Le mécénat d'entreprise déserte la culture

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Mar 24, 2011, 9:41:32 PM3/24/11
to infos : administration, production et politique culturelle
Les chiffres sont passés inaperçus, pourtant ils sont terribles :
selon une enquête réalisée par l'institut CSA pour l'Admical
(Association pour le développement du mécénat industriel et
commercial), le mécénat de la culture est passé de 975 millions
d'euros à 380 millions d'euros de 2008 à 2010, accusant une perte de
595 millions d'euros, soit 63 %.

Certes, le mécénat lui-même a baissé de 2,5 milliards d'euros à 2
milliards d'euros (moins 20 %) lors même que le nombre d'entreprises
mécènes augmentait de 17 %. Mais la culture ne représente plus que 19
% du budget global et se situe désormais en troisième position
derrière le trio "social, éducation, santé" (36 % du budget, soit 720
millions d'euros) et le sport, lequel, en progressant de 26 %, prend
la seconde place en termes d'engagement.

Pour le président de l'Admical, Olivier Tcherniak, les dés en sont
jetés : "Le mécénat culturel est en train de mourir, ou du moins, de
se transformer radicalement." La crise ? Elle ne serait que la partie
immergée d'un iceberg en train de fondre. Le mécénat, en effet, à
l'image de notre société avide de profits à court terme, a
progressivement dérivé vers la communication. Laquelle s'est ralliée
naturellement aux grandes institutions culturelles. "Plutôt que de
financer quinze petites structures, on préfère investir dans un grand
projet plus visible", constate Olivier Tcherniak.

Aider les gros, donc, ou alors les très faibles, qui n'ont aucun accès
à la culture. C'est là l'autre facteur important : le glissement du
mécénat vers la responsabilité sociale est désormais un fait établi.
"Les grands patrons doivent rendre des comptes à leurs actionnaires et
à leurs salariés, affirme Olivier Tcherniak. Faire du social, de
l'humanitaire ou de l'environnemental est devenu plus facile."

La faute à la fameuse RSE (responsabilité sociale des entreprises,
code de bonne conduite à base d'éthique responsable et d'utilité
publique), qui, en rapport avec les compétences et l'objet social de
l'entreprise, exclut a priori la culture. Cette obligation favorise ce
que l'on a nommé le "mécénat croisé" : un programme culturel ne sera
soutenu que s'il appuie lui-même des actions sociales (insertion,
actions éducatives, accessibilité des publics).

"Le discours auquel sont sensibles les entreprises aujourd'hui ne
passe plus par la beauté de l'art mais par la culture comme facteur
d'équilibre de la société", note Christophe Monin, responsable du
département de fundraising au Musée du Louvre. Jean-Yves Kaced,
directeur du développement à l'Opéra de Paris, confirme : "Il est plus
facile de trouver des fonds pour notre programme pédagogique "Dix mois
d'école et d'opéra" que pour une création." Quant au Centre Pompidou,
c'est son responsable RSE qui a attiré le mécénat de compétence de
Logica au prétexte qu'offrant la plus belle collection d'art
contemporain à des personnes économiquement faibles, il remplissait
une mission de service public ? "Ce n'est pourtant pas aux entreprises
de faire la politique culturelle d'un pays !", s'emporte Martine
Tridde-Mazloum, directrice de la Fondation BNP Paribas.

Pointé par tous, le désengagement de l'Etat pèse lourd. "Le mécénat
est très clairement lié à l'affirmation d'une politique culturelle
forte, renchérit Mme Tridde-Mazloum. Or le désengagement des pouvoirs
publics et le manque de grands projets culturels découragent les
entreprises."

Le président du Château de Versailles, Jean-Jacques Aillagon,
insiste : "Bien que le mécénat (20 millions d'euros) constitue un
sixièmede notre budget, je le considère comme un plus dédié aux
opérations exceptionnelles." Et d'affirmer posément que sans les fonds
du Qatar Museums Authority, il se serait "passé de l'exposition
Murakami".

Tandis que les grosses structures voyaient leur mécénat se stabiliser,
voire augmenter, la situation est devenue plus critique pour les plus
fragiles, notamment le spectacle vivant. Le Festival d'Avignon a perdu
son principal soutien, Dexia, qu'il est finalement parvenu à remplacer
(Fondation Crédit coopératif). Le Festival d'automne ne doit ses bons
résultats qu'à l'engagement massif de la Fondation Bergé-Saint
Laurent. Quant au Théâtre de l'Athénée, entre 2009 et 2010, le nombre
de spectacles soutenus est passé de 1 à 0...

La concurrence n'a jamais été aussi rude : ces dix dernières années
ont vu les banques et compagnies d'assurances fusionner, réduisant
d'autant les guichets, alors même que la recherche et l'enseignement
supérieur partaient à leur tour en croisade. "Depuis trois, quatre
ans, le nombre de demandes a explosé de 30 %, confie Martine Tridde-
Mazloum. Nous recevons en moyenne 4 000 dossiers par an, dont deux ou
trois seulement sont affectés."

A la Fondation Orange, la chargée des projets culturels, Marie-Sophie
Calot de Lardemelle, prévient : "Il faut que la culture réfléchisse.
Le mécénat est en train de muter. On fait moins de projets mais à plus
long terme. Du coup, on demande aux artistes une implication dans
l'entreprise qui dépasse la contrepartie du logo et des places de
concerts. Nous ne sommes plus de simples bailleurs de fonds."

Quelques facteurs encourageants demeurent. Interrogées, 70 % des
entreprises déclarent vouloir maintenir sinon développer leur mécénat.
Les PME et PMI s'impliquent dans le mécénat de proximité. Et le
mécénat individuel émerge. Le directeur général du Festival d'Aix-en-
Provence, Bernard Foccroulle, constate qu'il "est passé de 200 000 à
500 000 euros entre 2006 et 2011". Au Louvre, Les Trois Grâces de
Cranach ont affolé le mécène de la rue : "Sur le 1,5 million d'euros
de souscriptions, 1,2 million est venu de donateurs individuels",
s'enthousiasme Christophe Monin.

Faible consolation. Entre la raréfaction des flux financiers et les
exigences accrues des entreprises, la situation se dégrade. L'humour
noir de Martine Tridde-Mazloum pourrait bien devenir réalité : "Je dis
parfois aux artistes que la chance qu'ils vont avoir à devenir des
précaires, c'est qu'on va bientôt pouvoir les aider au titre de la
solidarité !"

Marie-Aude Roux Article paru dans l'édition du Monde 25.03.11
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