''Le monde secret des abattoirs'' …. terrible !

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Gabriel CHEL

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Sep 7, 2025, 9:22:08 AM (yesterday) Sep 7
to Mouvance...@googlegroups.com, group...@googlegroups.com


Bonjour

Je vous invite à lire un peu plus bas un article de La CROIX :

''Plongée dans le monde secret des abattoirs'' …. terrible !
Une horreur que l'on cache : « Se taire est presque une condition d’embauche. »

Toutes choses inégales par ailleurs, le meurtre systématique des journalistes par Netanyahou
and Co à Gaza (+ l'interdiction d'entrée des journalistes étrangers) obéi à la même logique :
ceux qui font des horreurs (en sont conscients et ) font (donc) tout (sans reculer devant les
meurtres dans le cas de Netanyahou and Co) pour que cela ne soit pas connu.

Je viens d'écrire que Netanyahou and Co sont conscients qu'ils font des horreurs : en effet
on pourrait comprendre qu'il refuse l'entrée dans Gaza à certains journalistes ou à des
journalistes de certains pays qui n'acceptent pas l'existence d'Israël, mais le fait qu'il refuse
l'entrée à tous les journaliste étrangers ne peut s'expliquer que parce qu'il a conscience de
commettre des horreurs.

Si suite à la lecture de l'article plus bas, si vous
optez pour un régime végétarien et plus
encore si vous optez pour un régime végétalien (végan) il est nécessaire de compléter
votre alimentation pour éviter de graves carences (notamment, mais pas seulement
en vitamine B12) qui peuvent être mortelles
à long terme (le foie stocke la vitamine B12,
de sorte qu'une alimentation sans B12 ne va entraîner des problèmes qu'au bout de 3 ans
ou plus -on ne fera donc pas forcément le lien avec le passage au végétarisme ou au
végétalisme- mais ceux-ci seront gravissimes, et même mortels).

C'est du moins ce que j'ai retenu de mes lectures, mais je ne suis pas médecin....
Donc voyez cela avec un médecin...
https://www.reforme.net/idees/opinions/lhumain-ne-peut-se-passer-de-proteines-animales/
Nutrition : L’humain peut-il se passer de protéines animales ?
7 novembre 2018 – Philippe Legrand […]
L’éviction totale des produits animaux et précisément des produits carnés crée une situation de carence en vitamine B12, qui conduit à l’anémie et à la mort car la B12 est requise pour la réplication de l’ADN et donc la division cellulaire. En effet, il n’y a aucune synthèse de B12 dans le règne végétal et ce sont les bactéries et levures du rumen des ruminants qui la fabriquent et nous la donnent par la viande rouge et un peu les produits laitiers. [...]

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Enfin, voilà le long mais édifiant article en question :

https://www.la-croix.com/societe/ici-le-silence-est-la-regle-d-or-plongee-dans-le-monde-secret-des-abattoirs-20250905?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_content=20250906&utm_campaign=NEWSLETTER__CRX_JOUR_EDITO&_ope=eyJndWlkIjoiOWJhY2JjOTU0MmYxNmIyNTg3NzA2YTM4YWFjZWNkNDMifQ%3D%3D

« Ici, le silence est la règle d’or » : plongée dans le monde secret des abattoirs

Par Alexandre Tréhorel – 5 septembre 2025

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La CROIX l'Hebdo

Que se passe-t-il dans les abattoirs ? Seules quelques images volées en disent la brutalité, effrayantes. Autour, un immense silence. À l’intérieur, des salariés harassés hésitent à témoigner.
L’Hebdo les a convaincus. Quand il était étudiant, notre reporter a lui-même expérimenté la dureté de ce monde frappé d’omerta.

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Les phares percent l’obscurité. Il n’est pas encore 6 heures, le jour émerge à peine au cœur de la Bretagne. Les voitures se suivent sur le bout de la départementale 6 qui longe le village de Collinée (Côtes-d’Armor). Direction l’entreprise Kermené. Une usine comme une autre. D’immenses bâtiments blancs au bord d’une route de campagne, quelques fenêtres vers l’extérieur, une fumée pâle évacuée par de grandes cheminées. Sauf qu’une odeur âcre saisit les narines du néophyte.

Ceux qui entrent ici chaque jour ne la sentent plus. Au milieu du va-et-vient incessant des camions de transport, un simple panneau « Réception des animaux ». Trois fois par jour, des véhicules convergent par centaines vers l’entrée du site. Un à un, ils entrent dans le ventre de la machine. Grillage haut, barrière de péage, il faut montrer patte blanche pour pénétrer l’enceinte. Ne rentre pas qui veut dans ces usines. L’avenir de nos rayons boucherie se joue ici. Loin du monde et de nos assiettes.

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Quatre mois durant, j’ai travaillé dans cet abattoir. Des étudiants comme moi en quête d’un pécule, l’agroalimentaire en embauche à foison pendant la saison estivale. Plus qu’un job d’appoint, presque un rite initiatique pour les gamins de la région.
« Tu faisais quoi là-dedans ? » « C’était dur ? » Dans mon entourage, comme sûrement dans les autres, mon expérience suscite toujours les mêmes questions. Pour certains de mes proches, c’est un boulot à temps plein.

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POURQUOI NOUS L’AVONS FAIT

Dans la Bretagne agricole où j’ai grandi, un membre de chaque famille vit grâce à l’abattoir. Je ne fais pas exception à la règle. Lorsque, étudiant, j’ai cherché un travail pour l’été, j’ai franchi les portes de ces usines à deux reprises. D’abord au moment de la pandémie, entre juin et juillet 2020, puis l’année suivante sur la même période.

Devenu journaliste, j’ai souhaité raconter l’abattoir à travers les témoignages des travailleurs qui y passent leur vie. Mais c’est ici que le bât blesse. L’agroalimentaire est central en Bretagne, mais très loin d’être au cœur des conversations. Peu de gens osent parler, de peur de scier la branche sur laquelle ils sont assis.

Serait-ce le caractère taiseux des Bretons ? Plus sûrement un silence insidieux et intériorisé. Une discrétion entretenue par la filière à l’heure où les consommateurs valorisent la transparence. Le tout dans un contexte où le souci écologique et la défense des animaux tendent à limiter les produits carnés de nos assiettes. Briser le silence autour de ces métiers, voilà l’objectif de ce dossier.

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Contrairement à eux, je savais que je n’y resterais pas à vie. Cette fin programmée m’a décidé à tenter l’aventure. Elle m’a aussi aidé à la supporter. Les quelque temps passés dans ces ateliers m’ont marqué dans ma chair. Entre les murs, la température est glaciale alors que le soleil cogne dehors. Le bruit permanent des machines s’oppose aux ouvriers taiseux. Quand on travaille à l’abattoir, on ne connaît que son secteur. Chaque bâtiment a son parking, ses coins pour griller une cigarette, et ses habitués.


Culture du secret

Ce secret, j’ai voulu le percer alors que je suis, entre-temps, devenu journaliste. J’ai souhaité donner la parole à ceux qui y passent leur vie. Sans un cri. La discrétion imprègne tout un système, des dirigeants aux salariés. Se taire est presque une condition d’embauche. Un contrat signé, quelques consignes de sécurité et d’hygiène, le tout complété par une clause de confidentialité. Téléphone interdit, silence et surtout action. Perdus loin des centres-villes, ces mastodontes agroalimentaires n’aiment pas la lumière. Aucun n’a d’ailleurs accepté que je vienne leur rendre visite, me renvoyant vers la fédération qui les représente. Mes demandes se sont heurtées à un mur de refus obstinés ou de dérobades de dernière minute.

La seule porte d’entrée dans ce monde opaque se dessine par la bouche de ceux qui y triment. Et encore. Comme Samuel
(son prénom a été modifié),
embauché dans un autre abattoir que le mien en 2018 après plusieurs petits boulots, en restauration notamment. Ce Mauricien, en France depuis une dizaine d’années, tient absolument à l’anonymat et use de mille précautions pour ne pas être reconnu. Il ne veut pas donner son véritable prénom, ni que l’on dise dans quelle ville il habite. Il a lui-même choisi un pseudonyme.

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Quand il raconte son quotidien, c’est de loin, depuis chez lui ou au téléphone. Non qu’il ait honte de son travail, mais dans les métiers de la viande, le silence est une règle d’or. Quiconque y a travaillé sait qu’il est complexe d’en parler.
« En arrivant à l’usine, vers 6 heures, je me change et je rejoins les collègues pour boire un café. » Sa journée ressemble à celle de beaucoup d’autres ouvriers. Dans un phrasé parfois hésitant, il évoque l’abattoir, avec recul, clairvoyance et un peu d’appréhension. Il endure ce travail « pour ses enfants ». L’ouvrier a misé sur la France pour leur éducation.

Des abattoirs, le grand public connaît souvent les vidéos publiées par les associations de protection animale. Parmi elles, L214 dénonce, depuis plus de quinze ans, les conditions d’élevage, de transport ou d’abattage. Dès 2008, après une infiltration à l’abattoir de Metz, des extraits font la lumière sur l’intérieur de ces usines, montrant des actes d’une grande cruauté envers les animaux. Les tollés provoqués par ces images-chocs ont renforcé la chape de plomb qui entoure la filière viande.

L’association hante les dirigeants du secteur, qui verrouillent toutes les communications. Pour éviter d’entacher leur réputation, les sociétés d’abattage font la chasse à la moindre image qui montrerait ce qui se passe derrière leurs murs. En ce moment, L214 met la pression pour que les abattoirs de porcs signent le Pig minimum standards, un référentiel qui encadre leurs pratiques. Un cadre administratif d’abattoir s’agace d’une énième demande d’interview.
« Si c’est pour dire que c’est horrible de travailler ici, ce n’est pas la peine. »

De leur côté, les salariés suivent, parfois à marche forcée, cet impératif de discrétion. Plusieurs ont subi des pressions pour ne pas répondre aux médias. Beaucoup se murent dans le silence au moment d’évoquer leur métier, mais certains se confient, protégés par un statut syndical ou par l’anonymat. Une salariée bretonne dépeint tout de même un contexte très tendu où sa position de syndicaliste ne lui semble pas suffisante pour prendre la parole en son nom. « Vu la pression mise sur les collègues qui ont parlé à la presse, je ne veux pas que l’on puisse me reconnaître. »

Un message laissé sur son répondeur. Quelques instants plus tard, Samuel rappelle. Il accepte de discuter, mais le Mauricien prévient : à la première question qui lui déplaît, il raccrochera. En prenant la parole, il tient à préciser que les extraits vidéos de sévices sur les animaux ne résument pas son métier. Avant de travailler dans la fabrique à viande, Samuel s’est échiné plusieurs années dans un fast-food où les week-ends et jours fériés n’existent pas. Son quotidien a longtemps consisté à faire cuire des steaks.

Aujourd’hui, le voilà au tout début de la chaîne, où, pour ma part, je n’ai jamais été affecté. Il prend le temps de la décrire. Samuel amène les bêtes des enclos d’attente vers le « couloir », un passage qui se rétrécit peu à peu et qui finit par bloquer l’animal.
« Parfois, ils sentent ce qui va leur arriver et ne veulent pas avancer. Pour les faire venir, je les tape avec un bâton. Quand il y a des bêtes réticentes, j’ai le droit de piquer avec la pile électrique, une fois. Juste pour que la décharge les fasse bouger. » Étape suivante, au fond du couloir. Un de ses collègues assomme les animaux avant que leur gorge soit tranchée.


La fourmilière

La suite est décrite par Peter Ntadingi, délégué CGT de l’abattoir de Vitré, en Ille-et-Vilaine. La chaîne d’abattage dure environ quarante-cinq minutes dans cette usine. L’homme de 34 ans a été formé sur plusieurs postes.
« La dépouille de tête, la dépouilleuse, le dégraissage intérieur, le parage ou les finitions. » Tout un jargon pour identifier les gestes précis et les machines qui servent à éviscérer et préparer la découpe des animaux.

Dès que le sang coule, personne ne parle plus d’animaux, mais de carcasse. Derrière l’utilisation de ce terme, tout un processus de désanimalisation est à l’œuvre.

Le premier de ces postes consiste
« à vider la tête » de la bête. « Après, avec deux collègues, nous devons sortir la langue et accrocher la tête au rail. Quand le programme du jour affiche 400 vaches, il faut tenir la cadence. »
Chacun sa tâche, un mouvement par opérateur. Le rythme empêche de discuter. Le bruit des machines domine, accompagné du ton sourd de l’affûteuse, utilisée à intervalle très régulier. Une lame de couteau parfaitement tranchante évite de forcer.

Dès que le sang coule, personne ne parle plus d’animaux, mais de carcasse. Derrière l’utilisation de ce terme, tout un processus de désanimalisation est à l’œuvre. Jusqu’à la mise à mort, les salariés parlent d’animaux. Ensuite, d’un morceau de viande. En moins d’une seconde, le vivant n’existe plus. Ce changement s’illustre aussi au sein de l’abattoir. Au milieu des animaux vivants, Samuel et ses compères arborent une tunique grise ou noire, contrairement à leurs collègues de la chaîne, vêtus de blanc. L’odeur empeste dans la bouverie, où les animaux attendent l’abattage. Un peu plus loin, les viscères encore chauds exhalent tout leur potentiel nauséabond.

Dans leurs uniformes sombres, les travailleurs ont interdiction de suivre les carcasses jusqu’à la chaîne. Question d’hygiène. Entre les deux secteurs, les quartiers de viande refroidissent pendant des heures dans des chambres froides. Dans les ateliers, la température chute. 4 °C. Prière d’endosser plusieurs couches de vêtements pour lutter contre l’alliance du froid et de l’humidité.

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Le bruit des machines donne la cadence et couvre les échanges entre salariés. Il faut s’époumoner pour se faire comprendre. Victoire du silence : beaucoup se résignent et restent muets. Le vacarme de la ferraille qui s’entrechoque rentre dans les têtes. Sur la route du retour, j’avais parfois l’impression que ma voiture connaissait une défaillance. Pas du tout, c’était le rythme itératif de la ligne qui tambourinait dans mon cerveau. L’abattoir s’incruste même dans les songes des salariés. Sophie
(son prénom a été modifié), employée dans un abattoir breton, raconte, de façon limpide et très crue, l’histoire d’une ancienne collègue aujourd’hui en retraite. « Elle rêvait souvent de l’abattoir. Elle voyait les lignes, et sur les rails, ce n’étaient pas des cochons qui étaient pendus, mais des humains. »

Après la mise à mort, la carcasse va passer entre une centaine de mains. Pendue par les pattes, elle avance et tous les travailleurs l’attendent dans les différents ateliers. La blancheur des murs contraste avec la viande sanguinolente. Inlassablement, le tapis roule. De part et d’autre de la chaîne, les silhouettes s’activent machinalement. Cohorte indéfinie. L’individu se fond dans la masse. Bottes ou chaussures de sécurité au pied, combinaison blanche, cagoule sur la tête, gants jetables sur les mains. L’une de mes inquiétudes pendant ces mois au frigo : que l’un de mes gants se perce. L’eau rentre et c’est toute la main qui est transie de froid.

La lassitude se comprend en un regard, celui des travailleurs vers l’horloge numérique. Avec la fatigue, je pouvais scruter l’heure deux fois dans la même minute, avec l’impression que le temps s’était figé.

Tétanisée. Le corps entier est recouvert, même la bouche. Seuls les yeux de ces cosmonautes restent à l’air libre. Des heures durant, ces petites mains répètent les mêmes gestes. La fourmilière doit tenir la cadence jusqu’à l’arrêt de la chaîne, en fin de la journée. La lassitude se comprend en un regard, celui des travailleurs vers les chiffres rouges de l’horloge numérique. Avec la fatigue, je pouvais scruter l’heure deux fois dans la même minute, avec la douloureuse impression que le temps s’était figé.


Une mise à mort invisibilisée

L’omerta qui entoure le milieu de la viande a été construite sur plusieurs siècles. Jusqu’au XIXe siècle, les bouchers tuent et découpent les animaux sur le lieu de vente pour garantir la fraîcheur du produit. Mais, cela n’a pas duré, car le seuil de tolérance à cette violence s’est réduit. L’anthropologue Charles Stépanoff raconte cette transformation dans son ouvrage
L’Animal et la Mort (La Découverte, 2021, 400 p., 23 €). Déjà au XVIIIe siècle et au début du XIXe, plusieurs auteurs sont choqués de l’abattage des animaux en pleine ville dans les tueries de rue : « Sang et viscères couvrent le sol et collent aux souliers, les rues résonnent de cris de bêtes, et le peuple s’habitue à une dangereuse banalité de la violence », décrit-il.

L’anthropologue précise que l’on dissimule alors, avec de plus en plus de soin, le fait que la viande consommée provient de bêtes tuées. De son côté, Félix Jourdan, sociologue spécialiste des abattoirs, parle de
« dépublicisation de la violence »
. Concrètement, la mise à mort a été progressivement invisibilisée pour la population. La moindre image d’un animal tué révulse l’opinion publique. Au gré de ses évolutions, l’abattage a été éloigné du public, passé sous silence, pour ne pas le choquer.

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De peur que cette violence donne des idées à certains, Napoléon Iᵉʳ décrète, en 1810, la création de cinq abattoirs pour remplacer les « tueries », comme on les appelle alors, en périphérie de Paris. L’hygiène est aussi invoquée. Un demi-siècle plus tard, en 1867, l’abattoir général de la Villette centralise ces premières usines à bidoche. En France, le secteur connaît une autre révolution après la Seconde Guerre mondiale. Sur le modèle américain, la technique s’industrialise en prenant exemple sur les abattoirs de Chicago – qui ont inspiré le travail à la chaîne d’un certain Henry Ford.

Ce n’est donc plus un seul boucher qui découpe une bête, mais plusieurs agents de production, arrachant des morceaux sur une carcasse lancée, à vitesse constante, le long d’un rail. Dans son ouvrage Déni français. Enquête sur l’élevage industriel (Éd. Récamier, 2025, 320 p., 21 €), la journaliste Caroline du Saint a étudié cette transformation. « Tout d’un coup, ce qu’un boucher qualifié et formé mettait huit à dix heures à faire, plusieurs ouvriers sur une chaîne peuvent le réaliser en 35 minutes. Chaque geste est simple, n’importe qui peut le faire. Les industriels peuvent donc embaucher des ouvriers peu qualifiés, les former en quelques minutes, les sous-payer, et les renvoyer tout aussi facilement. »

Parmi les qualités valorisées, ne pas se plaindre et ne pas poser de question. Il faut des exécutants qui ne disent rien et s’accommodent du travail à la chaîne. Les vaches, les volailles et les cochons morts passent, un par un, devant les yeux des salariés. Rassurée par l’écrin d’un local syndical, une salariée réfléchit un instant au regard qu’elle porte sur les animaux.

« Ce sont des objets. Au début, je ne me posais pas la question de la condition animale parce que c’est vraiment tabou ici. Personne n’en parle. Si quelqu’un fait une réflexion, d’autres vont lui dire que si on ne tue pas les animaux, il n’y a pas de boulot. »
Caroline du Saint s’est penchée sur ce refus de réalité, avec un constat limpide : les êtres vivants deviennent des objets de consommation. Résultat de cette révolution de l’abattage, « la violence ne s’est pas estompée, elle s’est amplifiée sans limites en se rendant invisible et industrielle », analyse Charles Stépanoff.


Un silence qui protège de la réalité

À l’usine, la mise à mort se normalise et devient une opération parmi tant d’autres. Pourtant, tuer des animaux à la chaîne demeure un acte loin d’être anodin pour Félix Jourdan. Le chercheur spécialiste des abattoirs démontre que les salariés mettent en place des
« stratégies de protection, de blindage » pour répondre à un impératif de détachement émotionnel. Personne ne peut tuer autant sans conséquences psychologiques. Voir des objets constitue une échappatoire salvatrice pour ces travailleurs englués dans la violence.

Raconter sa journée revient à conscientiser la violence, alors que le silence les protège de la réalité. Avec la mort en compagne de labeur, ces ouvriers peinent à s’affranchir d’une image négative. Samuel se méfie des réactions que provoque son métier.
« Je ne parle pas trop de ce que je fais parce que certaines personnes pensent que nous n’avons pas de cœur. »


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De son côté, Philippe Soulard, désosseur et délégué Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) en Bretagne, répète à l’envi que
« c’est un métier sale ». Un euphémisme comparé aux mots de Thomas More, dans L’Utopie (1516), qui écrit que le travail de la viande se limite «aux esclaves, car la loi interdit aux citoyens le métier de boucher, de peur que l’habitude du massacre ne détruise peu à peu le sentiment d’humanité, la plus noble affection du cœur de l’homme ».

De la même façon que les travailleurs tentent de se protéger de la violence de la mise à mort, ils développent également des stratégies pour éviter la stigmatisation de leur profession. Le sociologue Félix Jourdan a analysé leurs façons de se présenter. « Dans les discussions, ils utilisent des manières détournées pour parler de leur activité. Ils peuvent dire qu’ils sont agents de production sans préciser dans quel domaine, ou simplement ouvriers dans l’agroalimentaire. » Le chercheur met aussi en avant leur fierté, car « ces ouvriers renversent le stigmate pour en faire un marqueur identitaire ».

C’est le cas pour Philippe, le désosseur syndiqué : «Ce métier reste une passion. Mon travail sert à nourrir les gens et ils nous ont pas mal remerciés pendant la période du Covid-19 », affirme-t-il. Cette fierté se reflète aussi dans les yeux de leurs proches. En trente ans d’abattoir, Sophie a longtemps culpabilisé de ne pas passer assez de temps avec ses enfants. « Un jour, ma fille m’a dit : “Je suis contente d’avoir une maman qui m’a montré qu’une femme peut faire un travail difficile.” » La mère esquisse un sourire de satisfaction.


Traumatismes physiques

À l’abattoir, la pression psychologique s’ajoute à la dimension physique de la tâche. De mon côté, quatre mois ont suffi pour que mon corps siffle. Ma journée se résume à remplir des barquettes de saucisses. Le bon nombre et le bon poids. Devant moi, le tapis m’oblige à me voûter. Je me baisse sans arrêt, me tordant dans l’autre sens à chaque accalmie, avant de repartir de plus belle. Mes vertèbres craquent en rythme.

Les tonnes de viande défilent sous mes yeux. La douleur s’installe et s’intensifie quand le corps refroidit. Les étirements, dans les temps morts, ne suffisent pas à soulager les muscles. Le supporter quelques semaines reste envisageable, mais une vie ? Une syndicaliste, désabusée et harassée, s’agace à l’autre bout du téléphone.
« Aucun être humain ne devrait faire ce travail. »

Son confrère, Éric Chauvet, délégué syndical FGTA-FO (Fédération générale des travailleurs de l’alimentation-Force ouvrière) chez le prestataire EVS (Euroviande service), va dans son sens : « Chez nous, une personne par mois est licenciée pour inaptitude. » Cassés par le travail, beaucoup minimisent pourtant la tâche. « Pas plus dur qu’un autre métier », « on n’est pas à plaindre »… Mais quand la confiance s’installe, les langues se délient et les souffrances refont surface. Samuel raconte ses passages sur le billard. « J’ai étéopéré deux fois de l’épaule et une autre fois au niveau du tendon d’Achille du pied droit. »

Après cela, il est jugé inapte pour travailler sur la chaîne. Il sait que son poste l’a usé, l’a détruit à petit feu. La souffrance, atroce, atteint son paroxysme avec le froid. Son épaule meurtrie le paralyse. Il hisse, avec une grande peine, son coude à la hauteur de son visage. Impossible de le monter davantage. Le salarié a répété les mêmes gestes pendant trois ans, inlassablement, avec des charges très lourdes.
« Les animaux arrivaient au transfert. Ma mission était de les envoyer sur la chaîne. J’accrochais leur cuisse sur un crochet en hauteur. Je vous laisse imaginer quand ce sont des taureaux… » Il souffle.

Le seul fait d’en parler le renvoie à sa souffrance. Le presque quinquagénaire endolori décrit un enfer.
« Mon épaule s’est bloquée. Et puis, un jour, le tendon de mon biceps a cédé. » Aujourd’hui, il a changé de poste pour éviter d’avoir mal. Dans la bouverie, il ne doit pas porter de charges lourdes ou lever les bras, mais marcher plus de dix kilomètres par jour pour amener les animaux. Avec un tendon d’Achille fragile, la tâche demeure herculéenne.


Manque de bras

En changeant de poste, Samuel a pu continuer à travailler, mais son corps n’a pas oublié les traumatismes.
« Les douleurs restent à vie. Je ne peux plus porter mes enfants et je dois éviter les charges de plus de six kilos. » L’amertume transparaît dans sa voix. Soulagé de ne plus être sur la chaîne, il sait pourtant que l’abattoir l’a broyé. Sophie, une collègue de l’autre bout de l’usine, a également renoncé à prendre ses enfants dans ses bras. Chaque jour, elle s’occupe de mettre en barquette la viande, juste avant que les cartons partent pour la grande distribution.

Elle a remplacé ses séances de sport par des rendez-vous chez le kinésithérapeute. Personne n’échappe aux douleurs, même si certains s’estiment chanceux, comme Philippe Soulard. Le délégué syndical souffre à mesure que les journées s’accumulent, mais se targue de ne pas connaître le bloc opératoire. Quelques fourmillements persistent dans ses bras, mais
« rien de grave »,
selon ses mots. Minimiser, toujours.

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Ces entreprises ont grandement besoin de ces bras pour répondre à la demande et remplir les rayons boucherie des supermarchés. Une armée d’ouvriers travaille donc, toute l’année, à l’abri des regards. Froid, charges lourdes, mauvaises odeurs et horaires décalés… Les abattoirs cumulent les freins pour attirer des candidats. En 2020, selon l’Association nationale des industries alimentaires, 30 000 emplois dans l’industrie agroalimentaire étaient non pourvus contre 10 000 en 2013. Et pour cause, selon la Caisse nationale de l’assurance-maladie des travailleurs salariés, le secteur représente près d’un quart de l’ensemble des troubles musculo-squelettiques (TMS).

Pour faire face à cette pénurie, la solution est toute trouvée : la main-d’œuvre étrangère. L’intérim en profite, mais ne veut pas le crier sur les toits. Un directeur d’agence bretonne accepte d’en parler sous couvert d’anonymat. Il constate le nombre croissant de travailleurs étrangers. Avec peu de qualifications, ils doivent donc accepter les conditions de travail « compliquées » de l’abattoir.

Ces travailleurs ne disent rien, en partie parce qu’ils sont captifs.
«Sans ce boulot, qui paie mes factures ? », interroge Amadou, arrivé de Guinée Conakry en 2016. « Je n’ai que ça », surenchérit Samuel, le Mauricien. En faisant le choix d’une main-d’œuvre étrangère, les abattoirs parachèvent leur objectif de discrétion. Ces travailleurs se taisent parce que leur visa repose sur leur travail. Peter Ntadingi, originaire de la République démocratique du Congo, connaît bien cette situation de dépendance. « Il y a beaucoup d’étrangers parce que quand nous arrivons, nous avons besoin d’être régularisés. Il nous faut un travail stable. »

Beaucoup passent par le travail temporaire avant d’obtenir un CDI, sans connaître les spécificités du secteur. Samuel se remémore son inquiétude quand il a été déclaré inapte pour la chaîne.
« Je ne savais pas ce que cela signifiait et je craignais de ne plus pouvoir travailler en France. » Le responsable d’agence de travail temporaire est catégorique : « Sans les travailleurs étrangers, il n’y a plus une seule usine qui tourne. » Une déléguée CFDT estime que les trois quarts des effectifs sont d’origine étrangère et que « sur certains tapis, il n’y a pas un Français ».


Amélioration des conditions de travail

Le salaire pèse lourd dans la balance pour les salariés, et davantage encore pour ceux venant de l’étranger. Parfois, la somme constitue même la raison de leur engagement à l’abattoir, tranche Éric Chauvet, syndicaliste chez EVS. Les salaires dépassent le smic d’environ 20 %
, d’après les estimations de ce dernier. Depuis longtemps, le secteur a compris qu’en payant un peu plus que le smic, il pouvait attirer davantage de candidats. Parmi les salariés étrangers, le contingent roumain est important. Au pays, le salaire minimum était de 660 € brut en 2024. Quand les rémunérations atteignent 1 500 € dans l’agroalimentaire, le choix s’impose de lui-même. Mais, cet avantage n’attire pas assez pour répondre aux besoins, selon le responsable d’intérim. « Les salaires progressent peu à peu. Mais, c’est sûr que si c’était 15 ou 16 € de l’heure (environ 2 000 € par mois, NDLR), il y aurait beaucoup plus de personnes à vouloir travailler en abattoir et il y aurait beaucoup moins de turnover. »

Côté syndicats, Éric Chauvet et ses collègues peinent à venir en aide à ces salariés étrangers. « Nous ne pouvons même pas les soutenir parce qu’ils font parfois partie de petites structures de prestation de service et la barrière de la langue complique les échanges. Ils ne disent rien et font leurs heures. »

Ils sont, toutefois, nombreux à l’avouer : les conditions de travail se sont quand même améliorées ces dernières années. Philippe Soulard, représentant CFTC, décrit une position de travail repensée et un accent mis sur la sécurité avec la généralisation des harnais pour éviter les chutes sur les passerelles métalliques en hauteur. Autre exemple, des bras hydrauliques ou des exosquelettes ont permis d’éviter le port de charges lourdes sur certains postes. Malgré cette progression, les chiffres sur les TMS restent stables selon le responsable syndical, et cela ne l’étonne pas.
« Même si les conditions sont meilleures, cela a servi de justification pour augmenter les cadences. Les gestes sont plus faciles, mais nous devons en faire beaucoup plus. »

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La viande qui sort de ces usines anime de plus en plus les débats. Certains l’ont bannie de leur assiette, d’autres interrogent leur consommation. L’inflation en plus, les protéines animales ont perdu leur place réservée sur la table du repas, même si plus de 80 kg de viande par an et par habitant sont encore mangés, soit deux fois plus que la moyenne mondiale. Pour fournir ces rayons, l’ouvrier ne sera jamais remplacé par un robot.

Beaucoup de postes de l’abattoir n’entrent pas dans un standard. Alors, il faudra longtemps des travailleurs comme Samuel, poursuivant leur tâche sans bruit. Réveil à 4 heures, petit déjeuner, prière, la route jusqu’à l’usine. Le vestiaire et le café avec les collègues. Le Mauricien fête bientôt ses dix ans à l’abattoir. Chaque jour, il recommence, machinalement, mais tiendra-t-il une décennie de plus ?

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POUR ALLER PLUS LOIN


L’Animal et la Mort, de Charles Stépanoff

Dans cet ouvrage, l’anthropologue analyse la relation contradictoire que nous développons avec le vivant. D’un côté, certains animaux font partie de nos familles ; de l’autre, certains sont élevés de façon intensive pour finir dans notre assiette. L’auteur prend la chasse en exemple pour interroger la violence inhérente à notre mode de vie. Ce travail résulte d’une enquête immersive cherchant à documenter l’érosion du vivant.

La Découverte, 2021, 400 p., 23 €


À la ligne. Feuillets d’usine de Joseph Ponthus

L’écrivain Joseph Ponthus a raconté l’intérieur des abattoirs dans un livre glaçant qui décrit les différentes chaînes de production industrielle. Tout comme la ligne est constituée d’une succession de petites tâches, ce roman adopte la forme de petites phrases saccadées. Elles dépeignent avec précision des chaînes d’usines de poisson ou de viande, dans lesquelles l’auteur a travaillé en tant qu’intérimaire.

Éd. La Table Ronde, 2019, 272 p., 18 €


Le Sens du bétail. Vous ne mangerez plus jamais de la même façon, d’Ulysse Thevenon

Le livre du journaliste Ulysse Thevenon compile deux ans d’enquête dans le monde de l’industrie de l’élevage français. Au-delà de l’abattoir, l’auteur s’intéresse à tous les maillons de la chaîne agricole. Il dépeint un système aussi complexe que discret, où le nombre d’agriculteurs se réduit d’année en année.

Flammarion, 2025, 304 p., 22 €


Cacher le sang des bêtes : de la tuerie à l’abattoir

Dans cet épisode d’une série consacrée à l’histoire des politiques environnementales, France Culture se concentre sur l’évolution de l’industrie de l’abattage en France. Après la Révolution, le métier de boucher se transforme drastiquement. L’abattage s’éloigne progressivement des centres-villes. Un changement qui met fin au contrôle visuel de la population sur la viande consommée.

« La Fabrique de l’Histoire », France Culture, 52 minutes, radiofrance.fr

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En complément 2 citations :

Claude Lévi-Strauss (1908-2009)

« J'ai le sentiment que toutes les tragédies que nous avons vécues,
d'abord avec le colonialisme, puis avec le fascisme, enfin les camps d'extermination,
cela s'inscrit non en opposition ou en contradiction avec le prétendu humanisme sous
la forme où nous le pratiquons depuis plusieurs siècles, mais, dirai-je, presque dans
son prolongement naturel.

Puisque c'est, en quelque sorte, d'une seule et même foulée que l'homme a commencé
par tracer la frontière de ces droits entre lui-même et les autres espèces vivantes,
et s'est ensuite trouvé amené à reporter cette frontière au sein de l'espèce humaine,
séparant certaines catégories reconnues seules véritablement humaines d'autres
catégories qui subissent alors une dégradation conçue sur le même modèle qui servait
à discriminer entre espèces vivantes humaines et non humaines. Véritable péché originel
qui pousse l'humanité à l'autodestruction.

Le respect de l'homme par l'homme ne peut pas trouver son fondement dans certaines
dignités particulières que l'humanité s'attribuerait en propre, car, alors, une fraction de
l'humanité pourra toujours décider qu'elle incarne ces dignités de manière plus éminente
que d'autres.
Il faudrait plutôt poser au départ une sorte d'humilité principielle: l'homme, commençant
par respecter toutes les formes de vie en dehors de la sienne, se mettrait ainsi à l'abri
du risque de ne pas respecter toutes les formes de vie au sein de l'humanité même.

Se préoccuper de l’homme sans se préoccuper de toutes les autres manifestations
de la vie, c’est, qu’on le veuille ou non, conduire l’humanité à s’opprimer elle-même,
lui ouvrir le chemin de l’auto-oppression et de l’auto-exploitation».

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Anne et Daniel Meurois–Givaudan


« Qu'éprouverions-nous si des êtres dotés d'une forme de vie plus élaborée que la nôtre
et ne nous laissant que peu de chances de dialoguer avec eux, trouvaient normal
et appétissant de nous inclure dans leur menu ? »

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