Cher(e)s membres du groupe de réflexion Tripalium,
Je souhaite proposer quelques pistes de réflexion inspirées par la lecture du n°508-jurisprudence sociale de Tripalium du jeudi 23 septembre dernier concernant l’utilisation d’un audit occasionnel dans le cadre du licenciement pour insuffisance professionnelle d’un salarié (cf. pour rappel l’arrêt de la cours de cassation en question ci-dessous).
Il n’est pas ici question de remettre en cause le bien-fondé de la décision de l’employeur de licencier un salarié pour insuffisance professionnelle, suite à un audit organisationnel du service dont il était responsable. Je ne dispose pas, en effet, des éléments me permettant de me prononcer sur ce sujet.
Je m’interroge, en revanche, sur les risques de dérives éthiques que pourrait engendrer cette jurisprudence dans le domaine de l’audit social et organisationnel.
L’auditeur social se doit de respecter des règles de déontologie dans l’exercice de ses missions d’audit. Il en va, en effet, de la légitimité de telle missions auprès des salariés. En particulier, l’audit doit porter sur les processus et non sur les salariés acteurs de ces processus. L’auditeur ne doit pas mettre en cause de façon nominative tel ou tel salarié si un dysfonctionnement organisationnel est diagnostiqué.
Le fait qu’un audit organisationnel puisse être utilisé dans le cadre d’un licenciement pour insuffisance professionnelle me semble une dérive dangereuse de l’audit social vers un outil de contrôle de la performance des salariés et appelle à une vigilance accrue en matière d’éthique professionnelle de la part des auditeurs sociaux.
Au plaisir de vous lire
Anne Sachet-Milliat
Professeur de Management et d’Ethique des Affaires - ISC Paris
Directrice Adjointe de la Rédaction de la Revue Entreprise Ethique
Le
recours occasionnel à un audit de service pour optimiser une nouvelle
organisation ne nécessite pas la consultation du comité d'entreprise
Une entreprise utilise un
audit qui sera utilisé lors du licenciement pour insuffisance professionnelle
d’un salarié. Ce dernier prétend qu’il s’agit d’un
système de contrôle et d'évaluation individuel des salariés sur lequel le CE
aurait dû être consulté. Il est débouté de sa demande. Recourir
de façon occasionnelle à un audit d’un service pour analyser
l'organisation du travail afin de faire des propositions pour son amélioration
sous forme de recommandations, pour optimiser sa nouvelle organisation, ne
donne pas lieu à consultation du comité d’entreprise. Pour la
Cour de cassation le caractère occasionnel de l'audit et sa finalité
visait à analyser l'organisation du travail et non
à contrôler les salariés.
L'arrêt
M. X... a été engagé par la société Pro LDK
devenue société Protéika le 16 février 1999 en qualité de responsable du
département standard, pour occuper ensuite, le poste de responsable du centre
d'appels. Un audit a été
organisé dans l'entreprise courant décembre 2007.. Licencié le 1er février 2008 pour insuffisance
professionnelle, M. X... a saisi la juridiction prud'homale pour obtenir
notamment la condamnation de la société Protéika à lui payer une indemnité de
licenciement sans cause réelle et sérieuse.
M. X... estime que le comité d'entreprise doit être informé et consulté, préalablement à la décision
de mise en oeuvre dans l'entreprise, sur les moyens ou les techniques
permettant un contrôle de l'activité des salariés. Hors, selon le
salarié, la réalisation d'un audit
destiné notamment à "évaluer les compétences humaines", sur la base
duquel il est pris la décision de licencier un salarié constitue un moyen de
contrôler l'activité de celui-ci.
Pourvoi rejeté : « Mais attendu que si un système de contrôle et
d'évaluation individuels des salariés ne peut être instauré qu'après
information et consultation du comité d'entreprise, tel n'est pas le cas d'un
audit mis en oeuvre pour apprécier, à un moment donné, l'organisation d'un
service ;
Et attendu qu'ayant relevé que la finalité de l'audit auquel l'employeur
avait eu recours de manière occasionnelle, n'était pas de mettre en place un
moyen de contrôle des salariés, notamment du responsable du centre d'appels,
mais visait à analyser l'organisation du travail en vue de faire des
propositions d'amélioration du service sous forme de recommandations, pour
optimiser sa nouvelle organisation, la cour d'appel, appréciant souverainement
la portée des pièces probantes qui lui étaient soumises, n'encourt pas les
griefs du moyen ; » (Cass. soc.
12 juillet 2010, nos U 09-66.339)