Le Monde - Le paradoxe du sarkozysme, par Christian Salmon

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jm

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May 3, 2008, 8:53:58 AM5/3/08
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Le paradoxe du sarkozysme, par Christian Salmon
LE MONDE | 02.05.08 | 14h56 • Mis à jour le 02.05.08 | 14h56

Au cours de sa dernière intervention télévisée, Nicolas Sarkozy a
justifié l'envoi de troupes en Afghanistan par l'impossibilité de
dialoguer avec "des gens qui ont amputé d'une main une femme parce
qu'elle avait mis du vernis à ongles". Une référence à la cruauté des
talibans si souvent répétée qu'on ne se soucie plus d'en vérifier
l'authenticité, comme si la cruauté des châtiments - de la lapidation
des femmes adultères à l'interdiction pour les jeunes filles d'aller à
l'école - nous dispensait d'enquêter.

L'histoire circule sur Internet depuis des années dans d'innombrables
versions. Parfois la victime est une petite fille de 10 ans. Parfois
c'est une femme. Le plus souvent, on rapporte que les talibans se
"contentaient", si l'on ose dire, d'arracher les ongles. Dans la version
présidentielle, on a amputé la main.

Il est étrange qu'aucune enquête sérieuse ne soit venue questionner les
modes de diffusion d'une telle rumeur. Une source semble en être un
rapport d'Amnesty International datant de 1997 dont les conclusions
étaient bien plus modestes que les commentaires qu'elle a inspirés.
"Dans un cas au moins, écrivait l'organisation humanitaire, les
châtiments infligés ont pris la forme d'une mutilation. En octobre 1996,
des talibans auraient sectionné l'extrémité du pouce d'une femme dans le
quartier de Khair Khana à Kaboul. Cette "punition" avait apparemment été
infligée à cette femme car elle portait du vernis à ongles." Sam
Gardiner, un colonel de l'armée américaine, qui a enquêté sur la
communication de guerre des campagnes en Afghanistan et en Irak, a
démontré récemment que "l'histoire des ongles arrachés" avait été
choisie par Alastair Campbell, le conseiller de Tony Blair, pour
illustrer les violences faites aux femmes par les "étudiants en
théologie" et diffusée massivement pour convaincre l'opinion publique et
les gouvernements européens qui hésitaient à se joindre à la coalition
internationale dirigée par les Etats-Unis.

La même story fut diffusée à Washington et à Londres, en suivant des
scénographies identiques, allant parfois jusqu'à utiliser les mêmes
phrases. Dès novembre 2001, a révélé Sam Gardiner, "l'orchestration de
la campagne en faveur des femmes afghanes témoignait de similitudes
frappantes dans le timing et les scénarios utilisés à Londres et à
Washington". Le 17 novembre 2001, Laura Bush, la première dame des
Etats-Unis, déclare : "Seuls les terroristes et les talibans menacent
d'arracher les doigts qui ont les ongles vernis." Et Cherie Blair, son
homologue britannique, d'affirmer (à Londres le lendemain) : "En
Afghanistan, si vous avez du vernis à ongles, vous pouvez avoir les
ongles arrachés."

Au cours d'une conférence à l'université de Strathclyde, en Ecosse (7-9
septembre 2007), Gardiner a décrit comment les scénarios quotidiens
préparés par le centre d'information de la Maison Blanche étaient en
fait alimentés par Alastair Campbell, du 10 Downing Street. Jim
Wilkinson, qui travaillait à l'époque au bureau de la communication
stratégique à la Maison Blanche, se félicita de l'efficacité de cette
campagne, "la meilleure chose que nous ayons faite pour obtenir le
soutien de pays où la coalition antiterroriste se heurtait à un grand
scepticisme".

En laissant autant d'influence aux "storytellers politiques", a estimé
le colonel Gardiner, Bush et Blair ont terni la "crédibilité" de leurs
pays : "Ce sera un traumatisme plus grand encore peut-être que pour le
Vietnam lorsque nous devrons nous retirer d'Irak. (...) Les hommes
politiques se heurteront à une opinion qui refusera de les croire même
s'ils disent la vérité." Est-ce le début d'une prise de conscience en
Grande-Bretagne des méfaits du storytelling ? Lors d'une visite en Irak
en juin 2007, Gordon Brown a promis que les futures analyses de la
situation militaire, présentées par les services de renseignement,
seraient indépendantes du pouvoir politique.

Ignorant les leçons du blairisme, Nicolas Sarkozy, lui, continue
d'imiter le couple Blair-Campbell, jusqu'à reprendre ses méthodes et son
langage quand il s'agit de convaincre l'opinion de s'engager davantage
en Afghanistan. Comme eux, il récolte les fruits de cette stratégie qui
aboutit à faire de l'action gouvernementale une pure entreprise de
communication et qui, loin de gagner la confiance des électeurs,
généralise l'incrédulité.

Ce diagnostic s'impose en Grande-Bretagne alors que l'on entre dans
l'après-Blair. "Bien avant que la brouille due à la guerre en Irak ne
ternisse complètement la réputation du gouvernement en matière de
vérité, écrit par exemple le spécialiste des médias Raymond Kuhn dans un
livre bilan des années Blair (Blair's Britain sous la direction
d'Anthony Seldon), l'une des caractéristiques des années pendant
lesquelles Blair a dirigé le New Labour a été aux yeux de nombreux
électeurs l'association avec les petites phrases et le spin." En somme :
trop de communication tue la communication.

"Vers le milieu du premier mandat de Blair, ajoute Kuhn, les articles
critiques envers les tentatives du gouvernement de contrôler l'agenda
médiatique ont commencé à remplacer les commentaires qui, jusqu'alors,
faisaient l'éloge du professionnalisme de la machine médiatique du New
Labour." Une inflexion qui semble inspirer le changement d'attitude de
la presse française à l'égard de M. Sarkozy. Et expliquer sa chute dans
les sondages. L'inflation d'histoires ruine la crédibilité du narrateur.
L'habileté, à trop s'avouer, se dément. C'est le paradoxe du sarkozysme.

Christian Salmon est écrivain

Article paru dans l'édition du 03.05.08.

gerfeau

unread,
May 3, 2008, 10:56:28 AM5/3/08
to
Je suis d'accord avec ta réflexion.
Tout cela me fait penser aux armes de destruction massive de l'Irak. Une
vaste mise en scène pour justifier l'agression de ce pays.
Tout cela est mensonge et boule de gomme.
Dans ce passage, Sarkozy était lamentable ........
Copie conforme a l'agressivité d'un Bush et d'un Blair.
Combien de morts et d'handicapés ont-ils sur la conscience?
Alors peut-on dialoguer avec Bush, Blair, Sarkozy ???????

Ge.


"jm" <j...@nospam.fr> a écrit dans le message de news:
481c6066$0$21150$7a62...@news.club-internet.fr...


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