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[AVIS] 99 francs (Jan Kounen, 2007) [REVELATIONS]

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Zyrtox

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Oct 7, 2007, 9:55:02 AM10/7/07
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[N.B. : Les paragraphes ci-dessous évoquent avec une relative précision
certaines scènes du film.]

Frédéric Beigbeder avait tenté de sortir de ses années de publicitaire
par la grande porte en faisant solde de tout compte : peu après la
parution, en 2000, de 99 francs, il est licencié par l'entreprise qui
l'emploie et qu'il condamne, et se met définitivement à l'écriture,
puis à l'édition. Cependant, son livre brossant le tableau de ce monde
vraiment détestable est malheureusement rouvert par Jan Kounen, chantre
du cinéma gadget, qui en fait un film cynique et accablant.

Je ne mettrai tout de même pas tout sur le compte de Kounen et tiens à
charger quelque peu la barque de Beigbeder, qui n'a rien de l'esquif
emprunté par son personnage à la fin du récit. Le scénario sur lequel
s'appuie 99 francs n'a aucune épaisseur, il est vierge de toute
réflexion, d'aspect dramatique ou comique. Après une présentation
globale autorisant toutes les incohérences temporelles possibles par la
suite, le film débute sur un lendemain d'orgie et des paires de fesses
masculines qui jalonnent le grand appartement parisien d'Octave (le
personnage de Beigbeder joué par Jean Dujardin). Lui qui se targue de
gagner des dizaines de milliers de francs chaque mois fait un métier
qu'il considère comme de la « branlette », terme répété à l'envi
pendant une heure trois-quarts.

En dehors de cela, toute l'intrigue consiste en deux plans dessinés au
cutter et à la règle : montrer la faiblesse et le cynisme d'Octave sur
un plan professionnel (il n'ose pas s'opposer à des clients critiquant
son inventivité légendaire) et sur un plan personnel (il peine à
conquérir Sophie, qu'il séduit d'une manière vulgaire, et qu'il perd
par la suite en ayant peur de l'annonce qu'elle fait de leur enfant
commun). Pour cela, rien ne nous est épargné : le faste des soirées
parisiennes, l'addiction à la cocaïne avec gags à l'appui (c'est le
seul un tant soit peu drôle du film, reconnaissons-le), les call-girls
(mention spéciale à Élisa Tovati et son fonds de commerce de sensualité
simulée), la bagnole décapotable de luxe. L'entreprise de publicité est
dirigée par un horrible impudent, le client a des centaines de milliers
de tonnes de yaourt Madone à vendre, et doit avoir une accroche
attractive sans faire fuir la fameuse « ménagère ».

Tout cela était dans le bouquin, celui qui l'avait lu devait s'attendre
à un portrait obscène, d'une brutalité extrême, de ce qui renvoie
chacun à son rapport personnel à la société de consommation, à travers
le prisme d'un arriviste sans doute pas plus immoral que la plupart de
ses congénères. Kounen, avec la bénédiction et la participation de
Beigbeder, va cependant bien au-delà de ce que l'auteur suggérait, le
cinéma ayant cela de puissant qu'il montre les choses.

Il transforme le récit acide en une sorte de bande dessinée vulgaire
(avec parfois de véritables dessins montrés à l'écran), où toute sa
panoplie technique et ses habitudes ridicules de réalisateur de clips y
passent. Les amateurs de l'inutile Dobermann (1997) y retrouveront
toute la patte de Kounen : outrance, effets, arrêts, allers-retours,
vulgarité, caricature. Si Dujardin est un bon acteur, en ce sens qu'il
se fond totalement dans cet univers imposé, comme il parvient à se
fondre dans d'autres univers où il réussit autant, l'ensemble passe
pour un ramassis prétentieux d'images accolées de façon non pas
artistique, mais artificielle.

Le plus puant dans l'histoire se situe encore dans le fond du film, qui
se trouve résumé par les phrases affichées juste avant le générique de
fin et qui sont à peu près les suivantes : « Chaque année, plus de 500
milliards de dollars sont dépensés dans le monde en publicité. Selon
une étude des Nations Unies, 10 % de cette somme permettrait de réduire
la faim dans le monde. » Et toi, Kounen, combien de millions d'euros
ont mis tes producteurs pour financer ton film, dans lequel joue un des
plus bankables acteurs de France, dans lequel tes personnages se
prélassent dans d'immenses appartements ou bâtiments parisiens, dans
lequel tu gaves d'effets plus que spéciaux ton spectateur qui ne s'était
déjà pas remis du précédent ?

C'est directement le public dans la salle, pop-corn à la main, qui est
ici brocardé, puisque c'est son comportement aveugle et influençable
qui fait la réussite des publicitaires. Pourtant, en son sein, j'en
entends à la sortie qui trouvent l'attaque amusante, qui ne sont pas
gênés d'admettre leur participation à cet édifice, qui dissertent des
deux fins proposées (rien ne nous est décidément épargné). La
circonspection m'envahit.

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