Le théâtre de la démocratie, victime de procédés fort peu démocratiques

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Apr 13, 2011, 6:48:08 AM4/13/11
to infos : administration, production et politique culturelle
Point de vue

Depuis sa nomination à la direction de l'Odéon-Théâtre de l'Europe, il
y a quatre ans, Olivier Py a profondément changé cette institution
mondialement reconnue pour en faire un lieu, non seulement de théâtre,
mais du théâtre dans la ville et dans la vie.

Il s'est attaché, dans le projet qu'il a élaboré lors de sa
candidature, à définir une nouvelle conception, à actualiser le rôle
d'un théâtre européen : ne plus tenir compte de la frontière entre
Français et "autres Européens".

Le Théâtre de l'Europe, aujourd'hui, c'est essentiellement une plate-
forme de production et de rencontre aspirant à abolir les frontières
artistiques et à proposer aux plus grands auteurs et metteurs en scène
européens de notre époque la possibilité de travailler et de
confronter leur art avec des artistes d'autres nationalités.

Au-delà, et pour demain, le projet Villes en scène/Cities on stage,
imaginé avec cinq autres partenaires européens et soutenu, pour la
première fois dans l'histoire de ce théâtre, par l'Union européenne,
poursuit et amplifie cette idée d'une réunion, par le théâtre et la
pensée, d'artistes venus de l'Europe tout entière autour des questions
qui se posent à elle.

Cette fin des frontières, l'actuelle direction l'a aussi favorisée en
partageant l'outil et en offrant aux nouvelles générations un
véritable tremplin : que ce soit celle d'Olivier Py lui-même, Joël
Pommerat, artiste associé, Stéphane Braunschweig, Giorgio Barberio
Corsetti, Krzysztof Warlikowski, Thomas Ostermeier et bien d'autres,
qu'elle a montrée et directement associée à ce théâtre, que ce soit
celle, surtout, des plus jeunes gens, avec le festival Impatience,
offrant une grande scène aux nouvelles compagnies qui peuvent écrire
l'histoire du théâtre aux côtés de Peter Stein, Claude Régy, Tamas
Asher, Jean-Pierre Vincent, Amos Gitaï, Christoph Marthaler, Matthias
Langhoff...

Cette ouverture, c'est celle, au fond, d'un théâtre dans la vie : d'un
théâtre qui est aussi, et peut-être surtout, lieu de littérature, de
pensée et de recherche. Là où George Steiner, Giorgio Agamben, Slavoj
Zizek, Peter Sloterdijk vont s'exprimer. Là où Mahmoud Darwich, pour
la dernière fois, se présente à ses lecteurs dans la vie de son corps.
Là où le meilleur de chaque rentrée littéraire est lu, théâtralisé,
dans un dialogue entre l'acteur et l'auteur. Là où des colloques
célèbrent et étudient Genet ou la tragédie grecque.

Un théâtre dans la vie, un théâtre dans l'espace public : de là
proviennent tant des décisions originales du directeur qui font que
l'Odéon respire aujourd'hui. Car s'il est dans la vie, il est dans la
ville : est-il besoin de mentionner les nombreux partenariats qui ont
permis au théâtre d'être ouvert entre Noël et le Jour de l'an, avec
des spectacles de jeunesse pour les enfants qui ne partaient pas en
vacances ? besoin de mentionner les associations avec des lycées, qui
ont permis à un théâtre que d'aucuns considéreraient comme
expérimental de trouver dans les adolescents ses spectateurs les plus
passionnés ?

SUCCÈS

Enfin, est-il encore nécessaire d'évoquer les productions hors les
murs, par lesquelles Olivier Py a innervé de théâtre, du texte
d'Eschyle, les espaces les plus inattendus, afin d'aller chercher les
plus défavorisés dans les angles morts de la politique culturelle ?

Succès critique. Succès public - avec des taux de remplissage
considérables. Succès politique, enfin. Ou plutôt, et surtout, succès
démocratique, succès de l'espoir en l'intelligence du plus grand
nombre.

La décision qui semble avoir été prise, loin de tout débat, de tout
espace public, est à l'opposé de la vision du théâtre que défend, à ce
jour, l'Odéon. Elle se fait dans une méconnaissance du temps
nécessaire à tout développement d'un projet d'envergure et par là même
l'anéantit. Dans le même mouvement, cette décision fragilise
l'ensemble des partenaires qui y sont associés.

Ironie suprême et terrible : remplacer une direction qui oeuvre avec
passion pour une démocratie du théâtre, dans ces conditions
particulières, apparaît de fait bien peu démocratique.

De tels procédés doivent-ils être acceptés ?


Etel Adnan, poétesse ; Daniel Auteuil, comédien ; Jeanne Balibar,
comédienne ; Jeanne Benameur, écrivaine ; Dominique Besnehard,
producteur ; Tom Bishop, écrivain ; Nicolas Bouchaud, Pierre Boulez,
compositeur ; Philippe Caubère, comédien ; Patrice Chéreau, metteur en
scène ; Jean-Louis Colinet, directeur du Théâtre national de
Belgique ; Pascal Dusapin, compositeur ; Emmanuel Ethis, président de
l'université d'Avignon ; Alain Françon, Tristan Garcia, Laurent Gaudé,
Eugène Green, cinéaste et dramaturge ; Raphaël Enthoven, philosophe ;
Isabelle Huppert, comédienne ; Régis Jauffret, Daniel Mendelsohn,
écrivain ; Yann Moix, Valère Novarina, écrivain et metteur en scène ;
Ernest Pignon-Ernest, artiste plasticien ; Thomas Ostermeier, Joël
Pommerat, auteur et metteur en scène ; Mathieu Potte Boneville,
philosophe ; Claude Régy, Elias Sanbar, historien et poète ; Christian
Schiaretti, Jean-François Sivadier, comédien et metteur en scène ;
Krzysztof Warlikowski, metteur en scène.


Collectif Article paru dans l'édition du Monde 13.04.11


http://www.lemonde.fr/idees/article/2011/04/12/le-theatre-de-la-democratie-victime-de-procedes-fort-peu-democratiques_1506458_3232.html
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