Le Monde : Dans le supérieur, la galère des vacataires

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Guy Nicolas

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Apr 29, 2023, 7:26:12 AM4/29/23
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Bonjour !

Ces deux articles dans l’édition du soir datée aux 30 avril et 2 mai :


Dans le supérieur, la galère des vacataires

Ces enseignants ne bénéficient pas de la mensualisation des salaires, devenue obligatoire en septembre

Soazig Le Nevé

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Verser un salaire aux enseignants vacataires chaque fin de mois : c’était l’une des rares dispositions de la loi de programmation de la recherche (LPR) à avoir fait l’unanimité dans la communauté universitaire en 2020. L’euphorie est largement retombée : alors que la mesure est obligatoire depuis la rentrée 2022, peu d’universités sont parvenues à « mensualiser » la rémunération de ces intervenants non permanents qui demeure versée au rythme des semestres et avec des retards pouvant atteindre un an.

La « galère administrative » : tel le quotidien de la dizaine de vacataires interrogés par Le Monde, qui peinent à obtenir leur rémunération. « Entre jeunes chercheurs, on subit une mise en concurrence structurelle : les professeurs nous disent : “Maintiens-toi, donne tes cours, cela pourra t’aider pour être titularisé.” J’y ai cru, relate Simon (les personnes désignées uniquement par leur prénom souhaitent rester anonymes), 35 ans. On se dit qu’il ne faut pas se plaindre car on risque de ne plus avoir d’heures de travaux dirigés et d’être grillé si un jour un poste est ouvert… » Pour toucher son dû, Simon a fini par menacer son établissement d’un recours devant le tribunal administratif.

Depuis six ans, Maxime a dispensé jusqu’à 190 heures annuelles dans un institut d’études politiques du sud de la France. Il touche en parallèle une allocation-chômage, mais ses droits ont été bloqués pendant toute l’année 2022. En cause : son établissement, qui tarde à fournir un certificat demandé par Pôle emploi venant rectifier une erreur de report des mois où Maxime avait enseigné. « Je dois rembourser un trop-perçu de 2 300 euros à Pôle emploi, expose-t-il. Pour l’année 2022-2023, je ne sais toujours pas quand je toucherai un salaire. Normalement, on est payé en avril ou en juillet, mais l’année dernière, j’ai fini par interroger le service des ressources humaines en septembre. Ils avaient tout simplement oublié de me payer. » Sollicité par Le Monde, cet institut d’études politiques n’a pas donné suite.

L’effectif des vacataires (130 000 personnes) est deux fois plus important que celui des enseignants-chercheurs titulaires. Ils exercent sous les statuts d’agent temporaire vacataire ou de chargé d’enseignement vacataire, ce qui recouvre des profils très différents, depuis l’étudiant en thèse jusqu’au professionnel venant partager son expérience.

4 millions d’heures dispensées

Dans une circulaire, le ministère de l’enseignement supérieur encourage l’accélération de la procédure de mise en paiement, sans qu’en résulte de véritable avancée. « Il ne suffit pas d’une ligne dans une loi pour que la mensualisation s’applique, observe Valérie Gibert, présidente de l’Association des directeurs généraux des services, elle-même en poste à l’université de Strasbourg. La LPR n’ayant été suivie d’aucun décret d’application sur ce point, c’est toujours un décret de 1987 qui régit la rémunération des vacataires. »

Ce décret repose sur un principe : la « paie à façon », qui implique qu’un vacataire est payé pour ses heures une fois que celles-ci ont été dispensées et constatées par l’administration de l’université – soit dans un délai incompressible de deux mois, le temps que le service régional des finances publiques se saisisse du dossier et assure la mise en paiement.

« La paie de la fin du mois de mai correspondra aux heures constatées à la fin mars, illustre Marie-Béatrice Celabe, directrice générale des services adjointe à l’université de Bordeaux. Au 15 avril, les écritures de paie sont envoyées à la direction régionale des finances publiques, qui passe en paiement pour le mois suivant. » Ce mécanisme est « difficilement compatible avec la mensualisation de la rémunération », reprend Mme Gibert, qui aspire à proposer des contrats à durée déterminée à ceux qui interviennent de manière récurrente et pluriannuelle, seule façon de leur garantir un salaire mensuel.

Selon le ministère, un vacataire dispense en moyenne une quarantaine d’heures dans l’année, souvent resserrées sur quelques mois, et seuls 20 % enseignent plus de 96 heures par an. « Dans tous les diplômes, les maquettes prévoient l’intervention de plusieurs professionnels (25 % des enseignements dans une licence professionnelle et dans un IUT), qui sont de fait des vacataires, cela explique en grande partie leur nombre important », justifie-t-on dans l’entourage de Sylvie Retailleau, la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche. A l’université de Bordeaux, plus de 90 % des vacataires ont une activité professionnelle principale et une infime minorité est constituée de doctorants pour qui ce revenu, mensuel, est capital, confirme Marie-Béatrice Celabe.

Les présidents d’université doivent « vraiment payer leurs vacataires » en doublant la rémunération horaire – une heure équivaut à 42 euros brut –, soutient un collectif d’une centaine d’enseignants dans une tribune parue dans Le Monde le 4 avril. Sans quoi, préviennent-ils, les enseignants vacataires, titulaires et contractuels sont appelés à pratiquer « la rétention des notes » de leurs étudiants après les partiels. D’après les calculs du collectif, les vacataires effectuent« 4 millions d’heures au total, soit 25 % des heures de cours universitaires ». Une proportion surestimée, juge le ministère, qui l’évalue pour sa part entre 15 % et 20 %.

Depuis des décennies, le tarif horaire est identique, non indexé sur le smic au motif que les vacations ne sont pas considérées comme un revenu principal, ce qu’elles sont pourtant pour une population grandissante d’enseignants précaires. « Ces heures sont clairement mal payées », concède Guillaume Gellé, président de France Universités, association qui rassemble les chefs d’établissement. Pour autant, « les universités, seules, n’ont pas les moyens de gérer la question de la rémunération »qui implique de se pencher plus largement sur une revalorisation des heures complémentaires mais aussi des rémunérations principales, auxiliaires, des contrats doctoraux…, énumère le président de l’université Reims-Champagne-Ardenne. La balle est donc dans le camp du ministère de l’enseignement supérieur, seul à même de rehausser les subventions pour charges de service public attribuées aux 74 universités.

Le vide, entre avril et septembre

Lors de son pot de thèse, Pierre Marty s’est laissé convaincre par une maîtresse de conférences membre du jury de rejoindre l’université de Poitiers, où « un poste d’ATER [attaché temporaire d’enseignement et de recherche] [l’]aurait attendu », relate le jeune homme. Finalement, le poste a été offert à quelqu’un d’autre et le jeune docteur s’est enferré dans un engrenage administratif. « J’ai écrit au service des ressources humaines pour dire qu’il fallait vraiment que je sois payé, car je ne savais pas comment faire pour manger le mois suivant. On m’a parlé du mois de février, puis on ne m’a plus répondu », narre-t-il.

Pierre Marty n’a été rémunéré que fin août pour des heures dispensées au mois de décembre de l’année précédente. « J’avais tout transmis correctement et pourtant, des heures n’avaient pas été prises en compte. Je n’ai jamais eu une excuse, rien », déplore-t-il. L’université de Poitiers a indiqué au Monde qu’elle n’était pas en mesure d’apporter une quelconque information « à la suite de la réorganisation du service des ressources humaines en cours, avec l’arrivée d’une nouvelle directrice ».

Depuis 2016, Massimiliano Nicoli est maître de conférences, sans poste fixe dans sa discipline, la philosophie politique et sociale. « Il n’y a qu’un seul poste ouvert cette année et on devrait être entre 80 et 180 à postuler », explique le chargé de cours au Nouveau Collège d’études politiques des universités de Nanterre et de Paris-VIII. Son emploi principal est ailleurs, à l’Institut catholique de Lille, où il intervient sous le statut d’autoentrepreneur, payé sur factures « dans un délai de quatre semaines ».

Au total, sur une année, l’enseignant cumule jusqu’à 1 000 étudiants, « ce qui donne ponctuellement des milliers de copies à corriger, souligne-t-il. Il y a des moments où je travaille à la chaîne, passant une minute par copie ». Massimiliano Nicoli n’est « pas imposable ou très peu » et, selon les années, il touche la prime d’activité et le RSA pour les trimestres où ses revenus sont plus faibles. « Sur douze mois, je pense être en dessous du smic », estime-t-il.

Systématiquement, la question se pose lorsque l’année universitaire s’achève : comment gagner sa vie entre avril et septembre ? « C’est le moment où j’ai du temps mais pas les revenus pour poursuivre mes recherches », confie le docteur en philosophie politique, qui veut garder l’espoir d’obtenir, un jour, la plus haute qualification universitaire : l’habilitation à diriger des recherches.




Les profs du second degré à l’université réclament reconnaissance

Ces enseignants ne touchent pas les mêmes primes que les universitaires et sont oubliés des revalorisations à venir dans le secondaire

S. L. N.

Certains n’examineront pas les dossiers des candidats sur Parcoursup, d’autres n’assureront pas le suivi des étudiants qui terminent leurs stages professionnels. Beaucoup démissionneront à la rentrée de leurs fonctions administratives. Pour la première fois de leur carrière, ils vont gripper le système, seule façon, disent-ils, de se faire entendre.

Ce coup de force est porté par le Collectif 384 qui rassemble un millier d’enseignants au statut hybride : des professeurs agrégés, certifiés et de lycée professionnel qui enseignent non pas dans le second degré mais à l’université, et assurent 384 heures annuelles de cours, soit deux fois plus que les enseignants-chercheurs. Ces 13 000 « enseignants du secondaire affectés dans le supérieur » (ESAS) sont parfois majoritaires dans certains instituts universitaires de technologie (IUT) et instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé).

L’objet de leur courroux : le régime indemnitaire des personnels enseignants-chercheurs et chercheurs (Ripec), en vigueur depuis le 1er janvier 2022, qui exclut les ESAS de toute gratification. « Jusqu’à présent, nous touchions la même prime que les enseignants-chercheurs, d’un montant de 1 200 euros par an, rappelle Nicolas Domergue, porte-parole du collectif, enseignant à l’IUT du Puy-en-Velay. Nous demandons une égalité de traitement par l’adoption d’un dispositif équivalent. » D’ici à 2027, le Ripec permettra à tous les enseignants-chercheurs de toucher une prime statutaire de 6 400 euros annuels.

Un « entre-deux » ministériel

Toujours avec le Ripec, seuls les enseignants-chercheurs bénéficient d’une indemnité fonctionnelle, liée à l’exercice de responsabilités particulières – des missions que remplissent également les ESAS. « Comme les enseignants-chercheurs, nous exerçons aussi, très souvent, des responsabilités administratives et pédagogiques qui s’ajoutent la plupart du temps à notre service d’enseignement, cadre Sarah Goutagny, directrice adjointe chargée de la formation à l’IUT Jean-Moulin Lyon-III.

Pour le ministère de l’enseignement supérieur, l’explication est simple : les ESAS n’ont « pas de mission de recherche », ce qui les place ipso facto hors du champ du Ripec. Ils touchent une prime qui « a presque doublé en deux ans, passant de 1 259 à 2 308 euros, et sera encore revalorisée pour atteindre plus de 3 200 euros en 2025 », argue-t-on. Soit deux fois moins que ce que toucheront à terme leurs collègues au titre de la seule indemnité statutaire du Ripec.

La comparaison avec les enseignants en lycée et collège n’est pas plus flatteuse car ils sont exclus de la prime d’attractivité et des mesures de revalorisation annoncées le 20 avril par le ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye. Ils sont par ailleurs perdants lorsqu’ils font des heures supplémentaires. « Dans le supérieur, quel que soit le grade, l’heure complémentaire rapporte 42 euros, détaille Philippe Lefebvre, enseignant à l’Ensicaen, une école d’ingénieurs à Caen. Au lycée, si vous êtes professeur agrégé – ce qui est souvent notre cas –, l’heure peut atteindre plus de 60 euros. » Quant au temps de travail, « il est en moyenne supérieur de 10 à 20 heures à celui des professeurs de lycée », calcule Benjamin (qui souhaite rester anonyme), en poste dans un institut d’études politiques après trois ans en lycée.

Cet « entre-deux » ministériel illustre un paradoxe, dit Olivier Le Dantec, professeur de maths à l’Inspé de Nice. « Nous sommes comme des enfants de parents divorcés qui ne veulent pas s’entendre : personne ne veut verser l’allocation », complète Antoine Massé, enseignant à l’IUT de Périgueux, qui note que les profs en classes préparatoires et en BTS, eux, disposent d’un « statut clarifié ».

L’association France Universités, où siègent les présidents d’établissement, a promis de « dresser un comparatif entre la situation des ESAS et celle des enseignants affectés dans le supérieur hors université, c’est-à-dire en prépa et en BTS », précise Guillaume Gellé, président de l’instance.

La question du Ripec a « vraiment blessé la profession », soutient Benjamin. « L’intérêt de notre profil est pourtant réel, car nous connaissons les problématiques des lycéens et nous avons été formés à la pédagogie », ce qui n’est pas le cas des enseignants-chercheurs. « Nos carrières sont un électrocardiogramme plat, ironise Sonia El Khalfi Abusalha, prof d’anglais à la faculté de Staps de Nanterre. On a l’impression d’être mis au ban, comme si, à l’université, l’enseignement n’était pas aussi respectable que la recherche. »

A l’IUT d’Avignon, Céline Bourgeois s’apprête à laisser tourner l’algorithme d’aide à la décision du ministère pour établir le classement des candidatures Parcoursup sur la base des seules notes de 1re et de terminale. « Je n’étudierai pas de dossier comme je le fais les autres années, avec une attention particulière apportée aux profils et aux lettres de motivation », expose-t-elle. Elle a également prévenu sa direction qu’elle mettrait fin, à la rentrée, à ses fonctions de cheffe du département génie biologique, si aucune inflexion n’est apportée par le ministère.


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