"Mon père donnait facilement et même avec prodigalité : quiconque se
présentait partageait nos repas, et comme je ne mangeais guère aussi
vite que ces invités, j'eusse risqué de demeurer éternellement sur ma
faim, si ma mère n'eût pris la précaution de réserver ma part".
j'aimerais comprendre le rôle de "j'eusse risqué" et celui de
"n'eût pris", leur catégorisation syntactique (que je soupçonne
reliée à la dimension de l'hypothèse) et le pourquoi de la disparition
substantielle de l'usage de ces formes grammaticales dans la langue
francaise.
Merci pour votre précieux aide.
Vince
"L'enfant
> noir" de Camara Laye):
"J'eusse risqué de demeurer éternellement sur ma
> faim, si ma mère n'eût pris la précaution de réserver ma part".
Voyons ensemble le fonctionnement syntaxique du système hypothétique mis
en oeuvre ici. C'est la protase qui régit l'apodose.
I - PROTASE
Si ma mère n'eût pris la précaution...
Le verbe est ici au conditionnel passé 2ème forme qui ne se distingue
pas, morphologiquement, du subjonctif plus-que-parfait. Le procès de la
protase présente l'aspect d'une action virtuelle qui ne s'est pas produit
réellement. En effet, on peut traduire ainsi l'implicite : "Or, ma mère a
pris la précaution de réserver ma part."
II- APODOSE
J'eusse risqué de demeurer sur ma faim
Verbe au conditionnel passé 2ème forme, entraîné par la concordance,
même si l'hypothèse est inversée (subordonnée en précession). L'implicite se
déduit aisément : "Je ne suis pas resté sur ma faim".
Nous sommes dans le cas d'un IRREEL DU PASSE, dont l'usage remonte au
latin qui ne connaissait pas le conditionnel, et avait systématiquement
recours, en ce cas, au subjonctif plus-que-parfait. Certains linguistes
d'ailleurs, notamment les romanistes, refusent de parler de conditionnel
français. Ils parlent pour le présent de "formes en -rais" et ne distinguent
pas le conditionnel passé 2ème forme et le subjonctif plus-que-parfait.
Notons tout de même que cet énoncé est en langage très soutenu et qu'il
eût été [voyez ici] tout à fait convenable, et plus courant, de dire :
"J'aurais risqué [conditionnel passé 1ère forme] de demeurer
éternellement sur ma faim, si ma mère n'avait pris [indicatif
plus-que-parfait] la précaution de réserver ma part."
Le sens est parfaitement équivalent.
"C'est ainsi" aujourd'hui que "les hommes disent". Mais, j'aime beaucoup
personnellement employer ces formes un peu désuètes dans un écrit soutenu,
pour peu qu'elles ne contrarient pas les règles de l'euphonie.
Le traducteur de Camara Laye, dont le chef-d'oeuvre était très en vogue
naguère dans nos écoles, a pris le parti du beau langage, littéraire. Cela
peut sembler discutable, compte-tenu du contexte dans lequel évolue son
narrateur. Pour ce qui me concerne, je ne suis pas autrement choqué.
Bien sincèrement,
Bernard Bonnejean
................................................................
> "C'est ainsi" aujourd'hui que "les hommes disent". Mais, j'aime beaucoup
> personnellement employer ces formes un peu désuètes dans un écrit soutenu,
> pour peu qu'elles ne contrarient pas les règles de l'euphonie.
>
> Le traducteur de Camara Laye, dont le chef-d'oeuvre était très en vogue
> naguère dans nos écoles, a pris le parti du beau langage, littéraire. Cela
> peut sembler discutable, compte-tenu du contexte dans lequel évolue son
> narrateur. Pour ce qui me concerne, je ne suis pas autrement choqué.
>
> Bien sincèrement,
>
> Bernard Bonnejean
Merci pour cette généreuse explication.
J'aimerais connaître l'évolution de cet usage, c'est-à-dire comment,
dans
la protase, on ait décidé de passer de l'utilisation du subjonctif
(imparfait ou plus-que-parfait), ou bien du conditionnel passé 2ème
forme,
à celle de l'imparfait de l'indicatif.
Vous en conviendrez, le mode indicatif ne suggère pas beaucoup l'idée de
quelque chose qui ne s'est pas produit dans le passé.
Fut-cela seulement une raison dictée par des raisons euphoniques?
Bref, ne croyez-vous pas que parfois l'usage puisse entraîner quelque
détérioration d'une langue?
Merci infiniment pour votre patience.
Vince
> J'aimerais connaître l'évolution de cet usage, c'est-à-dire comment,
> dans
> la protase, on ait décidé de passer de l'utilisation du subjonctif
> (imparfait ou plus-que-parfait), ou bien du conditionnel passé 2ème
> forme,
> à celle de l'imparfait de l'indicatif.
L'usage du subjonctif en langue écrite soutenue n'est pas tombé en
désuétude. Grevisse, par exemple, cite l'exemple, très contemporain, de cet
extrait du "Repos du guerrier" de Chr. Rochefort :
"Je fusse tombée s'il ne m'eût tenue"
S'il y a bien tendance à la substitution dans la langue familière, je ne
sais quand le processus a été enclanché. J'ai peut-être mal lu, ou trop
vite, mais Grevisse n'en dit apparemmment rien dans ses historiques.
> Vous en conviendrez, le mode indicatif ne suggère pas beaucoup l'idée de
> quelque chose qui ne s'est pas produit dans le passé.
L'imparfait et le plus-que-parfait de l'indicatif ont non seulement une
valeur temporelle, mais une valeur modale, +indépendante de l'indicatif+
dans le système hypothétique.
Ne nous occupons que de sa valeur modale, seule intéressante ici :
I - IMPARFAIT
Dans le système hypothétique, l'IMPARFAIT peut marquer :
LE POTENTIEL
Si j'avais des sous, j'arrêterais de travailler.
(implicite dans la protase : "il est possible que j'en aie")
ou
L'IRREEL DU PRESENT
Si j'avais des sous, j'arrêterais de travailler
(implicite dans la protase : "mais je n'en ai pas").
Seul le contexte permet ici de distinguer le potentiel et l'irréel du
présent.
En outre, la valeur modale de l'imparfait peut se définir ainsi :
l'imparfait marque que le procès est hors du champ d'observation de
l'énonciateur, dans un champ imaginaire passé ou non passé, selon qu'il est
employé comme potentiel ou irréel du présent.
II - PLUS-QUE-PARFAIT
Au même titre que l'imparfait, le plus-que-parfait a une valeur modale.
Il marque toujours
L'IRREEL DU PASSE
Si j'avais eu des sous, je me serais arrêté de travailler
(Implicite de la protase : "mais je n'en avais pas")
> Fut-cela seulement une raison dictée par des raisons euphoniques?
D'une part, l'emploi de l'imparfait et du plus-que-parfait du subjonctif
en subordination (appelé dans la terminologie grammaticale scolaire
traditionnelle : conditionnel passé 2ème forme) a été rendu facultatif par
l'arrêté du 28-12-1976.
D'autre part, pour une raison euphonique, un tel énoncé serait
aujourd'hui irrecevable :
"Si vous l'eussiez su, vous n'en eussiez pas tenu compte".
Mais c'est affaire de goût personnel.
> Bref, ne croyez-vous pas que parfois l'usage puisse entraîner quelque
> détérioration d'une langue?
Nombre de débats de ce forum tournent sur ce thème depuis une bonne
semaine. Je me permets de vous renvoyer aux fils précédents. Mon opinion
personnelle, qui est loin d'être partagée par tous, est qu'une langue
vivante est toujours susceptible de modifications, souvent par
simplification, la plupart du temps par le fait seul de l'usage qui a
priorité sur la règle imposée de l'extérieur par l'institution. C'est vrai
pour l'orthographe, pour le vocabulaire, et pour la syntaxe.
> Merci infiniment pour votre patience.
C'est moi qui vous remercie et vous félicite pour la vôtre.
Amicalement,
Bernard Bonnejean
Vince
| La phrase "Si vous l'eussiez su, vous n'en eussiez pas tenu compte"
| serait-elle irrecevable comme signal d'une affectation du langage,
| ou bien comme héritage d'une sonorité obsolète, ou encore comme sonorité
| objectivement cacophonique?
| J'espère que vous voudrez pardonner ma curiosité.
| Encore mille fois merci.
|
| Vince
Bonjour,
L'utilisation de l'imparfait du subjonctif, à mon avis,
est limitée à l'oral pour plusieurs raisons : tout d'abord,
se construisant sur un radical de passé simple, très peu
utilisé lui-même oralement, il est d'emploi difficile pour qui
n'en a pas l'habitude. L'émetteur du message, s'il connaît l'existence
de l'imparfait du subjonctif, évitera son utilisation pour éviter soit de
buter
sur la forme verbale, soit d'avoir l'impression de citer une forme
incorrecte.
D'autre part, le récepteur lui-même doit connaître cette forme pour
l'identifier. Cela fait beaucoup de risques d'altérer la qualité du message
si l'émetteur comme le récepteur ne sont pas sûrs de ce qu'ils disent et
entendent.
D'où l'impression de cacaphonie qui peut, pour certains, résulter à
l'audition
d'une telle forme verbale. Pire, si le récepteur ne connaît pas du tout
cette forme,
il pensera que l'émetteur vient de commettre une faute. Enfin, si le
récepteur connaît
la forme en question mais ne l'emploie jamais, il pensera que l'émetteur
utilise un
langage affecté.
Si l'on récapitule, il existe plusieurs risques consécutifs à l'utilisation
de l'imparfait du
subjonctif, amplifiés quand l'émetteur et le récepteur ne se connaissent pas
:
-- de la part de l'émetteur : délai trop important pour construire la forme
en question (reprise), « peur » de
commettre une erreur, « peur » de penser que l'émetteur croit que la forme
est fausse.
-- de la part du récepteur : impression de cacophonie due à la rareté de
cette forme à l'oral (ainsi : « j'eusse aimé
que vous le sussiez » pouvant prêter à confusion¹), impression que
l'émetteur utilise un registre de
langue affecté, et -- en cas de méconnaissance de la forme -- impression que
l'émetteur
commet un barbarisme.
Ceci peut expliquer que l'on ne rencontre que très rarement à l'oral de
telles formes,
tous ces effets se cumulant. En fait, les formes de troisième personne du
singulier des verbes
du premier groupe (exemple : « mangeât ») sont un peu plus utilisées car
elles heurtent moins
l'oreille (du fait de l'homophonie avec un passé simple). Quelques personnes
s'y risquent, sachant
que le récepteur n'y verra pas automatiquement un solécisme.
Pour les autres personnes, bien que cela puisse donner à une conversation
informelle un ton ampoulé,
il me semble que la première a la préférence, mais la forme est souvent
fautive : l'en entend assez
souvent dans la bouche de personnes qui croient bien faire « si j'eus su »
pour « si j'eusse su », ce qui
s'explique par la quasi homophonie de ces deux formes. Les autres formes
sont très rares (« que nous bussions »,
par exemple, est un monstre aux oreilles de beaucoup).
Nous parlons bien sûr de conversations informelles : dans le cadre d'une
communication orale préparée,
face à un public « cultivé » ou entre amis amoureux de la langue,
l'imparfait du subjonctif est parfois
utilisé sans aucune gêne, avec un certaine fierté même.
En aucun cas, cependant, une telle forme peut paraître naturelle dans
d'autres situations,
et donne dans presque toutes un caractère recherché à la phrase, pouvant
passer pour
de l'affection, du snobisme etc.
Amicalement,
Siva
--
klohi zis avithos thotorridas
ana aprodita apa ogrebis
*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-*-
1) D'ailleurs, mon correcteur orthographique ne connaît pas cette forme
et me propose « suciez »...
Merci pour votre aide toujours aussi précieuse.
Que notre ami Vince sache que je souscris à tout ce que vous avez dit
"supra".
Il ne doit pas être aisé d'apprendre le français, surtout parvenu au
stade où l'on s'aperçoit qu'à vouloir trop bien parler on risque fort de
passer pour un snob ou un ignare.
Bonne nuit à vous, Siva.
Très bon courage à Vince, qui apparemment n'en manque pas.
Bien amicalement à tous deux,
Bernard Bonnejean
> Donc, dès l'arrêté du 1976 on a sanctionné la pure faculté de l'usage
> de l'imparfait e du plus-que-parfait du subjonctif en subordination;
> est-ce que cela équivaut à dire qu'il faut remonter à cette date pour
> la sanction de la valeur modale de l'imparfait et du plus-que-parfait
> de l'indicatif dont vous écrivez?
Non, non, vous vous trompez complètement. L'arrêté en question ne
sanctionne pas, il rend facultatif, c'est-à-dire qu'il considère comme
correct de ne pas pratiquer la concordance des temps du passé au subjonctif.
Par ailleurs, la valeur modale de l'imparfait et du plus-que-parfait est
bien antérieure à cet arrêté.
N'y a-t-il pas un'utilisation
> antérieure
> de l'imparfait et du plus-que-parfait de l'indicatif dans ladite valeur?
Si, bien sûr. Et depuis très longtemps.
> Et alors, cette valeur modale, derive-t-elle d'une tendance littéraire
> ou bien de l'usage populaire?
On la trouve déjà attestée dans les textes médiévaux, donc dans la
littérature. Je ne sais pas pour la langue parlée.
Mais en français moderne, il est certain que si l'on part du principe
qu'il existe trois niveaux de langue, à savoir soutenu ou littéraire,
courant, et familier ou populaire, cette valeur aspectuelle de l'imparfait
et du plus-que-parfait dans le système hypothétique appartient au langage
courant et familier. Ce qui n'empêche pas de bons écrivains d'abandonner le
subjonctif imparfait ou plus-que-parfait aujourd'hui pour l'imparfait de
l'indicatif et le conditionnel passé (dans le système hypothétique), et pour
le subjonctif présent et passé (dans les complétives).
Comme le montre Siva, il n'est pas facile de dire : "Il eût fallu que je
le susse [verbe savoir]". Il est préférable de dire : "Il aurait fallu que
je le sache" ou, solution intermédiaire : "Il eût fallu que je le sache".
> La phrase "Si vous l'eussiez su, vous n'en eussiez pas tenu compte"
> serait-elle irrecevable comme signal d'une affectation du langage,
> ou bien comme héritage d'une sonorité obsolète, ou encore comme sonorité
> objectivement cacophonique?
La réponse de Siva à ce sujet me semble tout à fait pertinente. Vous en
tirerez un grand profit après en avoir pris connaissance.
> J'espère que vous voudrez pardonner ma curiosité.
> Encore mille fois merci.
C'est moi qui vous remercie chaleureusement de vous intéresser à ce
point à notre langue.
Bonne nuit, car il est très tard. Je reviens du Téléthon. Vous
connaissez ?
Bien amicalement,
Bernard Bonnejean
Bernard Bonnejean wrote:
...............................
> Comme le montre Siva, il n'est pas facile de dire : "Il eût fallu que je
> le susse [verbe savoir]". Il est préférable de dire : "Il aurait fallu que
> je le sache" ou, solution intermédiaire : "Il eût fallu que je le sache".
J'apprécie l'admission du caractère très souvent entortillé de la
phonétique
francaise (que pourtant je continuerais à respecter stoïquement, si je
ne
craignais pas de passer pour un snob ou un ignare - tout en sachant que
quant
au deuxième aspect il y a rien que je puisse faire pour l'éviter-).
>
> > La phrase "Si vous l'eussiez su, vous n'en eussiez pas tenu compte"
> > serait-elle irrecevable comme signal d'une affectation du langage,
> > ou bien comme héritage d'une sonorité obsolète, ou encore comme sonorité
> > objectivement cacophonique?
>
> La réponse de Siva à ce sujet me semble tout à fait pertinente. Vous en
> tirerez un grand profit après en avoir pris connaissance.
J'ai appris les rudiments de votre langue il y a trois ans et la
combinaison
"imparfait de l'indicatif + contionnel" ne me pose pas de grands
problèmes (même si
pour un italien cela peut représenter un obstacle, puisque la grammaire
italienne nous impose l'utilisation de l'imparfait du subjonctif dans la
protase). Je
m'interrogeais plutôt sur le rôle de certains temps verbaux dans la
langue
francaise qui sont tombés en désuétude et la raison semble être
véritablement le
risque de ne pas être compris dans la communication orale.
Je suis entièrement satisfait de vos explications (et je remercie aussi
Madame
Siva Nataraja pour sa gentille intéraction).
Au plaisir de recevoir d'autres utiles informations.
Je vais continuer mon apprentissage.
Avec reconnaissance,
Vince
Question de pure curiosité : parlez-vous là d'un texte de loi ? Autrement
dit, un texte législatif déterminant l'usage du subjonctif ?
Merci en tout cas à vous et à Siva pour vos explications d'une clarté
lumineuse. Souvent ce genre d'explication se fait en usant d'un jargon
tel que pas mal de lecteurs, surtout étrangers, se voient contraints
d'abandonner...
Marion
--
Marion Gevers
Newcastle, NSW, Australia
mar...@eepjm.newcastle.edu.au
> Il ne doit pas être aisé d'apprendre le français, surtout parvenu au
>stade où l'on s'aperçoit qu'à vouloir trop bien parler on risque fort de
>passer pour un snob ou un ignare.
Surtout quand on entend des abominations comme « fusse-t-il ».
--
Luc Bentz
http://www.langue.fr.st/
« Le blanc qui sépare les mots aide à la compréhension du texte écrit ;
et toute la ponctuation est à son image. » (Jacques Drillon)
>Donc, dès l'arrêté du 1976 on a sanctionné
On a toléré dans les examens (nuance !)
>la pure faculté de l'usage
>de l'imparfaite du plus-que-parfait du subjonctif en subordination;
>est-ce que cela équivaut à dire qu'il faut remonter à cette date pour
>la sanction de la valeur modale de l'imparfait et du plus-que-parfait
>de l'indicatif dont vous écrivez? N'y a-t-il pas un'utilisation
>antérieure
Il y a deux problèmes de nature différente :
a) le fait que, dans l'usage courant, l'imparfait et le
plus-que-parfait du subjonctifs se soient raréfiés et, le mode étant
le même, ayant été peu à peu remplacés par le subjonctif présent et
le subjonctif passé. Restent un usage défectif (« fût, fussent ») et
quelques formes (« fût-il, fussent-elles »)appelées sans doute à
être considérées dans un siècle comme de simples introducteurs
(comme « voilà, cela »).
b) le fait que dans la langue populaire — mais aussi de plus en
plus dans des milieux où le niveau de langue est, en principe, plus
élevé — la disparition progressive du subjonctif au bénéfice de
l'indicatif.
Un regain des études latines permettrait sans doute de revivifier le
sujbonctif imparfait et plus que parfait, notamment lorsqu'on étudie
l'irréel (comme cela a été développé par un précédent intervenant).
>La phrase "Si vous l'eussiez su, vous n'en eussiez pas tenu compte"
>serait-elle irrecevable comme signal d'une affectation du langage,
Aujourd'hui oui.
>ou bien comme héritage d'une sonorité obsolète, ou encore comme sonorité
>objectivement cacophonique?
La réponse est également oui (faute d'habitude de l'entendre) comme
c'est le cas, déjà, dans la langue orale, pour le passé simple de
l'indicatif.
Bien cordialement,
>Question de pure curiosité : parlez-vous là d'un texte de loi ? Autrement
>dit, un texte législatif déterminant l'usage du subjonctif ?
Arrêté Haby sur les tolérances aux examens et concours organisés par
l'Éducation nationale qui s'est substitué à l'arrêté Leygues de
1901. Mais la tolérance aux examens ne signifie aucunement que l'on
doive enseigner ce qui n'enlève pas de points dans une épreuve.
> > Donc, dès l'arrêté du 1976
> Non, non, vous vous trompez complètement. L'arrêté en question ne
>sanctionne pas, il rend facultatif, c'est-à-dire qu'il considère comme
>correct de ne pas pratiquer la concordance des temps du passé au subjonctif.
L'arrêté du 26 février 1901 sur les tolérances grammaticales énonçait
déjà ce principe, mais avec plus de restriction :
12. On tolérera le présent du subjonctif au lieu de l'imparfait dans les
propositions subordonnées dépendant de propositions dont le verbe est au
conditionnel présent. Il faudrait qu'il vînt ou qu'il vienne.
Dominique
>> D'une part, l'emploi de l'imparfait et du plus-que-parfait du subjonctif
>>en subordination (appelé dans la terminologie grammaticale scolaire
>>traditionnelle : conditionnel passé 2ème forme) a été rendu facultatif par
>>l'arrêté du 28-12-1976.
>
>Question de pure curiosité : parlez-vous là d'un texte de loi ? Autrement
>dit, un texte législatif déterminant l'usage du subjonctif ?
Il ne s'agit pas d'un texte législatif puisqu'il est nommé « arrêté »,
mais d'un texte réglementaire : le ministre de l'Éducation nationale a
pris un certain nombre de décisions qui s'imposent aux enseignants et
examinateurs. L'arrêté concerne les examens et les concours de la
fonction publique et il ne peut s'appliquer aux usages qui
n'appartiennent pas à ces situations. Cet arrêté dit Haby reprend une
partie de l'arrêté de 1901, jamais vraiment appliqué, il a été confirmé
en 1982 par Alain Savary. D'autres points sont abordés dans ces textes,
comme certains accords de noms ou de verbes, et pas seulement le
subjonctif.
Dominique
Ben oui... mais comme « puissent-ils » donne au singulier
« puisse-t-il », celui qui se laisse entraîner à singulariser
« fussent-ils » en « fusse-t-il » a quelques circonstances
atténuantes. Idem pour « puisse-t-être », où « peut-être »
et « puissent être » conspirent pour faire choir le distrait.
C'est pourquoi, monsieur le Président, mon client ne mérite
qu'une peine de principe pour l'abomination qu'il a proférée.
(Un érudit saurait-il si « puisse-t-il » fut à quelque époque
une abominable variante de « puisse-il » ? ;-)
Bien cordialement,
Pierre Hallet
pierre...@skynet.be
Je suis surprise qu'il revienne à des politiciens de prendre de telles
décisions. J'ai du mal à percevoir en quoi un politicien est habilité
à porter des jugements sur ce qui doit être toléré ou non en matière
de linguistique. Mais je suppose qu'il s'agit là d'une particularité
culturelle (ou, devrais-je dire plutôt, nationale). Il me semble qu'un
ministre belge qui s'arrogerait une telle prérogative manquerait
totalement de crédibilité et même, ferait probablement la risée
du public (ou encore soulèverait un tollé général). Mais il est vrai
qu'en France, on est plus centraliste, et plus « règlementariste ».
Qu'en pensent les Belges qui lisent ce forum ? Car je suis peut-être,
vu la distance, en porte-à-faux avec la réalité d'aujourd'hui dans mon
pays d'origine...
Y compris dans la forme « L'eussiez-vous su, que vous n'en eussiez
pas tenu compte » ?
Cela nous oblige donc à ranger au grenier la phrase « T'eusses-tu tu,
tu m'eusses plus plu ». Que certains ne manqueront pas de m'adresser
aussitôt... ;-))
En effet, c'est « futile » qu'il faut dire ! :-)
>>Arrêté Haby sur les tolérances aux examens et concours organisés par
>>l'Éducation nationale qui s'est substitué à l'arrêté Leygues de
>>1901. Mais la tolérance aux examens ne signifie aucunement que l'on
>>doive enseigner ce qui n'enlève pas de points dans une épreuve.
>
>Je suis surprise qu'il revienne à des politiciens de prendre de telles
>décisions. J'ai du mal à percevoir en quoi un politicien est habilité
>à porter des jugements sur ce qui doit être toléré ou non en matière
>de linguistique.
Je suis surpris de votre ton, Marion. Il s'agit quand même du ministre
de l'Éducation nationale, lequel délivre des diplômes et qui habilite
d'autres diplômes. Il est parfaitement dans ses attributions de
déterminer les règles du jeu. Son arrêté s'applique aussi pour les
concours de la fonction publique : verriez-vous quelque inconvénient à
ce qu'un employeur ne puisse fixer les conditions de recrutement de ses
employés ? Je trouve particulièrement déplaisant le mot « politicien »
pour parler d'un responsable politique. Sachez que René Haby s'est
entouré de l'avis d'experts et notamment du conseil de l'enseignement
général et technique, qu'il a repris une partie de l'arrêté Leygues de
1901, des propositions du rapport Thimonnier en 1967. Ce n'est pas une
lubie de politicien soudain saisi d'une volonté d'autoritarisme sur la
langue : c'est un acte qui avalise les pratiques de beaucoup
d'examinateurs et qui permet d'établir une équité lors des épreuves.
>Mais je suppose qu'il s'agit là d'une particularité
>culturelle (ou, devrais-je dire plutôt, nationale).
Ce genre de pratiques existe depuis l'Édit de Villers-Cotterets (1537)
et la fondation de l'Académie française. Mais nous parlons d'examens et
de concours de la fonction publique, pas des pratiques individuelles, ni
de l'enseignement qui doit être dispensé à chacun. Vous vous égarez
complètement... D'ailleurs les jurys qui sont souverains peuvent décider
de bien d'autres tolérances et qui vous feraient bondir : ils n'ont pas
besoin d'en référer pour cela à une autorité supérieure.
> Il me semble qu'un
>ministre belge qui s'arrogerait une telle prérogative manquerait
>totalement de crédibilité et même, ferait probablement la risée
>du public (ou encore soulèverait un tollé général). Mais il est vrai
>qu'en France, on est plus centraliste, et plus « règlementariste ».
Dites-moi dans quel pays les rectifications orthographiques de 1990 sont
*obligatoirement* enseignées ? Ce n'est sûrement pas en France, mais
devinez où... Votre vision des choses est caricaturale. Je suis persuadé
qu'il existe aussi des tolérances maintes fois rappelées lors des
examens et concours en Belgique, mais il n'est peut-être pas utile de
les encadrer par un texte réglementaire parce que la pratique est
suffisamment acceptée...
Dominique
J'avoue que je suis surprise du vôtre, Dominique. Il s'agit d'une "genuine
question" de ma part. Mon ton est celui de la curiosité et de l'étonnement,
rien de plus.
>Il s'agit quand même du ministre
>de l'Éducation nationale, lequel délivre des diplômes et qui habilite
>d'autres diplômes. Il est parfaitement dans ses attributions de
>déterminer les règles du jeu. Son arrêté s'applique aussi pour les
>concours de la fonction publique : verriez-vous quelque inconvénient à
>ce qu'un employeur ne puisse fixer les conditions de recrutement de ses
>employés ? Je trouve particulièrement déplaisant le mot « politicien »
>pour parler d'un responsable politique.
N'y voyez aucune intention malveillante. J'utilisais le mot dans le sens
d' « homme politique », « responsable politique ». Je suis sans doute
trop contaminée par l'anglais...
>Sachez que René Haby s'est
>entouré de l'avis d'experts et notamment du conseil de l'enseignement
>général et technique, qu'il a repris une partie de l'arrêté Leygues de
>1901, des propositions du rapport Thimonnier en 1967. Ce n'est pas une
>lubie de politicien soudain saisi d'une volonté d'autoritarisme sur la
>langue : c'est un acte qui avalise les pratiques de beaucoup
>d'examinateurs et qui permet d'établir une équité lors des épreuves.
Permettez-moi malgré tout de m'étonner que cela n'émane pas dès
lors de ce même conseil d'experts. Je ne critique pas, je m'étonne.
Je vis très loin de la France.
>
>>Mais je suppose qu'il s'agit là d'une particularité
>>culturelle (ou, devrais-je dire plutôt, nationale).
>
>Ce genre de pratiques existe depuis l'Édit de Villers-Cotterets (1537)
>et la fondation de l'Académie française. Mais nous parlons d'examens et
>de concours de la fonction publique, pas des pratiques individuelles, ni
>de l'enseignement qui doit être dispensé à chacun. Vous vous égarez
>complètement...
Voilà qui n'est pas très aimable.
>D'ailleurs les jurys qui sont souverains peuvent décider
>de bien d'autres tolérances et qui vous feraient bondir : ils n'ont pas
>besoin d'en référer pour cela à une autorité supérieure.
Cela me ferait moins « bondir » que ne m'étonne le fait que l'autorité
suprême en la matière soit un ministre. Qu'y puis-je ?
>
>> Il me semble qu'un
>>ministre belge qui s'arrogerait une telle prérogative manquerait
>>totalement de crédibilité et même, ferait probablement la risée
>>du public (ou encore soulèverait un tollé général). Mais il est vrai
>>qu'en France, on est plus centraliste, et plus « règlementariste ».
>
>Dites-moi dans quel pays les rectifications orthographiques de 1990 sont
>*obligatoirement* enseignées ? Ce n'est sûrement pas en France, mais
>devinez où...
Mais je sais bien où, pardi ! Cela dit, je serais étonnée que ces
rectifications orthographiques aient émané du ministre de l'Éducation
d'alors. Je me trompe peut-être. Si c'est le cas, son nom n'y est à ma
connaissance pas attaché, et je ne connais pas l'arrêté qui les a...
arrêtées.
>Votre vision des choses est caricaturale.
Cela non plus n'est pas très aimable. Il ne s'agit pas de ma vision
des choses, mais de mon étonnement.
>Je suis persuadé
>qu'il existe aussi des tolérances maintes fois rappelées lors des
>examens et concours en Belgique, mais il n'est peut-être pas utile de
>les encadrer par un texte réglementaire parce que la pratique est
>suffisamment acceptée...
... ni, à plus forte raison, de les faire proclamer par un ministre qui
y attache son nom. C'est le fait que ce soit un ministre qui proclame
ces décisions qui m'étonne, Dominique, non le fait que ces décisions
soient prises et rendues publiques.
Alors méfiez-vous en comme de la peste, car « politicien », en français, est
particulièrement péjoratif, et je comprends la réaction de votre
interlocuteur, d'autant qu'en l'espèce le ministre en question a laissé plutôt
un bon souvenir.
Le reste de votre discussion avec D.D. ne fait que malheureusement constater
l'abîme psychologique qui sépare les Français et les autres dès qu'il s'agit
de réglementation. Je croyais pourtant que vous connaissiez assez bien les
Français pour ne pas vous étonner, comme vous l'avez fait, qu'un ministre de
la République puisse prendre des arrêtés, même en matière de concours publics,
ce qui, pour mes compatriotes, n'est qu'une simple évidence qui ne mérite même
pas d'être relevée.
>J'avoue que je suis surprise du vôtre, Dominique. Il s'agit d'une "genuine
>question" de ma part. Mon ton est celui de la curiosité et de l'étonnement,
>rien de plus.
Bien, bien... J'ai commis autrefois quelques remarques amusées à propos
de la situation politique ou linguistique belge, et ce n'était pas
toujours très bien pris alors que mes intentions étaient assez
innocentes. Je dois avoir mon côté chauvin, moi aussi, car l'idée de la
France comme un pays centralisé ne me paraît guère sérieuse -- même sous
la plume de journalistes français.
>Permettez-moi malgré tout de m'étonner que cela n'émane pas dès
>lors de ce même conseil d'experts. Je ne critique pas, je m'étonne.
>Je vis très loin de la France.
Parce que ces experts n'ont qu'un rôle consultatif et qu'ils ne sont pas
élus ou désignés par l'autorité élue et responsables devant des élus. On
n'imagine pas dans ma commune le Conseil des enfants ou des Anciens
promulgue un arrêté municipal à la place du Conseil municipal pour un
problème de circulation, ou encore que le Conseil économique et social
du département décide de l'affectation de sommes à la place du Conseil
général. Le ministre détient une autorité parce qu'il doit en référer
(en théorie) à celui qui lui a donné sa légitimité. Il exerce une
fonction et il n'est que le dépositaire de l'autorité. Tout cela est
très théorique, mais contrairement à ce que dit le Schtroumpf
l'existence même de l'Académie française pourrait être révoquée du jour
au lendemain : elle n'existe même pas dans la Constitution qui fait
pourtant du français la langue de la République et elle ne possède de
légitimité que pour autant que la puissance publique et la volonté
populaire décident de lui en accorder.
On peut décider de niveaux d'applications des règles. Le ministre arrête
un certain nombre de tolérances dans des conditions qui ne concernent
que la fonction publique et les examens publics. L'inspecteur
pédagogique régional ou le président d'un jury d'examen dans une
Académie peuvent décider d'autres tolérances, ou bien juger que telle
disposition ne s'appliquera pas à cause d'une construction claire de la
phrase. Puis le président du jury au niveau local pourra encore apporter
des modifications. Enfin, tout cela vient entre les mains du correcteur
qui possède aussi un pouvoir d'appréciation. Le tout est de situer les
niveaux de responsabilités car des recours sont toujours possibles en
cas d'erreur de notation. J'ai dû corriger des paquets de copies pour
lesquels je devais appliquer un barême absurde : un quart de faute pour
les confusions a/à et ou/où, j'ai protesté en vain. Si je n'avais pas
respecté les critères, j'aurais été en tort et j'aurais pu faire l'objet
d'un blâme. Les tolérances formulées dans l'arrêté Haby ne sont pas très
bien connues des enseignants de français, les textes officiels ne sont
pas leur fort, mais elles leur permettent de pouvoir s'abriter derrière
un petit quelque chose qui évite bien des poursuites. Il fallait donner
un cadre juridique à ce qui était entré dans les pratiques.
>Cela me ferait moins « bondir » que ne m'étonne le fait que l'autorité
>suprême en la matière soit un ministre. Qu'y puis-je ?
Le ministre signe l'arrêté. Mais il ne décide pas seul. D'ailleurs si
vous saviez la manière dont on considère les diffférents ministres de
l'Éducation nationale en France, comment leurs décisions sont
appliquées, vous ne pourriez parler d'autorité suprême. L'arrêté Leygues
n'a jamais été appliqué... Tout cela est fort relatif.
>Mais je sais bien où, pardi ! Cela dit, je serais étonnée que ces
>rectifications orthographiques aient émané du ministre de l'Éducation
>d'alors. Je me trompe peut-être. Si c'est le cas, son nom n'y est à ma
>connaissance pas attaché, et je ne connais pas l'arrêté qui les a...
>arrêtées.
Les rectifications sont des mesures qui n'ont jamais fait l'objet de
textes réglementaires en France. Le ministre de l'Éducation nationale
d'alors (et qui aspire aujourd'hui aux plus hautes fonctions
aujourd'hui) n'a pas publié les textes qui auraient pu permettre leur
application. Cela dit, s'il l'avait fait, il aurait simplement suivi
l'avis du Conseil supérieur de la langue française dont le président en
titre est... je vous laisse deviner (ce n'est pas Albert II, non).
>Cela non plus n'est pas très aimable. Il ne s'agit pas de ma vision
>des choses, mais de mon étonnement.
Je profite de cette remarque pour vous dire que mon ton a été sans aucun
doute trop vif et acerbe, mais la vision d'une France jacobine et
centralisatrice ne me plaît pas. Vous ironisez à propos de nos usages ou
de nos habitudes, mais notre pays accorde une certaine importance à la
source de l'autorité : on pourrait déléguer à un groupe d'experts le
soin de légiférer sur la langue française, mais quelle serait sa
légitimité ? Ou bien ils se cooptent comme pour l'Académie française, ou
bien ils sont nommés comme pour le Conseil supérieur de la langue
française. Mais d'où tireraient-ils leur légitimité ? De la providence
divine si l'on suit le Schtroumpf, ou bien d'élections politiques et des
mandats qui en découlent. Il faut choisir entre ces deux visions. Le
ministre signe, il n'est pas l'auteur des textes au sens strict, mais
celui qui leur permet de prendre forme. Ce que vous contestez est une
manière républicaine de légiférer, pas une manière centralisatrice...
>... ni, à plus forte raison, de les faire proclamer par un ministre qui
>y attache son nom. C'est le fait que ce soit un ministre qui proclame
>ces décisions qui m'étonne, Dominique, non le fait que ces décisions
>soient prises et rendues publiques.
Les dénominations des arrêtés, des réformes ne sont que des conventions
de la presse et des personnes qui citent les mesures, par facilité.
Depuis près de quinze ans, aucun ministre de l'Éducation nationale ne
veut attacher son nom à une quelconque loi. Toutes les décisions doivent
être contresignées par le président de la République lorsqu'il s'agit de
décrets, mais on est plutôt dans le domaine réglementaire, ce qui se
passe du recours à une signature supérieure, et elles sont en outre
susceptibles de contestations. Luc Bentz pourra vous préciser comment.
Mais en aucun cas il ne s'agit d'un abus de droit : le Conseil d'État a
dû rendre un avis avant la décision et déclarer que cela ne relevait pas
du domaine de la loi ou du décret. Le fait que l'arrêté ne concerne que
l'organisation d'examens et de concours a dû être prédominant, tout
comme l'on n'imagine pas un débat à l'Assemblée nationale ou un
référendum sur l'utilisation des calculettes lors des épreuves de
mathématiques aux mêmes examens et concours...
Dominique
Dominique Didier a écrit :
>
> Tout cela est
> très théorique, mais contrairement à ce que dit le Schtroumpf
> l'existence même de l'Académie française pourrait être révoquée du
> jour
> au lendemain : elle n'existe même pas dans la Constitution qui fait
> pourtant du français la langue de la République
Sans le définir.
Mon cher Dominique, même si vous ne le percevez pas de l'intérieur, la
France a la réputation d'être l'un des plus centralisés parmi les pays
occidentaux industrialisés et démocratiques. Nombre de Français le
disent eux-mêmes, et je lisais encore ce matin, dans un article très
intéressant d'Antoine Compagnon intitulé « Où va le français ? »
(merci Bernard ;-) : « Dans un pays aussi centralisé que la France »
(page 196). La plupart des pays de taille similaire (et aussi beaucoup
de plus petits) ont d'ailleurs une structure fédérale. Ce n'est pas une
critique, c'est une constatation.
>
[...]
>Tout cela est
>très théorique, mais contrairement à ce que dit le Schtroumpf
>l'existence même de l'Académie française pourrait être révoquée du jour
>au lendemain : elle n'existe même pas dans la Constitution qui fait
>pourtant du français la langue de la République et elle ne possède de
>légitimité que pour autant que la puissance publique et la volonté
>populaire décident de lui en accorder.
J'apprends d'ailleurs, à la lecture de ce même article, que le français
n'est la langue de la République que depuis 1992... ou du moins, que
cet alinéa ne figure dans la Constitution que depuis cette date.
>
>On peut décider de niveaux d'applications des règles. Le ministre arrête
>un certain nombre de tolérances dans des conditions qui ne concernent
>que la fonction publique et les examens publics. L'inspecteur
>pédagogique régional ou le président d'un jury d'examen dans une
>Académie peuvent décider d'autres tolérances, ou bien juger que telle
>disposition ne s'appliquera pas à cause d'une construction claire de la
>phrase. Puis le président du jury au niveau local pourra encore apporter
>des modifications. Enfin, tout cela vient entre les mains du correcteur
>qui possède aussi un pouvoir d'appréciation. Le tout est de situer les
>niveaux de responsabilités car des recours sont toujours possibles en
>cas d'erreur de notation. J'ai dû corriger des paquets de copies pour
>lesquels je devais appliquer un barême absurde : un quart de faute pour
>les confusions a/à et ou/où, j'ai protesté en vain. Si je n'avais pas
>respecté les critères, j'aurais été en tort et j'aurais pu faire l'objet
>d'un blâme. Les tolérances formulées dans l'arrêté Haby ne sont pas très
>bien connues des enseignants de français, les textes officiels ne sont
>pas leur fort, mais elles leur permettent de pouvoir s'abriter derrière
>un petit quelque chose qui évite bien des poursuites. Il fallait donner
>un cadre juridique à ce qui était entré dans les pratiques.
Pour moi, ce que vous décrivez dans ce paragraphe ne peut exister que
dans un État centralisé... même si je lis, toujours dans ce même article
déjà cité d'Antoine Compagnon, que l'arrêté Haby « ne fut pas appliqué
davantage ».
>
>
>>Cela me ferait moins « bondir » que ne m'étonne le fait que l'autorité
>>suprême en la matière soit un ministre. Qu'y puis-je ?
>
>Le ministre signe l'arrêté. Mais il ne décide pas seul. D'ailleurs si
>vous saviez la manière dont on considère les diffférents ministres de
>l'Éducation nationale en France, comment leurs décisions sont
>appliquées, vous ne pourriez parler d'autorité suprême. L'arrêté Leygues
>n'a jamais été appliqué... Tout cela est fort relatif.
En effet. Une chose est d'énoncer des règlements, une autre est de
les faire appliquer... L'usage reste seul souverain.
>
>>Mais je sais bien où, pardi ! Cela dit, je serais étonnée que ces
>>rectifications orthographiques aient émané du ministre de l'Éducation
>>d'alors. Je me trompe peut-être. Si c'est le cas, son nom n'y est à ma
>>connaissance pas attaché, et je ne connais pas l'arrêté qui les a...
>>arrêtées.
>
>Les rectifications sont des mesures qui n'ont jamais fait l'objet de
>textes réglementaires en France. Le ministre de l'Éducation nationale
>d'alors (et qui aspire aujourd'hui aux plus hautes fonctions
>aujourd'hui) n'a pas publié les textes qui auraient pu permettre leur
>application. Cela dit, s'il l'avait fait, il aurait simplement suivi
>l'avis du Conseil supérieur de la langue française dont le président en
>titre est... je vous laisse deviner (ce n'est pas Albert II, non).
Goosse, je suppose ? (Mais il n'est pas ministre !)
>
>>Cela non plus n'est pas très aimable. Il ne s'agit pas de ma vision
>>des choses, mais de mon étonnement.
>
>Je profite de cette remarque pour vous dire que mon ton a été sans aucun
>doute trop vif et acerbe, mais la vision d'une France jacobine et
>centralisatrice ne me plaît pas.
J'en suis navrée. C'est néanmoins ainsi qu'elle est perçue par beaucoup.
Cela a ses avantages et ses inconvénients et je souligne une fois de plus
que, dans mon esprit au moins, il ne s'agit nullement d'un jugement de
valeur.
>Vous ironisez à propos de nos usages ou
>de nos habitudes,
Je n'ironise pas : je relève, et je souligne qu'une autre perception
existe aussi, et ne s'en porte pas plus mal. De la même manière
que, comme vous le dites en début d'article, vous relevez des
particularités belges. Croyez bien que, si je n'avais qu'ironie à
l'égard de la France et des usages et habitudes français, je ne
passerais pas le plus clair de mon temps sur Usenet dans un
forum fréquenté par une écrasante majorité de Français...
>mais notre pays accorde une certaine importance à la
>source de l'autorité : on pourrait déléguer à un groupe d'experts le
>soin de légiférer sur la langue française, mais quelle serait sa
>légitimité ?
C'est là, sans doute, que nous différons : en Belgique, la légitimité
d'un groupe d'experts serait infiniment plus grande que celle du (ou
des) ministre(s) de l'Éducation du jour. Mais j'aimerais avoir l'avis
de Belges plus autochtones que moi...
>Ou bien ils se cooptent comme pour l'Académie française, ou
>bien ils sont nommés comme pour le Conseil supérieur de la langue
>française. Mais d'où tireraient-ils leur légitimité ? De la providence
>divine si l'on suit le Schtroumpf, ou bien d'élections politiques et des
>mandats qui en découlent. Il faut choisir entre ces deux visions.
À mon sens il y en a une troisième, celle qui se base sur l'avis
d'experts. Les membres de l'Académie française ne sont pas des
linguistes, ce sont (pour la plupart ?) des écrivains qui ont réussi.
>Le
>ministre signe, il n'est pas l'auteur des textes au sens strict, mais
>celui qui leur permet de prendre forme. Ce que vous contestez est une
>manière républicaine de légiférer, pas une manière centralisatrice...
Je ne conteste pas, j'attire l'attention sur des différences de perception,
donc sur des différences de culture et de mentalité. On a beau partager
la même langue, on a malgré tout d'importantes différences dans notre
rapport à l'autorité, entre Belges et Français.
>
>>... ni, à plus forte raison, de les faire proclamer par un ministre qui
>>y attache son nom. C'est le fait que ce soit un ministre qui proclame
>>ces décisions qui m'étonne, Dominique, non le fait que ces décisions
>>soient prises et rendues publiques.
>
>Les dénominations des arrêtés, des réformes ne sont que des conventions
>de la presse et des personnes qui citent les mesures, par facilité.
>Depuis près de quinze ans, aucun ministre de l'Éducation nationale ne
>veut attacher son nom à une quelconque loi. Toutes les décisions doivent
>être contresignées par le président de la République lorsqu'il s'agit de
>décrets, mais on est plutôt dans le domaine réglementaire, ce qui se
>passe du recours à une signature supérieure, et elles sont en outre
>susceptibles de contestations. Luc Bentz pourra vous préciser comment.
>Mais en aucun cas il ne s'agit d'un abus de droit :
Je n'ai nullement suggéré cela. J'ai relevé, avec curiosité et étonnement,
une conception à laquelle je me sens étrangère. La lecture de l'article
mentionné au début de ce message, ainsi que celui d'Alain Rey paru
dans la même revue sous le titre « Des vocabulaires mutants », sous-
titré « Le français en proie à l'histoire », m'a (m'ont ?) d'ailleurs
largement éclairée en la matière. Si vous ne les avez pas encore lus,
je vous les recommande vivement !
J'espère avoir résolu les malentendus entre nous... mais dans le cas
contraire, je vous prie d'accepter de considérer ceci : nous évoluons,
vous et moi, dans des cadres de référence extraordinairement différents.
Cela devrait expliquer bien des choses... Pour ma part, je m'estime
heureuse de pouvoir avoir des échanges tels que ceux-ci. Imaginez
donc, je pourrais être complètement anglicisée à l'heure qu'il est ! :-)
Merci alain. Je m'en souviendrai.
>
>Le reste de votre discussion avec D.D. ne fait que malheureusement constater
>l'abîme psychologique qui sépare les Français et les autres dès qu'il s'agit
>de réglementation.
Je suis heureuse de voir que ma réaction n'est donc pas tout à fait
étrange, en tout cas pour vous, puisque vous l'avez déjà observée
ailleurs.
>Je croyais pourtant que vous connaissiez assez bien les
>Français pour ne pas vous étonner, comme vous l'avez fait, qu'un ministre de
>la République puisse prendre des arrêtés, même en matière de concours publics,
>ce qui, pour mes compatriotes, n'est qu'une simple évidence qui ne mérite même
>pas d'être relevée.
Je n'ai jamais vécu en France, même si j'y ai souvent séjourné, et j'y ai (eu)
des amis très proches. Je connais bien *des* Français. Je connais plus que
probablement mieux la France que bien des Français ne connaissent la
Belgique.
J'ai passé plus de la moitié de ma vie à l'étranger, ce qui me permet parfois
un point de vue un peu détaché. Comme vous le soulignez à D.D., la France est
en effet perçue comme le modèle de l'État centralisé, et ce n'est pas tout à
fait à tort. Toutefois cette centralisation, qui a présenté dans le passé de
nombreux avantages, est de nos jours en train de céder notablement du terrain.
Les changements intervenus depuis vingt ans (surtout dans les domaines
économique et financier) auraient été inimaginables pour les générations
précédentes. Cela n'est pas toujours reconnu, ni en France, ni à l'étranger,
au point même qu'on en rajoute, comme par exemple quand on prétend que
l'Académie française a un pouvoir normatif (à vrai dire sa seule existence
même est le signe évident, pour certains, de la centralisation à la française)...
> On peut décider de niveaux d'applications des règles. Le ministre
arrête
> un certain nombre de tolérances dans des conditions qui ne concernent
> que la fonction publique et les examens publics. L'inspecteur
> pédagogique régional ou le président d'un jury d'examen dans une
> Académie peuvent décider d'autres tolérances, ou bien juger que telle
> disposition ne s'appliquera pas à cause d'une construction claire de la
> phrase. Puis le président du jury au niveau local pourra encore apporter
> des modifications. Enfin, tout cela vient entre les mains du correcteur
> qui possède aussi un pouvoir d'appréciation. Le tout est de situer les
> niveaux de responsabilités car des recours sont toujours possibles en
> cas d'erreur de notation.
Tout cela me semble assez clair, mais un peu inexact dans la
chronologie, au moins pour ce qui concerne le bac. Je voudrais simplement
apporter ma contribution par le recours à quelques exemples tirés de mon
expérience personnelle.
Il faut savoir qu'une Commission d'harmonisation se réunit avant la
correction des copies de baccalauréat, composée de professeurs enseignants
la discipline. Il s'agit, comme son nom l'indique, de faire en sorte que
tous les candidats soient jugés selon les mêmes critères et d'éviter ainsi
des disparités flagrantes provoquées par une plus ou moins grande tolérance
des correcteurs. Ainsi, en Lettres, cette Commission, réunie sous l'autorité
de l'Inspecteur pédagogie régional, mais en son absence, décide que telle ou
telle lecture du sujet peut être possible ou fautive, que telle réponse
portant sur un point particulier sera rejetée ou acceptée, que telle
omission grave entraînera automatiquement une note en dessous de la
moyenne... Un court paragraphe est souvent ajouté en annexe pour préciser
que l'épreuve de Lettres s'adressant à des terminales littéraires, donc à
des spécialistes, tout manquement grave et répété aux règles orthographiques
en vigueur, aux lois syntaxiques ou stylistiques seront lourdement
sanctionnés.
La Commission d'harmonisation remet ce rapport très détaillé à l'I.P.R.
qui par sa signature engage son autorité et sa responsabilité.
Ensuite, ce rapport est remis à chacun des correcteurs en même temps
qu'il reçoit les copies. Il n'est pas libre d'exécuter ou non les
dispositions arrêtées par la Commission sous l'autorité de l'Inspecteur. Il
doit appliquer, sous peine de déroger à la loi, les dispositions et les
barèmes établis. J'insiste : ne pas tenir compte des règles de correction
arrêtées par la Commission est une faute professionnelle grave !
Cependant, pour reprendre mon exemple, il est laissé à l'appréciation du
correcteur de juger en conscience le degré de gravité de telle ou telle
erreur, notamment pour l'orthographe. Et c'est là que le bât blesse ! Tel
professeur chevronné, qui en a tant vu !, jugera qu'une dizaine de fautes
d'orthographe dans une copie est admissible de nos jours ; tel autre
s'arrêtera à cinq, jugeant indigne d'un élève de terminale littéraire, donc
d'un spécialiste, le moindre manquement à l'orthographe officielle.
Nous pallions cette difficulté de cette façon. Pour les quelques
correcteurs de Lettres de l'Académie de Nantes, autant de professeurs de
l'enseignement public que de l'enseignement privé sous contrat, nous nous
réunissons régulièrement, ou nous nous téléphonons, en cours de
correction -- cela dure plus d'une semaine puisque nous recevons chacun près
de 150 copies -- afin de confronter nos points de vue, nos doutes et nos
certitudes. Et nous le faisons avec, sous nos yeux ou dans notre esprit, la
grille d'évaluation établie par la Commission d'harmonisation. Ce qu'il faut
absolument savoir est qu'une note n'est jamais définitive avant la dernière
étape que je vais décrire maintenant.
Une fois que toutes les copies ont été corrigées et notées -- pas encore
définitivement -- les professeurs-correcteurs se réunissent en jury
d'examen. Ce jury, pardon de me répéter mais c'est important, est constitué
par tous les correcteurs de toutes les disciplines des élèves concernés.
Après examen des notes obtenues à l'écrit et à l'oral -- je ne parlerais pas
de l'oral de rattrapage pour ne pas compliquer les choses -- et après examen
du bulletin scolaire de l'élève (tous les résultats obtenus dans l'année et
dans toutes les disciplines avec les observations des professeurs), le
président du jury, professeur ou maître de conférences en exercice dans une
faculté, décide, après consultation du jury, de décerner ou non le diplôme
avec telle ou telle mention.
Mais, comme le précise Dominique, les parents ou les candidats peuvent
toujours discuter de la décision du jury. Ils ont accès, sur demande, aux
copies corrigées et obligatoirement annotées par les correcteurs. Cependant,
il faut admettre que tout a été mis en place pour éviter les erreurs graves
et qu'il n'arrive que très rarement qu'un candidat jugé inapte par le jury
obtienne gain de cause contre la décision de l'autorité académique. Ce qui
peut arriver, et la presse en général s'en fait l'écho, preuve que ça
n'arrive pas souvent, c'est qu'il y ait eu une erreur de manipulation ou de
transcription au niveau du secrétariat. En ce cas, la notation n'est
nullement en cause.
Donc, pour terminer, il est vrai que l'on peut reprocher aux autorités
compétentes d'exercer un pouvoir centralisateur, voire de hiérarchiser les
niveaux de décision. Mais, en l'occurrence, outre le fait que tout cela est
parfaitement admis et à tous les échelons, du candidat au recteur
représentant du ministre, ces dispositions sont les seules garanties,
indispensables, pour que, contrairement à ce qu'on peut entendre ici ou là,
un examen comme le baccalauréat ne devienne pas une loterie. Je ne connais
aucun de mes collègues et amis, de l'enseignement public ou privé, qui
préconise une autre façon de procéder, à quelques détails près, la plupart
du temps très secondaires.
Ce qui est vrai pour les examens, l'est aussi pour les concours, du
CAPES ou de l'agrégation. J'ai eu à préparer des candidats au CAPES de
lettres modernes. La première loi que j'ai toujours essayé de faire passer
en début d'année est que quand on s'engage dans la voie difficile d'un
concours, il faut en connaître les règles et accepter de se les voir
imposées. Que le jury de CAPES de lettres classiques, par exemple, trouve
intolérable qu'on n'applique pas à la lettre la règle de la concordance pour
le subjonctif, n'est ni injuste, ni illégale, ni scandaleuse. C'est comme
ça, c'est tout. A moi, candidat, de m'adapter aux exigences du jury, les
mêmes pour tous.
J'ai été un peu long, mais je crois qu'il fallait être précis.
Amicalement,
Bernard Bonnejean
Je crois qu'il est important, pour l'édification de Marion, de bien souligner
cet aspect là. Les Français ont fait la révolution pour l'égalité et y
tiennent encore aujourd'hui. Seul un système centralisé comme le nôtre peut
le garantir, pour autant qu'une chose humaine puisse garantir quoi que ce
soit. Les universités indépendantes (et privées) présenteraient bien d'autres
avantages, mais ne pourraient assurer cette égalité.
Ce qui n'invalide nullement à mes yeux, contrairement à ce que certains
étrangers peuvent croire, un autre système, et notamment l'anglo-saxon. Ce
dernier se fonde sur d'autres critères qui sont aussi respectables. Ce pour
quoi je me bats (et je l'ai fait souvent pendant mes longues années à
l'étranger), c'est que l'on reconnaisse la cohérence de notre pensée et ne la
critique pas, que dis-je?, la dénigre (ce dernier mot n'est pas pour vous,
Marion) sans la connaître.
>Je suis surprise qu'il revienne à des politiciens de prendre de telles
>décisions. J'ai du mal à percevoir en quoi un politicien est habilité
>à porter des jugements sur ce qui doit être toléré ou non en matière
>de linguistique.
Il agissait comme ministre de l'Éducation nationale français dans le
cadre d'un texte dûment préparé par les directions pédagogiques,
après examen par l'Inspection générale, etc.
Du reste, il ne s'agissait que d'un texte venant se substituer à...
l'arrêté Georges Leygues de 1901.
Luc Bentz
http://www.chez.com/languefrancaise/
http://www.langue.fr.st/
--
« Comment réussir à NE PAS faire taire Casse-bonbons »,
http://www.chez.com/languefrancaise/aidinfos/casse-bonbons.htm
>Cela me ferait moins « bondir » que ne m'étonne le fait que l'autorité
>suprême en la matière soit un ministre. Qu'y puis-je ?
C'est que le ministre est le chef de l'Administration et qu'il a la
responsabilité de déterminer le contenu des programmes (y compris ce
qu'il y a à enseigner, que ce soit en français ou en mathématiques).
>encore que le Conseil économique et social
>du département
Ce serait une innovation. Hors le Conseil économique et social
« national », troisième assemblée constitutionnelle française, il
n'y a que des CESR (avec un « R » comme « région »).
>Le ministre détient une autorité parce qu'il doit en référer
>(en théorie) à celui qui lui a donné sa légitimité.
Le ministre agit dans le cadre des missions que lui confèrent à la
fois la constitution et le législateur (puisqu'en matière
d'éducation, la constitution du 4 octobre 1958, prévoit -- comme en
quelques autres domaines -- que la loi ne donne que des orientations
générales).
>Il exerce une
>fonction et il n'est que le dépositaire de l'autorité. Tout cela est
>très théorique, mais contrairement à ce que dit le Schtroumpf
>l'existence même de l'Académie française pourrait être révoquée du jour
>au lendemain : elle n'existe même pas dans la Constitution qui fait
>pourtant du français la langue de la République et elle ne possède de
>légitimité que pour autant que la puissance publique et la volonté
>populaire décident de lui en accorder.
Disons que l'Académie pourrait ne plus exister comme institution
publique (et ne manquerait pas de se reconstituer). Resterait alors
la question délicate de la dévolution de son patrimoine... Mais on
est là en pleine fiction (et une fiction qui ne saurait espérer être
couronnée par le grand prix du roman... de l'Académie).
Dans la pratique, il ne me semble pas qu'il y ait eu
jusqu'ici de quoi particulièrement s'inquiéter : si les
décisions règlementaires françaises s'écartent un peu
de celles des voisins, ce n'est pas dans des directions
bien dangereuses... Si pour le mot d'habitude écrit A,
un pays tolère B pour les corrections de ses concours
et examens, et son voisin non, eh bien on a un pays
« à A seulement » et un pays « à A ou B ». C'est plutôt
s'il y avait un pays « à A seulement » et un pays
« à B seulement » qu'il y aurait du mouron à se faire...
Bien cordialement,
--
Pierre Hallet
pierre...@skynet.be
> Dominique Didier <domicil...@wanadoo.fr> a écrit:
>> ... Je dois avoir mon côté chauvin, moi aussi, car l'idée de la
>> France comme un pays centralisé ne me paraît guère sérieuse -- même sous
>> la plume de journalistes français.
>
> Mon cher Dominique, même si vous ne le percevez pas de l'intérieur, la
> France a la réputation d'être l'un des plus centralisés parmi les pays
> occidentaux industrialisés et démocratiques.
Exact. Cher Dominique, je suis désolée de vous annoncer que Marion a
parfaitement raison. C'est même perçu de l'intérieur. On apprend aux
étudiants de sciences politiques débutants que le modèle français s'oppose
par exemple à ceux de l'Italie ou de l'Allemagne. Pour de claires raisons
historiques.
C'est en train de changer depuis les lois Deferre de 1982 sur la
décentralisation, mais il reste encore fort à faire. Surtout dans les
mentalités.
a+, Dominique
>Mon cher Dominique, même si vous ne le percevez pas de l'intérieur, la
>France a la réputation d'être l'un des plus centralisés parmi les pays
>occidentaux industrialisés et démocratiques.
La réputation n'est pas la réalité... Les autres pays européens sont
devenus plus ou moins fédéraux depuis l'après-guerre seulement, et de
manière progressive. En quelle année la Belgique devint-elle fédérale ?
En quelle année l'Espagne ? Et en quelles circonstances ? Pour quelles
raisons ? Après combien d'années de luttes ? Ne parlons même pas du
Royaume-Uni où il n'existait même pas de maire pour la ville de Londres
jusqu'à cette année... La France n'est pas un pays fédéral, cela ne veut
pas dire que c'est encore un État centralisé. Une de ses particularités
est au contraire le très grand nombre de niveaux de collectivité
locales. Il y a 38 000 communes, plus que dans n'importe quel autre
pays. Il y a les communautés de communes, les agglomérations urbaines,
les districts, les communautés de pays (parfois réparties sur plusieurs
départements et plusieurs régions), les départements, les régions.
Chaque niveau doit négocier avec les autres pour prendre des décisions :
la France n'est pas trop centralisé, elle est émiettée en de multiples
centres politiques qui ne possèdent aucun pouvoir sans les autres. La
France napoléonienne où chacun obéit en bon petit soldat est morte, mais
cela ne veut pas dire que les collectivités locales aient plus de
pouvoir. La réalité est plus complexe que vous n'imaginez. Si une ville
veut faire un contournement routier, ou si une association veut
préserver un lieu, elle doit s'adresser à une foule d'interlocuteurs.
Les Belges se plaignent souvent d'un système administratif compliqué, ce
n'est rien par rapport au dédale de toutes ces institutions qui
s'enchevêtrent... La décentralisation a été justement faite pour
préserver des intérêts locaux et ils s'annulent tous.
>Nombre de Français le
>disent eux-mêmes, et je lisais encore ce matin, dans un article très
>intéressant d'Antoine Compagnon intitulé « Où va le français ? »
>(merci Bernard ;-) : « Dans un pays aussi centralisé que la France »
>(page 196). La plupart des pays de taille similaire (et aussi beaucoup
>de plus petits) ont d'ailleurs une structure fédérale. Ce n'est pas une
>critique, c'est une constatation.
Le propos d'Antoine Compagnon, tout polytechnicien qu'il soit, est un
cliché. Ou bien il devrait être sérieusement nuancé. Le fait est que la
décentralisation a été menée à mi-chemin par souci de ne pas léser les
intérêts de chaque commune et qu'on n'a pas contraint les bourgs à se
regrouper dans d'autres pays qui se prétendent plus décentralisés (je ne
dirai pas lesquels, mais vous le devinez) parce qu'il ne fallait pas
supprimer les départements pour trouver des découpages plus logiques,
parce qu'il fallait accorder une Normandie à un baron et une autre à son
voisin. L'histoire de la décentralisation est un gâchis essentiellement
du fait des assemblées locales et des notables. Je tiens à vous rappeler
que lors des lois de décentralisation de Gaston Deferre en 1982 les
membres des conseils généraux et régionaux ont d'abord refusé la gestion
des collèges et des lycées parce qu'ils étaient épouvantés par l'ampleur
de la tâche. Puis ils ont pris goût au maniement de sommes d'argent
considérables et à la mise en valeur de leur action. Mais la
décentralisation ne peut pas se faire contre les gens -- et il faut
tenir compte d'un double discours qui accuse le pouvoir central et
parisien de tous les maux sans accepter ses propres responsabilités,
double discours qui se retrouve aussi à propos des rapports entre la
France et l'Europe...
>Pour moi, ce que vous décrivez dans ce paragraphe ne peut exister que
>dans un État centralisé... même si je lis, toujours dans ce même article
>déjà cité d'Antoine Compagnon, que l'arrêté Haby « ne fut pas appliqué
>davantage ».
Antoine Compagnon ne connaît strictement rien à l'Éducation nationale.
Il enseigne à Princeton, si je me souviens bien, et il n'a fréquenté que
l'École pratique des Hautes Études afin de passer sa thèse de
littérature, mais sans jamais passer par l'université ou l'ÉNS. Il a
écrit des choses fort intéressantes sur l'histoire de l'enseignement
universitaire du début du siècle à partir des livres de Brunetière ou de
Lavisse, mais il n'a plus vu un enseignant du secondaire depuis son
année de maths spé à l'époque de cet arrêté. Son propos est encore un
cliché : sur quelles bases et quels chiffres, études, enquêtes peut-il
s'appuyer ?
>En effet. Une chose est d'énoncer des règlements, une autre est de
>les faire appliquer... L'usage reste seul souverain.
Le bon sens de la plupart des enseignants. Il faudra que je numérise ces
articles et les publie car vous verrez qu'ils ne sont pas des
monstruosités ou que tous les professeurs vont devoir se montrer
intraitables à propos de simples tolérances. J'ai des collègues qui ne
connaissent pas le détail de cet arrêté, mais qui formulent des
propositions de correction qui en semblent presque inspirées.
>C'est là, sans doute, que nous différons : en Belgique, la légitimité
>d'un groupe d'experts serait infiniment plus grande que celle du (ou
>des) ministre(s) de l'Éducation du jour. Mais j'aimerais avoir l'avis
>de Belges plus autochtones que moi...
Et qui nommera ce groupe d'experts ? Le roi ? Que font les élus ?
Contrôlent-ils ce que décident les experts ? Qui possède la légitimité
du pouvoir ? Vous voyez bien que ce n'est pas une opposition entre un
prétendu centralisme et un faux fédéralisme.
>Je ne conteste pas, j'attire l'attention sur des différences de perception,
>donc sur des différences de culture et de mentalité. On a beau partager
>la même langue, on a malgré tout d'importantes différences dans notre
>rapport à l'autorité, entre Belges et Français.
Il y a aussi une différence de régime politique que vous n'avez pas
remarquée... Je crois que l'essentiel est là. Il me semble que le
gouvernement des experts ne correspond en rien à la mentalité française,
qu'il deviendrait même profondément ignoble si on décidait de l'étendre
à d'autres domaines comme la médecine ou la biologie, que la
responsabilité politique doit toujours être engagée. Cela ne signifie
pas que les hommes politiques prennent les meilleures décisions, mais
ils doivent eux aussi rendre des comptes à leurs électeurs (enfin... en
théorie...)
>J'espère avoir résolu les malentendus entre nous... mais dans le cas
>contraire, je vous prie d'accepter de considérer ceci : nous évoluons,
>vous et moi, dans des cadres de référence extraordinairement différents.
>Cela devrait expliquer bien des choses... Pour ma part, je m'estime
>heureuse de pouvoir avoir des échanges tels que ceux-ci. Imaginez
>donc, je pourrais être complètement anglicisée à l'heure qu'il est ! :-)
Je m'aperçois que j'ai été encore un peu vif. Pour moi, le malentendu
subsiste -- ou plutôt appelons-le écart ou différence de perception --
car je ne peux pas adhérer à votre idée du centralisme français : je
perçois les choses de l'intérieur certes, mais je vois qu'elles sont
surtout singulièrement plus compliquées que quelques slogans faciles
pourraient le faire croire. Oui, la France est encore un État centralisé
moins que centraliste, mais pas à la manière dont on le dit, et c'est
sans doute la faute des élites régionales, non du gouvernement. Il
existe aussi des parts non négligeables d'autonomie dans
l'administration de l'enseignement, surtout dans le supérieur en fait,
mais ne négligez pas la crainte de l'inégalité et surtout de la
division. Rappelez-vous la première phrase de « la Guerre des Gaules »
(sa deuxième partie a dû vous plaire...)
Pour le reste, je crois à votre bonne foi -- le mot « politicien » à
propos de René Haby m'avait fait bondir, même si je n'ai pas une
affection particulière pour lui. Il n'en reste pas moins que ces
généralités ne peuvent que faire du mal lorsque l'on s'adresse à un
public très général. J'ai été maladroit auparavant à propos de la
Belgique, je l'ai regretté et je suis content que vous ne l'ayez pas
rappelé.
Dominique
> Dominique Lacroix <pan...@noos.fr> wrote:
>> C'est en train de changer depuis les
>> lois Deferre de 1982 sur la décentralisation,
> ----
> La décentralisation ou le retour inopiné du féodal... Quelle bonne
> idée !
Libre à vous d'avoir et d'exprimer cette opinion.
Moi, je suis plus républicaine, mais pas trop jacobine. Enfin, aujourd'hui
et à cette heure...
> -----------------------------------------------------------------
>> mais il reste encore fort à faire. Surtout dans les mentalités.
> ----
> Ah ! les mentalités, heureusement qu'il y a les mentalités !
> Au fait, c'est quoi les mentalités ? Les pauvres idées du peuple ?
Parfois, quand il attend tout de "Paris".
Mais plus souvent de fonctionnaires de l'État qui ont bien de la peine à ne
pas oublier l'article 72 du titre XII de la Constitution sur la libre
administration des collectivités territoriales.
a+, Dominique
Embrassons-nous Colbert ! Les frondeurs à la Bastille !
> -----------------------------------------------------------------
> > mais il reste encore fort à faire. Surtout dans les mentalités.
> ----
> Ah ! les mentalités, heureusement qu'il y a les mentalités !
> Au fait, c'est quoi les mentalités ? Les pauvres idées du peuple ?
C'est comme les démons : ils sont toujours vieux. Pas de jeunes démons.
Jamais.
Euh... ça vous ennuierait, Dominique, d'avoir un langage quelque peu moins
codé, pour les non-hexagonaux ? Merci ! :-)
> C'est comme les démons : ils sont toujours vieux. Pas de jeunes démons.
> Jamais.
Ah. Vous n'avez pas d'enfants.
--
M.
Le fédéralisme n'est pas le début, mais le résultat possible d'un État
non centralisé... Mais je ne me sens pas suffisamment équipée pour
mener ce débat. :-(
[...]
Peut-être n'est-ce que le jour où vous vivrez hors de France, si cela
vous arrivait, que vous comprendrez à quel point la France est
centralisée par rapport aux autres pays occidentaux démocratiques
et industrialisés.
>
>>Nombre de Français le
>>disent eux-mêmes, et je lisais encore ce matin, dans un article très
>>intéressant d'Antoine Compagnon intitulé « Où va le français ? »
>>(merci Bernard ;-) : « Dans un pays aussi centralisé que la France »
>>(page 196). La plupart des pays de taille similaire (et aussi beaucoup
>>de plus petits) ont d'ailleurs une structure fédérale. Ce n'est pas une
>>critique, c'est une constatation.
>
>Le propos d'Antoine Compagnon, tout polytechnicien qu'il soit, est un
>cliché. Ou bien il devrait être sérieusement nuancé. Le fait est que la
>décentralisation a été menée à mi-chemin par souci de ne pas léser les
>intérêts de chaque commune et qu'on n'a pas contraint les bourgs à se
>regrouper dans d'autres pays qui se prétendent plus décentralisés (je ne
>dirai pas lesquels, mais vous le devinez) parce qu'il ne fallait pas
>supprimer les départements pour trouver des découpages plus logiques,
>parce qu'il fallait accorder une Normandie à un baron et une autre à son
>voisin. L'histoire de la décentralisation est un gâchis essentiellement
>du fait des assemblées locales et des notables. Je tiens à vous rappeler
Vous ne me rappelez pas, Dominique, vous m'apprenez...
>que lors des lois de décentralisation de Gaston Deferre en 1982 les
>membres des conseils généraux et régionaux ont d'abord refusé la gestion
>des collèges et des lycées parce qu'ils étaient épouvantés par l'ampleur
>de la tâche. Puis ils ont pris goût au maniement de sommes d'argent
>considérables et à la mise en valeur de leur action. Mais la
>décentralisation ne peut pas se faire contre les gens -- et il faut
>tenir compte d'un double discours qui accuse le pouvoir central et
>parisien de tous les maux sans accepter ses propres responsabilités,
>double discours qui se retrouve aussi à propos des rapports entre la
>France et l'Europe...
De ce que vous écrivez ci-dessus, je retiens l'information que la France
était encore plus décentralisée auparavant, ce que je savais. Mais vous
donnez tellement l'impression de vous défendre bec et ongles comme si
je vous avais offensé par cette constatation - ou observation, ou
impression, comme vous voudrez - que j'en viens à me dire que je
n'ai pas le coeur de vous faire tant de peine. Je me tue à vous répéter
que ce n'est pas une injure, mais rien n'y fait !
>
>
>>Pour moi, ce que vous décrivez dans ce paragraphe ne peut exister que
>>dans un État centralisé... même si je lis, toujours dans ce même article
>>déjà cité d'Antoine Compagnon, que l'arrêté Haby « ne fut pas appliqué
>>davantage ».
>
>Antoine Compagnon ne connaît strictement rien à l'Éducation nationale.
>Il enseigne à Princeton, si je me souviens bien, et il n'a fréquenté que
>l'École pratique des Hautes Études afin de passer sa thèse de
>littérature, mais sans jamais passer par l'université ou l'ÉNS. Il a
>écrit des choses fort intéressantes sur l'histoire de l'enseignement
>universitaire du début du siècle à partir des livres de Brunetière ou de
>Lavisse, mais il n'a plus vu un enseignant du secondaire depuis son
>année de maths spé à l'époque de cet arrêté. Son propos est encore un
>cliché : sur quelles bases et quels chiffres, études, enquêtes peut-il
>s'appuyer ?
Évidemment, je n'ai pas la même connaissance que vous d'Antoine
Compagnon. À vrai dire, je ne connaissais pas son existence avant de
prendre connaissance de son article. Mais pour quelqu'un qui n'y connaît
strictement rien, il offre cependant un éventail de faits, de détails,
et un plan d'ensemble tel sur la situation de la langue en France qu'il
a dû, ma foi, longuement étudier le sujet... Puis-je me permettre de
vous renvoyer à la lecture de son article ? Car si vous dénigrez des
sources qui me semblaient pourtant avoir un crédit certain, que puis-je
vous dire, moi, de mon île lointaine, anglophone de surcroît ? Mais
alors, pouvons-nous encore échanger des idées, si vous dénigrez
mes propos même lorsque je prends la peine (et le plaisir !) de
lire un article très récent, recommandé comme très intéressant sur
ce forum, et qui m'a très gentiment été expédié toutes affaires
cessantes (;-) par un contributeur de ce même forum ?
>
[...]
>
>>C'est là, sans doute, que nous différons : en Belgique, la légitimité
>>d'un groupe d'experts serait infiniment plus grande que celle du (ou
>>des) ministre(s) de l'Éducation du jour. Mais j'aimerais avoir l'avis
>>de Belges plus autochtones que moi...
>
>Et qui nommera ce groupe d'experts ? Le roi ? Que font les élus ?
>Contrôlent-ils ce que décident les experts ? Qui possède la légitimité
>du pouvoir ? Vous voyez bien que ce n'est pas une opposition entre un
>prétendu centralisme et un faux fédéralisme.
Let's agree to disagree... Nous avons sans doute moins que vous la
« religion des élus », en Belgique. J'aimerais tant que d'autres Belges
interviennent et mettent leur grain de sel ; ils ne doivent oser s'opposer
ni à vous, ni à moi ! :-)))
>
>>Je ne conteste pas, j'attire l'attention sur des différences de perception,
>>donc sur des différences de culture et de mentalité. On a beau partager
>>la même langue, on a malgré tout d'importantes différences dans notre
>>rapport à l'autorité, entre Belges et Français.
>
>Il y a aussi une différence de régime politique que vous n'avez pas
>remarquée...
Si vous croyez que je ne l'ai pas remarquée, c'est que vous ne m'avez
pas bien lue, car c'est, je crois, ce sur quoi j'ai mis le doigt depuis le
début : pour moi, un élu a moins de crédibilité que des experts dans leur
domaine, même si ceux-ci n'ont pas été nommés par des élus.
>Je crois que l'essentiel est là. Il me semble que le
>gouvernement des experts ne correspond en rien à la mentalité française,
>qu'il deviendrait même profondément ignoble si on décidait de l'étendre
>à d'autres domaines comme la médecine ou la biologie, que la
>responsabilité politique doit toujours être engagée. Cela ne signifie
>pas que les hommes politiques prennent les meilleures décisions, mais
>ils doivent eux aussi rendre des comptes à leurs électeurs (enfin... en
>théorie...)
>
>>J'espère avoir résolu les malentendus entre nous... mais dans le cas
>>contraire, je vous prie d'accepter de considérer ceci : nous évoluons,
>>vous et moi, dans des cadres de référence extraordinairement différents.
>>Cela devrait expliquer bien des choses... Pour ma part, je m'estime
>>heureuse de pouvoir avoir des échanges tels que ceux-ci. Imaginez
>>donc, je pourrais être complètement anglicisée à l'heure qu'il est ! :-)
>
>Je m'aperçois que j'ai été encore un peu vif. Pour moi, le malentendu
>subsiste -- ou plutôt appelons-le écart ou différence de perception --
Je suis tout à fait d'accord avec vous ! Mais je crois que ce n'est pas
un drame, au contraire, si nous avons des perceptions différentes. Pour
moi, c'est un enrichissement. Mais vous semblez penser que toute
perception différente est une critique. C'est pourquoi je soulignais
la différence de nos cadres de référence. Ajoutons pour la précision
que je vis depuis quinze ans dans un pays où nous avons affaire tous
les jours à des personnes originaires des quatre coins du monde ainsi
que des habitants originels de ce pays, et que nous vivons donc dans
une nécessaire diversité extraordinaire, qui n'est gérable que parce que
la cohabitation harmonieuse se fait au moyen d'un respect et d'une
tolérance énorme de la culture des autres, sans que quiconque essaie
d'imposer sa culture aux autres. Par contre, vous semblez très frustré
de ne pouvoir me gagner à votre cause. J'en suis désolée.
>car je ne peux pas adhérer à votre idée du centralisme français : je
>perçois les choses de l'intérieur certes, mais je vois qu'elles sont
>surtout singulièrement plus compliquées que quelques slogans faciles
>pourraient le faire croire. Oui, la France est encore un État centralisé
>moins que centraliste, mais pas à la manière dont on le dit, et c'est
>sans doute la faute des élites régionales, non du gouvernement. Il
>existe aussi des parts non négligeables d'autonomie dans
>l'administration de l'enseignement, surtout dans le supérieur en fait,
>mais ne négligez pas la crainte de l'inégalité et surtout de la
>division. Rappelez-vous la première phrase de « la Guerre des Gaules »
>(sa deuxième partie a dû vous plaire...)
>Pour le reste, je crois à votre bonne foi -- le mot « politicien » à
>propos de René Haby m'avait fait bondir, même si je n'ai pas une
>affection particulière pour lui. Il n'en reste pas moins que ces
>généralités ne peuvent que faire du mal lorsque l'on s'adresse à un
>public très général.
Honnêtement, je ne le crois pas, et plusieurs de vos compatriotes se
sont exprimés dans ce fil pour abonder plutôt dans mon sens. Je crois
qu'on ne peut y voir du mal que si l'on prend cette observation pour
une sorte de péché mortel.
>J'ai été maladroit auparavant à propos de la
>Belgique, je l'ai regretté et je suis content que vous ne l'ayez pas
>rappelé.
Je vous en prie. De ce côté-là, nous Belges sommes blindés ! :-)
Je n'ai pas pris le temps de me relire... tant pis !
Je vous signale, ainsi qu'à la docte assemblée ici présente, qu'un système
très similaire existe pour l'équivalent du baccalauréat dans chaque État
australien. Et que même bien avant cela et régulièrement, les enfants au
cours de leur scolarité participent à des concours et des évaluations qui
ont lieu dans chaque école, publique ou privée, qui sont corrigés, pour le
NSW, à l'Université du NSW. Le fait qu'il y ait des concours et des examens
« centralisés » ne me choque en aucune façon, au contraire.
Pour remettre l'église au milieu du village, je voudrais rappeler que tout
ce débat a débuté par l'échange suivant :
+++++ début de citation
> D'une part, l'emploi de l'imparfait et du plus-que-parfait du subjonctif
>en subordination (appelé dans la terminologie grammaticale scolaire
>traditionnelle : conditionnel passé 2ème forme) a été rendu facultatif par
>l'arrêté du 28-12-1976.
Question de pure curiosité : parlez-vous là d'un texte de loi ? Autrement
dit, un texte législatif déterminant l'usage du subjonctif ?
+++++ fin de citation
>
>Ce qui n'invalide nullement à mes yeux, contrairement à ce que certains
>étrangers peuvent croire, un autre système, et notamment l'anglo-saxon. Ce
>dernier se fonde sur d'autres critères qui sont aussi respectables. Ce pour
>quoi je me bats (et je l'ai fait souvent pendant mes longues années à
>l'étranger), c'est que l'on reconnaisse la cohérence de notre pensée et ne la
>critique pas, que dis-je?, la dénigre (ce dernier mot n'est pas pour vous,
>Marion) sans la connaître.
Je la reconnais tout à fait, que cela ne fasse pas l'ombre d'un doute.
Comparer n'est pas juger.
N'est-ce pas le cas peu ou prou (mais cela ne devrait pas trop prêter à
conséquence) pour la féminisation des noms de fonctions ?
Je précise tout de suite que cela date d'après mon départ, donc je
n'affirme rien, je m'informe ! ;-)
Euh... si cela s'adresse à moi, Luc, et que vous trouvez que je sème
la zizanie, dites-le moi tout de suite, et j'arrête toute contribution
à ce fil ! :-)
> >« Comment réussir à NE PAS faire taire Casse-bonbons »,
> >http://www.chez.com/languefrancaise/aidinfos/casse-bonbons.htm
>
> Euh... si cela s'adresse à moi, Luc, et que vous trouvez que je sème
> la zizanie, dites-le moi tout de suite, et j'arrête toute contribution
> à ce fil ! :-)
>
> Marion
Je crois pouvoir répondre à sa place -- et avant lui, car il ne
manquera pas de répondre lui-même -- que vous n'êtes pas concernée.
Cependant, il me semble que Monsieur le Faqteur devrait user un peu plus
rarement de cette formule, qui renvoie certes à un point particulier de la
charte, mais se trouve hors-sujet lorsqu'elle figure en exergue d'une
réponse adressée à l'un ou l'autre d'entre nous, sans raison particulière.
On la reçoit, pour peu qu'on soit fatigué ou naturellement susceptible, en
pleine poire et elle devient de ce fait assez désobligeante, ou simplement
désagréable.
Du reste vos interventions sur le centralisme bureaucratique français ne
me semblent pas si dénuées de fondement. Elles peuvent susciter des
réactions
de rejet, mais c'est la règle d'un jeu que nous acceptons tous.
Amicalement,
Bernard Bonnejean
Vous avez raison, mais même là (comme vous le suggérez
dans votre prudente parenthèse) observez et vous ne
trouverez guère d'intégrisme, sauf pour le plaisir d'en
débattre... Et les avis sont partagés un peu partout,
ce forum en témoigne bien.
Au passage, je trouve significatif que la « loi Toubon »
soit si maltraitée dans la pratique. Quelqu'un (français,
donc connaisseur) disait qu'en France, on adore faire
des règlements, *et* on adore les enfreindre. Oserai-je
vous avouer que c'est une des raisons qui me font rendent
chère la France ? Mais chut ! On nous écoute.
Je risque donc mon opinion, middelmatique(*) et qui
n'engage que moi. Je n'aime pas confier mon sort à un
aréopage trop exclusif composé uniquement d'experts
compétents mais irresponsables ou d'élus responsables
mais incompétents. J'ai plus confiance (à tort peut-
être, mais tant pis) dans le mixte et le composite.
Je ne sais si mon opinion, à cheval (comme moi) sur
la France et la Belgique, vous réconfortera... mais
j'ai l'impression que les interactions croissantes
entre Européens nourrissent ce genre de syncrétisme.
Nous sommes peut-être au bord du hors-forum, là...
encore que...
Bien cordialement,
--
Pierre Hallet
pierre...@skynet.be
(*) « entre les deux », du néerlandais « middelmatig »
>Ayant travaillé quelques années à la Commission, je ne suis pas loin
>de vous, je crois. Mais sans Europe, je me demande comment ne pas
>finir en steak américain... Je me souviens toujours que Van Miert a
>fait reculer Boeing, et que si l'on veut garder une toute petite
>chance de parler français, parfois, sur nos lignes...
C'est un avis que je partage... surtout si l'on résiste à
l'anglomanie de la Commission. ;-)
--
« ... cette sombre superstition qui porte les âmes faibles
à imputer des crimes à quiconque ne pense pas comme elles. »
(Voltaire, Traité sur la tolérance)
>Euh... si cela s'adresse à moi, Luc, et que vous trouvez que je sème
>la zizanie, dites-le moi tout de suite, et j'arrête toute contribution
>à ce fil ! :-)
Que nenni, chère Marion. C'est juste parce que j'ai fait une
réponse... limitée à la signature... à un gougnafier qui, naguère,
vous insulta.
--
>Cependant, il me semble que Monsieur le Faqteur devrait user un peu plus
>rarement de cette formule, qui renvoie certes à un point particulier de la
>charte, mais se trouve hors-sujet lorsqu'elle figure en exergue d'une
>réponse adressée à l'un ou l'autre d'entre nous, sans raison particulière.
C'est pour signaler une bonne page de Rouillard... ;-)
Le jour où Guillou mettra en ligne son « Grand Traité de la
Rascasse », je ne manquerai pas non plus d'en rappeler l'existence
de manière régulière...
Mais, bon, ce soir, je change de texte...
--
Luc Bentz a écrit :
>
> Le jour où Guillou mettra en ligne son « Grand Traité de la
> Rascasse », je ne manquerai pas non plus d'en rappeler l'existence
> de manière régulière...
Bon, pas d'inégalité devant les ors de la République : la ferme.
Parce que, quoi que vous disiez, vous réagissez en Français, même si vous ne
l'êtes pas. Ce trait de caractère nous rend, en revanche, assez horripilants
aux yeux de certains Allemands...
C'est un point de vue qui me convient tout à fait ! :-)
>Nous sommes peut-être au bord du hors-forum, là...
>encore que...
Sur le cadre, comme disait, je crois, Denis.
>Nous sommes peut-être au bord du hors-forum, là...
>encore que...
... la langue sert la démocratie, comme les forums.
>Je n'aime pas confier mon sort à un
>aréopage trop exclusif composé uniquement d'experts
>compétents mais irresponsables ou d'élus responsables
>mais incompétents. J'ai plus confiance (à tort peut-
>être, mais tant pis)
Comment ça tant pis ?
> dans le mixte et le composite.
Cette voie mixte et floue est le choix des politiques qui essaient de faire
croire à leur irresponsabilité - comme on l'a vu avec les produits sanguins
contaminés par le Sida, ou la vache folle. (Les politiques seraient
irresponsables parce qu'ils n'ont pas reçu des experts les réponses aux
questions politiques, de politique de santé publique par exemple. Et
personne ne serait responsable : les experts sont juridiquement
irresponsables soit parce que les questions politiques qu'ils n'ont pas
posées se trouvaient hors du domaine de leurs compétences de scientifiques
très spécialisés, soit parce qu'ils n'ont eu qu'un rôle consultatif, sans
aucun pouvoir de décision.)
En réalité les politiques ont le pouvoir, la légitimité du pouvoir, et la
responsabilité de leurs décisions. Ce sont les politiques qui décident de la
création et de la composition des comités d'experts (par exemple, ceux
qu'ils mettent sous la direction d'un biologiste et non d'un spécialiste de
santé publique). Ils décident aussi des questions qu'ils soumettent aux
comités d'experts (par exemple, ceux auxquels ils se gardent bien de poser
les questions politiques gênantes, celles qui pourraient déclencher une
prétendue psychose).
> ... la langue sert la démocratie, comme les forums.
Ah bon ? Et lorsque la langue sert l'autoritarisme, quel nom a-t-elle ?
Toujours le même ?
>> ... la langue sert la démocratie, comme les forums.
>
> Ah bon ? Et lorsque la langue sert l'autoritarisme, quel nom a-t-elle ?
>Toujours le même ?
Oui (pourquoi pas).