La presse a pu se procurer le Rapport de Jérôme Bouët au Ministre de
la culture. Incontestablement ce Rapport, récemment discuté au sein du
Conseil des collectivités pour la culture, trace des perspectives
intéressantes en proposant aux collectivités (notamment les plus
grandes, métropoles et régions) des stratégies de partenariat, et en
suggérant aux propres services de l'Etat de mieux travailler avec les
collectivités. Synthèse.
Le contexte
Le système de gouvernance culturel, qui repose sur la double action de
l'Etat et des collectivités, est un modèle qui a été soutenu par un
niveau élevé de financement public, mais qui connait une crise sans
précédent depuis 2008, tant du côté de l'Etat que des collectivités.
La Réforme territoriale, qui favorisera la création de métropoles («
moteur essentiel de la dynamique nationale »), créera un bloc
département-région (« point d'équilibre entre les
communes et l'Etat »), et enfin qui favorisera des schémas
d'organisation des compétences et de mutualisation des services,
conduit à repenser la stratégie de partenariat de l'Etat.
L'état des lieux du partenariat
Du côté de l'Etat : la loi du 13 août 2004 (inventaire, enseignements
artistiques) s'est inspirée notamment des « protocoles de
décentralisation » des années 2000, mais cette stratégie de
partenariat n'a pas été reprise depuis 2003 par l'Etat, pas plus que
sa stratégie d'aménagement du territoire (les indicateurs de la LOFT
ne font pas de place à la lutte contre les déséquilibres
territoriaux). Les outils contractuels ont diminué et montré leurs
limites (CPER, CUCS), hormis quelques conventions de développement
culturel avec des communes, Pays et Départements (Ardèche, Landes,
Cantal). En revanche, les établissements publics nationaux (CNC, RMN,
CMN, BNF, le Louvre, le Centre Pompidou) ont développé récemment des
initiatives avec des (grosses) collectivités.
Quant aux élus locaux, ils revendiquent un ministère « garant de la
qualité et de l'équité » en reconnaissant le rôle des DRAC (qui pour
certaines sont trop cloisonnées dans leurs spécialités et « n'assurent
pas assez leur fonction d'animation »). Les associations d'élus
privilégient le maintien des responsabilités partagées sans demander
davantage de transfert de compétences culturelles ...en raison de leur
crainte d'un désengagement parallèle de l'Etat. La chaine de
solidarité entre les acteurs publics est considérée comme fragile en
cas de défaillance de l'un d'eux.
Pour Jérôme Bouët, renforcer le partenariat permettrait :
1/ une meilleure convergence des politiques du ministère et des
collectivités, en fixant en commun des objectifs et des moyens dans
tel ou tel secteur ;
2/ une meilleure attention à la proximité, c'est-à-dire au bénéfice
que peut apporter telle ou telle politique pour un territoire et sa
population (plutôt qu'à une crispation sur les normes) ;
3) de préparer la suite... à savoir une maitrise de leurs choix par
les métropoles, en raison de l'enjeu qu'elles représentent pour la
construction européenne.
Les principes d'un partenariat renouvelé
Ce serait un partenariat d'égal à égal (maintenir une habitude de
dialogue régulier et constructif avec les représentants des
collectivités , améliorer le fonctionnement du Conseil des
collectivités territoriales en associant davantage les élus à son
pilotage) ; ce serait un partenariat adapté à chaque territoire («
chaque territoire doit inventer son modèle de partenariat ») ; ce
serait un partenariat laissant la place à l'expérimentation, moteur du
changement (elle doit être concertée dès le choix des lieux et des
domaines concernés) ; ce serait enfin un partenariat réaliste sur le
plan financier en raison du contexte budgétaire (« il doit être
réservé à ce qui est le plus utile »).
La boite à outils pour inventer son modèle de partenariat
- Améliorer la concertation, par exemple sur les enjeux stratégiques à
l'échelle d'un territoire (définir par région un mode de
concertation ; définir une stratégie par DRAC de partenariat avec les
collectivités et l'inscrire dans la négociation budgétaire annuelle).
- Réactiver la procédure de la convention territoriale,
pluriannuelle, transversale. Elle devrait être remise en vigueur,
notamment, pour « soutenir des territoires moins favorisés ».
- Un développement du copilotage, gradué et expérimental avec des
régions et des grandes villes, à des domaines tels que les aides à la
création dans le spectacle vivant ou les arts plastiques.
- L'EPCC, « outil plus moderne que l'association para-administrative »
mais encore mal perçu (on y voit un outil de démembrement ou au
contraire le vecteur d'un engagement public trop fort) devrait être
une formule qui se développe.
- L'action interministérielle est un détour qui permet d'améliorer le
partenariat (
cf.la déclinaison de la convention culture-santé à
l'échelle régionale).
- Les métropoles, les grandes agglomérations, se sont dotées de
politiques culturelles de grande qualité, innovantes et autonomes .A
titre d'expérimentation, l'Etat pourrait (par convention et sur la
base du volontariat) globaliser les crédits du ministère leur
revenant, le périmètre de cette globalisation faisant lui-même l'objet
de la négociation (ex, l'éducation artistique). De ce fait , les DRAC
concernées pourraient concentrer leur effort en direction des
territoires moins favorisés.
- Le transfert de gestion des crédits à une collectivité pour la
restauration des monuments historiques (une seule expérimentation,
jugée positive, a concerné le Lot de 2007 à 2010) pourrait être
reproduit.
- l'organisation de la coopération territoriale entre acteurs publics
passe par un rôle de « chef de file » de l'un ou de l'autre (parfois
implicite). Les futurs « schémas d'organisation des compétences et de
mutualisation des services » entre une région et ses départements
permettront aussi des clarifications, les DRAC pourront appuyer ces
schémas.
- Les outils régionaux (et départementaux ) de coopération, telles que
les agences ou associations régionales du spectacle vivant) méritent
d'être remises en perspective, sur la base de leur autonomie, de
l'utilisation de leurs grandes compétences et d'un périmètre précis de
leurs missions.
- Les DRAC pourraient par expérimentation apporter un meilleur soutien
technique aux collectivités engagées dans des projets intercommunaux
(équipements ou services mutualisés).
- Les contrats d'objectifs des organismes subventionnés sont de bons
outils de partenariat, pour autant que « des objectifs précis soient
mis sur la table des négociations », tels que leurs actions de
démocratisation culturelle.
- Les DRAC devraient être dans la boucle des négociations entre les
établissements publics nationaux avec des collectivités de leur
ressort territorial. Leurs actions territoriales devraient être
inscrites dans leurs contrats de performance.
Retrouver de l'unité dans la diversité
En matière d'éducation artistique, il manque de la convergence pour
rendre l'action globale plus efficace (notamment pour les classes
primaires). Dans le domaine de la politique de la ville, il faut que
la culture figure dans les thèmes prioritaires des prochains CUCS. Des
conventions avec départements et intercommunalités devraient pouvoir
favoriser l'action en milieu rural. Par le biais d'une méthode
progressive et expérimentale (une convention avec un Département), on
pourrait développer l'accompagnement de la pratique amateur par des
professionnels. Il faudrait aussi définir une stratégie de partenariat
avec les collectivités pour le numérique, et une méthode de conseil
aux élus pour l'architecture.
Quel pilotage côté ministère pour engager le processus de relance du
partenariat ?
Jérôme Bouët suggère qu'au sein du ministère un « Conseil-miroir »
permette de préparer le Conseil des collectivités et de « diffuser une
culture territoriale dans les directions centrales ». Des indicateurs
nouveaux devraient permettre d'appréhender les actions favorisant
l'aménagement du territoire. Les atteintes aux règles de la
déconcentration doivent être repérées. Les DRAC devraient pouvoir
accueillir en leur sein de nouveaux métiers (ex : numérique et
économie culturelle), et par détachement des cadres de la fonction
publique territoriale.
En conclusion, Jérôme Bouët s'inscrit dans l'option politique d'une
intervention de l'Etat restant forte et se défend d'un plan qui
transférerait les obligations de l'Etat. Il milite pour un ministère
de la culture prompt à saisir les opportunités d'élargir sa relation
avec la population, qui sache considérer que le territoire est un
enjeu politique majeur, et qui sache enfin favoriser le développement
des responsabilités culturelles des collectivités.
Il y a du travail ! A commencer par le fait de savoir si le Ministre
de la culture va ou non commander la mise en œuvre de ces 21
recommandations.
François Deschamps
Edito - 04/02/11
http://www.culturedepartements.org