Message privé
François Sureau, avocat et
académicien : « En contestant la justice française, le Vatican
défend une sorte de “charia romaine’’»
L’avocat et académicien, qui avait
alerté le pape sur le cas d’une religieuse française exclue
brutalement par le cardinal Ouellet de sa communauté, réagit à
une « note verbale » du Vatican contestant la récente
condamnation du prélat catholique par la justice française,
rendue publique samedi.
Propos recueillis par Ariane
Chemin 15.04.24
Une « note verbale », sorte de mémo diplomatique où le Saint-Siège
commente les décisions d’un Etat souverain,
a
été rendue publique samedi 13 avril. Rome y dénonce la
condamnation – qualifiée de
« décision supposée » –, dix
jours plus tôt, par le tribunal civil de Lorient (Morbihan), du
cardinal Marc Ouellet, pour avoir radié arbitrairement, en 2021, la
religieuse Sabine Baudin de la Valette, dite sœur Marie Ferréol, de
sa communauté des dominicaines du Saint-Esprit de Pontcallec, où
elle a vécu et enseigné trente-quatre ans.
Dans un jugement motivé de
dix-sept pages, le cardinal, qui fut pendant plus de dix ans
le tout-puissant préfet de la congrégation pour les évêques,
et demeure toujours à Rome, est jugé coupable d’« abus de
droit » et « absence d’impartialité » pour ce renvoi « infamant
et vexatoire », et condamné à plus de 120 000 euros
d’indemnités. Le tribunal « s’étonne » notamment « que
le cardinal [Marc] Ouellet, à supposer qu’il ait
reçu un mandat spécial du pape [pour inspecter la
congrégation des dominicaines, mandat qui n’a pas été produit
lors de l’audience ], ne se soit pas récusé, en sa qualité
d’ami proche d’une des sœurs, Marie de l’Assomption, dont
les positions étaient notoirement opposées » à celles
de sœur Marie Ferréol, et à laquelle elle vouait une véritable
« inimitié », comme l’avait raconté Le Monde.
L’avocat, écrivain et académicien
François Sureau, qui
avait déjà alerté le pape sur le cas de cette religieuse
française, réagit à la déclaration officielle du Vatican
contestant la récente condamnation du prélat catholique par la
justice française.
Pour le Saint-Siège, qui a rappelé la
France à l’ordre dans une « note verbale », indice de mini-crise
diplomatique, la condamnation par un tribunal civil d’un chef de
dicastère protégé par son immunité pourrait constituer « une grave
violation des droits fondamentaux à la liberté de religion et à la
liberté d’association des fidèles catholiques ». Qu’en
pensez-vous ?
Le procédé n’est pas fréquent et
cette note verbale n’en est que plus surprenante. Elle est comme
le point d’orgue d’une longue cascade d’amateurismes mal inspirés
qui seraient comiques s’il ne s’agissait du sort d’une personne.
Je rappelle que l’affaire a trait au renvoi d’une religieuse pour
des motifs canoniquement discutables, c’est un euphémisme, sans
qu’aucune des formes n’ait été respectée, s’agissant en
particulier des règles élémentaires du contradictoire ou de
l’appel. Le tribunal considère que l’appartenance à un ordre ne
dispense pas les responsables religieux des obligations ordinaires
de la loi civile. C’est bien le moins, et c’est d’ailleurs ce que
soutient en général l’Église. Sauf dans ce cas, on se demande
pourquoi.
Ce rappel à l’ordre n’est-il pas une
façon d’intimider les magistrats français qui devront réexaminer
dans quelques mois l’affaire en appel ?
Ce serait d’une très grande naïveté.
Je ne crois pas les magistrats susceptibles d’être intimidés par
ce qui ressemble à une manifestation d’affolement. On ne voit pas
en quoi la condamnation civile – qui en outre peut être frappée
d’appel – d’une personne ayant mal agi pourrait constituer une
atteinte à la liberté de conscience : cela conduirait à dire que
la hiérarchie d’une association relevant de la loi librement
formée pourrait violer les droits individuels des adhérents sans
qu’il soit possible à la juridiction civile d’y faire obstacle. Le
Vatican serait-il sur la voie du séparatisme ? Cette position de
défense d’une sorte de
« charia romaine » supérieure est intenable. Les juges d’appel y
verront surtout, me semble-t-il, la confirmation d’une règle assez
générale selon laquelle une bureaucratie ne se déjuge jamais ; et
le fidèle catholique, que je suis, est évidemment troublé par
l’évidence que l’Esprit ne guide pas plus cette bureaucratie-là
que les autres – mais on le savait.
Le cardinal Marc Ouellet, qui a décidé
du sort de Marie Ferréol, était un membre éminent de la curie
romaine soutenu par ceux – tous des hommes – qui détiennent le
pouvoir au Vatican. Cette « affaire » dit-elle quelque chose du
statut des femmes dans l’Église catholique ?
Les manifestations du machisme
clérical sont nombreuses, mais cette affaire pose surtout deux
questions. D’abord, la faiblesse des mécanismes de protection des
religieux à l’égard de leur propre « administration ». Jamais un
fonctionnaire quel que soit son rang n’aurait pu être traité, en
France, comme cette religieuse l’a été. On dira qu’elle était
religieuse, et non fonctionnaire. L’Église, en matière de droits
humains, fait en général profession d’être en avance sur les
droits séculiers, et c’est ce qui justifie d’ailleurs le ton
d’admonestation dont elle use parfois à l’égard des institutions
de tel ou tel pays. Il est fâcheux que cette attitude soit
démentie de manière aussi frappante par la pratique.
Quelle devrait être, selon vous, la
réponse de la France ?
L’une consisterait à traiter cette
note comme une bourde, ce qu’elle est. L’autre, à rappeler au
Saint-Siège qu’il est de bon ton de lire les jugements avant de
fulminer des anathèmes. Une autre encore, à souligner que les
citoyens français, quel que soit leur état, religieux ou non, ont
droit à la protection de leurs droits, et peuvent s’en réclamer
devant les tribunaux de leur pays. Il me paraît surtout important
que le gouvernement rappelle qu’il est attaché au
respect de sa loi civile, et pas seulement lorsque l’islam est en
cause. S’en abstenir créerait un précédent extrêmement fâcheux.