Fwd: Ukraine, journalisme corrompu et foi atlantiste, par Karel van Wolferen

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thibaut

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Sep 20, 2014, 11:51:29 AM9/20/14
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De : Thibaut Donck <thibau...@skynet.be>
Objet : Ukraine, journalisme corrompu et foi atlantiste, par Karel van Wolferen
Date : 19 septembre 2014 14:40:50 UTC+02:00

Karel van Wolferen est un journaliste NĂ©erlandais et un professeur Ă©mĂ©rite de l’UniversitĂ© d’Amsterdam.  Depuis 1969, il a publiĂ© plus de vingt livres sur les politiques publiques, qui ont Ă©tĂ© traduits en onze langues et vendus Ă  plus d’un million d’exemplaires dans le monde. En tant que correspondant Ă©tranger pour NRC Handelsblad, l’un des journaux-phares de la Hollande, il a reçu la plus haute rĂ©compense nĂ©erlandaise pour le journalisme, et au cours des annĂ©es, ses articles ont Ă©tĂ© publiĂ©s dans le New York Times, le Washington Post, The New Republic, The National Interest, Le Monde, et de nombreux autres journaux et magazines.

Source : Karel van Wolferen, Unz.com, 14 aout 2014

L’Union EuropĂ©enne n’est plus guidĂ©e par des politiques dotĂ©s d’une solide comprĂ©hension de l’ histoire, d’une sobre capacitĂ© d’évaluation de la rĂ©alitĂ© du monde, ou d’un simple bon sens joints Ă  l’intĂ©rĂȘt Ă  long terme de ceux qu’ils dirigent. S’il nous en fallait encore la preuve, elle aura certainement Ă©tĂ© donnĂ©e par les sanctions dĂ©cidĂ©es, la semaine derniĂšre, pour « punir » la Russie.

Une bonne maniĂšre de comprendre les raisons de leur stupiditĂ© est de commencer par les mĂ©dias puisque quelle que soit leur comprĂ©hension du problĂšme, quel que soit leur intĂ©rĂȘt personnel, ces politiques doivent ĂȘtre perçus comme prenant la bonne dĂ©cision. C’est le travail des journaux et des tĂ©lĂ©visions.

Dans la majeure partie de l’Union EuropĂ©enne, la comprĂ©hension gĂ©nĂ©rale de la rĂ©alitĂ© mondiale, depuis l’affreux destin des passagers de la Malaysian Airline, provient des journaux et des tĂ©lĂ©visions grand public, lesquels se sont alignĂ©s sur l’approche des mĂ©dias « mainstream » anglo-amĂ©ricains, et ont prĂ©sentĂ© des « informations » oĂč les insinuations et les calomnies prennent la place de vrais reportages. Des publications respectĂ©es comme le Financial Times ou le jadis respectĂ© journal nĂ©erlandais NRC Handelsblad, pour lequel j’ai travaillĂ© seize ans en tant que correspondant de l’Asie de l’Est, n’ont pas seulement participĂ© Ă  cette corruption du journalisme, mais ont aidĂ© Ă  le pousser Ă  un stade dĂ©lirant. « L’expertise » et les Ă©ditoriaux qu’a produits ce terreau sont allĂ©s plus loin que tout ce que je peux me rappeler d’exemples d’hystĂ©rie mĂ©diatique entretenue Ă  des fins politiques. L’exemple le plus flagrant nous vient d’un chef de file des anti-Poutine, dans l’édition du 26 juillet de l’Economist Magazine. Son ton est celui d’Henri V haranguant ses troupes avant la bataille d’Azincourt dans la piĂšce de Shakespeare.

Ce qu’il faut garder prĂ©sent Ă  l’esprit, c’est qu’à l’échelle europĂ©enne, il n’y a aucune publication, aucun journal qui soutienne un espace public europĂ©en et fournisse aux EuropĂ©ens intĂ©ressĂ©s par la politique un moyen de rĂ©flĂ©chir et discuter entre eux des grands Ă©vĂ©nements internationaux

Parce que ceux qui s’ intĂ©ressent Ă  l’actualitĂ© mondiale lisent habituellement l’édition internationale du New York Times ou du Financial Times, questions et rĂ©ponses Ă  propos des dĂ©veloppements gĂ©opolitiques sont formatĂ©es de façon routiniĂšre ou fortement influencĂ©es par ce que les Ă©diteurs Ă  New York et Ă  Londres auront considĂ©rĂ© comme important.

La pensĂ©e qui pourrait significativement en dĂ©vier, comme actuellement dans le Spiegel, le Frankfurter Allgemeine Zeitung, le Zeit et l’ Handelsblatt, reste confinĂ©e Ă  l’intĂ©rieur des frontiĂšres allemandes. Par consĂ©quent, nous ne voyons se dessiner aucune opinion europĂ©enne sur les Ă©vĂšnement mondiaux, mĂȘme quand ceux-ci ont un impact direct sur les intĂ©rĂȘts de l’Union EuropĂ©enne elle-mĂȘme.

La complaisance gĂ©nĂ©rale qu’entretient le peuple nĂ©erlandais pour les Ă©vĂ©nements mondiaux susceptibles de l’affecter a brutalement pris fin lorsque 193 de ses compatriotes (ainsi que de 105 personnes d’autres nationalitĂ©s) ont pĂ©ri dans le crash de la Malaysian Airlines, et ses mĂ©dias se sont empressĂ©s de suivre les accusations amĂ©ricaines qui dĂ©signaient Moscou. Les explications qui ne mettaient pas en cause d’une façon ou d’une autre la culpabilitĂ© du prĂ©sident russe Ă©taient hors-jeu.

Un empressement aux antipodes des propos trĂšs sobres tenus par le Premier Ministre nĂ©erlandais, qui bien que subissant une pression Ă©norme l’incitant Ă  se joindre aux accusateurs, insistait pour qu’on attende les rĂ©sultats de l’enquĂȘte.

Les journaux tĂ©lĂ©visĂ©s que j’ai regardĂ©s les jours suivants avaient invitĂ©, entre autres commentateurs anti-russes, des prĂ©sentateurs tĂ©lĂ© liĂ©s aux nĂ©oconservateurs amĂ©ricains, pour prĂ©senter l’information Ă  un public dĂ©concertĂ© et vraiment bouleversĂ©.

Un spĂ©cialiste nĂ©erlandais de politique Ă©trangĂšre a expliquĂ© que le ministre des Affaires Ă©trangĂšres ou son reprĂ©sentant n’avait pu rejoindre le site du crash (comme avaient pu le faire les officiels malaisiens) pour rĂ©cupĂ©rer les restes des citoyens nĂ©erlandais, parce que cela aurait signifiĂ© la reconnaissance implicite d’un statut diplomatique pour les « sĂ©paratistes ». Quand l’Union EuropĂ©enne reconnaĂźt en bloc un rĂ©gime nĂ© d’un coup d’Etat fomentĂ© par les AmĂ©ricains, diplomatiquement elle est coincĂ©e.

Les habitants et les combattants anti-Kiev sur le site du crash ont Ă©tĂ© dĂ©peints, images de Youtube Ă  l’appui, comme des criminels non coopĂ©ratifs, ce qui aux yeux de nombreux spectateurs Ă©tait la confirmation de leur culpabilitĂ©. Cela a changĂ© plus tard, lorsque des reportages de vrais journalistes ont montrĂ© des villageois profondĂ©ment choquĂ©s et Ă©mus, mais cette contradiction n’a pas Ă©tĂ© expliquĂ©e, et les suppositions infĂąmantes prĂ©cĂ©dentes n’ont pas laissĂ© place Ă  une analyse objective des raisons de leur combat.

Les tweets tendancieux et les « informations » de Youtube Ă©taient devenus le socle de l’indignation officielle nĂ©erlandaise envers les Ukrainiens de l’est, et de lĂ  est nĂ© le sentiment gĂ©nĂ©ral que quelque chose devait ĂȘtre fait. Mission accomplie, toujours selon le sentiment gĂ©nĂ©ral, grĂące Ă  une grande cĂ©rĂ©monie nationale tĂ©lĂ©visĂ©e de rĂ©ception des restes humains nĂ©erlandais (rĂ©cupĂ©rĂ©s par l’entremise d’une mĂ©diation malaisienne).

Rien de ce que j’ai vu ou lu n’a jamais laissĂ© entendre que la crise en Ukraine – qui a conduit au coup d’Etat et Ă  la guerre civile – avait Ă©tĂ© créée par les nĂ©o-conservateurs et quelques fanatiques “R2P” (« responsabilitĂ© de protĂ©ger ») du DĂ©partement d’Etat et de la Maison-Blanche, auxquels le prĂ©sident Obama avait apparemment laissĂ© les mains libres. Les mĂ©dias nĂ©erlandais semblaient Ă©galement ignorer que la catastrophe avait immĂ©diatement Ă©tĂ© transformĂ©e en un sujet de disputes politiques prolongĂ©es pour les besoins de la Maison-Blanche et du DĂ©partement d’Etat. Ne fut pas Ă©voquĂ©e non plus la possibilitĂ© que Poutine aurait eu raison de dire que la catastrophe ne serait pas arrivĂ©e si sa demande insistante d’un cessez-le-feu avait Ă©tĂ© acceptĂ©e.

De fait, Kiev a rompu le cessez-le-feu – le 10 juin – dans sa guerre civile contre les Ukrainiens de l’Est russophones qui ne souhaitent pas ĂȘtre gouvernĂ©s par un regroupement de voyous, de descendants de nazis ukrainiens et d’oligarques amourachĂ©s du FMI et de l’Union europĂ©enne. Les supposĂ©s « rebelles » n’ont fait que rĂ©pliquer Ă  un dĂ©but de nettoyage ethnique (terreur par bombardements systĂ©matiques et atrocitĂ©s – au moins 30 Ukrainiens brĂ»lĂ©s vifs) menĂ© par les forces de Kiev, Ă  propos desquelles rien ou fort peu n’a Ă©tĂ© dit dans les reportages europĂ©ens.

Il est peu probable que les ONG amĂ©ricaines, dont il a Ă©tĂ© admis officiellement qu’elles avaient dĂ©pensĂ© cinq milliards de dollars dans leur campagne de dĂ©stabilisation politique, en prĂ©alable au putsch de fĂ©vrier Ă  Kiev, aient soudainement disparu d’Ukraine. Il est aussi peu probable que les troupes spĂ©ciales et les conseillers militaires amĂ©ricains soient restĂ©s Ă  se tourner les pouces tandis que les officiers de Kiev et les milices Ă©tablissaient leur stratĂ©gie de guerre civile. AprĂšs tout, les nouveaux voyous au pouvoir sont les reprĂ©sentants d’un rĂ©gime sous perfusion financiĂšre de Washington, de l’Union EuropĂ©enne et du FMI. Ce que nous savons, c’est que Washington encourage les massacres ayant lieu dans le cadre de la guerre civile qu’il a aidĂ© Ă  dĂ©clencher.

Mais Washington a toujours eu l’avantage dans cette guerre de propagande qui l’oppose Ă  un adversaire trĂšs rĂ©ticent, contrairement Ă  ce que les mĂ©dias grand public ont voulu nous faire croire. La propagande, qui prend sa source Ă  Washington, est construite de maniĂšre Ă  coller Ă  l’hypothĂšse d’un Poutine qui, guidĂ© et soutenu par un nationalisme exacerbĂ© par la chute de l’empire soviĂ©tique, tente de repousser les frontiĂšres de la FĂ©dĂ©ration de Russie jusqu’aux anciennes limites du dĂ©funt empire. Les experts les plus tĂ©mĂ©raires, touchĂ©s par la fiĂšvre nĂ©oconservatrice, vont jusqu’à considĂ©rer la Russie comme menaçant d’englober l’Ouest. A partir de lĂ , on fait croire aux EuropĂ©ens que Poutine refuse toute diplomatie, alors que c’est ce Ă  quoi il a toujours exhortĂ©. Par consĂ©quent la propagande en cours a eu pour effet de donner une image dangereuse et extrĂȘme des actions non pas de Washington , mais bien de Poutine. Quiconque ayant vĂ©cu une expĂ©rience personnelle montrant Poutine ou la Russie sous un mauvais jour doit se manifester immĂ©diatement ; les Ă©ditorialistes nĂ©erlandais en sont particuliĂšrement friands en ce moment.

Il ne fait aucun doute que la propagande de Moscou, Ă  laquelle il est souvent fait rĂ©fĂ©rence, existe rĂ©ellement. Mais il y a des moyens, pour les journalistes sĂ©rieux, de mettre en balance les propagandes des diffĂ©rents bords et de discerner la part de vĂ©ritĂ© ou de mensonges ou de foutaises qu’elles contiennent. De ce que j’ai pu voir, cet exercice n’a Ă©tĂ© fait qu’en Allemagne, et de maniĂšre restreinte. Pour le reste, nous devons reconstituer la rĂ©alitĂ© politique en nous reposant sur les sites web amĂ©ricains, maintenant plus que jamais indispensables, qui accueillent des lanceurs d’alertes et des journalistes d’investigation Ă  l’ancienne et qui, spĂ©cialement depuis l’avĂšnement de la « guerre contre le terrorisme » et l’invasion de l’Iraq ont constituĂ© une forme continue de publication samizdat [NdT : « samizdat » d'aprĂšs WikipĂ©dia : « Le samizdat (en russe : ŃĐ°ĐŒĐžĐ·ĐŽĐ°Ń‚) Ă©tait un systĂšme clandestin de circulation d’écrits dissidents en URSS et dans les pays du bloc de l'Est, manuscrits ou dactylographiĂ©s par les nombreux membres de ce rĂ©seau informel. »]

Aux Pays-Bas, presque tout ce qui vient du DĂ©partement d’Etat est pris pour argent comptant. L’histoire amĂ©ricaine depuis l’effondrement de l’Union SoviĂ©tique est faite de mensonges Ă  couper le souffle : sur le Panama, l’Afghanistan, l’Iraq, la Syrie, le Venezuela, la Libye et la CorĂ©e du Nord; renversements de gouvernement, coups tordus et opĂ©rations sous fausse banniĂšre. Et l’existence discrĂšte d’environ mille bases militaires amĂ©ricaines dissĂ©minĂ©es sur toute la planĂšte est opportunĂ©ment absente des dĂ©bats.

La quasi hystĂ©rie pendant la semaine qui a suivi la destruction de l’avion de ligne a empĂȘchĂ© les gens ayant connaissance de faits ou de rĂ©cits pertinents de s’exprimer.
De nos jours, la sĂ©curitĂ© de l’emploi dans le monde du journalisme est assez incertaine et aller Ă  contre-courant Ă©quivaut presque Ă  se retrouver sur une voie de garage avec le diable, car c’est nuire Ă  sa « crĂ©dibilitĂ© » de journaliste.

Ce qui frappe une ancienne gĂ©nĂ©ration de journalistes sĂ©rieux et les fait douter de la crĂ©dibilitĂ© des mĂ©dias grand public, c’est le fait d’ignorer les indices qui pourraient miner ou dĂ©molir la version officielle; une version officielle qui a dĂ©jĂ  imprĂ©gnĂ© la culture populaire comme en tĂ©moignent les commentaires dĂ©sinvoltes qui ornent les critiques de livres, de films, et beaucoup d’autres choses.

Aux Pays-Bas la version officielle est dĂ©jĂ  gravĂ©e dans le marbre, ce Ă  quoi on devait s’attendre lorsqu’elle a Ă©tĂ© rĂ©pĂ©tĂ©e dix mille fois. Elle ne peut ĂȘtre Ă©cartĂ©e, bien sĂ»r, mais elle n’est pas basĂ©e sur le moindre morceau de preuve.

La prĂ©sence de deux avions de combat ukrainiens prĂšs de l’avion de ligne malaisien, relevĂ©e par les radars russes, pourrait constituer un indice intĂ©ressant si j’enquĂȘtais comme journaliste ou membre de la commission d’enquĂȘte dirigĂ©e officiellement par les Pays-Bas.

Ce fait est, semble-t-il, corroborĂ© par la BBC relatant des tĂ©moignages oculaires de villageois ayant vu clairement un autre avion, un chasseur, non loin de l’avion de ligne, peu de temps avant le crash et ayant entendu des explosions provenant du ciel.

Ce reportage a rĂ©cemment attirĂ© l’attention, car il a Ă©tĂ© retirĂ© des archives de la BBC.

J’aimerais parler avec Michael Bociurkiw, un des premier inspecteurs de l’Organisation pour la sĂ©curitĂ© et la coopĂ©ration en Europe (OSCE) Ă  atteindre le site du crash et a passĂ© plus d’une semaine Ă  examiner les restes de l’avion et a dĂ©crit sur CBC Worlds News deux des trois morceaux de fuselage « vraiment grĂȘlĂ©s ». « Cela ressemble Ă  des tirs de mitrailleuse; une trĂšs trĂšs grosse mitrailleuse qui a laissĂ© ces marques uniques que nous n’avons vu nulle part ailleurs ».

J’aimerais Ă©galement jeter un oeil aux enregistrements radars et voix, dont on dit qu’ils ont Ă©tĂ© confisquĂ©s, de la tour de contrĂŽle de Kiev, pour comprendre pourquoi le pilote malaisien a dĂ©viĂ© de sa route et a rapidement perdu de l’altitude peu de temps avant que son avion ne s’écrase, et dĂ©couvrir si effectivement les contrĂŽleurs aĂ©riens Ă©trangers Ă  Kiev ont Ă©tĂ© remerciĂ©s tout de suite aprĂšs le crash.

Comme les « VIPS » [anciens collaborateurs des services secrets pour le bon sens], j’exhorterais les autoritĂ©s qui ont accĂšs aux images satellite de montrer les preuves, qu’ils prĂ©tendent avoir, de batteries de missiles BUK entre les mains des « rebelles » et d’implication des Russes et leur demanderais pourquoi ils ne l’ont pas dĂ©jĂ  fait.

Jusqu’à maintenant Washington a agi comme un chauffeur qui refuse un test d’alcoolĂ©mie. Et comme des officiels des services secrets ont fait fuiter vers certains journaux amĂ©ricains leurs doutes Ă  propos des certitudes amĂ©ricaines telles que prĂ©sentĂ©es par le SecrĂ©taire d’Etat, ma curiositĂ© serait insatiable.

Pour situer le degrĂ© de fidĂ©litĂ© mĂ©diatique Ă  Washington dans le cas ukrainien, et aussi mettre en perspective le comportement servile des politiciens europĂ©ens, nous devons connaĂźtre et comprendre l’Atlantisme. C’est une foi europĂ©enne. Il n’a pas produit une doctrine officielle, bien sĂ»r, mais il fonctionne comme tel.

Il est bien rĂ©sumĂ© par le slogan nĂ©erlandais au moment de l’invasion de l’Irak: « zonder Amerika gaat het niet » (sans les Etats-Unis les choses ne marcheront pas).

Inutile de dire que la guerre froide a donnĂ© naissance Ă  l’atlantisme. Ironiquement, celui-ci a gagnĂ© en puissance , lorsque la menace de l’Union soviĂ©tique est devenue moins convaincante pour une part croissante de l’élite politique europĂ©enne, probablement en raison de l’arrivĂ©e d’une nouvelle gĂ©nĂ©ration : plus on s’éloigne de la deuxiĂšme guerre mondiale, moins les gouvernements europĂ©ens se rappellent ce que peut vouloir dire avoir une politique Ă©trangĂšre indĂ©pendante pour les problĂšmes Ă  l’échelle mondiale. Les chefs actuels des gouvernements europĂ©ens ne savent pas avoir de dĂ©libĂ©rations stratĂ©giques rĂ©alistes. La rĂ©flexion habituelle sur les relations internationales et la politique globale est profondĂ©ment marquĂ©e par le contexte de la guerre froide .

Ceci inĂ©vitablement imprĂšgne aussi les politiques Ă©ditoriales « responsables ». L’atlantisme est une grave maladie de l’Europe : elle gĂ©nĂšre une amnĂ©sie historique, un aveuglement tĂȘtu et une colĂšre politique dangereusement dĂ©placĂ©e. Mais elle s’épanouit sur un mĂ©lange de certitudes sur la protection qui perdurent depuis la guerre froide, de fidĂ©litĂ©s issues de la guerre froide intĂ©grĂ©es Ă  la culture populaire, d’inculture europĂ©enne pure et simple, et d’une rĂ©ticence comprĂ©hensible Ă  admettre qu’on a Ă©tĂ©, ne serait-ce qu’un petit peu, conditionnĂ©. Washington peut se permettre tous les excĂšs sans que l’atlantisme ne soit remis en cause, du fait de la distraction de chacun, que les mĂ©dias font tout pour entretenir. Je connais des nĂ©erlandais dĂ©goĂ»tĂ©s par la campagne de diabolisation de Poutine, mais pour eux, l’idĂ©e de pointer un doigt accusateur sur Washington, dans l’affaire de l’Ukraine, est quasiment inacceptable. De telle sorte que les publications nĂ©erlandaises, tout comme beaucoup d’autres en Europe, n’arrivent pas Ă  se rĂ©soudre Ă  placer la crise de l’Ukraine dans sa juste perspective en admettant que la responsabilitĂ© en revient Ă  Washington, et que Washington, et non Poutine, a la clĂ© de sa rĂ©solution.

Cela signifierait un renoncement à l’atlantisme.

L’atlantisme tire en grande partie sa force de l’Otan, son incarnation institutionnelle. La raison de l’existence de l’Otan, qui a disparu avec l’Union SoviĂ©tique, a souvent Ă©tĂ© oubliĂ©e. FormĂ©e en 1949, elle Ă©tait fondĂ©e sur l’idĂ©e d’une coopĂ©ration transatlantique pour la dĂ©fense et la sĂ©curitĂ© qui Ă©tait devenue nĂ©cessaire aprĂšs la Seconde Guerre mondiale, face au communisme orchestrĂ© par Moscou, qui souhaitait faire main basse sur la planĂšte. On parlait beaucoup moins de la mĂ©fiance interne en Europe, alors que les EuropĂ©ens entamaient leur marche vers l’intĂ©gration Ă©conomique. L’Otan constituait, en quelque sorte, la garantie amĂ©ricaine qu’aucune puissance europĂ©enne ne tenterait de dominer les autres.

L’Otan est, depuis quelque temps, un handicap pour l’Union europĂ©enne, parce qu’elle bloque le dĂ©veloppement de politiques concertĂ©es d’affaires Ă©trangĂšres et de dĂ©fense, et a forcĂ© les pays membres Ă  devenir les instruments du militarisme amĂ©ricain. C’est aussi un handicap moral parce que les gouvernements participant Ă  la « coalition militaire en Irak » ont dĂ» vendre un mensonge Ă  leur population : les soldats europĂ©ens morts en Irak et en Afghanistan auraient reprĂ©sentĂ© un sacrifice nĂ©cessaire pour protĂ©ger l’Europe des terroristes. Les gouvernements qui ont fourni des troupes Ă  des zones occupĂ©es par les États-Unis l’ont gĂ©nĂ©ralement fait avec une grande rĂ©ticence, Ă  telle enseigne qu’une succession d’officiels amĂ©ricains leur ont reprochĂ© leur manque d’enthousiasme dans la dĂ©fense collective de la dĂ©mocratie et de la libertĂ©.

Comme toutes les idĂ©ologies, l’atlantisme est anhistorique. Comme remĂšde de cheval contre le tourment de l’ambiguĂŻtĂ© fondamentale de la politique, elle fournit sa propre histoire : celle qui peut ĂȘtre réécrite par les mĂ©dias grand public amĂ©ricains, dans leur assistance Ă  la diffusion de la parole de Washington.

On peut difficilement rĂȘver meilleure illustration que l’expĂ©rience nĂ©erlandaise actuelle. Au cours de mes conversations de ces derniĂšres trois semaines, j’ai rencontrĂ© des surprises sincĂšres quand j’ai rappelĂ© Ă  des amis que la guerre froide s’était achevĂ©e par la diplomatie, avec un traitĂ© entre Gorbachev et Bush pĂšre, Ă  Malte en dĂ©cembre 1989. TraitĂ© oĂč James Baker avait obtenu de Gorbachev l’acceptation de la rĂ©unification de l’Allemagne et le retrait des troupes du Pacte de Varsovie, contre la promesse que l’Otan ne s’étendrait pas d’un pouce de plus Ă  l’est. Gorbachev promit de ne pas utiliser la force en Europe de l’Est, oĂč les Russes avaient 350 000 soldats rien qu’en Allemagne de l’Est, contre une promesse de Bush : les USA ne chercheraient pas Ă  tirer profit du retrait des SoviĂ©tiques d’Europe de l’Est. Bill Clinton renia ces promesses amĂ©ricaines quand, pour des raisons purement Ă©lectorales, il s’est vantĂ© d’un dĂ©veloppement de l’Otan, et, en 1999, quand il y intĂ©gra la TchĂ©coslovaquie et la Hongrie. Dix ans plus tard, neuf pays de plus sont devenus membres, de sorte que le nombre des pays de l’Otan a doublĂ© depuis la guerre froide. Le grand spĂ©cialiste amĂ©ricain de la Russie, l’ambassadeur George Kennan, qui est Ă  l’origine de la politique d’endiguement de la guerre froide, a appelĂ© la dĂ©cision de Clinton « l’erreur la plus tragique de la politique amĂ©ricaine de toute l’ùre post-guerre froide ».

L’ignorance de l’histoire encouragĂ©e par l’atlantisme se montre de façon saisissante dans l’assertion que la preuve Ă  charge dĂ©finitive dans le procĂšs fait Ă  Poutine serait son invasion de la CrimĂ©e. Encore une fois, la rĂ©alitĂ© politique a Ă©tĂ© fabriquĂ©e, ici, par les mĂ©dias grand public amĂ©ricains. Il n’y a pas eu d’invasion, des soldats et des marins russes Ă©taient dĂ©jĂ  sur place en toute lĂ©galitĂ©, puisque la CrimĂ©e hĂ©berge la base militaire navale russe de la mer Noire. La CrimĂ©e a fait partie de la Russie depuis aussi longtemps que les Etats-Unis existent. En 1954, Khrouchtchev, lui-mĂȘme ukrainien, l’a donnĂ©e Ă  la RĂ©publique Socialiste d’Ukraine, ce qui revenait Ă  dĂ©mĂ©nager une rĂ©gion dans une province diffĂ©rente, puisque la Russie et l’Ukraine appartenaient toutes deux au mĂȘme pays. La population russophone de CrimĂ©e Ă©tait parfaitement heureuse de la situation, puisqu’elle a votĂ© par refĂ©rendum d’abord pour se libĂ©rer du rĂ©gime putschiste de Kiev, puis pour sa rĂ©unification avec la Russie.

Ceux qui soutiennent que Poutine n’avait pas le droit d’agir ainsi ne sont pas conscients d’un autre fil conducteur de l’histoire rĂ©cente : Les Etats-Unis ont continuellement rapprochĂ© leur systĂšme de dĂ©fense antimissiles (Guerre des Étoiles) des frontiĂšres russes, sous prĂ©texte d’intercepter des missiles hostiles venus d’Iran ; mais ces missiles n’existent pas. Les discours moralisateurs sur l’intĂ©gritĂ© territoriale et la souverainetĂ© n’ont pas de sens dans un tel contexte, et venant d’un gouvernement qui s’est dĂ©barrassĂ© du concept de souverainetĂ© dans sa politique Ă©trangĂšre, c’est complĂštement grotesque.

Une dĂ©testable dĂ©cision atlantiste fut l’exclusion de Poutine des sommets et rĂ©unions liĂ©s Ă  la commĂ©moration du dĂ©barquement de Normandie, ainsi, pour la premiĂšre fois en 17 ans, le G8 est devenu de fait le G7. L’amnĂ©sie et l’ignorance ont rendu les NĂ©erlandais aveugles Ă  leur propre histoire, l’URSS ayant dĂ©truit le cƓur de la machine de guerre nazie (qui occupait les Pays-Bas) au prix d’un nombre de morts incomparable et inimaginable ; sans eux, le dĂ©barquement de Normandie n’aurait pas Ă©tĂ© possible.

Il n’y a pas si longtemps, les dĂ©sastres militaires en Irak et en Afghanistan semblaient prĂ©dire la fin inĂ©luctable de l’Otan. Mais la crise ukrainienne et le caractĂšre dĂ©cidĂ© manifestĂ© par Poutine lorsqu’il empĂ©cha la CrimĂ©e et sa base navale de peut-ĂȘtre tomber aux mains de l’alliance contrĂŽlĂ©e par les Etats-Unis fut du pain bĂ©nit pour l’institution chancelante.

Le commandement de l’OTAN est dĂ©jĂ  en train d’envoyer des troupes pour renforcer sa prĂ©sence dans les Pays Baltes, des missiles et des avions d’attaque en Pologne et en Lituanie, et depuis l’affaire de l’avion de ligne malaisien abattu, il s’est prĂ©parĂ© Ă  d’autres actions militaires qui peuvent dĂ©gĂ©nĂ©rer en provocations dangereuses contre la Russie. Clairement, le ministre des affaires Ă©trangĂšres polonais, avec les Pays Baltes, qui n’avaient pas pris part Ă  l’OTAN quand sa raison d’ĂȘtre pouvait encore ĂȘtre dĂ©fendue, est devenu l’un de ses moteurs. Un vent de mobilisation a soufflĂ© au cours de la semaine derniĂšre. On peut compter sur les pantins ventriloques Anders Fogh Rasmussen et Jaap de Hoop Scheffer pour fulminer, sur les plateaux de tĂ©lĂ©, contre d’éventuelles reculades de la part d’états-membres. Rassmussen, le SecrĂ©taire gĂ©nĂ©ral, a dĂ©clarĂ©, le 7 aoĂ»t dernier Ă  Kiev, que le soutien de l’OTAN Ă  « la souverainetĂ© et Ă  l’intĂ©gritĂ© territoriale de l’Ukraine est sans faille » et qu’il cherche Ă  renforcer le partenariat avec le pays au Sommet de l’Alliance, au Pays de Galles en septembre. Le partenariat est dĂ©jĂ  solide, a-t-il dĂ©clarĂ©, « et en rĂ©ponse Ă  l’agression russe, l’OTAN s’est encore rapprochĂ©e de l’Ukraine pour rĂ©former ses forces armĂ©es et ses institutions de dĂ©fense ».

Pendant ce temps, au CongrĂšs amĂ©ricain, 23 sĂ©nateurs rĂ©publicains ont proposĂ© une loi, le « Russian Aggression Prevention Act » [Loi sur la prĂ©vention de l'agression russe], censĂ©e permettre Ă  Washington de faire de l’Ukraine un alliĂ© non-OTAN, qui pourrait ouvrir la voie Ă  un conflit militaire direct avec la Russie. Nous devrons probablement attendre que les Ă©lections de mi-mandat amĂ©ricaines soient passĂ©es pour savoir ce qu’il adviendra, mais elle aide dĂ©jĂ  Ă  trouver une excuse politique Ă  ceux qui Ă  Washington veulent gravir un Ă©chelon de plus dans leurs manƓuvres en Ukraine.

En septembre de l’annĂ©e derniĂšre (2013), Poutine a aidĂ© Obama en lui permettant d’arrĂȘter une campagne de bombardement sur la Syrie, encouragĂ©e par les nĂ©o-conservateurs, et l’a Ă©galement aidĂ© en dĂ©samorçant le diffĂ©rend nuclĂ©aire avec l’Iran, un autre projet nĂ©o-conservateur.

Ceci à mené à un engagement des néo-conservateurs à rompre le lien Poutine-Obama.

C’est un secret de polichinelle que les nĂ©o-conservateurs veulent le renversement de Poutine et le dĂ©membrement final de la FĂ©dĂ©ration de Russie.
Ce qui est moins connu en Europe c’est l’existence de nombreuses ONGs en poste en Russie, qui les aideront dans ce but. Vladimir Poutine pourrait attaquer maintenant ou bientĂŽt pour devancer l’OTAN et le congrĂšs amĂ©ricain en prenant l’Est ukrainien, quelque chose qu’il aurait probablement dĂ» faire juste aprĂšs le rĂ©fĂ©rendum en CrimĂ©e. Cela aurait Ă©tĂ© Ă©videmment la preuve de ses intentions diaboliques dans les salles de rĂ©daction europĂ©ennes.

A la lumiĂšre de tout ceci, l’une des questions les plus dĂ©cisives Ă  se poser dans les affaires mondiales actuelles est la suivante: que doit-il arriver pour que les EuropĂ©ens comprennent que Washington joue avec le feu et a cessĂ© d’ĂȘtre le protecteur sur lequel ils comptaient, et qu’il menace dĂ©sormais leur sĂ©curitĂ© ?

Ce moment arrivera-t-il lorsqu’il deviendra clair que l’objectif de la crise ukrainienne est avant tout d’installer des batteries de missiles de la Guerre des Etoiles (Initiative de dĂ©fense stratĂ©gique) le long d’une longue portion de la frontiĂšre Russe, ce qui donnerait Ă  Washington – dans le jargon dĂ©lirant des stratĂšges nuclĂ©aires – l’avantage d’une « premiĂšre frappe » ?

La vieille Europe rĂ©alise-t-elle que les USA ont des ennemis qui ne sont pas les ennemis de l’Europe, parce qu’elle en a besoin pour des raisons de politique intĂ©rieure, pour sauvegarder une industrie de guerre Ă©conomiquement importante, et pour tester la bonne foi politique des candidats Ă  la fonction publique. Mais, alors que l’utilisation d’états-voyous et de terroristes comme cibles de « guerres justes » n’a jamais Ă©tĂ© convaincante, la Russie de Poutine, telle que diabolisĂ©e par un OTAN militariste, peut aider Ă  prolonger le statu quo transatlantique. La vĂ©ritĂ© sur la fin du vol commercial malaisien, ai-je pensĂ© Ă  la minute oĂč j’en ai entendu parler, allait ĂȘtre dĂ©terminĂ©e politiquement . Ses boĂźtes noires sont Ă  Londres. Dans les mains de l’OTAN ?

D’autres obstacles Ă  un rĂ©veil restent gigantesques ; la financiarisation et les politiques nĂ©olibĂ©rales ont produit un enchevĂȘtrement transatlantique d’intĂ©rĂȘts ploutocratiques. AjoutĂ©es Ă  la foi atlantiste, elles ont aidĂ© Ă  contrecarrer le dĂ©veloppement politique de l’Union europĂ©enne, et avec cela, la capacitĂ© de l’Europe Ă  prendre des dĂ©cisions politiques indĂ©pendantes. Depuis Tony Blair, la Grande-Bretagne est tombĂ©e dans l’escarcelle de Washington, et depuis Nicolas Sarkozy, la mĂȘme chose peut plus ou moins ĂȘtre dite de la France.

Ce qui laisse l’Allemagne. Angela Merkel Ă©tait ouvertement mĂ©contente des sanctions, mais elle a fini par suivre le mouvement parce qu’elle veut rester du bon cĂŽtĂ© du prĂ©sident amĂ©ricain, et parce que les États-Unis, en tant que vainqueurs de la Seconde guerre mondiale, ont encore du poids Ă  travers un certain nombre d’accords. Le ministre des affaires Ă©trangĂšres allemand, Frank-Walter Steinmeier, citĂ© dans les journaux et Ă  la tĂ©lĂ©, a rĂ©pudiĂ© les sanctions et dĂ©noncĂ© l’Irak et la Lybie comme autant d’exemples de rĂ©sultats dĂ©sastreux des escalades et des ultimatums, et malgrĂ© cela, lui aussi change d’avis et, au bout du compte, suit le mouvement gĂ©nĂ©ral.

Der Spiegel est l’une des publication allemandes qui offrent un espoir. L’un de ses chroniqueurs, Jakob Augstein, attaque les « somnambules » qui sont tombĂ©s d’accord sur les sanctions, et blĂąme ceux de ses collĂšgues qui montrent Moscou du doigt. Gabor Steingart, qui publie Handelsblatt, s’en prend Ă  la « tendance amĂ©ricaine Ă  l’escalade verbale, puis militaire, Ă  l’isolement, Ă  la diabolisation et Ă  l’attaque d’ennemis » et conclut que « le journalisme allemand est passĂ© de la pondĂ©ration Ă  l’agitation en quelques semaines. Le spectre des opinions s’est rĂ©duit au champ de vision d’une lunette de tireur d’élite ». Il doit y avoir d’autres journalistes, en Europe, qui disent la mĂȘme chose, mais leurs voix ne passent pas la cacophonie de la diabolisation.

Nous voyons l’histoire s’écrire une fois de plus. Ce qui pourrait dĂ©cider du sort de l’Europe est que, mĂȘme hors des zĂ©lateurs de la foi atlantiste, des EuropĂ©ens de bon sens n’arrivent pas Ă  croire en la dysfonctionnalitĂ© et l’irresponsabilitĂ© totale de l’Etat amĂ©ricain.

Karel van Wolferen, traduction collective par les lecteurs du site www.les-crises.fr 


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