Jubilation! Enfin !!
Je la croyais quasi-mourante, décédée même. Presque plus rien que quelques pièces d'Alan Bigelow, plaisantes mais un peu courtes. Un seul auteur, ça faisait pas lerche.
Serge m'a offert la grande joie d'une littérature qui va là où je souhaite la voir, avec tout ce qu'il lui faut aux bons endroits, aux bons moments: une structure narrative, une évolution, de l'interaction, et sans doute aussi de la génération.
Déprise veut dire d'abord que la littérature numérique ne se fait pas seulement en performances plus ou moins bruyantes et colorées, sur des scènes festivalières. Soulagement!
Depuis hier soir, j'ai lu et actionné Déprise cinq fois. Mon plaisir, mon admiration, mon envie aussi ont cru à chaque lecture. Mon envie parce que les mises en écran (comme on dit mises en scène) ressemblent à ce que j'aurais pu faire, que je n'ai pas fait. Des idées que j'ai presque eues, mais que je n'ai pas eues, ça fait toute la différence. Quelle joie de m'y reconnaître.
Ensuite la revendication de la narration me comble d'aise. Ca paraît presque normal pour l'auteur d'un ouvrage sur le Récit interactif. «Les auteurs s'efforcent ainsi d'exploiter le support numérique et le dispositif technique dans son ensemble à des fins narratives, en faisant appel à des procédés mêlant jeu sur les frontières, fictionalisation et réflexivité » . C'était un programme, le voilà concrétisé. Il faudra encore beaucoup d'autres réalisations pour que cette littérature (la nôtre) soit enfin établie. (A propos de la Littérature Numérique – Le Récit Interactif « Libraire spécialisé dans les livres rares ou difficiles à obtenir »)
Pour finir, j'ai autant admiré la technicité de l'oeuvre que son esthétique. Etant d'une maladresse extrême (cette phrase en est la preuve), j'ai tendance à gober facilement les effets les plus simples. J'ai fait advenir le portrait dans tous ses détails, j'ai repris dix fois les phrases de rencontre, j'ai lu et relu le billet de séparation comme s'il m'avait été adressé, en admirant autant que détestant sa rouerie que les hommes prétendent féminine, j'ai cherché le mot Zoïles, j'espère que je n'en suis pas un, je ne risque pas grand chose, Serge n'est pas Homère, j'ai cliqué encore et encore sur le texte, uniquement pour le plaisir de faire sauter les lettres, je me suis amusé à me déformer dans le miroir liquide (les cristaux de l'écran?), faisant en plus des grimaces, j'ai tapé n'importe quoi à toute vitesse (clingshlakclacticticticclung faisait le clavier martyrisé), et j'ai trouvé agréablement dommage d'arriver au mot fin.
Quant à faire l'analyse de Déprise, il y aura certainement un jour quelqu'un qui s'y risquera. Ya beaucoup de mises en abyme et de malignité. L'intellect aussi est flatté. A moi maintenant d'essayer de faire presque aussi bien.
Patrick Burgaud