Le conditionnement scolaire des apprenants serait-il un frein à leur apprentissage ?

[Alice Lenesley]

Bonsoir,

En ce début d'année, j'ai de nouveau des incertitudes (mais c'est si bon les incertitudes, non ?), car  j'ai une classe de FLE B2 et ça fait des années que je n'ai pas eu un niveau élevé et des apprenants BAC + 5. 

Je les trouve si mous et passifs ! 

Alors, franchement, il faudrait arrêter avec tous ces clichés d'apprentissage sur les peu scolarisés ... 

Mes étudiants peu-scolarisés sont bien plus actifs !

Tout est une question de posture et d'engagement dans l'apprentissage, ça n'a pas grand chose à voir avec les années de scolarité je trouve (à débattre ?).

Ces étudiants, je les trouve "en attente" en fait. 

Je leur ai envoyé une vidéo à regarder pendant le week-end, une conférence TED X "La faute de l'orthographe" (en lien). Ils ont clairement le niveau pour la comprendre. Ce soir, je leur demande "Vous avez regardé la vidéo ce week-end ?" Peut-être trois ont levé la main, sur 25 !

Finalement, ils sont très conditionnés par leur scolarité. 

J'ai l'impression qu'ils attendent que je leur donne des listes, des règles, des exercices ... enfin j'ai l'impression. On va voir si j'arrive à les décoincer en un semestre.

Tous les mercredis : 20 minutes d'écriture ... pas encore libre ;) pour certains profs, ça peut paraître beaucoup sur seulement 2 fois 2h/semaine sur un semestre, mais j'ai fait une partie du cours d'aujourd'hui dessus.

Et pendant l'observation du corpus d'erreurs projeté au tableau, je leur ai demandé de travailler en groupe, consigne : "discutez, mettez-vous d'accord, corrigez et expliquez" (c'était pas mal, ils discutaient bien), puis de venir au tableau corriger et expliquer. Une bonne partie regardait, les yeux dans le vide, sans noter les corrections et les explications qu'on donnait. 

Je passe beaucoup de temps  à donner des conseils de prise de note et de méthodologie aux peu ou pas scolarisés, mais pas aux BAC + 5 quand même !

Ils concentrent un mélange entre passivité et arrogance en fait ;)

Déjà, venir expliquer quelque chose aux autres au tableau leur semble plus faisable que la semaine dernière, enfin j'ai l'impression...

Et puis, ces tables dans la classe ! en rang d'oignon, mais quelle horreur ! on est dans des classes d'écoles primaire qui ont toujours cet agencement terrible.

Alors si vous avez des trucs, astuces, ... pour décoincer les apprenants très scolarisés, je suis preneuse.

Je pense que c'est un débat intéressant à avoir sur ce forum : 

- la passivité des apprenants serait-elle un frein à l'apprentissage ? ou un frein à un apprentissage intelligent, critique, choisi, en contexte et avec du sens ?

- est-on conditionné par ses années d'écoles ? oui/non ? comment ?

- la sur-activité de l'enseignant serait-elle aussi un frein à l'apprentissage de l'apprenant et à son émancipation ?

Et vous ? Qu'en pensez-vous ? 

Avez-vous des étudiants très scolarisés dans vos cours ? Quelle est leur attitude d'apprenant ? actif ? passif ? en attente de règles et de listes ?

Hâte de lire vos réactions, témoignages, coups de gueule, coups de coeur, critiques ...

Bonne soirée,

Alice

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blog pédagogique FLE/Alpha/Freinet : https://bonjourjesuis.fr/

[Robert Jeannard]

Bonsoir Alice et les autres.

Oui, c'est un paradoxe: l'école éteint souvent le désir d'apprendre... Au collège, la fréquentation du CDI diminue régulièrement de la 6e à la 3e.

Je suis particulièrement touché par le témoignage d'Alice, parce que c'est ce que j'ai vécu pendant une grande partie de ma carrière à l'Education nationale. Plus on "monte" (du CP à la terminale), pire c'est, effet de la situation d' "apprenants captifs". 

Retraité, quand j'ai commencé à m'investir bénévolement à la Réunion dans l’enseignement aux adultes, je pensais trouver des "apprenants libres" et je me suis trompé: la majorité des personnes venaient à ces cours pour des motifs biaisés, parfois (dans les cas les plus dramatiques) pour toucher une petite indemnité pour payer leur hébergement mais le plus souvent pour passer le temps.

En milieu scolaire, il se produit la plupart du temps un frémissement aux 2/3 de l'année et déjà les vacances arrivent... Si on peut garder les mêmes élèves sur 2 ans, la 2e année est plus dynamique. 

Pour illustrer ce propos, voici en pièce jointe un témoignage, "Parcours d'un scolarisé", 2 écrits personnels (à 13 ans et à 19 ans) d'un jeune que je suis depuis des années. Son cas n'est malheureusement pas une exception.

Avec ces publics, des outils spécifiques peuvent aider. Roger Favry, qui a fait toute sa carrière en lycée professionnel où les élèves sont le plus souvent orientés par l'échec, a élaboré des exercices adaptés à cette situation pour l'enseignement du français. Ce sont la prise de parole en 3 et 1 minute (PP3 et PP1), le 40 mots, le 300 mots, le débat silencieux, je-nous-dicte et quelques autres. J'ai mis les trois premiers sur notre Freinet FLE et Alphabétisation aux pages Expression orale et Expression écrite.

En Mauritanie dans les années 1980-1990, j'ai eu à enseigner le FLE à de grands groupes hétérogènes d'étudiants démotivés, qui ne venaient au cours que par peur des retraits sur leur bourse. Après bien des tâtonnements, j'ai réussi à les mettre au travail grâce à des textes lacunaires décrits au premier chapitre de ce Guide de fabrication d'Exercices. Pour les plus faibles qui refusaient au départ tout texte en français en se déclarant trop faibles, j'avais trouvé une parade: leur distribuer à titre d'aide une traduction arabe.

Robert Jeannard 

[faustine deligne]

Bonsoir Alice, je te comprends. 

Quelles nationalités ont tes apprenants? Quels âges?

J'ai eu des groupes de suisses, 'environ 25 ans, très scolaires aussi. Je fonctionnais beaucoup avec des jeux de rôles, nous avons aussi fabriqué un journal type zapping avec un présentateur. Ils devaient  jouer les scènes des informations. Chouette, mais difficile à motiver. Ce qui m'intéressait dans tout ça, c'était de les mettre en situation de jeu et création pour éviter de faire seulement du scolaire.... A la fin de chaque séances, je faisais un tour de table pour voir ce qu'ils avaient aimé ce qu'il n'avait pas aimé ce qu'il voulait faire par la suite leurs besoins aussi souvent il répondait la grammaire alors au bout du compte j'ai fini par sortir beaucoup d'exercices de grammaire avec les leçons et leur laisser parfois 20 à 30 minutes quand ils n'avaient plus rien à faire vous allez chercher par exemple un temps ou une forme verbale ou autre chose au niveau de la grammaire  et voilà ils travaillaient par eux-mêmes c'était vraiment la pédagogie différenciée c'est intéressant mais bon après il faut se couper en 8 dans ces cas-là ce qui est difficile. Ils étaient très passifs puis sont devenus assez actifs. Les jeux de rôle marchent tellement bien... Niveau b2 exemple pour le subjonctif. .

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[Robert Jeannard]

Bonjour.

Voici une petite vidéo (4'28") 

https://youtu.be/j9I95BJsINc

qui démonte le mécanisme de "l'impuissance apprise". 

Activez les sous-titres en français si vous avez du mal à suivre en anglais.

Utile pour reconstruire la confiance en soi et l'envie d'apprendre.

Robert

[Alice Lenesley]

Bonjour, 

Merci Robert pour ces deux documents.

J'ai été émue par les deux textes du jeune homme. Il exprime sa haine de l'école avec tant de précisions et d'émotions. C'est tellement paradoxal, il a été en échec alors qu'il est capable d'écrire un texte plein d'intelligence et d'émotions pour le dire, pourquoi l'école n'a pas su détecter cela ? Sa capacité à raconter, décrire ses sentiments aurait pu être valorisée et développée.

Le deuxième document est très intéressant car il évoque l'affect et le rapport aux autres, si important dans l'apprentissage. Combien d'entre nous ont vécu la remise des copies par le prof dans l'ordre des notes par exemple ? 

C'est si humiliant pour les plus faibles. J'en ai reparlé il y a quelques jours avec mon frère qui m'a dit : "Les plus faibles s'amusaient à être les derniers. Ca les faisait rire et ils s'applaudissaient en classe." Tu m'étonnes ! leur dignité avait été bafouée, il ne leur restait plus que ça : amuser la galerie et garder l'éternelle étiquette de cancre sur leur front. Etre le meilleur dans le rôle de cancre. J'imagine que le prof essayait de rétablir le calme, alors qu'il était là l'origine de ce tumulte.

Bonne soirée,

A bientôt

Alice

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