En lisant Le cerveau planétaire de Clément Vidal

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Yann Leroux

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Sep 8, 2008, 7:20:26 AM9/8/08
to Mondes Numériques
Que quelqu'un dise "J'ai eu une panne de disque dur" ou "je n'ai plus
de réseau" et l'on comprend immédiatement que la personne a eu
quelques difficultés avec sa mémoire ou que ses capacités de
communication sont limités de façon transitoire ou durable Autrement
dit, le disque dur est comme le cerveau une unité de stockage de
l'information et ne plus avoir de réseau vous rend aussi sensible
qu'un caillou : vous ne captez plus rien.

Il y a là un transport de sens du disque dur au cerveau et du réseau à
l'intelligence basé sur un rapport de de similarité. Ce n'est pas
véritablement quelque chose de nouveau :

"Par l'électricité, le monde des choses est devenu un grand nerf,
vibrant sans fin sur des milliers de miles.... Le globe est un
énorme ... cerveau, un instinct intelligent" s'écrie Nathaniel
Hawthorne en 1851.

Voilà donc une magie nouvelle de l'électricité : elle n' embrase pas
seulement les lampes, elle ne transporte pas seulement les messages
sur les fils télégraphiques, elle apporte la lumière au monde. Tout,
grâce à elle, s' éclaire et devient intelligent.

C'est bien entendu un rêve et de la même façon que Nathaniel Hawthorne
chante les louanges de la fée électricité, Gaston Bachelard s'est
enthousiasmé pour la "radiosphère". Dans le champ littéraire, des
auteurs de science-fiction décrivaient des planètes dont l'écosystème
dans son entier se comportait comme un être conscient. Ainsi en est il
de la planète Arrakis dont les vers, l'épice, les freemens et les
tempêtes de sables sont étroitement imbriqués. Ou encore de Gaia...
Plus près de nous, l'esprit de ruche sert de modèle à la fois au
roboticiens et aux observateurs du réseau pour s'approcher ici de
comportement intelligents, ici des robots, là des internautes

Mais c'est un rêve tentant. Pourquoi ne pas se laisser à y croire ?
Pourquoi ne pas se laisser aller à cet imaginaire du débordement ?
pourquoi ne pas penser que la vie excède la matière et que
l'intelligence excède le vivant ? Ne peut on pas rapprocher le réseau
de quelque chose de vivant ? N'avons nous pas là, sous les yeux,
l'exemple d'une évolution qui va de l'inanimé à l'animé, du simple
vers le complexe, du non conscient vers le conscient. Ce sont ces
questions que Clément Vidal explore dans "Le cerveau planétaire".

L'internet, ou plus exactement le web en serait un exemple frappant de
cette évolution. Le langage HTML a été conçu par Tim Berners Lee pour
doter les chercheurs du CERN d'un bon outil documentaire. A son
arrivée au CERN, pour chaque machine, l'utilisateur devait apprendre
des commandes spécifique à chaque système d'exploitation et à chaque
logiciel. Le HTML va mettre fin, pour un temps au moins, a la
babelisation qui régnait alors et qui rendait difficile, voire
impossible, la communication entre les machines et entre les hommes.

Clément Vidal a raison de rappeler que c'est une discussion entre Tim
Berners Lee et son père qui est une des sources du HTML. L'autre est
le souvenir de la machine à écrire de sa mère : c'est sur un
ordinateur "portable... aussi lourd qu'une machine à coudre" [1] Tim
Berners Lee jette les premières coutures d'un logiciel hypertexte. On
pourrait dire que le code est paternel et le web maternel. Le web va
s'échapper des machines du CERN, coloniser les machines des
universités, vaincre des rivaux comme Gopher ou Wais, conquérir les
machines grand public. Puis il mute pour devenir ce que nous appelons
le Web 2.0 en offrant grace des services divers, une facilité de
publication jamais atteinte.

Clément Vidal donne dans un premier temps une historique de l'analogie
en général puis une historique du cerveau planétaire. Il reprend de
Heylinghen les trois type d'analogie qui sont généralement utilisées.
La première est organique : elle considère que le réseau fonctionne
comme un être vivant ; la seconde est encyclopédique : le réseau est
le livre de tous les livres, la bibliothèque de toutes les
bibliothèques. C'est sur elle que les FAI basent leur campagnes
publicitaires sans doute du fait des résonances religieuses que le
livre a dans notre culture. La troisième est se base sur la notion
d'émergence et plus exactement sur les travaux de Pierre Teilhard de
Cardin : de la complexité émerge la conscience. Il envisage ensuite
les deux aspects de l'analogie : de l'internet comme un cerveau, et du
cerveau comme de l'internet pour en venir à l'examen de la métaphore
sous l'angle des coûts et des bénéfices. Finalement, ces métaphores
sont elles seulement des rapprochements rapides, ou font elles
apparaitre des rapports ou des phénomènes difficile perceptibles par
ailleurs ?


C'est sur cette partie avec laquelle je suis le moins d'accord. Je
trouve que la part faite aux avantages est bien trop grande, et que
les difficultés posées par l'Internet sont rapidement écartées. Le web
sémantique se fait plus qu'attendre, quoi ce que soit ce que l'on peut
mettre sous cette étiquette, et les preuves d'une intelligence
collective sont également rares.

Cela permet de présenter quelques points à la discussion

* Je me suis posé, en lisant le texte, la question des rapports entre
l'analogie et la métaphore. Comment, par rapport à l'objet du texte,
est ce que cela fonctionne ? Faut il prendre les deux mots comme
synonymes ? Ou faut il les différencier ?

* Dans mon cadre de référence, les trois métaphores : l'internet
comme organisme vivant, l'internet comme encyclopédie et l'internet
comme intelligence émergente correspondent à des phénomènes que l'on
observe dans la psychologie des groupes : le groupe comme image du
corps, comme contenant et comme processus. Cela ne veut pas dire que
l'on ait avec Internet un Mega groupe de plusieurs millions
d'individus, mais que pour penser (et sans doute aussi pour vivre
dans) cette multitude nous nous appareillons avec des fantasmes et des
processus qui sont typiques de la vie des groupes. On retrouve ces
aspects dans Le cerveau planétaire lorsque Clément Vidal aborde :
quels sont les avantages et les inconvénients de la collectivité du
point de vue de l'individu et du groupe :

* Pour ce qui est des avantages, ils seraient contenus dans le web
sémantique qui est encore a venir. Le web 2 en est peut-être une
préfiguration. Je me suis demandé s'il n'aurait pas mieux valu partir
de là plutot que du web de Heylighen et Bollen qui date de 1996

* Sur la question de l'intelligence collective, je ne connaissais pas
le concept de stigmergie. Il me semblait que le concept clé était ici
celui de rétroaction positive ou négative. J'ai été tré intéressé par
la remarque sur l'asynchronie et la trace. Mais, contrairement aux
insectes sociaux qui modifient les traces laissées par d'autres - en
renforçant une piste de phéromone qui mène a de la nourriture par
exemple - nous modifions nos propres traces et nous pouvons choisir de
ne pas laisser de traces

* La question de l'intelligence collective - le concept clé ne me
semble pas être celui de stigmergie mais de rétroaction positive ou
négative. pointe l'importance de la trace dans le phénomène de
l'intelligence collective et donc de l'asynchronie. Mais sur le web,
nous modifions nos propres traces/textes alors que les insectes
sociaux ne modifient pas les traces laissées par les autres

* Je pense qu'il est sage de faire le deuil de voir ceux que l'on
appellait un temps les Pays les Moins Avancés de profiter du faible
cout de l'infrastructure Internet pour mettre en place des lieux de
diffusion du savoir, bibliothèques en ligne, elearning etc.Pour deux
raisons; La première est que les états n'ont jamais bien compris
l'Internet et que celui ci a toujours été développé par les usagers,
des pionniers de Plato aux foules du Web 2.0. La seconde est que ces
états sont le plus souvent organisés sur la non-circulation de la
culture soit qu'ils soient pris par des impératifs jugés autrement
plus importants, soit parce qu'ils sont délibérément occupé à une
politique de destruction culturelle.

* Pour ce qu est des dangers, le passage sur ce que les anglo saxons
appellent privacy m'a semblé rapide. Les exemples de refus de prise en
charge de soins par les société d'assurance se multiplient au USA. Les
compagnies d'assurance prennent alors appui sur le fait que les écrits
laissés par leur client sur web montre bien que l'origine du trouble
dépasse largement ce pour pour quoi elles sont amnenées a effectuer de
paiements

Sans que cela en minimise les dangers, le danger de perte de controle
de l'Internet et les dangers liés a la privacy me semblent
correspondre au fantasme du Golem et au fantasme de perde d'identité



[1] Cette "sewing machine" est a rapprocher de ce que dit Shelley
Jackson de Stitch Bitch qui est précisément une métaphore de
l'écriture hypertextuelle : « Je l’ai faite en écrivant tard dans la
nuit à la lumière d’une bougie, jusqu'à ce que les minuscules lettres
noires se transforment en points, et que je commence à sentir que
j’étais en train de coudre une belle couette ».





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