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L'économiste fait un point sur l'économie russe, ainsi que sur la
politique monétaire menée par la Banque centrale de Russie, qui use tout
particulièrement du contrôle des capitaux.
Publié le 02/12/2023 · Jacques Sapir
L’économie russe est en train, à l’automne 2023, d’effacer les
conséquences les plus graves des sanctions. Ces dernières auront donc
été inefficaces pour dissuader la Russie et pour l’affaiblir. La
croissance russe actuelle est spectaculaire. Elle démontre que le pays a
su trouver en lui-même des sources de croissance inattendues pour nombre
d’observateurs occidentaux. Mais, cette croissance révèle aussi que
l’économie russe a changé. Il faut désormais prendre la mesure de ces
changements. Ils font émerger de nouveaux problèmes, et en particulier
pour la politique monétaire dont on peut se demander si elle est
toujours adaptée à la nouvelle situation.
La Russie déjoue régulièrement les prévisions
Depuis l’été 2022, la Russie déjoue régulièrement les prévisions des
analystes occidentaux mais aussi, il convient de le dire, de certains
analystes russes. Alors que d’avril à juin 2022, les institutions
économiques occidentales prévoyaient le pire pour la Russie (-11,2% pour
la Banque Mondiale, -10,0% pour l’OCDE, -8,5% pour le FMI), l’année
s’est terminée sur une contraction de seulement -2,1%. Pour 2023, on
constate à peu près la même chose. On a commencé par annoncer une
nouvelle contraction de l’économie, puis le FMI a annoncé un chiffre
positif, +1,5% en avril dernier, et a révisé son estimation en octobre à
2,25%. Les prévisions des analystes russes ont-elles aussi évolué.
Le décalage des chiffres entre le bulletin trimestriel publié par
l’Institut des Prévisions économiques et le bulletin d’analyse de court
terme s’explique car les chiffres du bulletin trimestriel, issus du
modèle QUMMIR, sont toujours en retard par rapport aux prévisions faites
par le même institut tous les mois (ou Kratkospotchnyj analiz dinamiki
VVP) qui sont publiées chaque mois. Cela n’est pas étonnant. Les
paramètres du modèle, lors des exercices trimestriels, montrent une plus
grande inertie que lors des exercices de prévisions à très court terme.
Cependant, ces résultats tendent à s’aligner sur ce qui deviendra
progressivement la réalité de la croissance économique.
Une forte demande
En fait, l’économie russe connaît une forte croissance depuis la fin du
premier trimestre 2023. La croissance moyenne du PIB sur mars-août 2023
atteint 4,3% et devrait atteindre 3% pour l’année. L’industrie
manufacturière a, quant à elle, atteint les 9,4% de croissance sur la
même période, ce qui est exceptionnel. La construction progresse aussi
largement et le salaire réel a augmenté en moyenne sur les 6 derniers
mois de 8,0%.
Cette situation s’explique par plusieurs facteurs : la consommation des
ménages a repris et tire les industries produisant des biens de
consommation ; l’effort de guerre – le budget de la défense devrait
monter en 2024 à 6% du PIB – a aussi un impact positif sur les
industries mécaniques et la métallurgie ; enfin, les programmes de
substitution aux importations commencent à porter leurs fruits avec des
taux de croissance astronomiques dans les industries électroniques (+39%
pour les 6 derniers mois) et les industries électriques et optiques
(+30%). Globalement, la croissance de l’industrie tire l’économie.
Une inflation de 6% à 7% pour 2023
Elle s’explique par une forte demande, tant privée que publique, par des
importations de machines perfectionnées de la Chine et d’autres pays,
mais aussi par d’importantes aides, directes et indirectes, de l’État.
De fait, l’économie russe est en train d’évoluer, avec une hausse de la
production manufacturière et une baisse relative de la production de
matières premières, mais aussi du fait de changements dans le domaine
monétaire et financier, avec l’arrêt des sorties de capitaux, et dans la
structure des investissements. Ce changement engendre alors une forte
demande. Cette forte demande, et ses implications sur l’emploi,
entraînent un climat inflationniste qui devrait perdurer en 2023 et
2024. La Banque centrale s’attend d’ailleurs à une inflation de 6% à 7%
pour 2023.
L’économie russe n’est pas une économie de guerre au sens de ce que l’on
a connu dans le premier et le second conflit mondial. Mais, la guerre et
les sanctions ont provoqué un changement important. L’économie russe
s’est définanciarisée, et elle a réduit l’importance de certains
marchés. Pourtant, l’investissement progresse de manière évidente, avec
une croissance de +12% au deuxième trimestre 2023, ce qui explique aussi
la forte croissance que l’on connaît actuellement.
Changement de modèle
Ceci conduit à penser que l’économie russe est en train de changer de
modèle. Ce changement n’est pas encore accompli, mais il est néanmoins
bien engagé. Les processus de définanciarisation, comme l’obligation du
rapatriement immédiat des bénéfices d’exportation, la dédollarisation de
l’économie et les programmes de soutien à la substitution aux
importations ont joué un grand rôle dans ce changement. Ce changement
s’accompagne d’une réorientation de l’économie, dans ses relations
géographiques mais aussi dans la croissance du secteur manufacturier
face aux matières premières.
L’étude des sources de l’investissement est aussi très significative. On
constate que l’autofinancement est redevenu la source principale de ces
investissements, alors qu’il ne représentait, en moyenne sur la période
2000-2016, que 43,2% du total. Le basculement ici est net. Il implique
que les profits des entreprises sont devenus la variable capitale pour
le financement des investissements. L’autofinancement est suivi de près
par les subventions publiques (qu’elles proviennent de l’État fédéral ou
des régions) et par les crédits inter-entreprises, qui sont globalement
alloués par les grands groupes publics. Cela implique que la politique
des taux directeurs de la Banque Centrale ne peut avoir qu’un effet,
essentiellement indirect, réduit. Le crédit bancaire, lui, ne dépasse
pas les 10%.
Taux directeur relevé
Ce changement prend la forme à la fois d’un changement dans la structure
de la production, dans des modifications de la demande solvable globale
et un poids croissant mais pas écrasant de la puissance publique, et – à
terme – dans des modifications des structures de financement. Ces
changements sont cohérents avec le contexte global dans lequel
l’économie russe est immergée. Ils aboutissent à faire que l’économie
russe est de plus en plus une économie contrainte par l’offre (et
l’offre de travail en particulier) et aussi une économie qui devient
moins sensible aux instruments qualitatifs de la politique monétaire
(les taux d’intérêts) et plus à des instruments quantitatifs.
En ce qui concerne la politique monétaire, la Banque Centrale de Russie
a décidé de relever son taux directeur de 12% à 13%, et elle pourrait
envisager une nouvelle augmentation le 15 octobre. Cette décision a
ranimé un débat sur la cohérence de la politique monétaire menée par la
Banque Centrale vis-à-vis de la croissance économique en Russie.
La Banque Centrale de Russie a adopté une stratégie de ciblage de
l’inflation pour pouvoir continuer à opérer en situation de changes
flottants en 2014. Cette politique a été maintenue malgré les fortes
perturbations engendrées par la première vague de sanctions dont la
Russie a été victime en 2014-2017.
Réorientation vers la production manufacturière
Cependant, cette stratégie de ciblage de l’inflation a suscité des
critiques et des inconvénients manifestes. Elle était basée sur un taux
de change flottant, mais avec le contrôle des capitaux, le taux de
change n’est plus libre, ce qui rend cette politique incohérente. Les
conditions du marché des changes et les canaux de transmission de la
politique monétaire en Russie ont également évolué, ce qui n’a pas été
pleinement intégré par la Banque Centrale.
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Vonder la Hyène
Stupide poulaille
Deux qui la tiennent
Trois qui la raillent