Message privé
L’annexion de la Cisjordanie par Israël désormais révélée au grand jour avec le plan E1
Le lancement mi-août du plan E1, qui prévoit de relier Jérusalem à la colonie juive de Maale-Adumim, signe la fin du cadre des accords d’Oslo. En deux ans, une série de réformes administratives a installé de facto la souveraineté d'Israël sur la Cisjordanie.
Anne Guion
Publié le 26/08/2025 à 13h20, mis à jour le 27/08/2025 à 16h30 •
Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich , arrive pour s’exprimer lors d’une conférence de presse près de la colonie de Maale Adumim, afin d’annoncer son projet d’approuver la construction de plus de 3 000 logements juifs, d’écoles, d’établissements de santé et d’un country club dans le cadre du plan E1 en Cisjordanie, le jeudi 14 août 2025 • UPI / NEWSCOM / SIPA
Souvenir de reportage. Le bus serpente dans les rues de Maale-Adumim, l’une des plus grandes colonies israéliennes en Cisjordanie. À son bord, une cinquantaine de retraités de l’Éducation nationale israélienne découvrent celle qu’on surnomme en Israël « la perle du désert ». Soudain, le véhicule s’immobilise face à un panorama saisissant : une vingtaine de kilomètres de collines arides s’étendent jusqu’aux premiers immeubles de Jérusalem-Est, visibles à l’horizon.
« Tout cet espace se couvrira bientôt d’habitations pour relier Jérusalem à Maaleh-Adumim », annonce fièrement notre guide, porte-parole de la mairie de la colonie, devant son auditoire captivé. Il évoque alors le projet d’extension de la Ville sainte, le « Grand Jérusalem », selon un mystérieux plan baptisé « E1 »…
Pour enterrer l’idée même d’un État palestinien…
C’était il y a près de 15 ans. Imaginé dans les années 1990, le plan E1 (pour Est 1) est longtemps resté dans les cartons face aux pressions internationales. Et pour cause : en reliant Jérusalem à Maale-Adumim, le projet signe définitivement la fin de l’idée d’un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale : il coupe en effet la Cisjordanie en deux, isolant le nord du sud, et sépare définitivement Jérusalem-Est de son arrière-pays palestinien.
l Smotrich, le ministre des Finances israélien, membre de l’extrême droite nationaliste, qui est également responsable de l’administration civile en Cisjordanie occupée, a annoncé le lancement du plan. Le projet est ambitieux : 3 401 logements prévus sur 12 km2, sous la juridiction municipale de Maale-Adumim.
Le timing de cette annonce est tout sauf fortuit : elle intervient alors que la France s’apprête à reconnaître en septembre l’État palestinien. Bezalel Smotrich assume d’ailleurs pleinement cette provocation. « Ce plan enterre l’idée même d’un État palestinien (…), pas grâce à des documents, des décisions ou des déclarations, mais par des actes », a-t-il affirmé lors de son annonce. La réaction internationale ne s’est pas fait attendre. La France a immédiatement condamné « avec la plus grande fermeté la décision des autorités israéliennes de valider le projet de colonie E1 ». Dans un communiqué commun, 21 pays, dont le Royaume-Uni et la France, ont dénoncé jeudi 21 août un projet « inacceptable », constituant « une violation de la loi internationale ».
Du grignotage à l’annexion
Mais ces protestations diplomatiques masquent une réalité plus profonde : le plan E1 n’est que l’aboutissement d’un grignotage méthodique de la Cisjordanie, une étape décisive d’un long processus d’annexion. Une stratégie qui remonte à 1967, après la guerre des Six-Jours, avec l’implantation des premières colonies. C’est toutefois l’arrivée de la droite au pouvoir, dix ans plus tard, qui accélère le processus.
Le mécanisme est bien rodé : les terres sont d’abord déclarées « propriété de l’État israélien », puis revendues aux colons ou réquisitionnées pour des raisons de sécurité.
En septembre 1995, les accords de Taba (dits Oslo II), signés en Égypte, établissent un découpage administratif de la Cisjordanie en trois zones. Ce partage, prévu comme provisoire, devait ouvrir la voie à un État palestinien. La zone A, qui englobe les grands centres urbains comme Ramallah ou Naplouse, passe sous le contrôle total de l’Autorité palestinienne. La zone B, regroupant la majorité des villages palestiniens, devient mixte : gestion palestinienne mais sécurité israélienne. Quant à la zone C, la plus vaste (62 % du territoire), elle reste entièrement sous contrôle israélien, incluant les colonies et leur réseau routier.
C’est précisément ce cadre administratif qui a été complètement bouleversé ces dernières années. Fin mai 2024, Bezalel Smotrich a obtenu la création d’un nouveau poste de « député aux affaires civiles », placé directement sous son autorité. Le commandement militaire lui a alors transféré la quasi-totalité des pouvoirs de l’administration civile en Cisjordanie : gestion des terres, construction, autorités locales, sites archéologiques… Pour Michael Sfard, avocat spécialisé dans les droits humains, cette réorganisation viole le droit international, qui exige qu’un territoire occupé soit géré par une administration militaire temporaire, et non directement par le gouvernement occupant.
« Smotrich a réussi à retirer complètement l’armée du processus décisionnel pour tout ce qui n’est pas directement lié à la sécurité en Cisjordanie, imposant dans les faits la souveraineté israélienne sur la zone », analyse-t-il dans une tribune pour le quotidien de centre gauche Haaretz en juillet 2024. Pour lui, la conclusion est claire : le transfert des pouvoirs à des fonctionnaires du gouvernement israélien crée une domination directe sur le territoire occupé. En d’autres termes : le processus revient à une annexion.
Système d’apartheid
Cette analyse est partagée par trois universitaires israéliennes, la politologue Tamar Megiddo, la juriste Ronit Levine-Schnur et l’anthropologue Yael Berda. Selon elles, l’annexion de la Cisjordanie est déjà une réalité, accomplie non par une déclaration formelle mais par des moyens bureaucratiques. Les preuves sont multiples : modification des documents administratifs, transferts budgétaires, nouveaux principes de planification, accélération de la délivrance des permis de construire pour les colons, mainmise sur la gestion des terres…
Plus significatif encore : même la zone B, où l’Autorité palestinienne devait conserver le contrôle administratif selon Oslo II, semble dans les faits désormais sous juridiction civile israélienne. L’administration civile y démolit des maisons palestiniennes tandis que de nouvelles colonies « officielles » s’y installent. Une réalité désormais reconnue juridiquement : la Cour internationale de justice l’a confirmé dans son avis consultatif de juillet 2024, en reconnaissant qu’Israël avait « déjà annexé au moins des parties de la zone C ».
Mais au-delà de cette annexion administrative, c’est tout un dispositif de domination qui se met en place, selon Becca Strober. Cette militante connaît bien le terrain : elle a dirigé Breaking the Silence, une ONG d’anciens soldats israéliens qui témoignent de leur service dans les territoires occupés, et préside aujourd’hui Sadaka Reut, une organisation qui depuis plus de 40 ans réunit jeunes Juifs et Palestiniens citoyens d’Israël autour de projets d’éducation et d’action commune.
Pour elle, la réalité actuelle est désormais celle d’un État unique avec un système d’apartheid, où 7 millions de Juifs israéliens jouissent de droits pleins, tandis que 7 millions de Palestiniens voient leurs droits limités selon leur lieu de résidence. « Le plan de Smotrich ne s’arrête pas à l’annexion, écrit-elle dans une tribune pour Haaretz, mais propose trois options aux Palestiniens de Cisjordanie : s’entasser dans des villes palestiniennes non contiguës et vivre sans droits politiques sous la loi israélienne ; partir dans un autre pays contre de l’argent ; ou faire face à la violence implacable de l’État et des colons. »
Gaza : l’Onu confirme la famine
Après des mois de mise en garde, l’Onu a confirmé vendredi 22 août qu’une famine était bien en cours dans le gouvernorat de Gaza-ville et qu’elle devrait s’étendre aux gouvernorats de Deir Al-Balah et Khan Younès d’ici à fin septembre. Pour le Cadre intégré de classification de la sécurité alimentaire (IPC), un organisme de l’Onu basé à Rome, une famine est en cours lorsque trois éléments sont réunis : au moins 20 % des foyers (un sur cinq) doivent affronter un manque extrême de nourriture, au moins 30 % des enfants de moins de 5 ans (un sur trois) souffrent de malnutrition aiguë, et au moins deux personnes sur 10 000 meurent de faim chaque jour. Une reconnaissance officielle qui, au-delà de sa valeur symbolique, constitue une injonction à agir pour les États du monde, tous signataires des conventions de Genève de 1949.