Conférence en français : Mode et idéal classique dans Etude de femme d’après nature de Marie-Denise Villers
Par Susan Siegfried, University of Michigan, Ann Arbor
Cette conférence interroge l’importance de la mode comme source de
renouveau des formes artistiques. Elle a pour point de départ un tableau
peu connu de Marie-Denise Villers, Etude de femme d’après nature
(1802), conservée au musée du Louvre, et s’intéresse à la culture
visuelle et matérielle qui entoure cette œuvre des débuts de l’ère
napoléonienne. La composition puise ses effets dans les traits d’une
robe à la dernière mode, tout en exaltant les codes du classicisme et de
la peinture d’histoire. L’incorporation d’un élément étranger –
éphémère, féminin, matérialiste – dans un format noble joue
simultanément avec plusieurs genres picturaux. C’est une synthèse
confiante que l’artiste propose de ces différents codes, produit d’un
moment historique particulier, amené par les valeurs de la Révolution
Française et par l’encouragement (qui fut de courte durée) d’une
pratique artistique ouverte à l’expérimentation féminine. Les mémoires
d’Albertine Clément-Hémery (publiées en 1832 sous le titre Souvenirs de 1793 et 1794)
offrent un rare témoignage sur l’atelier pour femmes dirigé par
Jean-Baptiste Régnault et son épouse au début des années 1790 et
soulignent le rôle joué par la mode et le costume parmi les pratiques
artistiques et sociales de leurs élèves. Cette source fournit des
éléments de lecture historiques et culturels pour interpréter la robe et
les accessoires élégants de la peinture de Villers, qui s’avèrent
riches de connotations. En se référant également à la notion de gestus,
ou geste social, telle qu’elle est développée par Walter Benjamin, on
examinera ici comment les cultures de l’image très différentes qui
ressortent de cette œuvre véhiculent et expriment les idées sociales.
Susan Siegfried est Professeure d’Histoire de l’art et
d’Études Féminines à l’Université du Michigan à Ann Arbor, où elle est
titulaire associée de la Chaire Denise Riley. Elle est l’auteur de
plusieurs importantes monographies qui ont renouvelé l’interprétation de
la peinture française du XIXe siècle : Ingres: Painting Reimagined, Yale University Press, 2009 ; Staging Empire: Napoleon, Ingres, and David (co-écrit avec Todd Porterfield), Penn State University Press, 2006 ; Fingering Ingres (co-dirigé avec Adrian Rifki), Blackwell, 2001 et The Art of Louis‑Léopold Boilly: Modern Life in Napoleonic France, Yale University Press, 1995. Parmi ses essais publiés récemment : « Alternative Narratives », in Art History 36, 2013 ; « Expression d’une subjectivité féminine dans les journaux "pour femmes", 1800-1820 », dans le volume Plumes et Pinceaux - Discours de femmes sur les arts en Europe (1750-1850), sous
la direction de Mechthild Fend, Mélissa Hyde et Anne Lafont, Les
presses du réel, 2012 ; « Fashion and the Reinvention of Court Costume
in Portrayals of Josephine de Beauharnais (1794-1809) », dans le volume Se vêtir à la cour en Europe, 1400-1815,
sous la direction d’Isabelle Paresys et Natacha Coquery, Centre de
recherche du Château de Versailles, 2011. Susan Siegfried consacre ses
recherches actuelles à la représentation de la mode et du costume en
Europe au XIXe siècle.
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Séminaire : Carte blanche à Susan Siegfried
Susan Siegfried : Imaginer un persona féminin dans la France postrévolutionnaire
Cette intervention porte sur les personæ créés par des femmes artistes en France dans la période postrévolutionnaire. Le persona,
cette construction identitaire complexe servant d’interface dans la vie
sociale entre l’individuel et le collectif, s’avère pertinent pour
aborder les sujets exposés au Salon par les femmes entre les années 1790
et le début du siècle suivant. Ceux-ci prennent souvent la forme de
tableaux hybrides, mêlant peinture d’histoire, scène de genre et
portrait. Cette séance s’attachera plus particulièrement aux œuvres de
Marie-Denise Villers, dont les grandes compositions figuraient des
femmes modernes présentées comme des figures imaginaires. L’affinité de
la femme moderne pour la mode était ainsi représentée par Villiers à
travers ses personnages. Son travail relève la question de
l’identification féminine avec la mode, l’ornement et la coquetterie à
l’aune d‘une émancipation artistique des femmes. Peut-on réconcilier
des thèmes comme la vogue et la toilette avec les relectures féministes
de l’œuvre de la femme française du XIXe siècle? Quels
étaient les autres thèmes et sujets imaginaires privilégié par les
artistes femmes de l’époque ? L’admissibilité des femmes pour les prix
d’encouragements des concours des Salons pendant le Directoire et le
Consulat sera ainsi considérée comme un cadre de patronage de l’état qui
encourageait la création de nouveaux sujets.
Discutante : Nicole Pellegrin
Nicole Pellegrin est spécialiste de l'anthropologie historique du XVIe au XIXe siècles et chargée de recherche au CNRS. Elle collabore également à Musea, musée virtuel d'histoire des femmes et du genre, édité par l'université d'Angers, pour lequel elle a conçu l'exposition Les genres de Jeanne d'Arc.
Elle a enseigné à l'université d'Abidjan et de Poitiers, ainsi qu'au
Québec, aux États-Unis et aux Pays-Bas comme professeure invitée.
Tendues vers la compréhension de la culture matérielle des sociétés
préindustrielles, ses recherches se sont attachées à reconstituer les
façons de faire et de dire propres ou communes, à l’un et l’autre sexe.
Parmi ses nombreux écrits et collaborations, signalons Entre inutilité et agrément. Remarques sur les femmes et l'écriture de l'histoire à l'époque d'Isabelle de Charrière (1740-1805) (2005) ; Histoires d'historiennes (2006) ; et plus récemment, une collaboration dans Éliane Viennot (dir.), Revisiter la « querelle des femmes ». Discours sur l'égalité/inégalité des sexes, de 1750 aux lendemains de la Révolution (2012).
Contacts INHA : piyush....@inha.fr ; leonie.m...@inha.fr
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