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[AVIS] No Country for Old Men (Ethan et Joel Coen, 2007)

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Zyrtox

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Jan 27, 2008, 6:05:01 PM1/27/08
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NO COUNTRY FOR OLD MEN -+- http://french.imdb.com/title/tt0477348/combined
De Ethan et Joel Coen. 2007. États-Unis. 2 h 02.
Avec Tommy Lee Jones (Ed Tom Bell), Javier Bardem (Anton Chigurh),
Josh Brolin (Llewelyn Moss), Woody Harrelson (Carson Wells).
Scénario : Ethan et Joel Coen, d'après un roman de Cormac McCarthy.
Image : Roger Deakins.
Montage : Roderick Jaynes (Ethan et Joel Coen).
Musique : Carter Burwell.

La question de l'universalité du cinéma des Coen mérite d'être posée.
Car, si la plupart de leurs confrères peinent à réaliser l'union et le
consensus entre professionnels et spectateurs, entre cinéma d'auteur et
grand public, entre divertissement et art, le binôme du Minnesota
parvient à réaliser une synthèse inédite. No Country for Old Men est le
digne douzième rejeton des Coen, qui ne se répartissent plus les rôles
comme ils le firent jadis parfois (Joel à la réalisation, Ethan à la
production), mais bâtissent ensemble une impressionnante synergie
créatrice, que leurs deux êtres alimentent toujours de façon
harmonieuse.

Leur filmographie en était restée à deux films mystérieux. En 2004,
Ladykillers, deuxième mouture d'une histoire déjà mise en scène dans
les années 50 sous le même nom, était un bizarre objet coenien, raté
dira-t-on (à juste titre), où Tom Hanks incarne un digne chef de bande
montant une équipe d'experts dans le sous-sol d'une vieille dame pour
réaliser le casse du siècle. L'année précédente, George Clooney et
Catherine Zeta-Jones, icônes du cinéma commercial américain,
s'opposaient de manière désopilante autour de procédures de divorces
dans Intolérable cruauté, qui a reçu un accueil glacial, alors qu'il
n'était pas dépourvu d'intérêt, tant l'absurde et l'entêtement dans les
voies les plus improbables, piliers de la cinématographie des frères,
étaient montrés avec conviction et malice.

Avec No Country for Old Men, Ethan et Joel Coen renouent avec ce qui a
fait leur succès, la colonne vertébrale de leur filmographie : le film
noir. Sang pour sang (1984), leur premier film, Miller's Crossing
(1990), Fargo (1996) et The Barber (2001) sont les autres avatars de ce
genre qu'ils maîtrisent tellement bien qu'ils l'illustrent avec une
verve à peine forcée. Cette fois, ils adaptent de manière paraît-il
extrêmement fidèle un bouquin de Cormac McCarthy, auteur américain
fantasque porté aux nues depuis quelques années.

Le talent des Coen est de monter (eux-mêmes, sous un pseudonyme
d'emprunt) des films où de multiples couches s'imbriquent, aussi bien
du point de vue de l'intrigue que des aspects plus réflexifs. C'est du
cinéma grand public de belle facture, du travail d'orfèvre disponible
en multiplexe. La première pierre de ce film, dont le décor est planté
d'entrée dans les grands paysages de désert texan par un Roger Deakins
aussi excellent qu'à l'accoutumée -- rappelons-nous son travail
extraordinaire sur les lumières du Barber, tourné en noir et blanc --,
est jetée avec une simplicité rarement atteinte. Premier temps, un
cow-boy (Josh Brolin) découvre fortuitement une collection de cadavres
évoquant un règlement de comptes qui a mal tourné, puis une mallette de
billets. Deuxième temps, un mystérieux homme-bête à la coiffure
improbable et à l'origine incertaine (brillant Javier Bardem) se lance
à la poursuite du cow-boy pour récupérer le magot.

En fait, tout est histoire de temps dans cette course-poursuite.
L'ancestral jeu du chat et de la souris, revisité dans le Texas
profond. Variante pour l'occasion : la présence d'un tiers, une sorte
d'arbitre, que représente le flic joué par le Texan Tommy Lee Jones. Ce
ballet à trois personnages s'exécute selon des courses sinueuses, le
premier voulant échapper au deuxième, le deuxième souhaitant récupérer
l'argent du premier, le troisième désirant arrêter le deuxième pour
sauver le premier. Le trio annoncé à l'affiche ne sera pourtant jamais
présent simultanément à l'écran. Les courses des trois personnages
passeront presque par les mêmes lieux, chacun à des temps différents.

Le film s'attache à laisser des traces du passage de la proie ou de son
prédateur, qu'il s'agisse de sang, de balles, de signaux émis par un
rustique récepteur, d'une bouteille de lait fraîche laissée sur une
table basse, de trous laissés dans les serrures dégagées à coup d'air
comprimé, voire de rayures sur un conduit d'aération. Dans le dernier
tiers du film, la cabale s'essouffle, la souris prenant de l'avance sur
son félin. C'est là qu'elle prend un tour plus violent encore, les
trajectoires des trois protagonistes se rapprochant alors subitement,
dans des temps plus resserrés, pour aboutir à un final inspirant au
sherif en fin de route ses pensées évoquées par le titre (dont une
traduction française plus juste eût été : « y'a plus de pays pour les
vieux hommes »).

Le début des années 80 et son cortège de symboles amusants pour le
spectateur d'aujourd'hui sont décrites avec un saisissant contraste
entre l'espoir du cow-boy Moss, croyant fièrement à ses chances
d'échapper à la loi et aux principes de Chigurh -- véritable figure
allégorique du mal, de l'obscur, de l'enfer, présentée avec ses
règles --, et la désespérance lucide du sherif Bell, face à cette
décennie qui s'ouvre pour lui, représentant les dernières années de sa
vie, et qui, au vu des terribles forfaits commis sous ses yeux,
s'annonce en totale rupture avec ce qu'il a pu connaître jusqu'alors.

Son sentiment est renforcé par les aspects absurdes de la situation, que
les Coen exploitent de manière magistrale, comme d'habitude. Ils y
rajoutent un certain acharnement face au destin, une sorte d'entropie
faisant que toute erreur commise se paie au décuple de sa valeur
intrinsèque. Il serait criminel de raconter ici au lecteur alléché,
mais n'ayant pas découvert le film, les minuscules joyaux de l'intrigue
qui en font tout son sel, mais ce sont les discrètes traces laissées çà
et là ou les timides coups de chance et de malchance qui enfoncent
chacun des trois protagonistes dans des situations compromises, voire
des abîmes de frisson ou de drame.

On retrouve là un des ingrédients essentiels de Fargo, avec lequel il
est plus qu'aisé de réaliser un parallèle convaincant. La chaleur du
Texas remplace la glace du Minnesota en hiver, mais ces terres isolées,
sises à des milliers de miles les unes des autres, sont chacune le
théâtre de tragédies sanglantes liées à l'absurdité, dont la seule base
est la cupidité de protagonistes intrépides, avec au milieu un flic du
crû, qui incarne la modération face aux événements. Plus largement, No
Country for Old Men reprend les figures imposées du cinéma coenien, à
savoir le téméraire qu'est Moss, mais que furent aussi Jerry Lundegaard
dans Fargo, Walter Sobchak dans The Big Lebowski, Miles dans
Intolérable cruauté, Everett dans O Brother ; et le nonchalant
qu'incarne Chigurh, dans la droite lignée d'Ed Crane dans The Barber,
« The Dude » dans The Big Lebowski ou Barton Fink dans le film du même
nom.

Dans l'exercice de ce qu'il sait faire de mieux, cet attelage bicéphale
excelle encore. Les personnages, presque exclusivement masculins ici
-- et comme souvent --, renvoient à des figures qu'ils décrivent avec
précision et simplicité. Et ce, dans un but quasi didactique, dans le
souci de laisser à leur spectateur, qu'il soit dans l'attente d'action
ou de réflexion, exigeant ou acommodant, aguerri ou néophyte, retirer
ce qu'il souhaitera de No Country for Old Men. Saisissons donc sans
vergogne tout ce qui nous est offert.

--
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