bureau-formart.org
unread,Feb 3, 2011, 2:54:13 AM2/3/11Sign in to reply to author
Sign in to forward
You do not have permission to delete messages in this group
Either email addresses are anonymous for this group or you need the view member email addresses permission to view the original message
to infos : administration, production et politique culturelle
Alors que s'ouvre le Forum culture 2011, organisé par le ministère de
la culture et de la communication, Sylvie Robert, secrétaire nationale
à la culture du Parti socialiste, critique la politique libérale du
gouvernement dans ce domaine. La «culture pour chacun»? Une «politique
de repli».
La culture pour chacun, bonsoir ! Depuis la note rédigée par deux
conseillers de Frédéric Mitterrand et sa traduction en directive
nationale d'orientation pour 2011, la «Culture pour chacun» était
censée être un «axe structurant» de la stratégie du ministère de la
Culture et de la Communication. Mais très vite, sous le flot des
critiques, le ministre a noyé son slogan dans un gloubi-boulga
marketing, et le forum national qui va avoir lieu vendredi 4 février
2011 à la Villette est devenu «Culture pour chacun, culture pour tous
et culture partagée». La confusion est désormais totale. Et pour
cause !
La citation empruntée à André Malraux, incontournable référence
culturelle de la droite française, est particulièrement mal choisie.
D'abord, parce que quand il s'adresse à l'Assemblée nationale, le 27
octobre 1966, Malraux a une grande ambition : traduire budgétairement
ses orientations politiques. Or, la «culture pour chacun» sert surtout
à justifier la baisse de financements de l'Etat. Ensuite, parce que
pour Malraux, la définition de la démocratisation consistait à mettre
à disposition des œuvres, c'est-à-dire à développer une politique de
l'offre basée entre autres sur des équipements culturels - notamment
par les maisons de la culture, les fameuses «cathédrales». Toute sa
politique était sous-tendue par l'idée que la transmission culturelle
fonctionnait par le seul pouvoir de révélation de chaque œuvre. Un
pouvoir de «révélation» qui a du même coup écarté (à tort) de son
champ l'Éducation nationale, l'éducation populaire... et a montré ses
limites, comme l'attestent les faits, les enquêtes et les études
actuelles sur la diversification de la composition des publics.
Il ne reste donc de la «culture pour chacun» qu'un slogan, dévoyé et
décontextualisé, labellisé «Malraux». Le procédé est récurrent. Le
président de la République y a déjà eu recours en citant «la politique
de civilisation» d'Edgar Morin et «l'identité n'est pas une
pathologie» de Claude Lévi Strauss, auteurs résumés, récupérés et
réduits à un simple argument d'autorité ou à ce que les Anglo-Saxons
appellent le name dropping.
Exit donc la «CPC», même si la logique de fond perdure. Celle de
l'idéologie Fillon-Sarkozy, mélange de libéralisme économique et de
néoconservatisme, fondée sur le mépris des fonctionnaires d'un
ministère dont il n'a jamais su quoi faire. Encore une fois, ce
discours lénifiant cache la triste réalité d'une politique qui touche
la culture de plein fouet : entre la RGPP, la mise en difficulté
budgétaire des collectivités territoriales, principales sources de
financement du secteur, la braderie de notre patrimoine national,
l'abandon d'une grande politique de rayonnement culturel
international, la fragilisation des compagnies, la baisse des marges
artistiques des lieux culturels, l'écart entre le discours et les
actes devient inquiétant et démontre que le ministère navigue à vue.
Quand le talent d'un politique est de savoir rassembler pour créer ce
vivre-ensemble fondé sur des valeurs d'exigence démocratique, la «CPC»
oppose, divise, simplifie l'histoire de nos 50 dernières années de
politiques culturelles pour en tirer des conclusions hâtives et
avancer des solutions simplistes : la culture pour tous contre la
culture pour chacun, les élites contre le peuple, la culture savante
contre la culture populaire. Comme si le peuple français était
incapable de se saisir de la complexité d'une pensée, comme si ce
peuple ne pouvait pas être traité autrement que comme une masse
inculte.
Comment ne pas y voir non plus une politique de repli qui consiste à
cantonner chacun à ce qu'il connait ou qu'il a déjà, renvoyant à la
culture du chacun chez soi ? Une vision libérale qui délégitime
l'action publique, laisse certains en prise avec les seules forces du
marché des produits culturels et réserve à d'autres ce qu'elle ne
cesse de qualifier d' «excellence». Quelle crédibilité accorder à un
ministre qui demande à une politique culturelle de tisser le lien
social que la politique économique et sociale du même gouvernement
détricote chaque jour ? Comment ne pas voir le tour de passe-passe
d'une politique culturelle qui après avoir oublié les publics, oublie
les artistes ! Alors même qu'en cette période de nivellement et de
marchandisation, une politique culturelle doit au contraire garantir
le soutien et la liberté des créateurs pour leur permettre de livrer
un regard critique et prospectif sur le monde à venir. Comment
accepter le satisfecit des auteurs sur «le développement significatif
de l'éducation artistique» alors que les moyens consacrés à la
transmission des savoirs ont été sérieusement amputés, et qu'il ne
reste plus que la dérisoire institution d'un enseignement obligatoire
des arts, sans heures ni professeurs dédiés.
Tout au contraire, l'enjeu est de refonder une action publique capable
de se positionner comme rempart contre l'uniformisation et pour la
diversité culturelle, mettant au centre de son projet la transmission
et l'éducation comme moyens d'égal accès de tous au sensible ainsi
qu'à la reconnaissance de l'autre, et réaffirmant le rôle essentiel
des artistes comme expression de notre complexité humaine. Tout ceci
ne peut se réaliser qu'en préservant le rôle essentiel que jouent
depuis des années les collectivités territoriales en matière
culturelle, dans le cadre d'un partenariat renouvelé avec l'Etat. Il
s'agit désormais de construire une politique du partage de l'acte
poétique et de l'intelligence, d'édifier une société où tous les
acteurs des arts et de la culture (créateurs, publics,
institutions...) - des plus professionnels aux moins spécialistes -
propageraient, par le partage et la reconnaissance, le sens de la vie
en commun.
La culture comme création d'un sens commun serait une politique
culturelle qui expérimenterait une nouvelle alliance, un nouveau
contrat entre les artistes, les acteurs de la culture et les
citoyens : telle est l'ambition que nous portons aujourd'hui.
Mediapart 1er février 2011