Carole Delga : « L’État doit lancer une révolution ferroviaire »
Publié aujourd’hui à 11h15,
Carole Delga
Présidente de la région Occitanie
Face
à l’urgence climatique et sociale, la France ne doit pas rater le train
de l’histoire, en réinvestissant massivement tant au niveau du réseau
que du matériel, mais aussi en s’acheminant vers la gratuité, exhorte la
présidente de la région Occitanie, dans une tribune au « Monde ».
Le train reste une idée neuve. Près de
deux cents ans après la mise en service de la première ligne de chemin
de fer, en Angleterre, en 1825, une nouvelle révolution ferroviaire est
en marche : celle de la gratuité. A chaque siècle, son enjeu. Si, au XIXe puis au XXe siècle,
les infrastructures de transports ont d’abord servi le développement
économique, elles doivent désormais servir en premier lieu la lutte
contre le réchauffement climatique.
Ce
changement de paradigme n’est pas une utopie. Il n’est pas un choix,
mais bien une nécessité, et commence à se réaliser sous nos yeux. Et il
est temps que la France rattrape son retard pour ne pas rater le train
de l’histoire.
En
Allemagne, le gouvernement fédéral a décidé, en mai, d
’un abonnement à
9 euros sur l’ensemble du réseau local et régional du pays qui a permis,
en trois mois, de baisser l’inflation de deux points, de faire basculer
10 % du trafic de la route vers le rail et de
gagner 1,8 million de tonnes de CO2. Fort de ce résultat, le chancelier, Olaf Scholz, réfléchit à étendre la mesure…
Lire aussi la tribune : Article réservé à nos abonnés « Le report de la route vers le rail est plus que jamais une urgence absolue »
En
Espagne, le gouvernement de Pedro Sanchez vient de mettre en place la
gratuité des transports pour les quatre mois qui viennent, autour des
douze plus grandes villes et des banlieues : la Renfe [équivalent de la SNCF] estime à 75 millions les trajets supplémentaires à venir sur la période.
En
Occitanie, la région a mis en place le train à 1 euro depuis de longues
années : 3 millions de billets vendus par an (selon la région Occitanie
et la SNCF), dont la moitié l’été, permettent ainsi aux habitants de
tous les territoires, aux saisonniers, aux touristes, de voyager de
façon économe et durable. A Montpellier, une métropole, la plus
importante à ce jour en France, vote la gratuité des transports, tandis
que des villes, des villages prennent quasi quotidiennement des
initiatives en ce sens.
Volontarisme politique
Oui,
une révolution est en marche. Et elle s’accélère avec l’urgence
climatique et sociale qui secoue nos habitudes et nos modes de pensée.
Elle nécessite pour la France lucidité et volontarisme politique.
Lucidité
de réinvestir fortement dans son réseau ferroviaire. Le 28 août, nous
inaugurions la réouverture de la ligne de la rive droite du Rhône, entre
Pont-Saint-Esprit et Nîmes, fermée depuis 1973 par l’Etat et la SNCF.
Quand, après avoir écouté la population, les élus, les acteurs
économiques de ce territoire du Gard rhodanien, j’ai décidé en 2016 que
le train reviendrait, on m’a répondu : « C’est impossible, madame la présidente. »
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Lire aussi : Article réservé à nos abonnés « L’arrivée
de la cinquième version du TGV pointe le sujet de la concurrence des
modes de transport à l’heure de la transition énergétique »
La
promesse est tenue grâce au volontarisme politique et à la force
collective. Et trois ans plus tôt que prévu. La région Occitanie a
investi 12,83 millions d’euros et ira jusqu’à 100 millions pour
desservir davantage de gares. Et ce n’est qu’un début. Dans les
Cévennes, le Pays cathare, le Comminges, d’autres lignes rouvriront dans
les années qui viennent.
Ce
que je mets en œuvre depuis six ans en Occitanie, je le propose pour
notre pays. Gain environnemental et énergétique, gain de pouvoir
d’achat, gain de sécurité : le train apporte des réponses sûres et
concrètes aux préoccupations de vie de nos habitants. Je crois en
l’avenir du rail pour tous les trajets, ceux du quotidien, ceux des
marchandises, ceux des déplacements plus lointains.
Localement,
les régions sont au rendez-vous en y consacrant leur premier poste
budgétaire. L’Europe a, quant à elle, fixé de nouveaux objectifs très
ambitieux de baisse des émissions de CO2. Il revient à l’Etat
de lancer enfin sa révolution et de faire beaucoup plus pour redonner
au train les moyens de transporter davantage de voyageurs, en rénovant
les voies et les gares, en créant de nouvelles dessertes, en rouvrant
des lignes fermées, en aménageant de nouvelles lignes à grande vitesse
dans le sud du pays.
Ces
prochaines années, l’Allemagne va investir 90 milliards d’euros, quand
l’Italie annonce 190 milliards d’euros, pour régénérer leurs réseaux et
renouveler leurs matériels roulants. En ce sens, je soutiens pleinement
les objectifs de
Jean-Pierre Farandou, président de la SNCF, qui appelle le gouvernement
« à
investir 100 milliards d’euros sur le réseau français et à ainsi
doubler la part modale du fer, en passant de 10 % à 20 % des
déplacements ».
Des cars plus propres aussi
Et
là où le train ne peut aller, il faut investir dans des autocars plus
propres, comme nous le faisons avec des commandes en cours de cars à
hydrogène, développer le transport à la demande dans les zones les plus
rurales, proposer de nouvelles voies réservées aux véhicules propres à
l’entrée des centres urbains. L’éloignement des réseaux de transport en
commun performants est vécu, à juste titre, par nos concitoyens, comme
une inégalité, une injustice, un déclassement.
De la même manière,
nous devons aussi assumer un choc tarifaire afin de rendre plus
attractive l’offre de transport en commun. Nous devons garantir des
billets accessibles à nos compatriotes les plus modestes. Nous devons
prendre le chemin de la gratuité, comme nous l’expérimentons avec succès
sur les trains régionaux en Occitanie auprès des moins de 26 ans ou
encore pour les transports scolaires au bénéfice de 170 000 enfants et
de leurs familles chaque jour.
Voilà
donc, devant nous, le grand défi d’une véritable loi de planification
écologique. Le gouvernement et le Parlement ne doivent pas rater ce
rendez-vous. L’enjeu de transformation est énorme pour tous les grands
secteurs pollueurs : le transport est le premier, avec 30 % des
émissions des gaz à effet de serre, et, surtout, l’histoire démontre que
la prospérité a toujours été favorisée par des investissements
importants dans les voies de communication. Ne tremblons pas devant les
montants à engager, nos voisins européens nous l’ont rappelé : faisons
des choix forts et audacieux. Notre pays et la planète ne s’en porteront
que mieux.
Carole Delga (PS) est présidente de la région Occitanie.