Bonjour à tous.
Je vous livre aujourd'hui la transcription d'une « leçon » avec Pierre, 40 ans, dyslexique, consacrée à l'écriture d’une seule phrase, et qui a duré en tout moins de 10 minutes.
Pierre vient me demander mon aide pour écrire une phrase sur la page de garde d’un livre qu’il va offrir en cadeau à un ami. Il a déjà formulé sa phrase mais peine depuis plusieurs minutes à l’écrire. Il me présente son premier essai, auquel je ne comprends rien :
Essai 1:
Je lui demande de me dire sa phrase. Il me la dit très clairement et sans hésitation :
« Effaçons nos peurs, allons vers la lumière »
Il me demande si « effaçons » s’écrit en deux mots ou en un seul. J'essaie de lui faire trouver la réponse, il ne la trouve pas, je la lui donne : « En seul mot ». Il écrit alors :
Essai 2 :
Je lui épelle le verbe "effacer" et il écrit :
Essai 3 :
Bref échange sur la terminaison « ons », il ne propose que « ont ».
Devant l'immensité de la tâche, je renonce au travail classique de transcription graphème par graphème et de lui propose d'utiliser la reconnaissance vocale de son téléphone, avec laquelle il a pris l’habitude de rédiger ses textos. Après un essai infructueux où les erreurs de la machine sont trop nombreuses, je lui propose un autre essai sur mon iPad, avec Word.
La machine propose :
« Effaçant nos peurs, allant vers la lumière. »
Je corrige manuellement en « ons » les terminaisons « ant » et Pierre recopie, rapidement et sans hésitation :
Je lui fais mettre la majuscule initiale, ce qui déclenche le « point final ».
Tout cela a pris environ 8 minutes.
Nous avons maintenant un brouillon correct, que Pierre doit recopier au propre, sur la page de garde du livre, étape qu'il redoute particulièrement.
Je lui propose de taper sa phrase sur l’ordinateur avec une belle police cursive, pour imprimer et coller ensuite le papier dans le livre. Comme d’habitude, Pierre se dérobe, prétextant qu’il est en retard et pressé d’aller porter son cadeau. Il me demande de recopier à sa place, ce que je fais…
Que conclure de cette « leçon » ?
Merci de vos avis et commentaires.
Robert
Bonjour,
Merci pour ce beau témoignage de ton accompagnement de Pierre dans l'écriture de sa superbe phrase- dédicace à son ami.
Pour la deuxième étape dont parle Roger (l'aide du pédagogue, forcément grammatical), il y a deux points sur lesquels j'ai envie de réagir : la notion de mots, et la conscience orthographique .
Pierre te dit sa phrase sans hésiter" Effaçonsnospeursallonsverslalumière " et ensuite il essaie de restituer ce qu'il a dit en transcrivant les sons en lettres. D'où sa question : ""effaçons ... c'est un mot ou deux mots ?",
Les enfants font souvent cela au début, collant toutes les lettres pour reproduire cette chaine orale continue qu'ils croient être la même à l'écrit (surtout avec les méthodes basées sur la correspondance orale/ écrit avec l'apprentissage des correspondances lettres/sons qui se fait au détriment du sens).
Pour maitriser la notion de mots, les étiquettes sont un outil utile qui permet de matérialiser les mots. J'aurais utilisé une bande de papier et j'aurais demandé à Pierre de me dire les mots dont il est sûr que ce sont des mots; s'il dit lumière on découpe un rectangle pour lumière, s'il dit peurs, on découpe un autre rectangle pour peurs … jusqu'à ce qu'il y ait 7 rectangles blancs devant lui .
Ensuite pour l'écriture des mots, je lui demanderais d'écrire les mots dont il est sûr ( on ne peut plus voir les photos de l'écriture de la phrase dans ton mail, dommage) je crois que certains étaient correctement orthographiés. Puis je lui demanderais d'écrire les autres en s'aidant de son smartphone.Le smartphone avec la reconnaissance vocale semble être un super outil ( il faudrait qu'on le propose dans notre atelier !). Je crois qu'il avait écrit " lumiaire" - phonétiquement correcte ; je lui aurai expliqué qu'on lit bien lumiaire mais cela s'écrit autrement et qu'il faut s'entrainer à mémoriser l'orthographe des mots (car les mots s'écrivent rarement comme on les entend !). On développe la conscience orthographique avec la mémorisation des mots ( là encore les étiquettes sont précieuses), la construction de tableaux d'analogies et des remarques (ex : l e -ons des verbes avec nous, que tu lui as expliqué). S'il doit ensuite écrire rivière, on pourra lui dire c'est comme comme lumière .
J'espère que tu vas continuer à ne pas te résigner à être pédago :-) comme tu le dis dans ton message et continuer à accompagner Pierre !
Amitiés
Françoise
PS : ... Et si tu lui proposais une correspondance avec des apprenants de Créer ? (idée que je soumets aussi à Sybille)
Je le vois plutôt régresser, probablement par abandon de toute pratique régulière de l'écrit. Les personnes mal à l'aise avec l'écrit sont très habiles pour aménager leur vie en évitant l'écriture...
Je me contente donc désormais avec lui de de faire l'essentiel à sa place lorsqu'il a besoin d'écrire. Cependant, je suis intrigué de constater qu'à chaque fois qu'il demande mon aide, il continue à faire spontanément de laborieux essais d'écriture comme ceux que j'ai montrés ici, au lieu de me dicter directement ce qu'il veut écrire.
J'en suis venu à penser que pour ces personnes avec qui les rééducations ne donnent pas de résultat, il vaut mieux proposer des contournements comme la reconnaissance vocale, technologie dont les performances progressent chaque jour. Pierre a déjà gagné en autonomie en s'appropriant cette technique sur son smartphone pour rédiger ses textos. Prochainement, le couplage de la reconnaissance vocale avec la lecture labiale par robot (devant une simple webcam) devrait permettre d'autres progrès décisifs.
Oui, le smartphone me semble un super-outil utilisable dans les cours pour adultes, et surtout en dehors des cours puisque contrairement aux dictionnaires papier dont les apprenants ne disposent que sur les lieux de leurs cours, les smartphones sont avec eux à tout moment.
C'est une réponse partielle au constat que nous avons fait maintes fois concernant les cours pour adultes: leur brièveté et l' irrégularité de la fréquentation. J'espère que les éditions Retz vont rapidement proposer une version électronique du Diclé de Sybille, téléchargeable ou consultable en ligne.
En attendant, il existe déjà une version gratuite du Littré pour smartphones, tablettes et ordinateurs, avec possibilité de recherche par reconnaissance vocale à condition d'être relié à internet par wifi ou par l'opérateur de téléphonie mobile. Certes, les définitions du Littré ne sont pas faciles pour des apprenants FLE, et les mots courants les plus récents n'y figurent pas...
Je n'ai plus actuellement d'élèves en présentiel mais cela m'intéresserait de lire des relations d'expériences pédagogiques utilisant le smartphone. D'après quelques essais de reconnaissance vocale que j'ai réalisés, la prononciation d'un mot isolé sonne de moins bons résultats que la dictée d'un texte, parce que les systèmes utilisent le contexte pour corriger leurs erreurs. Les systèmes que j'ai testés étaient tous sensibles aux erreurs de prononciation des étrangers, mais à des degrés variables. C'est un obstacle avec les publics FLE qui n'ont pas encore acquis une bonne prononciation. Cela peut aussi permettre à un apprenant de s'exercer seul à prononcer un mot où une phrase dont il connaît l'écriture: il recommence jusqu'à ce que le mot soit reconnu correctement.
Il serait intéressant de comparer l'ergonomie et les performances des systèmes de reconnaissance vocale courants et accessibles facilement (cliquer sur la petite icône intégrée aux claviers virtuels, en haut à gauche du clavier en général) :
Appel retorica : « J’ai mis sur site le fichier suivant : la grammaire est-elle négociable ?
http://www.retorica.fr/Retorica/11-gra-grammaire-negociable-2017-01/
(…) Roger (2017-01-28) : Je n’ai quasiment plus d’élèves et ce sont des élèves par correspondance. J’espérais que sur 700 correspondants j’en trouverai un ou deux pour travailler avec moi les formes brèves. Je les avais trouvés, un temps sur internet, avec Maïthé et ses élèves anglophones. Il faudrait reprendre l’expérience. »