Richard Abibon
Il se trouve que mon texte sur Don Quichotte répond en partie à votre
question. A lire sur mon site : 
http://topologie.pagesperso-orange.fr/.
à la rubrique « nouveaux textes » ; J’y analyse la question du désir
de l’analyste en regard de la folie de Don Quichotte.
Je vous passe le paragraphe de ce texte plus particulièrement consacré
à l’autorisation, mais il faut le resituer dans le contexte plus vaste
de cet article.
Je me suis fait virer de pas mal d’endroits, ou j’ai été obligé d’en
partir, étant dans mis l’impossibilité de travailler : autant dire
qu’on me prenait pour fou. Pour telle chef de service se référant à la
SPP , je ne respectais pas les ¾ d’heure de séance officiellement
requis dans cette institution. Si ça avait été à l’IPA, ça aurait été
50 minutes au lieu de 45. Telle autre chef de service se référait à
son contrôleur pour dire que je ne devais pas laisser les enfants
sortir de mon bureau, sans prendre la peine de m’interroger sur mes
raisons d’agir ainsi. Si elle l’avait fait, j’aurais pu lui expliquer
que des enfants dits-autistes qui sont resté au bord du langage, ne
peuvent rien entendre d’une règle posée dans le langage. Comme Samson
Carasco , il me fallait accepter d’aller dans ce monde du bord pour
les y chercher, dans les lieux où ils le cherchaient eux-mêmes : sur
les bords, portes et fenêtres, bordures de trottoirs et autres trous
qu’offrent l’environnement (WC, cuisine, etc.) et qu’on ne trouve
guère dans un bureau. Mais alors, là, Don Quichotte, est-ce moi ou
sont-ce ceux qui ont eu le pouvoir de m’éjecter au-delà des bords
définis par des normes par ailleurs variables selon les humeurs et les
références de tel ou tel chef de service ? Ici, l’institution SPP, là,
le contrôleur de madame, ceci n’étant que deux exemples parmi une
foule d’autres aussi divers que divertissants, mais en aucun cas la «
réalité » que je rencontrais. C’est moi, dans le sens où je me
référais à moi-même, je m’autorisais de moi-même et non de mon
contrôleur ou de l’institution, et de ce qui m’apparaissait comme
réalité dans un domaine où il y avait, certes, une certaine folie à le
faire. D’un autre côté, c’est eux, dans la mesure où au lieu de se
référer à la réalité, ils se référaient à leurs livres préférés et aux
autorités qui les empêchaient de s’autoriser d’eux-mêmes. Mais c’est
ce qu’ils appelaient alors «réalité ». Je fais attention, parce qu’il
est toujours facile de dire que le fou, c’est l’autre, et je tente ici
d’interroger ce qu’il y avait de folie dans ma position d’alors.
Interroger ce qu’il y a de folie en nous, c’est ce que Freud
requerrait pour être psychanalyste. Y’a pas plus fou qu’un rêve
puisque, rêver, c’est prendre ses désirs pour des réalités. C’est ce
que fait Don Quichotte. Il a besoin d’adversaires pour prouver sa
valeur et faire comme dans ses livres de chevalerie ; s’il n’en trouve
pas à sa mesure, alors il se les invente. Sont-ce vraiment des autres,
ou seulement des représentants dans l’extérieur des chimères qu’il
porte à l’intérieur ? Sa référence princeps reste les livres de
chevalerie comme, à mon sens, les gens qui m’ont pris pour un Don
Quichotte de la psychanalyse. Eux se référeraient en effet à la doxa
dont les livres de psychanalyse sont remplis, faisant fi de la réalité
à laquelle, de mon point de vue, je me référais.
Ceci pose la question cruciale de la référence, que la formule de
Lacan pose dans toute son ambigüité : le psychanalyste s’autorise de
lui-même, et de quelques autres. Car, d’un point de vue logique, s’il
s’autorise de lui-même, alors, c’est qu’il n’a pas besoin des autres ;
il est même crucial qu’il puisse s’en dégager, de ces autres qui se
font représenter par les doxas aussi diverses que variées se
manifestant dans le champ social, réclamant qu’on y agrée pour être à
son tour agréé. S’il s’autorise des quelques autres, alors il n’est
plus lui-même car il a dû en rabattre pour complaire aux pré-requis de
ces quelques autres. Et pourtant c’est bien avec ce paradoxe qu’il
s’agit de composer, non seulement pour s’autoriser psychanalyste, mais
pour entrer dans le champ du langage commun à tous les parlêtres. Le
négativisme des enfants en témoigne : dès qu’ils savent un peu parler,
« non » est une de leur parole favorite, car la parole de l’autre,
c’est celle de l’autre, et y agréer par un oui, c’est se nier soi-
même. Comme ils sont en pleine construction d’eux-mêmes, ce sont les
autres qui en pâtissent. Ils disent non à une parole commune et de bon
sens pour faire leur Don Quichotte et dire oui à un monde de jeux et
de rêves, où ils luttent contre des géants et prennent des châteaux
forts afin de construire l’enceinte où ils mettront à l’abri un moi
chèrement conquis sur l’adversité.
Je dois dire que lors de multiples interventions publiques, lorsque
j’en venais à citer cette formule, et que je posais un temps après le
« lui-même » afin de faire entendre la virgule, il y avait toujours
quelqu'un dans la salle pour compléter « et de quelques autres », tant
la précipitation à la référence commune semble faire loi, bien plus
fortement que la révolutionnaire et dangereuse première partie de la
formule.
Il est vrai que, dans toutes les autres disciplines, l’autorisation se
produit d’un examen ou d’un concours qui sanctionne quoi ? Un savoir.
Et que, au psychanalyste, on réclame aussi un savoir puisque la
démarche même de l’analysant repose sur cette supposition du savoir du
psychanalyste. Or, ce savoir n’est que supposé par l’analysant. C’est
la demande de l’analysant au psychanalyste, et il n’est pas dit que ce
doive être la demande de ses pairs. La psychanalyse reste la seule
discipline dans laquelle le praticien ne sait qu’une chose, c’est
qu’il ne sait pas, quoiqu’il en soit, d’une part des savoirs qu’il a
pu accumuler par la lecture des livres de psychanalyse, d’autre part
du savoir qu’il a pu mettre à jour sur lui-même lors de son propre
parcours analytique. En ce sens, il destitue non seulement le savoir
des quelques autres, disons, en gros, le savoir admis dans la
communauté analytique, mais aussi le savoir sur lui-même. Pourtant la
tentation est grande de sans cesse y faire retour, aussi bien à l’un
qu’à l’autre. Cela mérite d’y revenir un peu, ce que je réserve pour
bientôt.