Le Monde : Au Nicaragua, la « vengeance » d’Ortega contre les universités

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Guy NICOLAS

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Feb 16, 2022, 7:30:27 AM2/16/22
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Bonjour !

Encore et toujours l’imposition du silence dans les rangs, putain de pouvoir…

À plus 
Guy

Dans Le Monde daté du 17 février 2022

Au Nicaragua, la « vengeance » d’Ortega contre les universités

Symbole de la révolte étudiante, Lesther Aleman arrive à l’aéroport international de Managua, le 7 octobre 2019. OSWALDO RIVAS/REUTERS

Angeline Montoya

Le régime a décidé de fermer douze établissements éducatifs privés, dont certains étaient des bastions des grandes manifestations de 2018

Je dois reprendre mes études à zéro. Mes quatre années de fac ont été effacées, tout est perdu. » Dilon Antonio Zeledon Ramos a payé très cher sa participation aux manifestations contre le régime de Daniel Ortega, en 2018. Expulsé de l’Université nationale autonome du Nicaragua (UNAN), arrêté quelques mois plus tard, torturé, le jeune homme de 23 ans s’est exilé au Costa Rica en décembre 2021, d’où il observe avec désolation la répression qui s’abat désormais sur les universités privées de son pays. Car, après les opposants politiques, les organismes de défense des droits humains, les journalistes indépendants, les médecins ayant alerté sur la dangerosité du Covid-19 et les grands patrons, c’est aux établissements éducatifs privés, dont certains ont été à la pointe de la révolte populaire de 2018, que s’en prend le régime de Daniel Ortega.

Les 2 et 3 février, l’Assemblée nationale, contrôlée par le pouvoir, a supprimé l’autorisation de fonctionner de douze de ces établissements. Deux autres avaient déjà subi le même sort en décembre 2021. Les bâtiments sont occupés par le Conseil national des universités (CNU), l’organisme recteur de l’éducation supérieure. Lundi 7 février, les parlementaires ont nationalisé six de ces établissements en votant leur fusion au sein de trois nouvelles universités publiques. Au total, le régime a retiré le statut légal d’environ 90 organisations de la société civile.

Selon les autorités, ces décisions ont été prises parce que les universités ont failli à leur devoir de rendre à temps leurs bilans financiers ou la déclaration de l’origine étrangère de leurs fonds. Des accusations réfutées par leurs responsables, qui assurent avoir respecté toutes les exigences administratives.

« Il s’agit d’une confiscation pure et simple, qui ne respecte pas les statuts des universités, s’indigne Ernesto Medina, ancien recteur de l’UNAN (1994-2006) et ancien président du CNU (1994-1996). Ceux-ci établissent les procédures à suivre en cas de fermeture et de liquidation du patrimoine, et cela m’étonnerait qu’il y soit établi que tout est offert à l’Etat. »

Le Nicaragua comptait jusqu’ici une cinquantaine d’universités privées. Si la plus ancienne, l’Université centraméricaine (UCA), a été créée par les jésuites en 1960, la plupart dataient des années 1990. Selon un calcul du journal El Confidencial,18 000 étudiants seraient affectés par les décisions du gouvernement et se trouveraient dans des limbes administratifs, sans savoir ce qui adviendra de cette année universitaire qui commence.

Ernesto Medina regrette une décision « illégale, arbitraire, qui viole le principe d’autonomie des universités garanti par la Constitution et qui ramène le pays à l’époque la plus obscure de la dictature des Somoza [1936-1979] », que le propre Daniel Ortega, alors guérillero du Front sandiniste de libération nationale (FSLN), avait contribué à renverser en 1979. La trentaine d’universités privées restantes ont tout intérêt à ne pas faire de vagues si elles veulent garder leur autorisation de fonctionner.

« J’ai été torturé »

L’une de celles qui ont été fermées le 2 février est l’Université polytechnique du Nicaragua (Upoli), que ses étudiants avaient convertie en un des bastions des manifestations de 2018. Daniel Ortega ne le leur a pas pardonné. « Le gouvernement veut limiter la liberté académique et faire taire toute pensée critique, ce qu’il avait déjà fait en 2018 avec l’expulsion de 144 étudiants de l’UNAN », accuse Andrés Marenco, porte-parole de la Coordination universitaire pour la démocratie et la justice.

Yaritzha Mairena, alors étudiante en cinquième année de sciences politiques et relations internationales à l’UNAN, se souvient de ces jours troubles de 2018 : les premières protestations en avril, l’occupation du campus pendant trois mois, l’assaut brutal des forces paramilitaire à la solde du régime, et la mort de deux jeunes hommes. Au total, la sanglante répression a fait 355 morts dans le pays, dont beaucoup d’étudiants, selon la Commission interaméricaine des droits humains, qui a qualifié ces actes de « crimes contre l’humanité ».

« Lors d’une autre manifestation en août 2018, j’ai été enlevée par des paramilitaires et enfermée pendant sept mois, raconte au téléphone la jeune femme de 28 ans. C’est en prison que j’ai appris que j’avais été expulsée de l’université pour “faute grave”. J’ai été mise en examen pour “terrorisme”, mais finalement libérée à la faveur d’une amnistie en mars 2019. »

Dilon Antonio Zeledon Ramos était en quatrième année d’études comptables à l’UNAN de Matagalpa (130 kilomètres au nord de Managua) quand il a été arrêté, lui aussi pour avoir pris part aux protestations. « J’ai été torturé pendant ma détention au centre municipal du FSLN, raconte-t-il au téléphone. On m’a cassé le nez et la pommette gauche. J’ai ensuite été envoyé au commissariat, et là j’ai été frappé avec la crosse d’un fusil à l’oreille droite, qui m’a fait perdre l’ouïe. Après ça, j’ai été transféré à El Chipote », une prison de sinistre réputation, ancien centre de torture des Somoza. Il y a passé dix mois. A sa libération, en mai 2019, lui aussi après l’amnistie, il est allé témoigner en Suisse devant l’ONU des crimes perpétrés par le régime d’Ortega.

Yaritzha et Dilon ont l’interdiction de s’approcher du campus de l’UNAN. Leurs dossiers universitaires leur sont inaccessibles. Même leurs parents n’ont pu les récupérer. Les notes qu’ils ont obtenues aux examens ont été effacées.

« Après mon expulsion de l’UNAN, raconte la jeune femme, la seule université à avoir accepté de me reprendre et de valider mes notes était l’université privée Paulo-Freire » : une de celles qui ont été fermées par le pouvoir le 2 février. Ernesto Medina y voit une « vengeance politique » contre son recteur, Adrian Meza, qui s’est frontalement opposé au régime depuis 2018.

Alerté qu’un ordre de détention pesait contre lui, M. Meza s’est exilé au Costa Rica aux premiers jours de février. Il y a retrouvé Yaritzha, qui y avait fui en août 2021, et Dilon, en novembre. Tous sont venus grossir les rangs des quelque 108 000 Nicaraguayens ayant quitté leur pays depuis 2018. Ernesto Medina, lui, est parti en Allemagne. Au Costa Rica, faute de pouvoir faire reconnaître leur cursus, Yaritzha et Dilon ont été contraints de s’inscrire en première année de faculté.

« Seul lieu d’expression pluraliste »

« Depuis la répression de 2018 et le contrôle total de l’UNAN, les universités privées étaient le seul lieu d’expression pluraliste, souligne Yaritzha. Ortega veut contrôler le mouvement étudiant car il sait que c’est la jeunesse qui est à l’avant-garde des rébellions et impulse les processus de changement. »

Symbole de la révolte étudiante, Lesther Aleman s’était fait connaître en mai 2018, lors d’une tentative de dialogue organisée par l’Eglise catholique. « Nous ne pouvons pas dialoguer avec un meurtrier », avait alors clamé le jeune homme de 20 ans, fixant un Daniel Ortega impassible et exigeant sa démission.

Lesther fait partie d’un groupe de 46 opposants, dont sept précandidats présidentiels, arrêtés à la mi-2021 lors d’une nouvelle vague répressive quelques mois avant les élections de novembre qui ont permis à M. Ortega d’être élu pour un quatrième mandat d’affilée. Au cours des deux dernières semaines, dix-huit d’entre eux ont été déclarés coupables par la justice. Lesther Aleman a été condamné à treize ans de prison pour « conspiration » le 10 février.

Yaritzha a demandé l’asile politique au Costa Rica : « Je suis partie du Nicaragua en pensant que ce serait pour quelques semaines, déclare-t-elle en soupirant. Cela fait six mois. » Daniel Ortega, lui, doit rester au pouvoir jusqu’en 2027. Au moins.


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