plate-forme d’harmonisation des procédures et de recensement des places doit être opérationnelle en 2022. Dans les universités, le problème ne serait pas « quantitatif » mais« qualitatif, pour les filières en tension », puisqu’on a « 170 000 places en master pour environ 150 000 diplômés de licence »,insiste la ministre, dans un entretien au Figaro en septembre.

C’est le paradoxe : tandis que des masters débordent, d’autres ne font pas le plein. « Les moyens ne sont pas alloués de manière pertinente, et la masse de déçus grossit », estime Paul Mayaux, de la FAGE. Résultat : la colère est palpable cette rentrée dans les universités. Des mobilisations étudiantes sont organisées sur les campus, comme à Montpellier où elles ont été émaillées de tensions. « Ce qu’on observe, c’est aussi une augmentation du nombre de recours contentieux. On arrive à un point de rupture », souligne Guillaume Gellé, vice-président de la Conférence des présidents d’université.

Selon lui, la solution de moyen terme, partagée par le ministère, est de davantage professionnaliser la licence, aujourd’hui très peu valorisée sur le marché du travail français. « Avec le nombre de diplômés allant en augmentation, on ne pourra pas, à terme, offrir une place en second cycle à tous. Ou bien on se retrouvera avec une surqualification par rapport aux débouchés et donc une dévaluation de notre diplôme de master sur le marché de l’emploi, avertit-il. L’enjeu est donc de permettre de s’insérer directement à la fin de la licence générale, quitte à revenir se former plus tard dans sa vie. »

Pour répondre à la situation dans l’urgence, la Conférence des présidents d’université propose aussi la création d’une année « complémentaire » après la licence, sur le modèle des formations en un an postbac (dites « bac + 1 »). Professionnalisante, elle serait opérée en lien avec le monde du travail, « si possible » en alternance. « Mais cela ne pourra pas se faire à moyens constants », prévient Guillaume Gellé.


Envoyé de mon iPad
Reply all
Reply to author
Forward
0 new messages