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«Monsieur interroge Monsieur»

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Michel Fingerhut

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Oct 12, 1996, 3:00:00 AM10/12/96
to

[Jean Tardieu, 1903-, actif à la radio (Club d'Essai, France-Musique) et
au théâtre, poète de l'angoisse d'être au monde exprimée dans des
textes d'une musicalité cristalinne, jouant avec les mots et les
images. Parmi ses nombreux recueils de poèmes: «Le Fleuve caché», «Une
vois sans personne», «Poèmes à jouer», et «Monsieur Monsieur», d'où est
tiré le texte ci-dessous. Voir l'excellente page WWW de FR3,
http://www.sv.vtcom.fr/ftv/fr3/ecrivain/tardieu.html]

Jean Tardieu:
MONSIEUR INTERROGE MONSIEUR

Monsieur, pardonnez-moi
de vous importuner:
quel bizarre chapeau
vous avez sur la tête!

- Monsieur, vous vous trompez
car je n'ai plus de tête
comment voulez-vous donc
que je porte un chapeau!

- Et quel est cet habit
dont vous êtes vêtu?

- Monsieur, je le regrette
mais je n'ai plus de corps
et n'ayant plus de corps
je ne mets plus d'habit.

- Pourtant lorsque je parle
Monsieur vous répondez
et cela m'encourage
à vous interroger:
Monsieur quels sont ces gens
que je vois rassemblés
et qui semblent attendre
avant de s'avancer?

- Monsieur ce sont des arbres
dans une plaine immense,
ils ne peuvent bouger
car ils sont attachés.

- Monsieur Monsieur Monsieur
au-dessus de nos têtes
quels sont ces yeux nombreux
qui dans la nuit regardent?

- Monsieur ce sont des astres
ils tournent sur eux-mêmes
et ne regardent rien.

- Monsieur quels sont ces cris
quelque part on dirait
on dirait que l'on rit
on dirait que l'on pleure
on dirait que l'on souffre?

- Monsieur ce sont les dents
les dents de l'océan
qui mordent les rochers
sans avoir soif ni faim
et sans férocité.

- Monsieur quels sont ces actes
ces mouvements de feux
ces déplacements d'air
ces déplacements d'astres
roulements de tambour
roulements de tonnerre
on dirait des armées
qui partent pour la guerre
sans avoir d'ennemi?

- Monsieur c'est la matière
qui s'enfante elle-même
et se fait des enfants
pour se faire la guerre.

- Monsieur soudain ceci
soudain ceci m'étonne
il n'y a plus personne
pourtant moi je vous parle
et vous, vous m'entendez
puisque vous répondez!

- Monsieur ce sont les choses
qui ne voient ni entendent
mais qui voudraient entendre
et qui voudraient parler.

- Monsieur à travers tout
quelles sont ces images
tantôt en liberté
et tantôt enfermées
cette énorme pensée
où des figures passent
où brillent des couleurs?

- Monsieur c'était l'espace
et l'espace
se meurt.

Florent Faessel

unread,
Oct 12, 1996, 3:00:00 AM10/12/96
to

Michel Fingerhut <fing...@ircam.fr> wrote (écrivait) :

> [Jean Tardieu, 1903-, actif à la radio (Club d'Essai, France-Musique) et
> au théâtre, poète de l'angoisse d'être au monde exprimée dans des
> textes d'une musicalité cristalinne, jouant avec les mots et les
> images.

Tardieu était non seulement poete mais asuusi pharmacien.
Il avait pris l'habitude un jour par semaine de faire en sorte
que son officine, lui compris, recoive les clients en livée du grand
siècle.
Il me semble bien qua été publiée l'année dernière une
biographie de Jean Tardieu par André Frédérique qui permet de faire
connaissance avec ce personnage hors du commun.


--
Florent Faessel flo...@lac.gulliver.fr
Iznogood de la Niche en Bois izno...@mygale.org
La niche-page d'Izno http://www.mygale.org/06/iznogood/
La bave du crapaud n'empêche pas la caravane de passer.

Michel Fingerhut

unread,
Oct 12, 1996, 3:00:00 AM10/12/96
to

flo...@lac.gulliver.fr (Florent Faessel) writes:
> Tardieu était non seulement poete mais asuusi pharmacien.

Je ne savais pas du tout qu'il avait été pharmacien. Je le savais
d'Alphonse Allais. La référence que j'ai donnée offrant sa
biographie (http://www.sv.vtcom.fr/ftv/fr3/ecrivain/tardieu.html)
indique bien qu'il a étudié la philo, les lettres et le droit.
Sa femme, Marie-Laure Blot, a fait carričre au Museum d'Histoire
Naturelle, et avait été entre autre lauréate de la fac. de pharmacie
de Paris, mais rien dans cette biographie ou toute autre que j'ai
lue ne parle de pharmacie dans son cas.

>Il avait pris l'habitude un jour par semaine de faire en sorte

>que son officine, lui compris, recoive les clients en livée du grand sičcle.

Je ne savais pas que Tardieu faisait ce genre de blagues, je le savais
d'Alphonse Allais.

Conclusion: n'y a-t-il pas confusion?

Michel

Florent Faessel

unread,
Oct 13, 1996, 3:00:00 AM10/13/96
to

Michel Fingerhut <fing...@ircam.fr> wrote (écrivait) :

> Conclusion: n'y a-t-il pas confusion?

Le doute m'étreint.(1)
Le Michel aurait-il raison ?

Vite, y a- il quelqu'un qui soit sur. Blaise peut-etre ?
Ou Mam'zelle Sophie ?

(1) Oui c'est exprès que j'ai mis m'etreint et pas m'habite.

Blaise Rosnay

unread,
Oct 13, 1996, 3:00:00 AM10/13/96
to

Florent Faessel wrote:
> Le doute m'étreint.(1)
> Le Michel aurait-il raison ?
> Vite, y a- il quelqu'un qui soit sur. Blaise peut-etre ?

Mon cher Florent, il y a en effet confusion. C'est Andre Frederique
qui etait pharmacien et qui passait son temps a faire des frasques.
Voici quelques mots sur ce poete a l'humour desespere (il s'est suicide),
suivis d'un poeme. (extrait de notre revue "Vivre en Poesie"
**************************************************************
Je tiens André FREDERIQUE pour le meilleur poète de l'humour
qui ait appartenu -quoique sur le tard, eu égard à son âge
- au mouvement surréaliste et j'ai, par les moyens de la radio,
de la télévision et du spectacle, tout mis en oeuvre pour faire
partager le plus largement possible l'admiration boulimique que
je voue à ce rigolo qui avait une sainte horreur, si je puis
m'exprimer de la sorte, de tout ce qui ressemble à l'admiration,
à la considération, et à la consécration, du moins appliquées
à ses pompes et à ses oeuvres. J'ajoute que l'accueil enthousiaste
des téléspectateurs et auditeurs qui suivirent les émissions que
je lui ai consacrées (les jeunes de 16 à 20 ans, en particulier,
m'adressèrent des milliers de lettres pour
savoir où ils pourraient se procurer les oeuvres d'André Frédérique),
dépassa toutes mes espérances.
André Frédérique, qui d'ailleurs ne le fréquenta que très peu,
appréciait beaucoup Raymond Queneau. D'un certain point de vue,
voire de plusieurs, les ayant bien connus l'un et l'autre, je
suis fondé à penser qu'ils étaient quelque peu frères. Par comble
de délicatesse et d'esprit de contradiction, au physique,
André Frédérique ressemblait, les jours fastes à un clerc
de notaire, et les jours néfastes, carrément à un notaire de
province qui aurait eu des relations dans la capitale.

Délaissant sa pharmacie fantaisiste, André Frédérique devait à la
protection de Gaston Bonheur-lequel avait publié ses premiers poèmes
dans sa revue poétique "Saisons" et dirigeait la rédaction de
Paris-Match- de tenir chaque semaine dans ce magazine une rubrique
"Arts et Lettres", d'un niveau et d'une qualité qui ont complètement
disparu des publications de ce type. J'ai connu André Frédérique peu
après la Libération, par l'intermédiaire d'Eric Bromberger, camarade
de Résistance (Vercors). A l'époque nous nous rencontrions fréquemment
avec Guillaume Hanoteau, rue Pierre Charon, à La Belle Ferronnière,
café-restaurant que Frédérique ne désignait jamais autrement que
"la mangeoire et l'abreuvoir" où, à deux pas de la rédaction, se
retrouvaient les journalistes de Match.
Pourquoi le cacherais-je, il m'advint, outre le plaisir de passer un
moment avec Frédérique, Bromberger, Hanoteau et quelques muses,
d'apprécier aussi l'occasion de faire un repas conséquent (à cette
étape de ma vie, mes moyens ne me le permettaient pas tous les
jours.). En 1954, alors que "Le treizième apôtre", mon premier livre
publié chez Gallimard, venait de paraître, je présentai à
André Frédérique Evelyne, une jeune et charmante anglaise, ma secrétaire
du moment.
C'est pour elle, ou à propos d'elle (Comment dire?) qu'André Frédérique
mit un terme à sa vie. Le destin des poètes, est-il besoin de le
souligner, est souvent habité de circonstances aggravantes.
Jean-Pierre Rosnay

et ci apres, un poeme d'Andre Frederique

PUDEUR

Elle rougit si l'on parle de chaise, pour ce que l'on y pose.
Je prends mille précautions pour ne pas choquer ma femme.
Dès le matin, une lettre la prévient de ma visite possible pour
le lendemain soir.

J'entre, comme quelqu'un qui se tromperait, m'excusant,
revêtu d'un lourd par-dessus beige. Ensuite, je dois imaginer
mille raisons pour le quitter : la chaleur ou qu'il est trempé.

En veston, je ne puis éviter que sa rougeur ne
soit extrême. Il me faut revenir en arrière, m'entourer de rideau,
ou me cacher dans la pièce voisine. Je reviens. Elle, enfouie
sous les draps, en manteau de fourrure, a repris sa contenance.
Je me glisse.
Non, ce n'est pas commode.
Après, je dois partir en voyage.
Mais la gêne persiste des mois, entre nous deux.

ANDRE FREDERIQUE
http://www.franceweb.fr/poesie/
Club des Poetes 30 rue de Bourgogne 75007
47 05 06 03
Un poeme par telephone : 45 50 32 33

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