À nouveau, le foulard!

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Musulmans du Québec

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Mar 13, 2008, 11:22:07 PM3/13/08
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La Presse
Forum, lundi, 10 mars 2008, p. A19

Planète

À nouveau, le foulard!
Entre radicalisme et tolérance, le débat sur le foulard s'est transposé à l'université en Turquie

Wieviorka, Michel

Cette fois-ci, c'est en Turquie que vient d'être relancé le thème du "foulard", avec le changement constitutionnel approuvé par le Parlement le 9 février dernier: désormais, les jeunes filles pourront porter le voile à l'Université et ce ne pourra plus être un motif d'exclusion.

La mesure, demandée par le premier ministre Erdogan et portée par son parti, aligne la Turquie sur la plupart des démocraties occidentales, où le port du foulard à l'université est autorisé. Mais elle a suscité l'indignation dans le camp laïque, des manifestations massives dans la rue, et le Conseil constitutionnel, saisi par l'opposition, pourrait fort bien trancher en sa faveur.

Ainsi, au Québec, en France, en Turquie, et dans quelques autres démocraties occidentales, le "foulard" continue de déchaîner les passions. Et apparemment, c'est d'un conflit identique qu'il s'agit à chaque fois, celui d'une modernité identifiée à la laïcité (un mot que les Turcs ont directement emprunté aux Français), et donc désireuse de confiner la religion dans la vie privée, en opposition à toute intrusion du religieux dans l'espace public.

Dans ses variantes les plus radicales, le conflit revêt l'allure d'un choc de valeurs, mettant aux prises les valeurs universelles du droit et de la raison et les traditions, les émotions, les convictions liées à une foi.

Mais considérons les jeunes filles voilées, et le sens qu'elles mettent à porter le "foulard". Dans certains cas, on l'a vu en France, elles sont subordonnées à des "barbus", des maris et autres "grands frères" qui exercent sur elles une forte pression, morale et à la limite physique, et qui marquent leur domination sur elles de cette manière, quitte à en faire un instrument d'une action elle-même inscrite dans un combat métapolitique entre l'islam et l'occident. Alors, le port du foulard est une injure à la démocratie, aux droits de l'homme (et de la femme), une mise en cause inacceptable des valeurs universelles.

Une décision personnelle

Mais dans d'autres cas, le port du foulard est plutôt un choix, une décision personnelle de la jeune fille, et cette décision peut signifier pour elle non pas qu'elle s'enferme dans sa tradition ou sa foi, mais qu'elle la conjugue avec le souci d'être moderne, comme dit le titre du beau livre de Nilüfer Göle traitant de jeunes femmes turques, Musulmanes et modernes (éd. La Découverte, 1993).

Dans cette perspective, la jeune fille qui désire aller voilée à l'université veut accéder au savoir, à la connaissance, elle ne demande pas des cours séparés pour les femmes, elle ne demande pas que les programmes des enseignements soient soumis à des interdits ou des impératifs religieux, elle veut apprendre, tout en s'habillant d'une façon conforme à sa foi.

Alors, le port du foulard, même s'il peut sembler étrange, ou inquiétant, doit être accepté, car il signifie non pas l'engagement des jeunes filles dans une lutte anti-moderne, mais au contraire leur participation à la modernité - une modernité faite de tensions entre les valeurs universelles et les particularismes religieux ou culturels.

De ce point de vue, l'expérience turque actuelle est particulièrement intéressante. Car elle peut évoluer dans deux directions opposées. La première, catastrophique, serait celle de la radicalisation des deux camps, obligeant chacun à choisir, entre un islamisme se durcissant et le kémalisme, équivalent turc de ce que les Français appellent le "républicanisme", version pervertie, outrée, sans nuances, de l'idéal républicain.

La seconde est la voie de la démocratie et de la tolérance, qui articule le droit et la raison, et le respect des convictions. Jusqu'ici, le parti d'Erdogan a choisi cette voie, évitant de s'opposer de front aux laïcs et plus particulièrement aux militaires, eux-mêmes prudents. Il faut espérer que les uns et les autres continueront de savoir éviter un affrontement brutal.

L'auteur est directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales, à Paris.

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