Haiti et ses langues

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Nov 21, 2010, 12:12:18 PM11/21/10
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                                                            Haïti et ses langues

                                                           Par Hugues St. Fort

S’il est incontestable qu’on ne peut pas séparer Haïti de la langue à laquelle on l’associe le plus souvent (le créole haïtien, bien sûr), il est évident que la langue française a joué et joue encore un rôle important dans l’histoire, la culture et l’évolution des forces sociales de ce pays. Depuis quelque temps, pour des raisons de migration, de proximité géographique et de stratégie de politique internationale, l’anglais prend de plus en plus une importance incontournable. Même s’il est assez difficile d’en dire autant de l’espagnol, on ne peut se permettre d’ignorer les percées de cette dernière dans le paysage linguistique haïtien. Quel rôle jouent ces langues dans l’évolution et la structure des communautés haïtiennes en Haïti et dans l’émigration ? Nous savons que les langues peuvent influencer le changement social mais que celui-ci également agit sur la langue. Dans le cas d’Haïti, quels sont le statut et la fonction de ces quatre langues à l’intérieur de la culture haïtienne ? Comment influencent-elles le comportement linguistique des locuteurs haïtiens ? Pour examiner ces questions, nous ferons appel aux concepts de langue première, langue seconde, langue étrangère, langue nationale et langue officielle.

 

Dans la littérature spécialisée, le concept de langue première a remplacé celui de langue maternelle qui reste assez variable et peut prêter à confusion. En effet, la langue maternelle n’est pas nécessairement la langue principale de la mère ou du père. Par exemple, pour la majorité des Haïtiens de la seconde génération (ceux et celles qui sont nés dans l’émigration de parents immigrés haïtiens appartenant à la première génération), on ne peut pas dire que l’anglais soit la langue principale de leurs parents. Nous attachons un symbole neutre tel que L1 à la désignation de cette langue que nous définissons comme « la première langue acquise » par l’enfant. La vitesse et la précision avec lesquelles dans toutes les sociétés du monde, l’enfant acquiert cette première langue restent quelque chose de remarquable. Vers l’âge de trois ou quatre ans, l’enfant a déjà presque maîtrisé la structure phonologique et les catégories grammaticales de sa langue-cible et quand il aborde l’école, vers l’âge de cinq ou six ans, il connaît sa langue. Son éveil au monde et la perception qu’il en a, sa compréhension de la société (pairs, amis, famille, étrangers…), ses capacités cognitives, tout cela se fait à travers cette langue. En tant que locuteur natif, il en acquerra une intuition, c’est-à-dire un jugement presque sûr qui lui permettra de se prononcer sur l’acceptabilité ou pas d’une phrase et ce qui fait que deux phrases sont liées l’une à l’autre. En ce qui concerne les locuteurs haïtiens nés et élevés en Haïti, il ne fait aucun doute que leur langue première est le créole haïtien car c’est dans cette langue que vont se manifester toutes les caractéristiques que nous venons de mentionner.

 

Le concept de langue seconde se distingue de celui de langue première principalement par le fait que la langue seconde est « apprise » dans une salle de classe par exemple, alors que la langue première est « acquise » d’une façon naturelle, sans aucun enseignement formel. Une langue seconde est généralement enseignée en tant que langue de communication en référence aux immigrants par exemple. Aux États-unis, l’anglais est une langue seconde pour des millions d’immigrants dont la langue première est le plus souvent une langue minoritaire. Beaucoup d’immigrants haïtiens aux États-unis ont appris ou apprennent l’anglais en tant que langue seconde. Les principes et méthodes de l’enseignement de l’anglais en tant que langue seconde sont pratiqués dans certaines institutions en Haïti où la demande pour l’apprentissage de l’anglais demeure très forte.

Haïti aurait certainement à gagner si elle mettait sur pied un système d’enseignement du français basé sur les principes et les méthodes des langues secondes, plus connus dans l’Hexagone sous le nom de Français, langue étrangère (FLE). Ce serait un premier pas vers l’établissement d’un véritable bilinguisme créole-français dans la société haïtienne. Haïti étant une société fondamentalement créolophone qui a conservé des liens plus ou moins étroits avec la francophonie, il s’agit dans une didactique appropriée du français en milieu créolophone d’utiliser les convergences et de concilier les divergences entre les deux langues. La langue française perd pied de plus en plus dans les communautés haïtiennes et les autorités haïtiennes compétentes (pas les individus !) doivent s’occuper activement de la question de la langue ou des langues.

Le concept de langue étrangère est relativement aisé à définir. Une langue étrangère est une langue non-native qui est enseignée à l’école et qui ne possède aucune tradition communicative de masse dans la société où elle est enseignée. En tenant compte de cette définition, il est évident que l’anglais demeure une langue étrangère en Haïti mais il est douteux que le français puisse être considéré comme tel. Dans certaines familles haïtiennes, le français, même s’il est le symbole de l’inégalité linguistique en Haïti, y a toujours été pratiqué comme langue de communication. L’écrit français possède une longue tradition dans la société haïtienne et beaucoup d’Haïtiens se sont enorgueillis de la richesse et de la qualité de la littérature haïtienne d’expression française. J’ajouterai tout de suite cependant qu’il existe des œuvres littéraires haïtiennes d’expression créole de qualité (Dezafi, de Frankétienne 1976 en est le plus bel exemple) et des œuvres littéraires haïtiennes d’expression anglaise qui font honneur à Haïti (l’œuvre littéraire de la superbe écrivaine haïtiano-américaine Edwidge Danticat en témoigne admirablement).

Le concept de langue nationale a pris naissance avec l’émergence de l’État-nation moderne au début du 19ème siècle. Pour le sociolinguiste Daniel Baggioni, « l’État-nation moderne vise à l’homogénéisation linguistique du territoire, repose sur le principe plus ou moins étendu de la souveraineté populaire et détermine, dans les populations mobilisées par l’idée nationale, une loyauté linguistique étrangère à l’esprit des siècles précédents, puisque l’usage des langues communes ne concernait qu’une mince couche sociale. » Dans un pays comme la France par exemple, le français n’est vraiment devenu « langue nationale » que vers le début du 20ème siècle avec « la généralisation de l’école obligatoire et à la suite du grand brassage de populations pendant la guerre de 14-18 » (Baggioni, 1997). En Haïti, l’histoire du créole haïtien et la relative absence de diversité dialectale posent le problème de l’homogénéisation linguistique du territoire dans des termes moins aigus mais il y a encore beaucoup à faire, même si la Constitution de 1987 considère le créole comme langue nationale d’Haïti.

La langue officielle se définit « par rapport à un certain développement des fonctions administratives et étatiques ». Depuis la Constitution de 1987, le français et le créole coexistent en tant que langues officielles mais le créole est généralement absent des documents administratifs de l’État haïtien. Il y a un sérieux travail à faire sur ce point.

 

Contacter Hugues St. Fort à : Hug...@aol.com                 

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