Dans vingt ans, le ministère de la culture existera-t-il toujours, ou
sera-t-il devenu une simple agence ? A moins qu'il ne soit fondu avec
l'éducation nationale, l'enseignement supérieur, la recherche et les
nouvelles technologies dans un vaste ministère de l'intelligence...
Ces différents scénarios sont envisageables, tout dépendra des
politiques qui seront menées d'ici à 2030, répond le département des
études, de la prospective et des statistiques (DEPS) du ministère de
la culture et de la communication, dans son étude intitulée "Culture
et médias 2030", prospective de politiques culturelles.
C'est la première fois que le ministère se livre à un tel exercice -
mené avec l'appui méthodologique du groupe Futuribles. Après avoir
fêté ses 50 ans en 2009, et vécu une profonde réorganisation, le
ministère de la culture et de la communication méritait bien cette
analyse, a souligné le chef du DEPS, Philippe Chantepie, mardi 22
mars, lors d'une conférence de presse.
"L'avenir ne se prévoit pas, il se construit. Encore faut-il ne pas
être esclave des urgences", a complété Hugues de Jouvenel, directeur
général du groupe Futuribles. Il faut voir le travail du DEPS comme
"un jeu de Lego", a-t-il ajouté. Chaque scénario est doté d'une
couleur (rouge, bleu, jaune, vert), à chacun de piocher dedans, de
contester l'édifice et d'en construire un autre. Les candidats à
l'élection présidentielle de 2012 ne pourront pas dire qu'ils manquent
d'outils.
Quatre scénarios sont envisagés. Le premier, intitulé "l'exception
continuée", suppose que les tendances lourdes actuelles vont demeurer.
L'exception culturelle serait préservée. Rassurant ? Pas vraiment, à
lire les experts. Des "renoncements, voire des sacrifices sont
nécessaires", pronostiquent-ils. L'Etat finit par être marginalisé,
face à la montée en puissance des régions.
Le deuxième scénario, dit du "marché culturel", valide en quelque
sorte les sombres pronostics des syndicats. Le ministère disparaît, la
politique culturelle s'efface au profit d'un renforcement des acteurs
économiques de la culture. Les productions "médiatiques valorisables
au sein des industries culturelles" fleurissent. Par contraste,
"nombre de troupes, compagnies ou ensembles disparaissent", ou
survivent...
Le troisième, ambitieusement titré "l'impératif créatif", est moins
attendu. La culture devient un facteur de créativité au service de la
croissance. L'Union européenne lance un projet de croissance durable
articulant économie, culture sociale et environnement. De nouvelles
régulations se font jour.
Le dernier scénario, dénommé la "culture d'identités", envisage que
l'Etat se concentre sur certains fleurons d'une culture française, les
collectivités locales ouvrant à "une vitalité culturelle sociale et
communautaire, ancrée dans la vie des populations".
Ces futurs possibles ont été testés auprès d'une trentaine de
professionnels représentant la "diversité" du secteur artistique et
culturel. Olivier Poubelle, directeur du Théâtre des Bouffes du Nord,
à Paris, Michel Melot, président du Conseil supérieur des
bibliothèques, ou encore Emmanuel Hoog, président-directeur général de
l'Institut national de l'audiovisuel (INA), ont ainsi été mis à
contribution.
Michel Melot est convenu qu'il était "très sceptique au départ".
Aujourd'hui, dit-il, il considère ces projections "comme un résumé de
nos désirs actuels et de nos peurs". "Les quatre scénarios sont faux
mais, d'une certaine manière, ils vont se produire", a résumé Philippe
Chantepie.
Sur le Web : l'étude du DEPS sur
Culturemedias2030.culture.gouv.fr.
Clarisse Fabre
Article paru dans l'édition du Monde 24.03.11