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« Ne laissez pas vos ancêtres se retourner dans leur tombe » : l’appel du cardinal David aux juifs d’Israël
Par Gonzague de Pontac – le 5 septembre 2025
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Dans un récent message aux accents prophétiques à destination des juifs d’Israël, le cardinal philippin Ambo David en a appelé à « l’âme même » du pays pour mettre fin à la guerre à Gaza et ne pas « infliger à un autre peuple ce que vous avez vous-mêmes enduré autrefois ».
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« Assez. Arrêtez la guerre. Arrêtez l’occupation. Arrêtez le carnage. » C’est l’appel dramatique que le cardinal Pablo Virgilio David, dit Ambo David, évêque de Caloocan aux Philippines, a adressé le 26 août aux juifs d’Israël pour les exhorter à mettre fin à la guerre menée par l’armée israélienne contre la population de Gaza, aujourd’hui qualifiée de « génocide » par de nombreuses organisations internationales.
Publié en anglais et en hébreu sur son compte Facebook et peu relayé jusque-là par les médias occidentaux, ce message aux accents prophétiques en appelle à la « conscience » et à « l’âme même d’Israël » face à la situation à Gaza, « devenue un cimetière d’innocents ». Dans ce texte sans détour, l’évêque philippin de 66 ans, créé cardinal par le pape François en décembre 2024, renvoie le peuple d’Israël à sa propre histoire, n’hésitant pas à dresser un parallèle entre la souffrance actuelle de la population gazaouie et le génocide des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale.
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« Vous êtes un peuple qui porte en lui le souvenir d’une souffrance indicible, d’un génocide et d’un nettoyage ethnique qui ont autrefois cherché à vous effacer de l’histoire », écrit d’emblée le cardinal David, avant de dénoncer la politique du gouvernement israélien, accusé d’« infliger à un autre peuple ce que vous avez vous-mêmes enduré autrefois ». « Ne laissez pas vos ancêtres, qui ont crié dans les ghettos et péri dans les camps de concentration, se retourner dans leur tombe en voyant leurs descendants infliger une punition collective à un peuple qui n’a rien à voir avec leurs souffrances », martèle-t-il.
Référence à la Shoah
« C’est un message courageux, qui rappelle à Israël sa vocation et dénonce lorsque la Bible est utilisée pour justifier la guerre et la violence. Si les chrétiens ne le disent pas, qui va le dire ? », réagit pour La Croix le père David Neuhaus, ancien supérieur des jésuites en Terre sainte. La référence à la Shoah n’est-elle pas excessive ? « Les juifs eux-mêmes qui élèvent aujourd’hui la voix le font de la même façon, en dénonçant : ” Nous étions victimes, nous devenons agresseurs” », rétorque le religieux israélien d’origine allemande, converti du judaïsme au catholicisme et dont la majorité de la famille a péri pendant la Shoah. « Les chrétiens ont été accusés d’avoir été trop silencieux pendant la guerre. Nous devons l’entendre avec peine, mais nous ne pouvons pas nous taire aujourd’hui », poursuit-il.
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Dans son appel à la fois politique et spirituel, le cardinal David, bibliste de formation, qui a étudié à l’École biblique et archéologique française de Jérusalem, mobilise également l’histoire biblique d’Israël : « La poursuite d’un programme idéologique sioniste au détriment de la dignité et de la survie d’un autre peuple (…) profane votre propre histoire, vos propres Écritures, votre alliance avec le Dieu de justice et de miséricorde », écrit-il, avant d’enjoindre plus particulièrement aux « rabbins », « chefs spirituels » et « prophètes » d’aujourd’hui de s’interposer face aux massacres en cours. « N’endurcissez pas vos cœurs. Écoutez aujourd’hui la voix du Seigneur », exhorte-t-il encore, paraphrasant le psaume 95 dont un large extrait est cité en préambule du message.
Le cardinal philippin est-il légitime pour intervenir sur la situation à Gaza ? « Tout le monde doit réagir, car cela se passe devant nos yeux », répond le père Neuhaus, pour qui le monde entier est à la fois très loin et très proche de Gaza grâce aux écrans.
Une prise de position frontale
Si une telle prise de position frontale est rare parmi les évêques, ce n’est pas la première fois que le cardinal David, président de la Conférence épiscopale philippine, intervient sur les réseaux sociaux au sujet de l’actualité au Moyen-Orient. Au mois de juin dernier, il avait ainsi déploré « l’inversion » de l’histoire biblique par le premier ministre Benyamin Netanyahou, lorsque celui-ci avait suggéré qu’il était temps pour Israël de rembourser son ancienne dette à Cyrus le Grand en « libérant » l’Iran.
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Devenu dans son pays un symbole de la résistance face à la brutalité du président Rodrigo Duterte, qu’il est allé jusqu’à comparer à Adolf Hitler, Ambo David convoque ici Israël au tribunal de l’histoire, et même de Dieu. « L’histoire s’en souviendra. L’humanité nous regarde. Et le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob nous tiendra tous pour responsables », prévient-il, avant de conclure solennellement : « Que ce soit aujourd’hui que vous disiez, une fois pour toutes : “Plus jamais, à personne.” »
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L’INTÉGRALITÉ DE LA DÉCLARATION DU CARDINAL DAVID :
Appel au peuple d’Israël
Psaume 95,7-11
Oh, si vous pouviez aujourd’hui entendre sa voix !
N’endurcissez pas vos cœurs comme à Meriba,
comme au jour de Massa dans le désert,
où vos ancêtres m’ont mis à l’épreuve ;
ils m’ont mis à l’épreuve alors qu’ils avaient vu mes œuvres.
Quarante ans, j’ai pris en horreur cette génération ;
j’ai dit : « Ce peuple a le cœur égaré ;
il ne connaît pas mes voies. »
C’est pourquoi j’ai juré dans ma colère :
« ILS N’ENTRERONT JAMAIS DANS MON REPOS. »
Chers citoyens israéliens, en particulier les Juifs parmi vous,
Shalom !
En ce jour, je souhaite m’adresser à vous avec humilité, respect et urgence. Vous êtes un peuple qui porte en lui le souvenir d’une souffrance indicible, d’un génocide et d’un nettoyage ethnique qui ont autrefois cherché à vous effacer de l’histoire. De ces cendres, vous vous êtes relevés, gardant vivant le cri : « Plus jamais ça ».
Mais aujourd’hui, les yeux du monde voient une terrible contradiction. Les politiques de votre gouvernement à Gaza et dans les territoires palestiniens occupés ont infligé à un autre peuple ce que vous avez vous-mêmes enduré autrefois. Des familles entières déracinées, des maisons détruites, des enfants affamés et bombardés. Gaza est devenue un cimetière d’innocents. Croyez-vous vraiment que la force brute contre un peuple malheureux et emprisonné vous garantira une sécurité durable ?
La sécurité ne peut être fondée sur la domination, ni la paix sur l’oppression. La poursuite d’un programme idéologique sioniste au détriment de la dignité et de la survie d’un autre peuple est non seulement injuste, mais elle profane votre propre histoire, vos propres Écritures, votre alliance avec le Dieu de justice et de miséricorde.
J’en appelle à votre conscience : ne durcissez pas vos cœurs. Écoutez aujourd’hui la voix du Seigneur. Ne laissez pas vos ancêtres, qui ont crié dans les ghettos et péri dans les camps de concentration, se retourner dans leur tombe en voyant leurs descendants infliger une punition collective à un peuple qui n’a rien à voir avec leurs souffrances.
Je m’adresse en particulier à vos rabbins, à vos chefs spirituels, à vos prophètes parmi vous. Tenez-vous devant votre peuple et dites ce qui doit être dit : « Assez. Arrêtez la guerre. Arrêtez l’occupation. Arrêtez le carnage. »
La vraie foi ne se manifeste pas dans les murs ou les armes, mais dans la compassion et la justice. La vraie force ne se manifeste pas dans l’anéantissement, mais dans le courage de faire la paix.
L’histoire s’en souviendra. L’humanité nous observe. Et le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob nous tiendra tous pour responsables.
Pour le bien de vos enfants et des enfants de Gaza, pour le bien de l’âme même d’Israël, que ce soit aujourd’hui que vous entendiez Sa voix. Que ce soit aujourd’hui que vous disiez, une fois pour toutes : « Plus jamais. À personne. »
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