Le Monde : Fusions d’universités : succès d’image, doute pédagogique

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Guy Nicolas

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Oct 24, 2022, 8:06:36 AM10/24/22
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Bonjour !

Cette analyse dans Le Monde daté au 25 octobre 2022.

Des souvenirs de lutte me reviennent à l’esprit…

À plus.
Guy


Fusions d’universités : succès d’image, doute pédagogique

Soazig Le Nevé (Service Société)

ANALYSE

Sans le classement de Shanghaï, l’université française n’aurait pas connu tant de réformes ces quinze dernières années. Lorsqu’elle publie son premier palmarès, en août 2003, l’université Jiao Tong de Shanghaï donne naissance à un nouveau marché mondial et entérine l’idée qu’il est normal d’établir une hiérarchie entre des établissements.

Sur quels critères ? Les standards des universités nord-américaines, Harvard en tête, fondés sur le nombre de publications scientifiques, prix Nobel et médailles Fields. Depuis, chaque été, les pays scrutent les performances de leurs leaders. En France, le classement a eu pour effet d’objectiver l’idée, ancienne, que l’université est en retard.

La réponse politique est venue en 2007, avec la loi sur les libertés et responsabilités des universités, qui vise à sortir de « la paralysie de la gouvernance actuelle » et à « rendre la recherche universitaire visible à l’échelle internationale ». Ces deux mots d’ordre, qui incitent aux regroupements entre universités, grandes écoles et organismes de recherche, seront suivis par les gouvernements successifs. Pour être « visible », il faut être gros et compter de multiples chercheurs dans les sciences dures – les seules prises en compte par le classement de Shanghaï.

Jeu de construction institutionnel

En 2018, cette politique touche au but : Shanghai Ranking, le cabinet de consultants qui réalise le classement, accepte de considérer les « établissements publics expérimentaux », nouveau jeu de construction institutionnel adopté en France par des établissements qui se regroupent.

Parmi eux, Paris-Saclay, qui rassemble une université, quatre grandes écoles, sept organismes de recherche, soit 13 % de la recherche française. La promesse va plus loin, avec l’intégration annoncée, pour 2025, des universités de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines et d’Evry. La récompense arrive depuis la Chine : le vaisseau amiral se classe 14e mondial en 2020, 13e en 2021, 16e en 2022.

L’université française a trouvé la martingale pour percer, se félicite le gouvernement. Le 15 août 2022, Sylvie Retailleau, ministre de l’enseignement supérieur, salue dans le classement de Shanghaï « un tournant pour la visibilité internationale des universités ». Avant de quitter Paris-Saclay, qu’elle présidait depuis 2018, elle a pourtant eu soin de modifier la feuille de route : les universités de Versailles et d’Evry ne fusionneront pas dans Paris-Saclay.

La décision, annoncée le 11 octobre, a été réfléchie à la lumière des expériences récentes. La fusion-euphorie a laissé place à la fusion-repoussoir, tant elle porte de lourdeurs. Supprimer les facultés qui font doublon fait grincer des dents chez les universitaires, mutualiser les fonctions supports sur un territoire qui s’étend sur trois départements est intenable.

La commande de l’Etat consistant à grossir pour être visible a abouti à de grandes manœuvres difficiles à gérer. Comme le projet Sorbonne-Paris-Cité, qui visait à reconquérir le label initiatives d’excellence (IDEX) et sa dotation, perdue en 2012, de 800 millions d’euros liés au « programme d’investissements d’avenir » de l’Etat. Les partenaires se sont déchirés, quelques-uns se sont retirés (Sorbonne-Nouvelle, Sorbonne-Paris-Nord, Inalco, Sciences Po) et la fusion s’est faite entre les restants, Paris-Diderot et Paris-Descartes, créant l’Université de Paris, en 2019. « La fusion est tombée d’en haut, purement administrative, elle n’avait jamais été demandée dans les laboratoires », rapporte François Laroussinie, professeur d’informatique.

Missionné par les élus du personnel, le cabinet Addhoc fait état, un an plus tard, chez les agents des services centraux d’une « charge de travail administrative de plus en plus lourde », d’une « aggravation du manque d’effectifs » et, chez les enseignants-chercheurs, de « conditions de travail déjà dégradées que la fusion ne fait qu’aggraver ».

Le besoin de reconnaissance est tel que des présidents d’université peu convaincus se sont sentis obligés de partir en quête de l’IDEX, quitte à fusionner. « On ne pouvait pas être absents de cet appel d’offres, confie l’un d’eux, en 2018, aux sociologues Jérôme Aust, Harold Mazoyer et Christine Musselin, dans la revue Gouvernement et action publique. Parce qu’on considère qu’on a ici des savoir-faire, des personnels, des capacités (…) et que ça aurait été criminel envers notre personnel que de ne pas tenter l’IDEX. »

« Un canard sans tête »

Dans cet élan bureaucratique, le défaut d’adhésion des personnels est passé inaperçu. Les priorités étaient pourtant visibles : en dix ans, les effectifs étudiants ont crû de 20 % tandis que le recrutement d’enseignants-chercheurs titulaires diminuait de près de la moitié et que la dépense moyenne par étudiant baissait de 10 %. « L’excellence, la compétition internationale, plus personne n’y croit, résume Julien Gossa, maître de conférences à l’université de Strasbourg. Tant qu’on ne discutera pas de manière collégiale du rôle de l’université du XXIe siècle, on restera comme un canard sans tête. »

En mars 2019, l’inspection générale de l’éducation nationale et de la recherche a constaté que les universités nouvellement fusionnées bénéficient, grâce à la signature commune des travaux de recherche, d’une « plus grande visibilité (…)particulièrement sensible pour les classements internationaux », même si « l’impact n’est pas aussi marqué sur le nombre de soutenances de thèse ». Les inspecteurs n’ont « pas été en mesure de distinguer un impact significatif de la fusion sur la réussite étudiante ».Comme si les grandes manœuvres et la création de méga-universités ne s’étaient guère attaquées aux vrais et lourds problèmes de l’université française.


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