L’écriture d’une phrase par une personne dyslexique

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Robert Jeannard

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Jan 11, 2017, 7:01:35 AM1/11/17
to Forum Freinet-Adultes

Bonjour à tous.


Je vous livre aujourd'hui la transcription d'une « leçon » avec Pierre, 40 ans, dyslexique, consacrée à l'écriture d’une seule phrase, et qui a duré en tout moins de 10 minutes. 


Pierre vient me demander mon aide pour écrire une phrase sur la page de garde d’un livre qu’il va offrir en cadeau à un ami. Il a déjà formulé sa phrase mais peine depuis plusieurs minutes à l’écrire. Il me présente son premier essai, auquel je ne comprends rien :

Essai 1:


Je lui demande de me dire sa phrase. Il me la dit très clairement et sans hésitation :

« Effaçons nos peurs, allons vers la lumière »

Il me demande si « effaçons » s’écrit en deux mots ou en un seul. J'essaie de lui faire trouver la réponse, il ne la trouve pas, je la lui donne : « En seul mot ». Il écrit alors :

Essai 2 :


Je lui épelle le verbe "effacer"  et il écrit :

Essai 3 :



Bref échange sur la terminaison « ons », il ne propose que « ont ».


Devant l'immensité de la tâche, je renonce au travail classique de transcription graphème par graphème et de lui propose d'utiliser la reconnaissance vocale de son téléphone, avec laquelle il a pris l’habitude de rédiger ses textos. Après un essai infructueux où les erreurs de la machine sont trop nombreuses, je lui propose un autre essai sur mon iPad, avec Word.

La machine propose :

« Effaçant nos peurs, allant vers la lumière. »


Je corrige manuellement en « ons » les terminaisons « ant » et Pierre recopie, rapidement et sans hésitation :


Je lui fais mettre la majuscule initiale, ce qui déclenche le « point final ».

Tout cela a pris environ 8 minutes.


Nous avons maintenant un brouillon correct, que Pierre doit recopier au propre, sur la page de garde du livre, étape qu'il redoute particulièrement.

Je lui propose de taper sa phrase sur l’ordinateur avec une belle police cursive, pour imprimer et coller ensuite le papier dans le livre. Comme d’habitude, Pierre se dérobe, prétextant qu’il est en retard et pressé d’aller porter son cadeau. Il me demande de recopier à sa place, ce que je fais…

 

Que conclure de cette « leçon » ?

Merci de vos avis et commentaires.


Robert 

 

Roger Favry

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Jan 11, 2017, 9:26:15 AM1/11/17
to freinet...@googlegroups.com, roger...@wanadoo.fr
« Effaçons nos peurs, allons vers la lumière. » Je me demandais si on pouvait s’exprimer d’une manière efficace en moins de quarante mots. La preuve est faite que oui.
La version de la machine n’est pas mal non plus : « Effaçons nos peurs, allant vers la lumière ». 
Le rôle de Robert est d’aider Pierre à traduire sa vérité pour la rendre accessible à d’autres.
La dédicace de Pierre désormais intelligible peut éclairer les autres personnes qui la liront.
C’est un mécanisme général que Robert met à jour. Nous en avons bien besoin à un moment où la grammaire a été décrétée « négociable » en haut lieu !  Bien sûr qu’elle ne l’est pas. A nous de le montrer et de le prouver, pat l’exemple, pas par des leçons de grammaire. C’est ce que fait Robert. A suivre.

Roger
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M V

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Jan 11, 2017, 10:21:56 PM1/11/17
to freinet...@googlegroups.com
Bonjour à tous,

Que c'est une belle expérience d'écoute

il avance à son rythme et chaque étape pour lui permet de transgresser des peurs

la prochaine fois il osera l'écrire sur le livre.

cette écoute est tout aussi fondamentale que le travail des 40 mots 

merci Robert de ce partage de patience et d'accompagnement

Je vous envoie à tous
une lumière de soleil
pour commencer 2017.
 
Véronik

Sybille Grandamy

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Jan 12, 2017, 5:29:40 AM1/12/17
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Bonjour à toutes et à tous,

Merci Robert pour ce partage très intéressant. Le cas est compliqué. Il est délicat de proposer des pistes quand on ne connait pas la personne et, j'imagine que tu as dû essayer beaucoup de choses...

Voilà ce que je propose, mais, bien sûr, avec toute l'humilité qui s'impose face à ces cas difficiles ;-) :
- je regarde son premier jet en faisant attention de ne montrer aucun signe d'incompréhension. Je suis sure que tu es bienveillant, évidemment, mais j'indique cela car j'ai remarqué à quel point les personnes en difficulté sont sensibles au moindre soulèvement de sourcil, au pli des lèvres... à tous les petits signes qui trahissent une pensée qui les blesserait. Il est nécessaire de faire un effort conscient sur notre apparence, le langage de notre corps (on dit que 93% de notre langage est non-verbal !!). Si on se compare à un outil, par exemple un dictionnaire, celui-ci ne s'agace jamais si l'utilisateur cherche le même mot 10 fois ! Je pense qu'il faut être comme le dictionnaire !!;-)
- il formule ce qu'il veut écrire
- je l'écris
- on compare et on trouve ce qui est juste (certaines lettres sont présentes, donc on peut valoriser), ou presque juste - je dis que c'est bien
- je lui demande s'il veut recopier la phrase
- si oui, ok. Si non, je le fais.
- je fais un effort conscient pendant ce travail pour ne montrer aucun signe qui puisse lui faire sentir à quel point il est loin de l'écrit. Je me réjouis réellement de tout ce qui est bien.

Puis on refait ça systématiquement.

Qu'en penses-tu ? Qu'en pensez-vous ?

Roger Favry

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Jan 12, 2017, 6:42:26 AM1/12/17
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L’analyse de Sybille me semble juste mais je préfère la mienne (… en toute modestie !). Je la redis :

Robert JEANNARD

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Jan 13, 2017, 8:45:22 AM1/13/17
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Merci, Véronique, Sybille et Roger, pour vos commentaires.

Je n'ai pas inventé le métier d'écrivain public, ce rôle de passeur est en effet gratifiant mais mon problème est celui du pédagogue qui a du mal à se résigner. J'aurais envie d'essayer ce que tu proposes, Sybille, qui supposerait que Pierre accepte de passer du temps sur son problème. Il semble avoir renoncé mais j'ai encore un doute (ou un espoir): il n'est pas venu directement me dicter sa phrase, il avait fait plusieurs essais sur son brouillon et avec la reconnaissance vocale de son smartphone, puis a quand même recopié - toujours au brouillon - le résultat de la reconnaissance vocale de l'iPad retouché par moi. 

Je ne comprends pas ce que tu veux dire, Roger, au sujet de la grammaire qui aurait été "décrétée négociable en haut lieu", ni en quoi le problème de Pierre concerne la grammaire...

Amicalement.
Robert

Roger Favry

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Jan 13, 2017, 11:06:36 AM1/13/17
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J’ai relié mentalement l’expérience de Robert avec Pierre et celle que j’ai connue avec Guy, expérience que connaît Robert :
Trois étapes :
- un désir de s’exprimer en 40 mots ou même moins (7 mots, c’est très bien, c’est très beau, c’est très vrai !)
- l’aide du pédagogue, aide forcément grammaticale
- le produit fini donc exportable et dont l’auteur peut être fier. Le texte peut circuler.
L’aide grammaticale suppose que la grammaire soit stable, donc non «  négociable » comme on a pu l’entendre au sujet des incorrections dans les tweets présidentiels récents.
Cela me rappelle la réflexion d’un élève de première (vers 1970)  qui s’obstinait à défendre une expression fautive dans un texte libre, au motif qu’il donnait aux mots un sens qui n’était pas dans le dictionnaire. Certes mais il n’est pas allé très loin dans ses études : la pression sociale l’a écrasé. 
Roger

Robert JEANNARD

unread,
Jan 13, 2017, 11:26:54 AM1/13/17
to Forum Freinet-Adultes
Merci, Roger, je comprends mieux.
J'ai été marqué en effet par cette expérience très forte du Journal de Guy que tu as racontée et que j'encourage tous les lecteurs de ce forum à lire en suivant le lien que tu as donné
Je n'y pensais pas en racontant cette expérience avec Pierre, mais oui, il y a bien une parenté.

Robert

Françoise VASSORT

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Jan 14, 2017, 7:00:35 AM1/14/17
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Bonjour, 

Merci  pour ce beau témoignage de ton accompagnement de Pierre dans l'écriture de sa superbe phrase- dédicace à son ami.

Pour la deuxième étape dont parle Roger (l'aide du pédagogue, forcément grammatical), il y a deux points sur lesquels j'ai envie de réagir : la  notion de mots, et la conscience orthographique .

Pierre te dit sa phrase sans hésiter" Effaçonsnospeursallonsverslalumière " et ensuite il essaie de restituer ce qu'il a dit  en transcrivant les sons en lettres.  D'où sa question : ""effaçons ... c'est un mot ou deux mots ?",

Les enfants font souvent cela au début, collant toutes les lettres pour reproduire cette chaine orale continue qu'ils croient être la même à l'écrit (surtout avec les méthodes basées sur la correspondance orale/ écrit  avec l'apprentissage des correspondances lettres/sons  qui se fait au détriment du sens).

Pour maitriser la notion de mots, les étiquettes sont un outil utile qui permet de matérialiser les mots. J'aurais  utilisé une bande de papier et j'aurais demandé à Pierre de me dire les mots  dont il est sûr que ce sont des mots; s'il dit lumière on découpe un rectangle pour lumière, s'il dit peurs, on découpe un autre rectangle pour peurs … jusqu'à ce qu'il y ait 7 rectangles blancs devant lui .

Ensuite pour l'écriture des mots, je lui demanderais d'écrire les mots dont il est sûr ( on ne peut plus voir les photos de l'écriture de la phrase dans ton mail, dommage) je crois que certains étaient correctement orthographiés. Puis je lui demanderais d'écrire les autres en s'aidant de son smartphone.Le smartphone avec la reconnaissance vocale semble être un super outil ( il faudrait qu'on le propose dans notre atelier !).  Je crois qu'il avait écrit " lumiaire" - phonétiquement correcte ; je lui aurai expliqué qu'on lit bien lumiaire mais cela s'écrit autrement et qu'il faut s'entrainer à mémoriser l'orthographe des mots (car  les mots  s'écrivent rarement comme on les entend !). On développe la conscience orthographique avec la mémorisation des mots ( là encore les étiquettes sont précieuses), la construction de tableaux d'analogies et des remarques (ex : l e -ons  des verbes avec nous, que tu lui as expliqué). S'il doit ensuite écrire rivière, on pourra lui dire c'est comme comme lumière .

J'espère que  tu vas continuer à ne pas te résigner à être pédago :-) comme tu le dis dans ton message et continuer à accompagner Pierre !

Amitiés

 Françoise

PS : ... Et si tu lui proposais  une correspondance  avec des apprenants de  Créer ? (idée que je soumets aussi à Sybille)


Robert JEANNARD

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Jan 24, 2017, 11:10:59 AM1/24/17
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​​Merci, Françoise, pour tes commentaires et propositions. Celle de travailler la notion de mot avec des étiquettes me semble particulièrement intéressante mais je ne la sens pas applicable avec Pierre car il n'est plus volontaire pour quelque travail pédagogique que ce soit, découragé sans doute par l'échec de ses efforts depuis tant d'années, pas seulement à l'école mais aussi lors de formations pour adultes et en orthophonie.

Je le vois plutôt régresser, probablement par abandon de toute pratique régulière de l'écrit. Les personnes mal à l'aise avec l'écrit sont très habiles pour aménager leur vie en évitant l'écriture...

Je me contente donc désormais avec lui de de faire l'essentiel à sa place lorsqu'il a besoin d'écrire. Cependant, je suis intrigué de constater qu'à chaque fois qu'il demande mon aide, il continue à faire spontanément de laborieux essais d'écriture comme ceux que j'ai montrés ici, au lieu de me dicter directement ce qu'il veut écrire.

J'en suis venu à penser que pour ces personnes avec qui les rééducations ne donnent pas de résultat, il vaut mieux proposer des contournements comme la reconnaissance vocale, technologie dont les performances progressent chaque jour. Pierre a déjà gagné en autonomie en s'appropriant cette technique sur son smartphone pour rédiger ses textos. Prochainement, le couplage de la reconnaissance vocale avec la lecture labiale par robot (devant une simple webcam) devrait permettre d'autres progrès décisifs.

Oui, le smartphone me semble un super-outil utilisable dans les cours pour adultes, et surtout en dehors des cours puisque contrairement aux dictionnaires papier dont les apprenants ne disposent que sur les lieux de leurs cours, les smartphones sont avec eux à tout moment. 

C'est une réponse partielle au constat que nous avons fait maintes fois concernant les cours pour adultes: leur brièveté et l' irrégularité de la fréquentation. J'espère que les éditions Retz vont rapidement proposer une version électronique du Diclé de Sybille, téléchargeable ou consultable en ligne. 

En attendant, il existe déjà une version gratuite du Littré pour smartphones, tablettes et ordinateurs, avec possibilité de recherche par reconnaissance vocale à condition d'être relié à internet par wifi ou par l'opérateur de téléphonie mobile. Certes, les définitions du Littré ne sont pas faciles pour des apprenants FLE, et les mots courants les plus récents n'y figurent pas...

Je n'ai plus actuellement d'élèves en présentiel mais cela m'intéresserait de lire des relations d'expériences pédagogiques utilisant le smartphone. D'après quelques essais de reconnaissance vocale que j'ai réalisés, la prononciation d'un mot isolé sonne de moins bons résultats que la dictée d'un texte, parce que les systèmes utilisent le contexte pour corriger leurs erreurs. Les systèmes que j'ai testés étaient tous sensibles aux erreurs de prononciation des étrangers, mais à des degrés variables. C'est un obstacle avec les publics FLE qui n'ont pas encore acquis une bonne prononciation. Cela peut aussi permettre à un apprenant de s'exercer seul à prononcer un mot où une phrase dont il connaît l'écriture: il recommence jusqu'à ce que le mot soit reconnu correctement.

Il serait intéressant de comparer l'ergonomie et les performances des systèmes de reconnaissance vocale courants et accessibles facilement (cliquer sur la petite icône   intégrée aux claviers virtuels, en haut à gauche du clavier en général) :

  • sur smartphone, celui du moteur de recherche Google.fr , le plus accessible et le plus performant à mon avis. Limitation: il ne permet pas de dicter un texte long, tout au plus une phrase.
  • sur smartphone encore, celui qui permet  de dicter un texto ou un e-mail.
  • sur tablette iPad ou Androïd, dans le programme de traitement de texte Word.
  • sur ordinateur (PC ou Mac) en se connectant au site de Google Traduction
  • sur Mac, la reconnaissance vocale intégrée au traitement de texte Pages, qui donne de bons résultats
  • sur PC, la reconnaissance vocale intégrée à Windows (à activer), qui donne sur mon ordi des résultats minables.
  • autres...?
J'espère lire prochainement de telles relations d'expériences sur ce forum.

Amicalement.

Robert

PS  Je ne pense pas non plus proposer à Pierre une correspondance avec les apprenants de Créer, je sais qu'une telle perspective l’effraierait. Par contre, je propose une communication vidéo par Skype où je serais moi, face à un groupe d'apprenants qui pourraient me poser des questions sur l'île de La Réunion et sur moi. Heure réunionnaise = heure métro + 3 A quelles heures ont lieu les cours de Créer?


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Françoise VASSORT

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Jan 31, 2017, 7:46:53 AM1/31/17
to freinet...@googlegroups.com
Bonjour Robert
Merci pour les infos sur les outils numériques. 
Il faut que l’on se penche sur ce qu’on pourrait utiliser comme outil pendant l’atelier avec celles qui ont un smartphone 
et avec le Mac (notamment l’écriture avec la reconnaissance vocale). 
Il y a quelques semaines, Sybille a proposé une écriture de textos qui a bien marché et qu’on pourrait prolonger
pour l’écriture de textes avec les propositions de mots des textos. A suivre.
Pour ta proposition Skype découverte de la Réunion, bonne idée. 
Nous avons  travaillé sur la carte du monde en vue du spectacle sur Marco Polo que nous allons voir le 3 février
et la découverte de la Réunion pourrait s’inscrire dans la suite de ce spectacle sur les  voyages de Marco Polo.
Les volontaires pourraient rédiger des questions et te les envoyer dans un premier temps ?
Mais ce sera après les vacances ( fin février).
Amicalement
Françoise

Roger Favry

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Jan 31, 2017, 11:19:25 AM1/31/17
to freinet...@googlegroups.com, roger...@wanadoo.fr
J’ai lancé un appel sur la liste retorica. Je suis assez pessimiste sur l’avenir de cette piste. Pourtant il s’agit d’adultes et qui pourraient avoir envie d’écrire et d’échanger sur des formes brèves (en deçà du 40 mots). Ce silence donne à penser que le désir d’écrire sous cette forme apparemment séduisante est quasi totalement absent. Qu’en pensez-vous ?

Appel retorica : «  J’ai mis sur site le fichier suivant : la grammaire est-elle négociable ?

http://www.retorica.fr/Retorica/11-gra-grammaire-negociable-2017-01/

(…) Roger (2017-01-28) : Je n’ai quasiment plus d’élèves et ce sont des élèves par correspondance. J’espérais que sur 700 correspondants j’en trouverai un ou deux pour travailler avec moi les formes brèves. Je les avais trouvés, un temps sur internet, avec Maïthé et ses élèves anglophones. Il faudrait reprendre l’expérience. » 

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