Des mots, des notes. C. comme Castafiore

[Paul & Mick Victor]

[C. comme Castafiore] :

"Si la Castafiore s’est toujours sentie tellement à l’aise dans le
célèbre opéra de Gounod, c’est que les airs de Faust chantés par
Marguerite coïncident étrangement avec des moments importants de son
passé. Ils évoquent pour elle ses années d’apprentissage dans l’ultime
« Castracadémie » napolitaine où elle fut formée après son opération
(1).
Tout est clair à présent : chaque fois que la Castafiore chante l’Air
des bijoux, sa mémoire embrasse les séances passées jadis devant la
glace en présence de son maître de chant. Il n’est point besoin de se
réclamer de la psychanalyse pour comprendre, lorsqu’elle demande
« Est-ce toi, Marguerite ? », qu’elle connaît par avance la réponse
qu’elle feint d’espérer. À douze ans, en regardant son reflet dans un
des miroirs paternels, elle se doutait bien que l’image qui lui était
renvoyée n’était pas celle d’une Marguerite de carnaval dont elle
aurait revêtu le costume.
La gloire venue, quand elle chante, si blanche et chaste que paraisse
cette fleur du bel canto, elle n’est pas pour autant celle que le
public croit qu’elle est ! Dans la dernière scène de l’acte I, lorsque
Faust, énamouré, propose : « Ne permettrez-vous pas, ma belle
demoiselle, qu’on vous offre le bras pour faire le chemin ? »,
Marguerite ne répond-elle pas : « Non, Monsieur ! Je ne suis
demoiselle, ni belle. »

Oui, une prima donna peut en cacher un autre !
Il n’est pas étonnant que la Castafiore, qui a tant à faire avec sa
propre identité, avec « le genre », dirait-on aujourd’hui, compense
l’angoisse liée à cette incertitude en jouant avec l’identité des
autres. Notamment celle de Haddock ou de Séraphin Lampion, dont elle
déforme constamment les noms. Haddock est ainsi affublé d’un nouveau
nom presque à chaque fois que la Castafiore s’adresse à lui : Kappock,
Mastock, Kolback, Karbock, Karnack, Hablock…"

Albert Algoud : La Castafiore, nouvelle biographie très enrichie et
toujours non autorisée ! Illustrations d'Alain Bouldoyre. Éditions du
Cherche-Midi, 2020.

(1) La Castafiore était en réalité un castrat : voilà le postulat de ce
livre savoureux, écrit par un érudit Tintinophile. Biographie déjantée
qui évoque l'enfance napolitaine du Rossignol milanais, son idylle avec
le roi Fayçal, son rôle héroïque dans la Résistance, son entrevue avec
De Gaulle, son arrestation et sa torture par la Gestapo, son évasion
organisée par un Dupondt (un agent double, son frère était un haut
responsable nazi), sa planque dans la cave du château de Moulinsart,
ses tournées en Amérique du Sud, sa lutte anticastriste, son entrée
dans les ordres, à la mort d'Hergé, sous le nom de sœur Blanche du
Saint-Prépuce, sa dernière apparition à Milan, en 2020, en plein
confinement, où elle souleva l'enthousiasme populaire en chantant une
dernière fois l'Air des Bijoux. C'est très documenté, c'est très drôle,
et bien que vous ne le méritiez pas, c'est un livre que je vous
conseille vivement, mes gueux ! Même si vous ne le lisez pas, mettez-le
en évidence dans votre bibliothèque entre l'Éloge de la folie d'Érasme
et Ainsi va toute chair de Samuel Butler. Vous passerez ainsi auprès de
vos invités pour un esprit curieux, éclectique et raffiné.
--
Paul & Mick Victor
de bon conseil