L’après COP21 accumule les difficultés
LE MONDE | 12.03.2016 à 07h10 | Par Simon Roger
Laurent Fabius, Christiana Figueres, Ban Ki-moon et Laurence Tubiana. La « dream team » de l’accord de Paris sur le climat est en pleine déliquescence. Des quatre principaux artisans du texte historique adopté le 12 décembre 2015 pour lutter contre le réchauffement, l’un a quitté l’équipe, deux sont sur le départ et le quatrième pourrait faire de même. L’ex-ministre des affaires étrangères, qui a cédé son fauteuil au quai d’Orsay pour la tête du Conseil constitutionnel, espérait pouvoir poursuivre sa mission de président de la 21eConférence des parties (COP21) jusqu’en novembre, à Marrakech, où la France passera le relais aux autorités marocaines. Malgré lui, il a été remplacé dans cette fonction par Ségolène Royal, ministre de l’environnement, également « en charge des relations internationales sur le climat » depuis le remaniement du 11 février.
L’énergique diplomate costaricaine qui dirige depuis six ans la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), l’instance de négociation multilatérale sur le climat, a déclaré de son côté qu’elle refuserait toute prolongation de son mandat, qui expire en juillet. Le secrétaire général de l’ONU, instigateur notamment du sommet climat de septembre 2014, ne pourra briguer un troisième mandat début 2017. La chef négociatrice française, parfaite connaisseuse des enjeux et des acteurs du débat, envisage elle aussi un départ. Tentée par le poste de Christiana Figueres, elle devra se décider avant le 26 mars, date limite de dépôt des candidatures. « Il n’est pas facile de savoir quel est le meilleur endroit pour peser et agir sur le dossier climat », explique-t-elle.
Contraints ou volontaires, ces mouvements individuels n’envoient pas un bon signal alors que l’accord engageant les 195 pays membres de la CCNUCC à maintenir le réchauffement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, fête samedi 12 mars ses trois mois d’existence. « Une autre phase s’ouvre avec la mise en œuvre de l’accord, ce n’est pas forcément un mauvais moment pour changer d’équipe », tente de minimiser Janos Pasztor, le conseiller climat de Ban Ki-moon. Pour cette nouvelle phase, ce temps de l’action, François Hollande a décidé de s’en remettre à Ségolène Royal.
Gage de la présidence « active, efficace et dans la continuité » qu’elle entend assurer, la ministre de l’environnement multiplie depuis les réunions de travail à Paris et les déplacements de terrain. Fin février, elle a traversé au pas de charge cinq pays africains – Egypte, Ethiopie, Côte d’Ivoire et Sénégal – pour y vanter les énergies renouvelables. Un thème qu’elle évoquera de nouveau à partir de dimanche 13 mars, mais cette fois en République démocratique du Congo, au Gabon et au Nigeria. « Fabius devait conduire les 195 Etats de la Convention-cadre vers un compromis, il a rempli sa mission, estime Seyni Nafo, qui préside le groupe Afrique au sein de la CCNUCC. Maintenant, il faut assurer le service après-vente de l’accord, c’est Royal qui va s’en charger ! »
Des chantiers balbutiants
« La COP21 a été un succès, mais ça, c’était la partie facile », a ironisé au Forum de Davos la patronne de la CCNUCC, Christiana Figueres. La diplomate costaricaine sait que tout, ou presque, reste à faire pour transformer la feuille de route de Paris en plan d’action crédible, car les engagements actuels des Etats ne suffisent pas à tenir le cap des 2 °C. Le service après-vente s’annonce donc périlleux.
« La première tâche incombant à Ségolène Royal est de mobiliser les chefs d’Etat et de gouvernement pour la cérémonie de signature de l’accord, programmée le 22 avril à New York, détaille Laurence Tubiana. Mais ce n’est pas tout. Elle doit aussi avancer sur le processus de mise en œuvre, remettre en marche la machine de négociation et poursuivre “l’agenda de l’action” [qui fédère de nombreux acteurs non-étatiques, entreprises ou collectivités territoriales] ». Autant de fronts climatiques qui s’ajoutent à une actualité environnementale déjà chargée : suivi de la loi de transition énergétique et de la loi sur la biodiversité, déminage des dossiers explosifs de la centrale nucléaire de Fessenheim et du projet aéroportuaire de Notre-Dame-des-Landes…
« L’une de nos craintes est que la présidence française se concentre sur l’agenda de l’action attribué à Ségolène Royal durant la COP21, mais qu’elle n’enregistre aucune avancée notable au plan international », pointe Célia Gautier du Réseau Action Climat (RAC). La ministre s’en défend : « Un courrier va partir dans les 28 pays de l’Union européenne pour mobiliser l’Europe sur le climat et un autre, cosigné par Ban Ki-moon, François Hollande et moi-même, sera adressé à tous les pays pour leur rappeler l’importance de s’engager dans un processus d’action. »
La présidente de la COP21 prévoit d’organiser une réunion informelle des négociateurs les 15 et 16 avril pour préparer la session de Bonn, mi-mai, où sera examinée la question du mécanisme de transparence et du suivi des engagements nationaux. Elle veut faire de la séance protocolaire du 22 avril une « journée de la Terre » associant la société civile et un point d’étape sur trois grands chantiers listés en décembre 2015 mais encore balbutiants : l’alliance solaire internationale du premier ministre indien Narendra Modi ; les investissements du secteur privé dans l’économie bas carbone ; l’initiative de 10 milliards d’euros en faveur des énergies renouvelables en Afrique.
« Le sentiment général des délégués, c’est qu’il faut passer à la vitesse supérieure, a réagi le diplomate malien Seyni Nafo à la sortie de la première rencontre post-COP 21, fin février à Tokyo. Le climat est en compétition avec d’autres sujets, la crise de l’économie mondiale, le terrorisme, la Syrie. Il faut à tout prix éviter l’inertie. »
Une lueur d’espoir
Un autre danger menace la dynamique enclenchée à Paris, la contradiction entre les engagements pris il y a trois mois par la communauté internationale et la réalité des politiques nationales. La France en est une illustration, un pied dans la transition énergétique, un autre dans des projets polluants ou très énergivores comme Notre-Dame-des-Landes. « On ne peut pas dire, en décembre, qu’il faut avancer vers une économie décarbonée et continuer, en janvier, de valider ce projet aéroportuaire », estime l’ancien ministre délégué au développement Pascal Canfin, aujourd’hui directeur général du WWF France.
A l’échelle européenne, la cacophonie est plus marquante encore. L’Union européenne, à l’origine pendant la COP21 d’une « coalition pour une haute ambition », s’est révélée incapable début mars de relever les objectifs du « paquet climat énergie » (fixant la réduction des émissions de gaz à effet de serre à 40 % d’ici 2030) devant le refus de pays à l’économie très carbonée comme la Pologne ou la République tchèque.
Aux Etats-Unis, la Cour suprême, saisie par 27 Etats, pour la plupart à majorité républicaine, a suspendu, mi-février, l’application du « Clean Power Plan » qui impose aux centrales électriques des réductions drastiques de leurs émissions de CO2 à l’horizon 2030. Début mars, le Canada a repoussé de six mois son projet de transition vers une économie sobre en carbone, faute de consensus entre le gouvernement fédéral et les exécutifs provinciaux, dont certains restent attachés à l’exploitation des sables bitumineux.
Jeudi 10 mars, les deux pays ont annoncé en revanche une baisse de 40 à 45 % de leurs émissions de méthane, afin de respecter les engagements pris à Paris. Une petite lueur d’espoir qui a dû réconforter un peu Ségolène Royal, qui arrivait au même moment à New York pour y rencontrer le lendemain Ban Ki-Moon et travailler avec lui sur « le programme de toute l’année et les résultats à obtenir d’ici novembre ».