Il n'y aura pas d'accommodement raisonnable pour la communauté juive hassidique de Val-Morin: la Cour d'appel a donné raison à la municipalité mercredi en décrétant que la liberté de religion des juifs n'est pas brimée par l'application d'un règlement municipal. Une cause qui pourrait faire jurisprudence.
Les juifs hassidiques de la communauté Belz et leurs rabbins sont rabroués par la Cour d'appel: la liberté de religion ne prime pas sur le droit de la municipalité de Val-Morin de faire respecter son règlement de zonage qui circonscrit les lieux de culte, a tranché mercredi le juge Jacques Dufresne.
L'avocat de la Congregation of the Followers of the Rabbis of Belz to Strengthen Torah, Julius Grey, a annoncé, sitôt le jugement déposé, avoir obtenu le mandat de ses clients de porter la cause devant la Cour suprême. Dans l'intervalle, il demandera à la Cour d'appel de suspendre le jugement qui condamne à la fermeture une école et une synagogue que la congrégation exploite - illégalement - à Val-Morin l'été.
Du côté de l'administration municipale, le directeur général Pierre Delage a indiqué être «très satisfait» du jugement mais déçu de voir qu'il en a coûté plus de 125 000 $ à la municipalité pour faire valoir ses droits. «Il reste que c'est une décision très importante pour toutes les municipalités aux prises avec des communautés religieuses qui voudraient imposer [leur loi] en dehors des usages prévus.»
La source du conflit entre Val-Morin et cette congrégation remonte à 1982, lorsque les juifs hassidiques avaient acheté un premier chalet dans la municipalité. Celui-ci a rapidement été transformé en lieu de culte, ce qui est contraire au règlement de zonage du secteur, toujours en vigueur.
La Ville a émis un premier constat d'infraction à ce moment, rappelant à la congrégation que le chalet était situé dans un quartier strictement résidentiel. Le même scénario s'est répété en 1986 lors de l'achat d'un deuxième chalet, qui devait servir d'école.
Pendant 20 ans, Val-Morin a tenté sans succès de faire respecter son règlement de zonage, qui prévoit par ailleurs la possibilité d'ériger des lieux de culte et des écoles dans plusieurs autres secteurs de la municipalité. La congrégation possède même un terrain vacant de 4,3 acres (186 000 pieds carrés) dans une de ces zones.
L'été, ce terrain sert de camp confessionnel pour les enfants, et le juge Benoît Émery avait constaté dans le jugement de première instance, en Cour supérieure, que «rien n'empêche la congrégation d'y ériger une synagogue ou une école religieuse».
En 2002, poussée par des citoyens qui se plaignaient de l'achalandage créé autour de l'école et de la synagogue, la municipalité de Val-Morin a tenté d'amorcer une médiation pour trouver un protocole d'entente en vue du déplacement des activités de la congrégation. Sans succès. Le dossier a alors été judiciarisé.
Pas d'entrave
Devant la Cour d'appel, les arguments de la congrégation ont été démontés un après l'autre. «Le droit à la liberté de religion des membres de la congrégation n'est ni nié, ni ignoré, ni compromis par le règlement de zonage», affirme le juge Dufresne. À plusieurs reprises, le magistrat mentionne que le règlement de zonage n'entrave la profession d'aucune religion à Val-Morin puisqu'il prévoit plusieurs zones où l'érection de lieux de culte et d'enseignement est autorisée.
Il ne suffit pas d'invoquer la liberté de religion pour écarter l'application d'un règlement municipal valide, écrit-il. «Le droit à la liberté de religion n'est pas absolu», même s'il faut donner une «interprétation large du droit à la liberté de religion». Mais un droit, si fondamental soit-il, doit parfois «céder le pas aux droits d'autrui». En matière de «réglementation municipale, le zonage est édicté au profit de tous», et «l'usage illégal par l'un s'exerce généralement au détriment du droit des autres».
Le juge Dufresne relève qu'il «est vrai que le zonage impose une certaine entrave à la liberté de religion» de l'appelante, mais «cette entrave est certainement négligeable».
L'attitude générale des membres de la communauté juive hassidique Belz est aussi critiquée par le juge. Il écrit que la congrégation «s'est sciemment placée en situation de contravention à la réglementation» et qu'elle n'a jamais demandé à ce qu'il soit modifié.
Elle a de plus utilisé des «faux-fuyants» et fait de «fausses déclarations [...] pour laisser croire que les deux chalets servaient de lieux d'habitation». Conclusion: «La conduite de la congrégation [a été] empreinte de mauvaise foi.» Elle a notamment affirmé ne pas avoir les moyens financiers de construire une nouvelle synagogue alors qu'elle possède des bâtiments à Outremont. L'avocat Julius Grey entend maintenant demander à la Cour suprême si le «fait de ne pas avoir été franc à 100 % dans le passé doit avoir une incidence sur la liberté de religion».
Outremont?
Ce jugement pourrait avoir un impact à Outremont, croit Pierre Lacerte, qui milite depuis plusieurs années pour dénoncer le laxisme des autorités à faire respecter la réglementation municipale dont les juifs hassidiques ne tiennent pas compte. «Nous avons essentiellement la même cause», relève M. Lacerte, qui affirme vivre près d'une synagogue illégale. «Le jugement nous donne un argument de poids. Mais est-ce que ce sera suffisant pour convaincre les élus de réagir? Je ne suis pas sûr qu'ils veulent vraiment régler ce problème.»