http://www.dedefensa.org/article-notes_sur_le_th_me_de_l_apocalypse_08_02_2014.html
Nous nous attachons Ă lâune des plus rĂ©centes de ses chroniques, en date du 2 fĂ©vrier 2014. Engelhardt y aborde un sujet plus spĂ©cifique de cette question, et sans doute un des aspects les plus importants, qui est le sujet de la prĂ©sence, ou plutĂŽt de lâabsence dans les ânouvellesâ de la crise climatique et de ses implications apocalyptiques : «Ending the World the Human Way â Climate Change as the Anti-News.»
Renouvelons aussitĂŽt lâavertissement que nous donnons Ă lâune ou lâautre occasion, lorsque nous abordons nous-mĂȘmes le sujet, et nous disons notre conviction que câest dans le mĂȘme esprit quâEngelhardt lui-mĂȘme l'aborde effectivement. Nous Ă©cartons le facteur un peu trop spectaculaire de la polĂ©mique secondaire portant sur la question technique de mesurer lâaction humaine prĂ©cisĂ©ment sur la question Ă©troite des Ă©missions de CO2 dâorigine humaine sur le changement climatique, ou global warming, avec les positions diverses allant de la nĂ©gation dâun global warming, voire dâune crise climatique, Ă la question de la part humaine dans ces aspects de la crise gĂ©nĂ©rale, lorsque celle-ci est admise.
Ce qui nous intĂ©resse câest la Grande Crise GĂ©nĂ©rale ou Grande Crise du monde, et crise sans aucun doute eschatologique de la destruction du monde dans le sens physique du terme, qui concerne les diverses et nombreuses activitĂ©s, et consĂ©quences colossales, du systĂšme de dĂ©veloppement qui sâest imposĂ© plus quâil nâa Ă©tĂ© choisi depuis la fin du XVIIIe siĂšcle, lĂ oĂč nous situons le phĂ©nomĂšne du âdĂ©chaĂźnement de la MatiĂšreâ. Ce rangement que nous estimons de type mĂ©tahistorique est largement confirmĂ© par les scientifiques eux-mĂȘmes, dans leur domaine, avec la probable acceptation officielle dâun nouveau rangement gĂ©ologique, avec lâinstitution dâune nouvelle Ăšre gĂ©ologique, lââanthropocĂšneâ, Ă partir de la fin du XVIIIe siĂšcle, â 1784 exactement, comme date-symbole, voyant lâintroduction des premiĂšres machines Ă vapeur (en Angleterre) et donc de ce quâAlain Gras nomme Le choix du feu dans son livre Ă©ponyme. On a rappelĂ© encore rĂ©cemment notre analyse Ă cet Ă©gard, le 1er dĂ©cembre 2013.
Il sâagit donc de la Grande Crise eschatologique de la destruction du monde, essentiellement suscitĂ© par lâactivitĂ© humaine, et qui constitue par consĂ©quent autre chose que les cycles physiques et gĂ©ologiques habituels conduisant Ă des modifications des conditions physiques du monde. Il sâagit dâune sorte de gigantesque artefact gĂ©ologique, une rupture artificielle fondamentale, aux consĂ©quences colossales et hors de la seule dynamique naturelle, qui se sont dĂ©veloppĂ©es Ă une vitesse exponentielle. Cette rupture nâa plus aucun rapport avec lâĂ©volution naturelle du monde. En effet, lâĂ©lĂ©ment de la rapiditĂ© des changements de destruction est fondamental, unique, central, et donne toute sa substance Ă la Grande Crise, qui s'insĂšre ou encadre c''est selon ce que nous nommons la crise dâeffondrement du SystĂšme que nous sommes en train de vivre. Nous ressentons aujourdâhui tous les effets ultimes du processus dĂ©marrĂ© avec le âdĂ©chaĂźnement de la MatiĂšreâ, effets catastrophiques et eschatologiques, â quelque chose qui est en essence absolument Ă©tranger Ă lâĂ©volution normale du monde. Nous recommandons le livre LâĂ©vĂ©nement anthropocĂšne, de Christophe Bonneuil et Jean-Baptise Fressoz (Seuil, octobre 2013), qui constitue une excellente documentation Ă cet Ă©gard, dĂ©montrant lâaspect catastrophique de lâaction humaine sur lâĂ©volution du monde, essentiellement par la disposition de la puissance totalement artificielle du technologisme, et des conditions de son emploi au profit de conceptions dĂ©structurantes, dissolvantes et Ă finalitĂ© dâentropisation.
Dans le mĂȘme ordre dâidĂ©es de notre dĂ©finition des termes employĂ©s dans cette note, nous prĂ©cisons que les termes âapocalypseâ et dĂ©rivĂ©s qui sont utilisĂ©s, le sont dâune maniĂšre symbolique et pour ainsi dire âimpressionnisteâ, sans signifier quoi que ce soit de prĂ©cis contenu dans la dĂ©finition du mot, y compris dans le sens religieux certes. Nous employons ce mot pour dĂ©signer la dimension gĂ©nĂ©rale, eschatologique, hors du contrĂŽle humain, des Ă©vĂ©nements que nous vivons. UtilisĂ© comme facilitĂ© de langage et outil de raisonnement, cela nâinterdit aucune possibilitĂ©, mais cela nâen indique aucune prĂ©cisĂ©ment.
Nous donnons ci-dessous quelques paragraphes dâintroduction du texte dâEngelhardt, et les deux de conclusion, simplement pour situer le problĂšme : pourquoi cet Ă©vĂ©nement colossal, qui devrait surpasser tous les autres dans notre systĂšme de la communication, est-il en fait complĂštement absent dans lâexposĂ© de ses consĂ©quences catastrophiques de plus en plus probables et de plus rapprochĂ©es, et des consĂ©quences sans le moindre doute situĂ©es dans la dimension eschatologique... Engelhardt termine par la description de «The Road to Hell», comme le chantait de façon prĂ©monitoire Chris Rea, en 1989.
«Hereâs the scoop: When it comes to climate change, there is no âstory,â not in the normal news sense anyway. [...]Don't misunderstand me. Each of the above was reported somewhere and climate change itself is an enormous story, if what you mean is Story with a capital S. It could even be considered the story of all stories. Itâs just that climate change and its component parts are unlike every other story from the Syrian slaughter and the problems of Obamacare to Bridgegate and Justin Bieberâs arrest. The future of all other stories, of the news and storytelling itself, rests on just how climate change manifests itself over the coming decades or even century. What happens in the 2014 midterms or the 2016 presidential elections, in our wars, politics, and culture, who is celebrated and who ignored â none of it will matter if climate change devastates the planet. Climate change isnât the news and it isnât a set of news stories. Itâs the prospective end of all news. Think of it as the anti-news.
»All the rest is part of the annals of human history: the rise and fall of empires, of movements, of dictatorships and democracies, of just about anything you want to mention. The most crucial stories, like the most faddish ones, are â every one of them â passing phenomena, which is of course what makes them the news.
»Climate change isnât. [...]
»Weâre so used to the phrase âthe newsâ that we often forget its essence: whatâs ânewâ multiplied by that âs.â Itâs true that the ânewâ can be repetitively so. How many times have you seen essentially the same story about Republicans and Democrats fighting on Capitol Hill? But the momentousness of climate change, which isnât hard to discern, is difficult to regularly turn into meaningful ânewâ headlines (âHumanity Doomed If...â), to repeatedly and successfully translate into a form oriented to the present and the passing moment, to what happened yesterday, today, and possibly tomorrow. [...]
»In fact, one of the grim wonders of climate change has been the ability of Big Energy and its lobbyists to politicize an issue that wouldn't normally have a âleftâ or âright,â and to make bad science into an ongoing news story. In other words, an achievement that couldnât be more criminal in nature has also been their great coup de thĂ©Ăątre. In a world heading toward the brink, hereâs the strange thing: most of the time that brink is nowhere in sight. And how can you get people together to solve a human-caused problem when itâs so seldom meaningfully in the news (and so regularly challenged by energy interests when it is)?
»This is the road to hell and it has not been paved with good intentions. If we stay on it, we wonât even be able to say that future historians considered us both a wonder (for our ability to create world-ending scenarios and put them into effect) and a disgrace (for our inability to face what we had done). By then, humanity might have arrived at the end of history, and so of historians.»
Nous nous saisissons de cette intervention dâEngelhardt pour dĂ©velopper notre propre intervention. Cela commencera par une rĂ©fĂ©rence substantielle de deux textes publiĂ©s sur ce site. Ces textes nous rappellent que le problĂšme que soulĂšve Engelhardt se posait dĂšs 2006-2007, et quâil avait alors reçu un commencement de rĂ©ponse, venu des milieux les plus officiels du SystĂšme. En fait, la question du global warming étendue Ă sa dimension de Grande Crise de la destruction du monde (selon notre Ă©noncĂ©) est posĂ©e officiellement, donc sur lâinitiative mĂȘme de reprĂ©sentants du SystĂšme, dĂšs lâautomne 2006 avec la publication du rapport Stern, rĂ©alisĂ© Ă la demande du gouvernement britannique (voir le 27 octobre 2006).
Dâabord, voici des extraits dâun texte du 12 mars 2007, reprenant une partie de la rubrique de defensa de notre Lettre dâAnalyse de defensa & eurostratĂ©gie (dd&e) volume 22 n°8 du 10 janvier 2007. Le thĂšme Ă©tait dâores et dĂ©jĂ du type âcomment penser lâapocalypse ?â, âcomment informer Ă propos de lâapocalypse ?â, impliquant alors que la perspective Ă©tait officiellement admise et que lâon pouvait se pencher sur les maniĂšres de lâenvisager. En dâautres termes, la problĂ©matique dont Engelhardt se plaint de lâabsence dans le flux actuel (2014) de lâinformation, se trouvait dans ce flux en 206-2008 et il Ă©tait unanimement admis que lâon pouvait sâen prĂ©occuper Ă visage dĂ©couvert. Nous extrayons deux passages du texte citĂ©... Le premier envisage les conditions que le professionnel de lâinformation et de la rĂ©flexion Ă partir de cette information devait affronter pour mener Ă bien cette tĂąche.
«Lorsque nous nous retournons sur les trente et quarante derniĂšres annĂ©es et mesurons le bouleversement formidable qui a transformĂ© le mĂ©tier de l'information, le mĂ©tier de commentateur et d'observateur de la marche du monde, alors nous sommes assurĂ©s de dire une vĂ©ritĂ© en parlant dââindĂ©pendanceâ et de âresponsabilitĂ©â. Notre mĂ©tier a acquis des bottes de sept lieues. L'indĂ©pendant, sans moyens, sans prestige, est devenu un gĂ©ant de l'information, â et, s'il le mĂ©rite, il est Ă©coutĂ© et consultĂ© comme tel. Cela est bien, puisque le monde officiel, nos Ă©lites, a abdiquĂ© toute prĂ©tention Ă la dignitĂ© et Ă l'indĂ©pendance du jugement. C'est Ă lui, Ă cet indĂ©pendant chargĂ© d'observer l'Ă©tat du monde et d'en faire rapport, Ă tenir ferme le rĂŽle que nos Ă©lites, du ministre Ă l'intellectuel officiel, de l'expert Ă l'artiste consacrĂ©, refusent dĂ©sormais de tenir.
»Ce rĂŽle n'est pas simple. Il s'agit du mĂ©lange d'une fonction de sentinelle, d'un double regard qui sĂ©pare l'apparence de la substance, d'une psychologie qui doit tenir bon malgrĂ© l'impossible espĂ©rance que nous refusent les perspectives du monde, malgrĂ© la menace qui existe contre l'Ă©quilibre de l'esprit. Il sâagit de mesurer la tragĂ©die du monde. Nous ne pouvons tenir, nous autres indĂ©pendants, quâen acceptant l'inspiration. Nous devons ĂȘtre nĂ©cessairement inspirĂ©s, ou bien nous ne servons Ă rien et tout ce gigantesque outil, et ce nĂ©cessaire remplacement des Ă©lites dĂ©missionnaires, n'auront pas de raison d'ĂȘtre. C'est une tĂąche ardue.
»Nous voulons parler, bien entendu, des crises gigantesques qui nous pressent, qui n'ont plus rien Ă voir, dĂ©sormais, avec les classifications anciennes, les guerres, les rĂ©volutions, les conquĂȘtes. Nous sommes entrĂ©s dans le domaine de l'inconnu paroxystique, que l'on parle de âla crise de l'Ă©nergieâ ou de âla crise climatiqueâ, dans ce domaine oĂč les Ă©vĂ©nements catastrophiques ont nĂ©cessairement une rĂ©sonance d'apocalypse. Rien ne nous y prĂ©parait. Au contraire, la vanitĂ© et la lĂąchetĂ© de l'esprit humain n'ont cessĂ© de faire miroiter Ă nos esprits et Ă nos mĂ©moires, par une voie ou par une autre, par de multiples voix charmeuses comme autant de sirĂšnes acharnĂ©es Ă tromper et Ă enchaĂźner leur Ulysse, les lendemains qui chantent et le ProgrĂšs globalisant du monde. Rien de cela ne s'est produit. Si certains le savent, aucune voix ne s'Ă©lĂšve, qui puisse marquer l'Ă©poque par sa luciditĂ©, pour dĂ©noncer la tromperie Ă laquelle il est demandĂ© une complĂšte soumission, aucune voix qui puisse dĂ©passer son destin individuel pour oser embrasser le destin collectif qui nous menace.
»Le dĂ©fi le plus grand dans cette situation se dĂ©finit par l'audace de la pensĂ©e qu'il nous faut, le saut du jugement dans l'inconnu de situations gigantesques que seuls quelques rares esprits, des indĂ©pendants certes, sont capables d'embrasser. Il est difficile de faire preuve d'audace, c'est-Ă -dire d'alacritĂ© et d'allant, pour juger d'une situation qui ne semble laisser aucun espoir. Il est difficile de continuer Ă espĂ©rer en Ă©tant, d'une certaine façon, sans espoir. Il faut, Ă la fois, une rage qui vous remue le corps et une inspiration Ă©vidente qui vous entraĂźne et vous Ă©lĂšve l'Ăąme. A ce compte, et Ă ce compte seulement, le gladiateur se trouve prĂȘt au combat.»
Plus loin, â en conclusion de lâextrait de dd&e citĂ©, nous prĂ©cisions les conditions opĂ©rationnelles auxquelles nous devions faire face. Nous jugions que certains Ă©vĂ©nements trĂšs pressants et trĂšs proches devaient effectivement nous placer dans un laps de temps trĂšs rapprochĂ© dans des conditions oĂč nous devrions nous atteler Ă cette tĂąche que nous dĂ©finirions un peu plus tard comme le devoir de âpenser lâapocalypseâ.
«Pourtant, les événements nous pressent. Quelles crises (ou réalisation, ou prise en compte de quelles crises déjà existantes) sont venues s'ajouter à notre architecture? Nous en distinguons deux, essentiellement.
»⹠Depuis octobre-dĂ©cembre 2006, la crise climatique est brutalement acceptĂ©e, avec ses perspectives les plus extrĂȘmes. âCâest la crise de la survie de lâespĂšceâ, remarque, avec quelle sobriĂ©tĂ©, un trĂšs haut fonctionnaire international dans une organisation europĂ©enne de sĂ©curitĂ©. Du rapport Stern Ă la mobilisation sur le thĂšme Ă la Commission europĂ©enne, tout le confirme.
»⹠DĂ©sormais, la crise amĂ©ricaniste est prise trĂšs au sĂ©rieux par des cercles dirigeants europĂ©ens au point oĂč, selon une autre source europĂ©enne de haut niveau, âcertaines bureaucraties travaillent d'ores et dĂ©jĂ sur la question: qu'allons-nous faire dans lâhypothĂšse d'un effondrement progressif, peut-ĂȘtre rapide, du systĂšme amĂ©ricain?â
»On comprend ainsi, Ă peine Ă©voquĂ©es deux perspectives d'apocalypse, â car que peut-on imaginer de pire que ces deux crises, aux niveaux de la nature du monde et de la politique du monde des hommes? â combien l'Ă©volution des choses s'accĂ©lĂšre dans un crescendo tragique. La chose, pour ceux qui la connaissent et qui la mesurent, est d'autant plus effrayante qu'elle se dĂ©roule dans une atmosphĂšre dĂ©lĂ©tĂšre. Il faut bien du courage pour ĂȘtre courageux.
»Le fond gĂ©nĂ©ral sur lequel se met en place cette terrible prise de conscience des crises de la fin des temps est celui d'un systĂšme dont la raison de vivre n'est plus qu'une reprĂ©sentation virtualiste et faussaire du monde, une reprĂ©sentation forcenĂ©e et hors de toute raison, sans parler de courage et de dignitĂ©. Il faut en effet du courage (bis) pour explorer les conditions de ces crises terribles alors que triomphe une entreprise systĂ©matique de dissimulation des conditions de ces crises terribles; alors que rĂšgne une volontĂ© absolument et Ă©videmment systĂ©mique, mais aussi inconsciente, robotisĂ©e, de prĂŽner une façon de vivre et une perception du monde qui bafouent chaque jour le bon sens et la rĂ©alitĂ©; alors que se manifeste un penchant irrĂ©sistible et sans cesse accĂ©lĂ©rĂ© pour le nihilisme le plus complet, le plus insensible Ă toute dignitĂ© et Ă toute mesure. C'est un temps oĂč les Ăąmes doivent se tremper si elles ne veulent pas mourir. C'est un temps de fer et de feu.»
Dans la logique de cette analyse, nous Ă©voquions le 2 janvier 2008, ce que pouvait devenir cette annĂ©e 2008 Ă lâaune de cet âesprit de lâapocalypseâ qui sâĂ©tait installĂ© comme une des premiĂšres prĂ©occupations des rĂ©flexions gĂ©nĂ©rales, y compris dans le SystĂšme. Nous nous rĂ©fĂ©rions notamment au livre que venait de publier RenĂ© Girard, Achever Clausewitz, dans lequel le philosophe dĂ©crivait ce quâil jugeait ĂȘtre les temps nouveaux qui sâinstallaient, selon une sorte de dĂ©finition quâon retrouvait dans diverses rĂ©flexions, et qui rencontrait nos propres dĂ©veloppements constatant lâintĂ©gration des Ă©vĂ©nements politiques courants de plus en plus marquĂ©s par la violence et la confusion d'une part, des Ă©vĂ©nements naturels causĂ©s par les dĂ©rĂšglements suscitĂ©s par la crise de destruction du monde d'autre part : «La violence est aujourdâhui dĂ©chaĂźnĂ©e au niveau de la planĂšte entiĂšre, provoquant ce que les textes apocalyptiques annonçaient: une confusion entre les dĂ©sastres causĂ©s par la nature et les dĂ©sastres causĂ©s par les hommes, la confusion du naturel et de lâartificiel...» A partir de cette description, Girard rĂ©clamait âun autre type de rationalitĂ©â pour âpenser la criseâ, ou, selon notre approche dĂ©finie par cette expression, pour âpenser lâapocalypseâ : «[...N]ous sommes entrĂ©s dans une pĂ©riode oĂč lâanthropologie va devenir un outil plus pertinent que les sciences politiques. Nous allons devoir changer radicalement notre interprĂ©tation des Ă©vĂ©nements, cesser de penser en hommes des LumiĂšres, envisager enfin la radicalitĂ© de la violence, et avec elle constituer un tout autre type de rationalitĂ©. Les Ă©vĂ©nements lâexigent.»
A partir de ces observations, nous dĂ©veloppions une rĂ©flexion qui, effectivement, prenait en compte comme un fait acquis de la situation internationale cette perspective de la Grande Crise de destruction du monde, considĂ©rĂ©e dĂ©sormais comme un fait patent, indĂ©niable. Nous envisagions effectivement que des Ă©vĂ©nements, dans cette annĂ©e 2008, allaient dĂ©velopper des situations oĂč ce facteur de la Grande Crise aurait sa prĂ©sence assurĂ©e, et cette prĂ©sence reconnue comme telle, y compris par les autoritĂ©s-SystĂšme elles-mĂȘmes. Nous donnions des prĂ©cisions, Ă cet Ă©gard, Ă propos de tels Ă©vĂ©nements...
«Ce que Girard suggĂšre, câest un changement de notre psychologie pour aborder la puissance des Ă©vĂ©nements qui nous pressent, et les apprĂ©cier avec un autre âespritâ que celui auquel nous sommes accoutumĂ©s. Nous dirions que cela va de soi, a contrario finalement, â par le constat que la psychologie actuelle, telle quâelle est contrainte par les normes imposĂ©es par la civilisation en cours, est totalement incapable de supporter le choc des Ă©vĂ©nements qui sâamassent, sinon par aveuglement volontaire quoique inconscient ou menacĂ©e par la folie, â le premier menant au second sur le terme.
»Parlons de cet âaveuglement volontaire quoique inconscientâ. Le constat que nous faisons est que la fatalitĂ© de la modernitĂ©, notamment avec lâaide des formidables moyens technologiques quâelle a dĂ©gagĂ©s, notamment dans le domaine de la communication, a entraĂźnĂ© et continue d'entraĂźner comme mesure dâurgence de sauvegarde dâelle-mĂȘme (de la modernitĂ©) une dĂ©formation de la rationalitĂ© courante. Nous sommes passĂ©s dâune dĂ©formation transformationnelle notamment fournie par les rĂ©fĂ©rences utopiques, Ă une dĂ©formation substantielle, avec ce que nous dĂ©signons comme le virtualisme, que nous pourrions dĂ©signer comme le âstade ultime de lâutopieâ. (Nous parlons bien dâune psychologie dĂ©formĂ©e, et non dâune propagande assumĂ©e. Les âvirtualistesâ sont aussi les premiers Ă ĂȘtre âvirtualisĂ©sâ ; ils croient Ă lâunivers en faux-semblant quâils crĂ©ent, au contraire des propagandistes qui ne font que travailler sur des moyens de transformer la perception des autres sans prendre position sur la chose ainsi crĂ©Ă©e.) Une telle situation, qui implique le naufrage de la rationalitĂ© telle que nous la connaissons et la pratiquons, implique a contrario la nĂ©cessitĂ© de crĂ©er une autre rationalitĂ©, â disons, pour rejoindre notre citation sans pour autant partager lâanalyse que fait Girard des causes de cette nĂ©cessitĂ©, âun tout autre type de rationalitĂ©â. Sans aucun doute, â[l]es Ă©vĂ©nements lâexigentâ.
»(Girard base son exigence sur la forme de la violence, câest-Ă -dire, selon lui, la guerre qui devient apocalyptique. Nous avons une autre approche, Ă moins que lâon mette en cause la substance mĂȘme de la guerre, et que le concept de âguerreâ dĂ©crive autre chose que ce quâil dĂ©crit aujourdâhui. La guerre est devenue, aujourdâhui, quelque chose qui a essentiellement Ă voir avec la communication et marginalement avec lâopĂ©ration guerriĂšre. Elle est de plus en plus infaisable par refus de coopĂ©ration des adversaires de ceux qui la promeuvent.) [...]
»Cette dynamique folle du dĂ©veloppement machiniste du ProgrĂšs, amĂšne Ă la perte de contrĂŽle, Ă la prise du pouvoir par un processus systĂ©mique contre lequel on se trouve dĂ©sarmĂ© et qui nous emprisonne si lâon ne modifie pas sa rationalitĂ© critique qui permet effectivement de porter un jugement libĂ©rĂ©. On conclut effectivement que la crise actuelle, notre crise systĂ©mique fondamentale est moins cette question machiniste (Ă©conomique et technologique) qui en est lâorigine et le moteur et qui existe depuis longtemps, quâune question psychologique dans un l'aspect dĂ©sormais essentiel de son fondement, â câest-Ă -dire notre crise psychologique, conduisant Ă la recherche dâ«un tout autre type de rationalité» pour la rĂ©soudre. Câest notre psychologie qui a permis Ă la bĂȘte de se dĂ©chaĂźner et qui nous a conduits Ă nous enchaĂźner, par fascination et vanitĂ© tout autant, Ă son dĂ©veloppement incontrĂŽlĂ©. Câest elle seule, notre psychologie, si nous acceptons lâidĂ©e quâil nous faut dĂ©velopper une ânouvelle rationalitĂ©â, qui nous permettrait de nous en libĂ©rer: non seulement pour observer dâune façon radicalement critique un domaine jusquâici considĂ©rĂ© comme tabou, mais pour Ă©carter, grĂące Ă cette vision critique, notre tendance systĂ©mique Ă confondre lâidĂ©e de la force avec lâidĂ©e du bien et Ă faire d'une fonction dynamique (la force) une fonction morale (le bien).
»Il nous apparaĂźt Ă©vident que lâidĂ©e dâune psychologie Ă©voluant de façon Ă pouvoir âpenser lâapocalypseâ comme on pense un Ă©vĂ©nement historique possible est une voie acceptable pour tenter dâatteindre Ă ce «tout autre type de rationalité» que rĂ©clame Girard. LâannĂ©e 2008 pourrait ĂȘtre un bon exercice pour cela, dans la mesure oĂč elle pourrait ĂȘtre une annĂ©e oĂč certaines rĂ©alitĂ©s pourraient sâimposer et faire voler en Ă©clats notre virtualisme (nous pensons notamment aux Ă©vĂ©nements que pourrait susciter, aux USA dâabord et ailleurs ensuite, lâĂ©lection prĂ©sidentielle US).»
Dans son article, Engelhardt emploie lâexpression dââanti-newsâ pour marquer ce quâil juge ĂȘtre lâĂ©tat actuel de lâinformation sur ce que nous dĂ©finissions, nous, comme la crise de la destruction du monder, et mĂȘme comme la crise eschatologique de la destruction du monde. Il remercie mĂȘme celui qui lui a suggĂ©rĂ© lâexpression, qui va bien au-delĂ dâune sorte dâaspect de censure par refus de la nouvelle, qui constitue presque une sorte dâimpossibilitĂ© dâĂȘtre traitĂ© comme une ânouvelleâ, par le canal classique de lâinformation, par le systĂšme de la communication. (Engelhardt «Note: I would like to thank Jonathan Schell for loaning me the term âanti-newsâ in relation to climate change.»)
Cette idĂ©e doit ĂȘtre dĂ©veloppĂ©e, en fonction du fait Ă©vident quâen 2006-2008, lâinformation sur la crise de la destruction du monde Ă©tait entrĂ©e dans le circuit du systĂšme de la communication, et quâelle en a quasiment disparu comme le dĂ©plore Engelhardt. (On peut accepter ce terme dââanti-news, ou âanti-nouvelleâ, dans le sens opĂ©rationnel proposĂ© par Engelhardt en rĂ©fĂ©rence Ă la disproportion de cette faible couverture informationnelle par rapport au gigantisme eschatologique indescriptible de la chose, mĂȘme si sa pertinence peut ĂȘtre mise en question. Ce terme dââindescriptibleâ, renforcĂ© dâautres tel que âindicibleâ, etc., doit ĂȘtre retenu, pour dĂ©crire la rĂ©alitĂ© ontologique du phĂ©nomĂšne. LittĂ©ralement, on peut alors aisĂ©ment envisager que la Grande Crise de la destruction du monde ne peut ĂȘtre dĂ©crite par le seul usage normal de lâinformation.)
Dâabord les Ă©vĂ©nements ... Dans notre deuxiĂšme texte rĂ©fĂ©rencĂ©, nous annoncions que lâannĂ©e 2008 pourrait ĂȘtre celle oĂč lâon pourrait commencer Ă âpenser lâapocalypseâ : « Il nous apparaĂźt Ă©vident que lâidĂ©e dâune psychologie Ă©voluant de façon Ă pouvoir âpenser lâapocalypseâ comme on pense un Ă©vĂ©nement historique possible est une voie acceptable pour tenter dâatteindre Ă ce âtout autre type de rationalitĂ©â que rĂ©clame Girard. LâannĂ©e 2008 pourrait ĂȘtre un bon exercice pour cela, dans la mesure oĂč elle pourrait ĂȘtre une annĂ©e oĂč certaines rĂ©alitĂ©s pourraient sâimposer et faire voler en Ă©clats notre virtualisme (nous pensons notamment aux Ă©vĂ©nements que pourrait susciter, aux USA dâabord et ailleurs ensuite, lâĂ©lection prĂ©sidentielle US).»
Curieusement, cette prĂ©vision se rapproche de certains Ă©vĂ©nements qui pourraient la justifier a posteriori, et elle estcomplĂštement fausse dans son esprit. Un Ă©vĂ©nement formidable a eu lieu aux USA, le 15 septembre 2008, avec lâeffondrement financier de Wall Street. Il avait lieu en marge de la campagne prĂ©sidentielle certes mais il exerça sur cette campagne une influence considĂ©rable, qui nâa jamais Ă©tĂ© reconnue Ă sa juste valeur. (Notre conviction est quâObama lâa emportĂ© notamment sinon principalement Ă cause de la crise, ses qualitĂ©s dâorateur aussi bien que sa forte prĂ©sence Ă la rĂ©union de crise de la Maison-Blanche du 24 septembre 2008 rassemblant les principaux dirigeants US en activitĂ© ou sur le point de lâĂȘtre, contrastant avec le stupĂ©fiant mutisme de son adversaire John McCain dans cette occasion. La crise, et cette perception dâObama comme âprĂ©sident de criseâ Ă©carta lâobstacle que pouvait constituer pour lui le fait dâĂȘtre Africain-AmĂ©ricain, â et notre conviction a toujours Ă©tĂ© quâon a Ă©lu le 5 novembre 2008 le meilleur âprĂ©sident de criseâ disponible, avec la tromperie allant avec, et nullement le premier prĂ©sident Africain-AmĂ©ricain.) On pouvait donc penser que la prĂ©vision avait une certaine vĂ©ritĂ© et que cet Ă©vĂ©nement majeur de 2008 Ă©tait promis Ă permettre de commencer Ă âpenser lâapocalypseâ...
Il nâen a rien Ă©tĂ©, directement considĂ©rĂ©. LâĂ©vĂ©nement 9/15 a, au contraire, Ă©touffĂ© toute perspective de âpenser lâapocalypseâ, cela dans un premier temps.
Par rapport Ă notre impĂ©ratif de âpenser lâapocalypseâ, la crise 9/15 est une crise de dĂ©flection-deception. Nous employons les deux mots dâune façon rĂ©aliste et symbolique Ă la fois, avec le premier (dĂ©flection) indiquant une âmodification de trajectoireâ, qui est lâeffet direct de 9/15, et le second, le mot deception en anglais, faux-ami par excellence, qui signifie âtromperieâ, qui est lâeffet indirect de 9/15, et qui pourrait ĂȘtre aussi bien vĂ©cu comme une dĂ©ception (en français).
Ce qui sâest passĂ© avec 9/15 est quâon a retrouvĂ© une crise classique, du dĂ©jĂ -vu pour les esprits des dirigeants et du public, Ă lâoccasion de laquelle les analogies historiques ne manquĂšrent pas (le spectre de la Grande DĂ©pression). Lâimportant dans cet Ă©vĂ©nement pour notre propos est quâon pouvait sâĂ©loigner de la recherche de âpenser lâapocalypseâ et du «tout autre type de rationalité» recommandĂ© par Girard. En quelque sorte, la crise Ă©norme de 9/15 Ă©tait rassurante, au point quâun bouffon faisant-sĂ©rieux comme Bernanke pouvait annoncer les âjeunes pousses du printempsâ (la reprise) dĂšs mars 2009 et dĂ©velopper sa campagne dâintox dĂ©flection-deception durant tout le printemps (voir le 23 mai 2009). Bien entendu, tout cela Ă©tait pure tromperie, mais la vĂ©ritable tromperie (deception) Ă©tait bien de remplacer une crise par lâautre.
Effectivement, avec 9/15 et immĂ©diatement aprĂšs, on ne pensa plus guĂšre Ă la crise climatique et il fut surtout question des chicayas autour de lâĂ©vĂ©nement dit de Climategate pour savoir qui Ă©tait exactement coupable de quoi dans la comptabilitĂ© des Ă©missions de CO2 ... On ne pensa plus guĂšre Ă la Grande Crise de la destruction du monde en tant que phĂ©nomĂšne eschatologique fondamental, comme on lâavait fait de lâautomne 2006 jusquâĂ 9/15 (2008), mais en termes parcellaires et opĂ©rationnels, Ă lâoccasion dâaccidents ou de catastrophes climatiques, dâanomalies gĂ©ophysiques, etc. Mais il sâagit ici dâun point de vue relatif Ă ce qui avait prĂ©cĂ©dĂ©, et une dĂ©marche de liquidation de la dĂ©marche impliquant de âpenser lâapocalypseâ. Cette âstratĂ©gieâ naturelle de dissimulation du SystĂšme (âdissimulationâ, autre mot pour deception, proche de âtromperieâ mais avec une nuance dâĂ©laboration en plus) portait une dimension bien plus grave pour le SystĂšme ; parfait retour de flamme, âtel est pris qui croyait prendreâ, inversion vertueuse prestement rĂ©alisĂ©e..
De nombreuses thĂšses de manipulation et de âcomplotsâ ont Ă©tĂ© Ă©mises pour expliciter ou interprĂ©ter cette crise 9/15, mais elles ressortent toutes des activitĂ©s complotistes habituelles, comme elles ressortent Ă©galement des effets dâaccaparement du pouvoir par lâune ou lâautre faction du SystĂšme ; elles nâont aucun intĂ©rĂȘt pour notre raisonnement. Sâil nous importe de retenir lâidĂ©e dâun âcomplotâ, câest Ă une toute autre hauteur, dans un autre champ, dans un tout autre domaine qui est celui de la mĂ©tahistoire.
De notre point de vue, on pourrait trĂšs logiquement interprĂ©ter la crise 9/15 de 2008 comme une sorte de âcomplotâ dĂ©flection-deception du SystĂšme contre lui-mĂȘme. Il est alors entendu que nous considĂ©rons le SystĂšme comme une entitĂ©, voire une Ă©grĂ©gore, dont lâactivitĂ© rĂ©pond Ă une psychologie intĂ©grĂ©e et Ă une logique globale interne, et Ă niveau dâintelligence allant de la surpuissance extatique Ă lâautodestruction dâune stupiditĂ© avĂ©rĂ©e. En effet, la dynamique que nous baptisions âpenser lâapocalypseâ durant les annĂ©es fin 2006-dĂ©but 2008 avait Ă©tĂ© lancĂ©e par le SystĂšme lui-mĂȘme (rapport Stern) ; câest donc contre lui-mĂȘme que la crise financiĂšre 9/15 est activĂ©e et se dĂ©veloppe si on considĂšre cette crise effectivement comme de type dĂ©flection-deception, destinĂ©e Ă dĂ©tourner notre attention de la Grande Crise de destruction du monde per se. 9/15 concentre toute lâattention, toute la capacitĂ© dâalarme et de dĂ©bat, toute la potentialitĂ© de rĂ©flexion autour de la problĂ©matique de la crise sectorielle de la finance enchaĂźnant sur lâĂ©conomico-sociale. Câest un domaine fĂ©cond, Ă la fois pour lâanalyse critique, Ă la fois pour lâintĂ©rĂȘt du public et des contestataires antiSystĂšme, Ă la fois pour lâexercice du pouvoir, qui se trouve en plus âconfortablementâ installĂ©e sur de nombreuses rĂ©fĂ©rences historiques, Ă la fois rassurantes et rationalisantes pour lâesprit. Ainsi disparut la dynamique du âpenser lâapocalypseâ, ainsi la Grande Crise de destruction du monde devint-elle, selon le mot dâEngelhardt, une âanti-nouvelleâ, ou, mieux encore, une ânon-informationâ
Le complot rĂ©ussit au-delĂ de toute espĂ©rance, câest-Ă -dire quâil se dĂ©passa lui-mĂȘme, produisant de plus en plus de crises de toutes les formes, de tous les domaines sectoriels, dont on pourrait croire Ă premiĂšre vue quâelles poursuivirent et renforcĂšrent le travail de dĂ©flection-deception en accentuant lâimpression de fragmentation et de cloisonnement empĂȘchant la rĂ©alisation de la Grande Crise dans son ensemble. Mais quây a-t-il âau-delĂ de toute espĂ©ranceâ dans la situation que nous dĂ©crivons, sinon des domaines oĂč lâon trouve brusquement des situations conjoncturelles qui ridiculisent lâespĂ©rance en question, qui trahissent le but recherchĂ© et dĂ©couvrent ce quâon a voulu dissimuler ?
Dâabord, 9/15 nâaboutit pas au but opĂ©rationnel recherchĂ©. Ce ne fut pas une âcriseâ au sens initial du mot, â un paroxysme, suivi dâun apaisement, dans un sens ou lâautre, et dâun retour Ă lâordre, dâune nature ou lâautre. La crise Ă©volua en embourbement crisique si lâon veut, rĂ©pondant ainsi dâune façon convaincante Ă une nouvelle dĂ©finition du concept de âcriseâ dĂ©jĂ prĂ©parĂ©e par des sĂ©quences telle que celle de la âcrise iranienneâ dĂ©montrant son caractĂšre chaotique dâembourbement depuis 2005. Nous nous retrouvĂąmes rapidement dans la situation dĂ©crite par la rapide dĂ©finition mentionnĂ©e au dĂ©but de notre Glossaire.dde du 12 janvier 2014 (la âcrise dâeffondrement du SystĂšmeâ constituant un Ă©vĂ©nement central de notre temps, qui renvoie bien entendu Ă la Grande Crise de la destruction du monde, et vice-versa, les deux Ă©tant irrĂ©mĂ©diablement liĂ©es jusquâĂ se confondre dans telle ou telle occasion) :
«On observera ici, et cela vaut aussi pour dâautres articles du Glossaire.dde, que lâemploi gĂ©nĂ©ralisĂ© du terme âcriseâ nâest pas nĂ©cessairement appropriĂ© selon la stricte dĂ©finition de la chose ; mais il lâest, selon nous, si on situe cet emploi dans un contexte particulier, qui est effectivement celui que nous choisissons, que nous dĂ©signons explicitement ou qui est simplement implicite chez nous ; il sâagit du contexte de cette pĂ©riode spĂ©cifique de âfin de civilisationâ, ou de âfin de ânotreâ contre-civilisationâ comme nous dĂ©signons la âcivilisationâ oĂč nous nous trouvons depuis le dĂ©but du XIXe siĂšcle. La âcriseâ devient alors dans ce cas une circonstance dâune sĂ©quence temporelle et civilisationnelle plus large, plus ample et Ă©videmment dĂ©cisive, et une circonstance si fortement liĂ©e Ă cette âsĂ©quence temporelle et civilisationnelleâ quâelle en est dâune mĂȘme substance. La âcriseâ devient une composante essentielle, et de plus en plus exclusive, du Temps GĂ©nĂ©ral que nous vivons, et elle se caractĂ©rise par une sorte de structuration, voire mĂȘme jusquâĂ reprĂ©senter lâidĂ©e assez paradoxale, sinon oxymorique, dâune âparoxysme durableâ qui devient de plus en plus un âparoxysme structurelâ, qui devient la seule façon dâĂȘtre de notre temps mĂ©tahistorique.»
On sait comment les choses se sont dĂ©roulĂ©es depuis 9/15, accentuant les remarques ci-dessus. Dâautres crises sont apparues et ont pris la mĂȘme forme, ou plutĂŽt la mĂȘme absence de forme que 9/15, en mĂȘme temps quâun reclassement gĂ©nĂ©ral des principaux centres du SystĂšme se faisait sous la forme du bloc BAO. Les crises se sont empilĂ©es dans divers domaines, sous la forme dâune chaĂźne crisique dans le chef du âprintemps arabeâ, pour former une infrastructure crisique, qui constitue une opĂ©rationnalisation gĂ©nĂ©rale de lâembourbement crisique et de lâutilisation du concept de âcriseâ comme matĂ©riel de base des relations internationales, et de la situation du monde en gĂ©nĂ©ral. Câest notre situation actuelle...
Le rĂ©sultat est une situation gĂ©nĂ©rale sans prĂ©cĂ©dent. La crise dâeffondrement du SystĂšme, qui est dĂ©crite et opĂ©rationnalisĂ©e par la multitude de phĂ©nomĂšnes crisiques constituant la substance de la situation gĂ©nĂ©rale du monde, et dĂ©finissant lâessence de cette situation, englobe dĂ©sormais toute notre Ă©poque. Rien ne lui Ă©chappe. Dâune façon trĂšs logique, la Grande Crise de la destruction du monde, dont les manifestations ou ce qui est perçu comme ses manifestations se multiplient, a naturellement trouvĂ© sa place dans cette âsituation gĂ©nĂ©rale sans prĂ©cĂ©dentâ. La psychologie joue un rĂŽle fondamental dans ce processus, elle qui est dĂ©sormais dâune sensibilitĂ© exacerbĂ©e Ă tout ce qui concerne de prĂšs ou de loin le caractĂšre crisique de cette âsituation gĂ©nĂ©rale sans prĂ©cĂ©dentâ ; cela fait que tout Ă©vĂ©nement naturel, climatique avec ses consĂ©quences, etc., semblant hors des normes, â et lâinterprĂ©tation dans ce sens est aisĂ©e, â est aussitĂŽt interprĂ©tĂ©e comme une manifestation de la Grande Crise de destruction du monde et aussitĂŽt intĂ©grĂ©e dans cette âsituation gĂ©nĂ©rale sans prĂ©cĂ©dentâ.
Ce phĂ©nomĂšne dâintĂ©gration de la Grande Crise de destruction du monde, dont le principe et lâidentification avaient Ă©tĂ© Ă©cartĂ©s par 9/15, fait que ce qui avait Ă©tĂ© chassĂ© par la grande porte de 9/15 est revenu par la fenĂȘtre, sans la moindre opposition de quiconque. Dans ce cas comme dans tant dâautres, on voit ce confirmer ce quâon a dĂ©fini depuis 2008 sous le terme âbloc BAOâ, savoir que le SystĂšme, malgrĂ© ses fureurs de surpuissance, est dans une position de formidable fragilitĂ© (autodestruction dĂ©coulant de la surpuissance) qui lui interdit de contrecarrer de tels Ă©vĂ©nements comme celui du âretour par la fenĂȘtreâ de la Grande Crise de destruction du monde.
Nous observions ce phĂ©nomĂšne, notamment dĂšs le 22 juillet 2010, dans un texte sur lââintĂ©gration de la crise climatiqueâ (dans la crise dâeffondrement du SystĂšme...). Nous proposions ainsi :
«La crise climatique est entrĂ©e dans la crise du systĂšme, elle sâest intĂ©grĂ©e. Comme dâhabitude, le systĂšme, dâune puissance inouĂŻe, est dâune sottise Ă mesure. Il nâa pas su apprĂ©hender cette crise climatique selon ses propres paramĂštres (rĂ©duction consĂ©quente de la consommation dâĂ©nergie, technologies âpropresâ, etc.) et il nây parviendra pas parce quâil est totalement impuissant à mettre un frein Ă sa boulimie de puissance. Il alimente donc lâĂ©largissement radical de la crise, la transformation de crises sectorielles dâune part, de crises ânaturellesâ dâautre part, en des crises âpolitiquesâ, câest-Ă -dire des crises mĂ©tahistoriques selon la rĂ©fĂ©rence de la Grande DĂ©pression (avec le Dust Bowl). Il accĂ©lĂšre considĂ©rablement les conditions âobjectivesâ, â ou, disons, les conditions âeschatologiquesâ de la mise en cause de lui-mĂȘme par lâintĂ©gration des Ă©vĂ©nements quâil rencontre.
»Aujourdâhui, plus aucune catastrophe naturelle, mĂȘme si elle est ârĂ©ellementâ naturelle, ne peut plus Ă©chapper Ă cette fatalitĂ© dâĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une consĂ©quence de la crise du systĂšme, ou comme une consĂ©quence de la crise climatique dans la mesure oĂč cette crise climatique est la consĂ©quence de la crise du systĂšme. Câest une machinerie infernale, qui sâajoute Ă dâautres machineries du mĂȘme genre, qui alimente Ă©videmment la crise psychologique gĂ©nĂ©rale (notre âĂ©puisement psychologiqueâ) dont on ne cesse de relever les effets dans tous les domaines. De ce point de vue Ă©galement, Ă cĂŽtĂ© des amuse-bouche sur le pourcentage de la responsabilitĂ© humaine dans le global warming, histoire dâanimer les talk-shows, la crise climatique sâest installĂ©e dans notre tĂȘte et dans notre psychologie comme un enfant difforme et infĂąme de la crise du systĂšme. Le DVD montrant le flot de pĂ©trole sâĂ©chappant de la conduite BP au fond du Golfe du Mexique nâa pas fini de faire des dĂ©gĂąts dans nos psychismes.»
Ce processus sâest poursuivi et il est dĂ©sormais bien rodĂ©. On comprend lâamertume dâEngelhardt devant la disparition dans âles nouvellesâ de la crise climatique (la Grande Crise...), mais on le jugera infondĂ© par le fait mĂȘme que nous avons dĂ©crit : lâintĂ©gration de la Grande Crise de destruction du monde. La psychologie, puis le jugement, ont entĂ©rinĂ© cela, comme nous lâavons notĂ© dans plusieurs textes rĂ©cents, si bien quâen nâĂ©tant guĂšre identifiĂ©e pour ce quâelle est, la âGrande Crise...â est partout prĂ©sente. Plus encore, elle est implicitement identifiĂ©e pour ce quâelle est, Ă savoir la consĂ©quence directe des systĂšmes dĂ©veloppĂ©s par notre contre-civilisation, donc consĂ©quence Ă la fois symbolique et eschatologique du SystĂšme ; notamment et essentiellement par consĂ©quent, son caractĂšre eschatologique ne peut plus ĂȘtre ni dĂ©niĂ©, ni Ă©cartĂ©... Cette fois, alors quâelle est de retour, elle trouve le SystĂšme totalement sur la dĂ©fensive, totalement impuissant, alors mĂȘme quâil en est lui-mĂȘme Ă subir sa propre crise dâeffondrement (bien plus que la gĂ©rer, cela va sans dire). CâĂ©tait le constat que nous faisions le 16 septembre 2013, commentant une initiative-SystĂšme face Ă la Grande Crise de lâeffondrement du monde, qui Ă©tait aussi une aveu du SystĂšme de sa propre responsabilitĂ© dans cette Grande Crise...
«Le ârapport Sternâ Ă©tait un document recommandant une stratĂ©gie de lutte contre ce processus, avec comme philosophie implicite quâil existait effectivement une possibilitĂ© dâinflĂ©chir la courbe gĂ©nĂ©rale de dĂ©structuration et de dissolution de lâenvironnement. Il sâagissait de la filiĂšre gĂ©nĂ©rale de nĂ©gociations diverses concernant la rĂ©gulation de production de gaz Ă effets de serre, de transformation des processus de production dâĂ©nergie et de sources dâĂ©nergie, etc. Il sâagissait donc dâune sorte de âplan gĂ©nĂ©ralâ de contre-offensive, pour inflĂ©chir dâune façon dĂ©cisive le fonctionnement du SystĂšme et Ă©viter les principaux effets catastrophiques de la crise environnementale. En un sens, la menace eschatologique de la crise environnementale nâĂ©tait justement pas perçue comme eschatologique, puisquâil Ă©tait admis quâune action concertĂ©e pouvait en Ă©carter les principaux effets.
»Sept ans plus tard, avec la crĂ©ation du CSER comme Ă©vĂ©nement symbolique, on peut mesurer le chemin parcouru dans le sens de la dĂ©gradation extraordinairement rapide de la situation, et lâimpuissance totale des Ă©lites-SystĂšme Ă incurver la course du SystĂšme. Câest Ă ce point, dans le domaine le plus spectaculairement effrayant de la âdestruction du mondeâ, quâon peut mesurer la validitĂ© matĂ©rielle, â dans le domaine de la MatiĂšre elle-mĂȘme, censĂ©e ĂȘtre pourtant le moteur du SystĂšme, â que lâĂ©quation surpuissance-autodestruction prend toute sa force. La crĂ©ation du CSER signale en effet, principalement, deux grands constats, qui prennent acte de la modification complĂšte de la perception de la situation par rapport Ă âlâĂ©poqueâ du rapport Stern.»
Notre conclusion de cette description dâune Ă©volution ultra-rapide dâintĂ©gration de phĂ©nomĂšnes sans prĂ©cĂ©dent, â la crise dâeffondrement du SystĂšme, la Grande Crise de la destruction du monder, la responsabilitĂ© directe de la premiĂšre comme cause essentielle de la seconde, â se trouve dans la description dâun renversement complet du processus de jugement de la situation gĂ©nĂ©rale de notre pensĂ©e. Nous nâen sommes plus Ă tenter de âpenser lâapocalypseâ, nous en sommes au stade oĂč lâapocalypse commence Ă nous penser, plus encore, oĂč l'apocalypse nous pense dĂ©jĂ complĂštement, â oĂč, dĂ©sormais, nous sommes âpensĂ©s par lâapocalypseâ. Nous avions voulu maĂźtriser (le rapport Stern) ce que nous identifiions comme un danger majeur mais le SystĂšme a Ă©videmment sabordĂ© cette tentative qui lâaurait rapidement mis en accusation en introduisant des facteurs (eschatologiques) quâil ne contrĂŽle pas. Lâinverse complet sâest rĂ©alisĂ©, en accouchant dâune situation pire pour le SystĂšme, la pire quâon puisse imaginer : dĂ©sormais, câest Notre Tout Crisique qui est devenu eschatologique, la crise climatique transmutĂ©e en Grande Crise de destruction du monde, nos crises sectorielles rĂ©alisĂ©es et intĂ©grĂ©es en une immense crise dâeffondrement du SystĂšme, et les deux branches Ă©tant elles-mĂȘmes intĂ©grĂ©es.
Les Ă©vĂ©nements terrestres ne constituent plus des catĂ©gories Ă part, faites pour nous interdire une pensĂ©e gĂ©nĂ©rale et intĂ©gratrice, ils sont forcĂ©s de sâintĂ©grer dans le courant âapocalyptiqueâ. Ils ne prĂ©sentent plus aucune cohĂ©rence interne, ils se dĂ©veloppent dans un dĂ©sordre gĂ©nĂ©ral qui porte chaque jour tĂ©moignage de cette situation apocalyptique. Leur opĂ©rationnalisation interne est elle-mĂȘme devenue complĂštement chaotique, dans un âmonde antipolaireâ qui refuse dĂ©sormais tout contrĂŽle humain. Chaque nouvel Ă©pisode crisique nous montre cela, jusquâaux plus infimes et grotesques pĂ©ripĂ©ties (voir, pour le plus rĂ©cent et pour le grote sque, lâĂ©pisode âVictoria Nuland-Fuckâ liĂ© Ă lâUkraine [le 7 fĂ©vrier 2014]).
Avec 9/15, le SystĂšme croyait Ă©chapper au pire de ce quâil pouvait craindre avec une classification des Ă©vĂ©nements lemettant directement en question en imposant, contre le champ apocalyptique ouvert par le rapport Stern, des Ă©vĂ©nements terrestres (9/15, lâĂ©norme crise financiĂšre) qui, par leur ampleur, Ă©cartaient la terrible menace du âpenser lâapocalypseâ. Il y est aujourdâhui complĂštement soumis, dans un renversement stupĂ©fiant, qui est bien plus quâune inversion vertueuse, qui est une rĂ©volution de lâesprit dont nous allons dĂ©couvrir les consĂ©quences absolument prodigieuses remettant en cause plus de 3-5 siĂšcles de civilisation transformĂ©e en contre-civilisation. Nous sommes soumis aujourdâhui, comme lâon dit dâun combattant vaincu, par ce renversement complet des exigences de la logique des Ă©vĂ©nements. Nous (y compris les autoritĂ©s-SystĂšme, et les autoritĂ©s-SystĂšme en premier, dans un bouleversement terrifiant pour elles et dont il faut se rĂ©jouir au plus haut point), â nous nâintĂ©grons absolument pas le âpenser lâapocalypseâ tout en le contrĂŽlant, mais nous sommes intĂ©grĂ©s de toute force par les Ă©vĂ©nements dans un âpenser lâapocalypseâ qui nous a Ă©chappĂ©, qui se manifeste dans des Ă©vĂ©nements supĂ©rieurs et incontrĂŽlables, manifestement de nature supra-humaine, qui nous domine absolument et nous emporte comme fĂ©tus de paille. Nous, â câest-Ă -dire lui, le SystĂšme, ou âtoi, le veninâ, â le SystĂšme a tout perdu au change : refusant le âpenser lâapocalypseâ comme un des domaines de sa rĂ©flexion, il est devenu lui-mĂȘme âpensĂ© par lâapocalypseâ, il a Ă©tĂ© annexĂ© par lâapocalypse...
Ainsi, comme le constate Engelhardt, effectivement la crise climatique en tant quâelle opĂ©rationnalise et symbolise absolument la Grande Crise de la destruction du monde nâest pas dans les nouvelles. Mais elle nâest pas anti-news pour autant. Elle est devenue la substance fondatrice, prĂ©gnante, omniprĂ©sente de lâinformation et mĂȘme du systĂšme de la communication, en intĂ©grant absolument la crise dâeffondrement du SystĂšme.... Ce sont les crises accumulĂ©es par le SystĂšme depuis 2008 qui forment ces chaĂźnes crisiques, cette infrastructure crisique, qui sâinsĂšrent dans un ensemble qui porte la marque de la crise dite de lâapocalypse. Nous nâavons plus Ă chercher Ă âpenser lâapocalypseâ car voici la Grande Nouvelle : dĂ©sormais, lâapocalypse pense pour nous, comme elle nous pense...
... Cela dit sans autre constat que ce soit, ni terreurs horrifiĂ©e, ni joie exacerbĂ©e et un peu hystĂ©rique, non. Il sâagit dâun constat. Il correspond Ă ce que nous jugeons de la situation et nous affirmons lĂ -dessus tout ignorer, et tout vouloir ignorer pour Ă©carter les pressions trompeuses de lâaffectivitĂ© humaine, de ce que ce constat signifie et nous rĂ©serve. Mais nous ne voyons dans la perspective aucune fatalitĂ© que notre raison (suspecte, puisque sensible Ă la subversion) pourrait nous suggĂ©rer. Nous sommes dans une situation qui nâest plus ni dans notre pouvoir, ni dans notre perception, et dont les protagonistes nous dĂ©passent.