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Ce qu'est une composition

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Alain CF

unread,
Dec 31, 2022, 5:29:25 AM12/31/22
to
Bonjour à tous,

Dans les commentaires sur la musique, l'habitude veut, me semble-t-il, que
l'on emploie le terme "composition" pour désigner toute pièce musicale,
comme l'on dit (ou disait) "morceau", ou "opus" pour la musique savante.
Ce procédé permet certes d'éviter des répétitions dans la narration. Mais
est-il légitime ? Toute musique est-elle vraiment une composition ?

Non, dit Bernstein au sujet de la Rhapsodie in Blue, dans la mesure où (je
cite de mémoire) les thèmes ne se répondent pas, les sections s’enchainent
de façon arbitraire, on pourrait raccourcir ou mutiler la partition sans
que sa qualité en soit amoindrie, ce genre de choses. Je ne sais plus d'où
je sors ça, peut-être d'un de ses Young People's Concerts.

Plus prosaïquement, un air populaire comme "J'ai du bon tabac" n'est pas
une composition : de simples répétitions, sans modulation ni aucun
développement, et voilà, j'ai de la musique mais pas composée, nous dit la
musicologie, ou du moins un musicologue ici à partir de 2'40 : "ce n'est
pas pertinent [au sens classique de la composition], ce n'est pas musical,
c'est simplement un motif"

https://www.youtube.com/watch?v=VXO86mmg7pI

(vidéo très intéressante au passage)

Pour un autre musicologue, que je connais personnellement, la Niagara
Symphony de William Henry Fry, non seulement n'est pas une symphonie -
nous sommes d'accord - mais n'est pas non plus une composition. On pourra
en juger en écoutant ce truc redoutable ici :

https://www.youtube.com/watch?v=NZKPMmi3Sf8

Alors, qu'en pensez-vous ? Connaissez-vous d'autres pages classiques qui
ne soient pas des compositions ?

L'un des charmes, et des problèmes, avec la musique, est qu'elle nous
enchante. Autrefois on donnait, je crois, des "compositions" en classe de
français. Un élève qui rendait un devoir sans queue ni tête avait livré un
texte qui n'était pas composé, et méritait le bonnet d'âne. Mais un auteur
musical qui signerait l'équivalent sonore de ce charabia serait beaucoup
plus difficile à juger de la sorte, à mon avis.

--
Alain CF

DB

unread,
Dec 31, 2022, 7:40:58 AM12/31/22
to
Il faut commencer par se mettre d'accord sur le sens qu'on donne au mot
"composition". Si l'on prend la première définition du TLFi, « Action de
former un tout par assemblage ou combinaison de plusieurs éléments ou
parties ; résultat de cette action », on voit que le mot couvre aussi
bien les œuvres qui sont un simple assemblage que celles qui sont une
combinaison, autrement celles dont les diverses parties sont juste
"collées" entre elles, et celles où les diverses parties interagissent,
se répondent.
Mais on peut prendre une définition plus restrictive. Le tout est de
s'entendre.
Accessoirement, cela me rappelle un débat qu'on rencontre sur les forums
de langue française concernant l'abus de l'emploi du mot "compliqué" là
où "difficile" serait préférable.

Paul-Olivier Margail

unread,
Dec 31, 2022, 9:32:36 AM12/31/22
to
Alain CF <alain.cf...@gmail.com> wrote:

> Dans les commentaires sur la musique, l'habitude veut, me semble-t-il, que
> l'on emploie le terme "composition" pour désigner toute pièce musicale
> (...)

Dans tout conte (écrit, parlé, musical, peint, photographié, etc.), il
me semble qu'un fil conducteur est nécessaire pour nous accompagner du
début à la fin. Cela a probablement existé depuis l'origine de la
narration.

Si nous ne reprenons, comme exemple, que la Règle des trois unités du
théâtre édictée par Nicolas Boileau, on se rend compte que tout
mouvement important naissant a besoin de taquets ( "Qu'en un lieu, qu'en
un jour, un seul fait accompli // Tienne jusqu'à la fin le théâtre
rempli"). La "composition", du coup, semble passage obligé, comme un
certificat de bon aloi, un test PCR.

À l'opéra, il y a une œuvre française dont la popularité a été sans
égale et qui, pourtant, est tombée dans l'oubli. "Le chemineau" de
Xavier Leroux (créé à Paris le 06/11/1907) a été joué beaucoup en
France, partout dans le monde avec toujours autant de succès. Pourtant,
le compositeur a commis une faute importante de fil conducteur : une
coupure définitive (par rapport à la pièce de théâtre-origine) entre les
2è et 3è actes fait que le retournement de situation arrive comme un
cheveu dans la soupe et plus personne ne comprend quoi que ce soit. Je
me souviens, à la lecture de la partition, être parti dans un éclat de
rire en disant "mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?"

Nous sommes sans aucun doute formatés mais ce formatage, plus qu'un
carcan, doit nous aider à faire en sorte que l'esthétique évolue en
restant rationnelle. Sans lui, dans le domaine du spectacle vivant, que
pourrions-nous penser d'un metteur en scène qui serait obligé, pour nous
expliquer ses choix, d'écrire un bouquin de 500 pages que personne
n'aurait envie de lire ?

--
P-Ol

Alain CF

unread,
Dec 31, 2022, 11:16:37 AM12/31/22
to
DB a écrit :

> Il faut commencer par se mettre d'accord sur le sens qu'on donne au mot
> "composition". Si l'on prend la première définition du TLFi, « Action de
> former un tout par assemblage ou combinaison de plusieurs éléments ou
> parties ; résultat de cette action », on voit que le mot couvre aussi
> bien les œuvres qui sont un simple assemblage que celles qui sont une
> combinaison, autrement celles dont les diverses parties sont juste
> "collées" entre elles, et celles où les diverses parties interagissent,
> se répondent.

Bonjour DB. Heureux de te lire.

> Mais on peut prendre une définition plus restrictive. Le tout est de
> s'entendre.

En effet. Ce qui est peut-être frappant en l'occurrence que le mot
"composition" peut embrasser une dimension qualitative dans certains cas
(disons, dans le discours de Bernstein). J'y pense, on pourrait en dire
autant des mots "œuvre" ou même "musique". Un compositeur français dont le
nom m'échappe sous-entendait que la musique de ballet n'était pas de la
musique. Évidemment, aujourd'hui cela nous choque, mais il faut croire
qu'à une certaine époque le mot "musique" ne désignait que ce que nous
appellerions aujourd'hui de la musique "exigeante".

Tout en écrivant "qualitative", je me souviens que Bernstein aimait bien
la Rhapsody in Blue. Cette page serait donc agréable, sans pour autant
être réellement composée. Autrement dit, son défaut de qualité ne la
disqualifie pas en regard du plaisir qu'elle procure.

Je ne sais pas si ce que j'écris est intelligible. Je précise à toutes
fins utiles que je n'ai pas commencé à boire. ça m'apprendra à poser des
questions difficiles qui appellent des réponses compliquées.

--
Alain CF

Alain CF

unread,
Dec 31, 2022, 11:27:21 AM12/31/22
to
Paul-Olivier Margail a écrit :

> Dans tout conte (écrit, parlé, musical, peint, photographié, etc.), il
> me semble qu'un fil conducteur est nécessaire pour nous accompagner du
> début à la fin. Cela a probablement existé depuis l'origine de la
> narration.
>
> Si nous ne reprenons, comme exemple, que la Règle des trois unités du
> théâtre édictée par Nicolas Boileau, on se rend compte que tout
> mouvement important naissant a besoin de taquets ( "Qu'en un lieu, qu'en
> un jour, un seul fait accompli // Tienne jusqu'à la fin le théâtre
> rempli"). La "composition", du coup, semble passage obligé, comme un
> certificat de bon aloi, un test PCR.

Ah ah, bien vu, le test PCR. Je m'en resservirai.

> À l'opéra, il y a une œuvre française dont la popularité a été sans
> égale et qui, pourtant, est tombée dans l'oubli. "Le chemineau" de
> Xavier Leroux (créé à Paris le 06/11/1907) a été joué beaucoup en
> France, partout dans le monde avec toujours autant de succès. Pourtant,
> le compositeur a commis une faute importante de fil conducteur : une
> coupure définitive (par rapport à la pièce de théâtre-origine) entre les
> 2è et 3è actes fait que le retournement de situation arrive comme un
> cheveu dans la soupe et plus personne ne comprend quoi que ce soit. Je
> me souviens, à la lecture de la partition, être parti dans un éclat de
> rire en disant "mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?"

C'est entendu, mais n'avons-nous pas ici une composition mal fichue, comme
il y en a tant dans l'histoire de l'art ? Ou bien selon toi cet opéra
n'est pas une composition (au sens Bernstein) en raison de ce défaut ?

> Nous sommes sans aucun doute formatés mais ce formatage, plus qu'un
> carcan, doit nous aider à faire en sorte que l'esthétique évolue en
> restant rationnelle. Sans lui, dans le domaine du spectacle vivant, que
> pourrions-nous penser d'un metteur en scène qui serait obligé, pour nous
> expliquer ses choix, d'écrire un bouquin de 500 pages que personne
> n'aurait envie de lire ?

Oh, avec un peu de chance il serait subventionné.

--
Alain CF

Coco63200

unread,
Jan 1, 2023, 2:43:25 PM1/1/23
to
Alain CF a émis l'idée suivante :
Il me emble que des des gens sont passés par là pour réécrire certaines
règles, Pierre Henry, Boulez and Co, et que ce dont vous parlez me
paraît bizarre...
Je ne suis qu'un mélomane, et mon avis est que la composition
mathématique de Bach est révolue.
Je dois vous paraître le néophyte qui n' a pas compris...

Alain CF

unread,
Jan 2, 2023, 6:23:47 AM1/2/23
to
Coco63200 a écrit :

> Il me emble que des des gens sont passés par là pour réécrire certaines
> règles, Pierre Henry, Boulez and Co,

En effet. Et, avant eux, Beethoven, Liszt, Wagner, Schönberg et tant
d'autres.

> et que ce dont vous parlez me
> paraît bizarre...

Oh, je ne fais que citer certains commentateurs, et non des moindres
(Bernstein). Je partage l'avis que son discours sur l’œuvre de Gershwin
peut déconcerter, c'est bien pourquoi je me pose ces questions, et les
pose au groupe.

> Je ne suis qu'un mélomane, et mon avis est que la composition
> mathématique de Bach est révolue.
> Je dois vous paraître le néophyte qui n' a pas compris...

Franchement, aucune importance, nous sommes ici entre gens de qualité.

--
Alain CF

Paul-Olivier Margail

unread,
Jan 3, 2023, 5:37:04 PM1/3/23
to
Alain CF <alain.cf...@gmail.com> wrote:

> Paul-Olivier Margail a écrit :
>
> > (...)
>
> > À l'opéra, il y a une œuvre française dont la popularité a été sans
> > égale et qui, pourtant, est tombée dans l'oubli. "Le chemineau" de
> > Xavier Leroux (créé à Paris le 06/11/1907) a été joué beaucoup en
> > France, partout dans le monde avec toujours autant de succès. Pourtant,
> > le compositeur a commis une faute importante de fil conducteur : une
> > coupure définitive (par rapport à la pièce de théâtre-origine) entre les
> > 2è et 3è actes fait que le retournement de situation arrive comme un
> > cheveu dans la soupe et plus personne ne comprend quoi que ce soit. Je
> > me souviens, à la lecture de la partition, être parti dans un éclat de
> > rire en disant "mais qu'est-ce que c'est que ce bordel ?"
>
> C'est entendu, mais n'avons-nous pas ici une composition mal fichue, comme
> il y en a tant dans l'histoire de l'art ? Ou bien selon toi cet opéra
> n'est pas une composition (au sens Bernstein) en raison de ce défaut ?

Non, je ne suis pas aussi tranché. Il y a des créateurs et ceux qui les
interprètent. Tout ce monde-là est soumis à des contraintes acceptées et
de temps en temps, quelqu'un ose outre-passer : on nous propose alors un
éclairage nouveau et en tout cas, différent qui, lui-même, sera un jour
déclassé par une autre vision. Heureusement, sinon, en matière de
musique, nous en serions encore aux mélopées de la Grèce antique… C'est
en cela que je n'aime pas trop les maîtres à penser qui ont tendance à
vouloir tout enfermer, d'une manière définitive, dans le carcan qu'ils
ont façonné.

Leroux, qui opère dans le cours de son opéra une coupure qui nous prive
de l'explication indispensable à la compréhension d'un revirement total
a commis une faute qui ne relève pas de l'éclairage nouveau. Et malgré
tout, il a connu le succès de son vivant.

D'un autre côté, Bernstein lui-même a donné un exemple de la liberté
qu'il peut prendre en tant qu'interprète parce qu'il pense apporter
quelque chose de différent, même si le prétexte qu'il avance peut prêter
à caution.
Lors d'une répé d'orchestre du Chant de la terre de Mahler, il décide de
déchaîner l'orchestre (principalement les vents) et le tempo. Christa
Ludwig interrompt 2 fois car elle n'arrive pas dans ces conditions à
chanter correctement (c'est à dire faire coïncider la musique et les
paroles). Bernstein, qui décide de maintenir son choix, finit par lui
dire "ça n'a aucune importance : le public ne peut pas comprendre le
texte, de toutes façons".

Je suis pour les éclairages nouveaux. Je suis pour la curiosité (en
Allemand, "Fantasie" veut dire "imagination"). Pourtant, je n'accepte
pas que l'on retricote la partition d'un génie :

https://www.youtube.com/watch?v=f32bhICi-zI&t=94s

--
P-Ol

Alain CF

unread,
Jan 5, 2023, 7:12:52 AM1/5/23
to
Paul-Olivier Margail a écrit :

> Non, je ne suis pas aussi tranché. Il y a des créateurs et ceux qui les
> interprètent. Tout ce monde-là est soumis à des contraintes acceptées et
> de temps en temps, quelqu'un ose outre-passer : on nous propose alors un
> éclairage nouveau et en tout cas, différent qui, lui-même, sera un jour
> déclassé par une autre vision. Heureusement, sinon, en matière de
> musique, nous en serions encore aux mélopées de la Grèce antique… C'est
> en cela que je n'aime pas trop les maîtres à penser qui ont tendance à
> vouloir tout enfermer, d'une manière définitive, dans le carcan qu'ils
> ont façonné.

Oui, tout-à-fait d'accord.

> Leroux, qui opère dans le cours de son opéra une coupure qui nous prive
> de l'explication indispensable à la compréhension d'un revirement total
> a commis une faute qui ne relève pas de l'éclairage nouveau.

Voilà. Le renouvellement des "cadres" est une chose, l'anomalie dans la
conception de l’œuvre une autre. L’histoire de la critique nous montre
combien il est casse-gueule de distinguer les deux (ce qui n'empêche pas
que ces anomalies peuvent exister, tandis que bien des compositions jugées
sur le coup "fautives" ne le sont pas, dans un cadre nouveau et tout aussi
cohérent que l'ancien).

> Et malgré
> tout, il a connu le succès de son vivant.

Je ne connaissais pas cet auteur, je crois, même si je l'ai certainement
croisé dans quelques recherches.

...
> Je suis pour les éclairages nouveaux. Je suis pour la curiosité (en
> Allemand, "Fantasie" veut dire "imagination"). Pourtant, je n'accepte
> pas que l'on retricote la partition d'un génie :
>
> https://www.youtube.com/watch?v=f32bhICi-zI&t=94s

Ah tiens, quelqu'un l'avait déjà partagé (toi peut-être ?). Intéressant.

Mais je suis toujours preneur (appel à la cantonade) de pages classiques
qui ne sont pas des compositions, dans le sens où l'entend Bernstein.

--
Alain CF

Alain

unread,
Apr 15, 2023, 6:14:10 AM4/15/23
to
Alain CF a écrit :

> Mais je suis toujours preneur (appel à la cantonade) de pages classiques
> qui ne sont pas des compositions, dans le sens où l'entend Bernstein.

Le premier mouvement de la symphonie N. 1 de Sgambati ? J'ai dû l'écouter
cinq fois d'affilée. Très inventif et fourmillant d'idées, mais,
sacrebleu, tellement décousu, que ce joyeux fatras semble davantage une
rhapsodie patraque qu'un exercice sur la sacro-sainte forme sonate.

Loin de moins l'idée de lancer une polémique mais, dans un tout autre
genre, le Boléro de Ravel ?

--
Alain CF

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