LUTTER CONTRE LE RÉCHAUFFEMENT CLIMATIQUE. CHICHE QUI COMMENCE APRÈS CANCUN ?
Par le Mouvement politique d’éducation populaire (M’PEP).
Le 9 janvier 2011.
La Conférence de Cancun était la 16ème conférence des parties de la Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) adoptée en 1992 au Sommet de Rio [1]. Elle s’est tenue du 29 novembre au 11 décembre 2010 et s’est achevée, comme celle de Copenhague, par un échec alors que les enjeux sont de plus en plus urgents année après année. Pour comprendre comment nous en sommes arrivés là et en mesurer les conséquences, il n’est pas inutile de rappeler quelques éléments de cadrage et points de repères. 1.- Bilan de Copenhague
La Conférence de Copenhague
qui s’est déroulée il y a un an avait suscité un espoir, renforçant la prise de conscience du risque climatique à l’échelle planétaire, mais aboutissait au final à un profond sentiment d’échec par l’absence de prise de décisions fortes. Comme le signalait le M’PEP [2], les négociations accouchaient d’un texte d’intentions sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre sans véritable engagement chiffré des pays et sans échéances claires. La Conférence de Copenhague avait au moins le mérite de clarifier les choses. Pour les tenants du capitalisme néolibéral, le choix était fait et rendu public : la pérennité de l’ordre économique mondial est la priorité et doit le rester avant toute considération écologique et ceci quoiqu’il advienne.
A l’issue de la Conférence, un texte minimaliste de 3 pages, dit « Accord de Copenhague », signé seulement par une trentaine de pays (les grands émetteurs
de gaz à effet de serre (GES) représentant environ 80% des émissions mondiales), reconnaissait que le changement climatique était l’un des grands défis de notre temps et exigeait une forte volonté politique pour éviter de dépasser le seuil de 2°C [3]. L’accord prévoyait que des objectifs de réduction soient fixés à l’horizon 2020, différenciant les Etats déjà engagés au titre du Protocole de Kyoto, et les pays émergents et les pays en développement. Le rôle déterminant de la réduction des émissions par l’arrêt de la déforestation était reconnu. Le financement des pays en développement (PED) pour l’adaptation au changement climatique était avancé. Mais au-delà des déclarations de principe, on ne pouvait que pointer trop d’éléments négatifs : (i) le maintien du marché du carbone, présenté comme l’un des principaux outils de réduction des émissions en dépit de son inefficacité et de son
instabilité, (ii) un objectif de 2°C, jugé insuffisant par certains pays, et sans aucun horizon temporel, (iii) l’absence d’engagement chiffré de réduction des émissions de GES au niveau mondial. Pire, alors que le Protocole de Kyoto prévoyait des objectifs absolus de réduction de GES (en pourcentage des émissions nationales), la déclaration de Copenhague permet aux pays de prendre des engagements relatifs. Ainsi, l’engagement de la Chine ou de l’Inde est d’augmenter les émissions de GES moins vite que le PIB, (iv) l’absence de mécanisme contraignant et de toute mesure de vérification des engagements pris, (v) l’absence d’engagement financier concret à la hauteur des enjeux pour aider les pays du Sud.
L’accord minimaliste de Copenhague était le résultat de 4 changements majeurs : (i) l’importance prise par le climat dans les négociations internationales sur le développement (ressources en
eau, crise alimentaire, biodiversité, relations nord-sud), (ii) l’apparition d’un nouvel ordre géopolitique, marqué par la consécration du couple Etats-Unis et Chine dont les positions sont intimement liées [4]. Pour les grands pays émergents, la crise climatique apparaît comme un problème de décarbonisation du capitalisme. Le temps de la realpolitik s’est imposé à Copenhague, (iii) l’effacement de l’Europe qui est apparue sans repères et désunie,
l’abandon du Protocole de Kyoto. Paradoxalement, nombre d’ONG et de pays du Sud, très critiques sur le manque d’ambition du Protocole, se sont mis à le défendre parce qu’il affichait au moins quelques ambitions. Mais le Protocole de Kyoto ne peut revendiquer le statut de modèle du fait que les mécanismes flexibles (Mécanismes de développement propre et Mise en oeuvre conjointe) sont le plus souvent opaques, et que le marché du carbone n’a pas contribué
à la baisse des émissions des GES Cf. [5]. D’autre part, si les mécanismes de sanction existent, ils ne semblent pas dissuasifs (ainsi, le Canada n’a pas respecté ses objectifs et n’a pas été sanctionné). 2.- Rappel de la position de l’OMC et de l’Union européenne
L’Organisation mondiale du commerce (OMC), née en janvier 1995, est construite avec un pré-supposé « le libre échange augmente la prospérité » et tous les accords visent à éliminer les obstacles du commerce international « barrières tarifaires et non tarifaires ».
Concernant le climat, il faut garder en mémoire que 20% des émissions de GES proviennent des produits manufacturés dans les pays du Sud pour être consommés dans les pays du Nord. Surtout, la mise en concurrence des normes étatiques provoquée par le libre échange condamne toute mesure ambitieuse de lutte contre le changement climatique, que ce soit dans les pays du Nord ou du
Sud. Dans le jargon de l’ONU, les délocalisations pour échapper aux contraintes environnementales sont appelées des « fuites carbone ». Pour y remédier, les seules options étudiées par les pays riches, et notamment l’Union européenne, sont de nouveaux avantages à consentir aux grandes entreprises occidentales afin qu’elles renoncent aux délocalisations. Quelques mois avant le Sommet de Copenhague, l’OMC publiait en juin 2009 un rapport sur le réchauffement climatique et le commerce international. L’OMC reconnaît que les preuves scientifiques du changement climatique sont convaincantes et que le commerce international contribue à atténuer les effets de ce changement « parce qu’il augmente la diffusion des technologies d’atténuation, l’effet technique est le principal moyen par lequel l’ouverture commerciale peut contribuer à l’atténuation du changement climatique ».
Concernant la « fuite carbone », l’OMC
laisse entrevoir la possibilité d’instaurer une taxe carbone aux frontières qui viserait les pays qui ne font rien ou très peu pour réduire les émissions de GES. Mais tout en semblant tolérer ce type d’ajustements aux frontières, l’OMC ne le recommande pas, expliquant que de telles mesures soulèvent trop de difficultés pratiques pour être mises en place et qu’elles contrarieraient les industriels : « il serait difficile d’appliquer un mécanisme d’ajustement à la frontière qui réponde aux préoccupations des industries nationales, tout en contribuant à la réalisation de l’objectif plus vaste d’atténuation du changement climatique ». L’Union européenne, présidée par la Suède, rejetait également en octobre 2009 le principe d’une taxe carbone à ses frontières. Ainsi, à la veille de la Conférence de Copenhague, toute modification à la règle du libre échange était exclue. 3.- Entre Copenhague et
Cancun
Suite à Copenhague, une autre direction a été proposée par plusieurs pays progressistes de l’Amérique latine, suite à l’échec de Copenhague. La Déclaration de Cochabamba, intitulée « Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre mère », qui s’est tenue en Bolivie en avril 2010 apporte des éléments nouveaux dans la négociation climatique. Si l’accord de Copenhague attribue le réchauffement climatique aux "activités humaines", il n’en précise pas pour autant la cause, ni les fondements, ce que se charge de faire la Déclaration de Cochabamba. Elle met en cause le capitalisme qui impose une logique de concurrence et de croissance illimitée, séparant l’humain de la nature, instaure une logique de domination et transforme toute chose en marchandise (eau, terre, génome du vivant, cultures ancestrales, biodiversité, ….).
Le second élément de la déclaration est
de reconnaître l’interdépendance entre l’homme et la nature. Afin de garantir les droits de l’homme et de rétablir l’harmonie avec la nature, il est nécessaire de reconnaître les droits de la "Terre-Mère". La déclaration de Cochabamba se place bien dans l’unification d’une écologie planétaire et du lien entre la crise écologique et la crise sociale. Elle souligne l’importance de la création d’un Tribunal de Justice Climatique et Environnemental sur un sujet qui affecte l’ensemble de l’humanité et la planète. En pointant la responsabilité des pays industrialisés, principaux responsables du changement climatique, l’Accord des peuples de Cochabamba ne prend toutefois pas position sur les pays émergents (BASIC).
L’Accord des peuples de Cochabamba représente la position d’un certain nombre de pays progressistes notamment de l’Amérique Latine, et contraste fortement avec l’Accord de Copenhague, jugé par
ailleurs illégitime, puisque signé par seulement une trentaine de pays. Le contraste et les différences entre les deux textes se situent à trois niveaux : (i) les objectifs recherchés : seuil d’augmentation de la température à ne pas dépasser, 2°C pour Copenhague, 1°C pour Cochabamba, (ii)les méthodes à mettre en œuvre : recours au marché pour les pays riches contre un remboursement de la dette écologique pour les pays signataires de Cochabamba, (iii) les points non traités à Copenhague mais pointés à Cochabamba : dette climatique, agriculture et alimentation, migrants climatiques, respect des engagements internationaux, droits des peuples indigènes, droits de la Terre-Mère, causes politiques de la crise écologique.
Ceci étant, la déclaration de Cochabamba ne va pas jusqu’au bout de sa logique et ne propose pas de sortir du libre-échange. Or, on ne peut pas dénoncer le capitalisme néo-libéral sans
remettre en cause la stratégie qu’il a utilisée pour prospérer. Les signataires de la déclaration de Cochabamba ne devraient pas se contenter de réclamer le remboursement de la dette écologique. Ils devraient poser les bases d’un nouvel ordre économique et commercial inspiré de la Charte de la Havane. 4.- A la veille de la Conférence de Cancun
Le dernier rapport de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) [6], paru en novembre 2010, ne semble plus croire aux bonnes résolutions prises par les Etats après Copenhague. L’ambition climatique des gouvernements a fondu aussi vite que neige au soleil. Au rythme actuel, l’objectif de limiter à 2°C le réchauffement de la température moyenne de la Terre pourrait être atteint entre 2015 et 2020.
Si l’on prend en considération les engagements de réduction des GES pris par les pays industrialisés et émergents, après la Conférence de Copenhague, les émissions
mondiales passeraient de 29 Gt [7] de CO2 en 2008 à 34 Gt en 2020 (augmentation de 17%), ce qui entraînerait à long terme une hausse de la température supérieure à 3,5°C [8]. Le Gigatonne Gap est le fossé de 9 gigatonnes d’équivalent CO2 entre les engagements des pays à Copenhague et la réduction des émissions de GES qu’il faudrait pour éviter un réchauffement de la température de 2°C [9] et encore plus avec le scénario qui limite le réchauffement à 1,5°C. De telles perspectives sont dramatiques, du fait qu’un récent rapport paru durant l’année 2010 indique que les petits États insulaires [10] pourraient être en grave danger malgré un objectif de stabilisation de la température à 2°C. Ce seuil apparaît comme insuffisant [11] et plusieurs pays ont demandé une évaluation sur les impacts conséquents à l’augmentation à long terme de la température de plus de 1,5°C au-dessus du niveau pré-industriel. S’engager
sur un seuil de 1,5°C pour éviter des conséquences graves nécessiterait de convenir d’un pic mondial des émissions en 2015 au plus tard.
Sur le seuil critique de 2°C, l’AIE recommande l’application d’un scénario directions pour décarboner l’économie productiviste qui ne remet aucunement en cause le système économique actuel : accroissement de l’efficacité énergétique, stockage géologique du CO2, augmentation du parc nucléaire, développement des énergies nouvelles renouvelables et des agrocarburants. L’investissement pour décarboner le système énergétique est évalué à 2 000 milliards de dollars chaque année.
Du côté des multinationales, on distingue maintenant assez nettement deux tendances : d’un côté l’industrie lourde, dépendante des énergies fossiles, qui tente de faire échouer les négociations ; de l’autre, des secteurs qui cherchent à tirer profit de la crise (assurances, banques,
technologies "vertes") et qui réclament des objectifs ambitieux. Ces deux lobbies, qui ont agi dans des sens diamétralement opposés à la veille de Cancun, ont pourtant un point commun : la défense du capitalisme néolibéral. 5.- La conférence de Cancun
La Conférence de Cancun s’est ouverte le 29 novembre 2010, avec l’objectif au moins affiché d’arriver à un accord juridiquement contraignant pour gommer l’image désastreuse laissée par Copenhague l’année précédente. Concrètement, les enjeux concernent le fonds climat destiné à soutenir les pays en développement (l’adaptation au changement climatique) et son type de "gouvernance" (les Nations-Unies dans le cadre de la Convention cadre sur le changement climatique, position soutenue par les pays du Sud ou la Banque mondiale, position combattue par les pays du Sud), les engagements sur la réduction des émissions des gaz à effet de serre (GES) à long terme
(l’atténuation au changement climatique), la reconduction du Protocole de Kyoto, la réduction de la déforestation (mécanisme REDD) à l’origine d’environ 15 à 20% des émissions globales de GES. Les associations environnementalistes comme Greenpeace, demandent « plus d’avancées, moins de discours ».
Mais très vite la Conférence de Cancun s’est heurtée à des difficultés [12]. Si une grande majorité des parties ont affirmé vouloir un accord légalement contraignant, dès le début de la Conférence, le Japon a rejeté toute idée d’une seconde période d’engagement du protocole de Kyoto (« le Japon n’inscrira pas ses objectifs sous le Protocole de Kyoto, quelles que soient les conditions ») pour pousser les Etats-Unis et la Chine à s’engager sur des objectifs d’atténuation. Cette position a été suivie par le Canada et la Russie. À l’opposé la Bolivie, le Venezuela, l’Equateur, la République
dominicaine réaffirmaient leur volonté de ne pas s’engager sans reconduite du Protocole de Kyoto.
Les forêts jouent un rôle clé dans l’atténuation des changements climatiques par leur capacité d’absorption du CO2. Or, il apparaît que les règles de comptabilité sont inadéquates, voire frauduleuses, et que les efforts de réduction de certains pays pourraient être dérisoires si la déforestation n’est pas comptabilisée.
L’équilibre des financements entre les politiques d’atténuation et d’adaptation, malgré les engagements pris à Copenhague, doit être revu ; plus de 80% des financements sont allés à l’atténuation. Par ailleurs, on estime que moins de 10% des financements publics dédiés au climat ont été alloués aux pays en développement. Le Fonds climat devrait garantir au moins 50% des financements pour l’adaptation et le rôle des prêts devrait être clarifié. Une large proportion du
financement pour l’adaptation au changement climatique est mobilisée via des prêts, 52% dans le cas de l’UE. Alors que ses discours débordent d’altruisme et de préoccupations écologiques, l’Union européenne transforme donc la crise climatique en source de profits sur le dos des pays du Sud. 6.- Accord de Cancun
Au final le texte (30 pages) adopté par les pays rassemblés à Cancun accouche d’une souris. Il ne fait qu’entériner l’Accord de Copenhague qui n’avait été rédigé que par une trentaine de pays (les principaux pollueurs de la planète). Seule, la Bolivie s’est opposée à l’Accord de Cancun. (i) l’objectif est de ne pas dépasser une augmentation de la température de +2°C, et "si possible de 1,5°C", (ii) les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) restent vagues et non contraignants ; le niveau de réductions des émissions est jugé unanimement trop faible pour
atteindre l’objectif de 2°C et les scénarios de prévisions portent sur une augmentation de la température dans une fourchette se situant entre 3 et 5°C, autant dire un scénario catastrophe, (iii) le Protocole de Kyoto n’est pas reconduit dans sa forme juridiquement contraignante, mais les parties se sont engagées à le faire l’an prochain ( !), (iv) le marché du carbone est non seulement confirmé dans ses fonctions, mais la capture et le stockage du carbone devient éligible aux mécanismes de développement propre (MDP), ce qui permet d’obtenir des crédits carbone à bon compte, (v) le fonds vert pour le climat, adopté à Copenhague, est confirmé, toujours avec une frilosité des pays les plus riches pour aider les pays en développement à s’adapter aux conséquences du changement climatique. La promesse faite (sans garantie) est de mobiliser 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Le fonds serait
temporairement administré par la Banque mondiale, malgré l’opposition manifestée par les pays du Sud, (vi) le lancement d’un mécanisme pour lutter contre la déforestation (programme REDD [13]). Ce programme considère les forêts comme de simples puits de carbone, permettant à des pays de financer des projets de protection des forêts plutôt que de réduire leurs propres émissions de GES, (vii) l’agriculture, qui représente 13% des émissions de GES et constitue un facteur clé du développement et de lutte contre la pauvreté, est totalement ignorée des décisions de Cancun, (viii) Le commerce international est encore une fois le grand tabou des négociations. A aucun moment l’idée d’un protectionnisme écologique et social n’est abordée.
Si l’ensemble des pays présents à Cancun a ovationné cet accord, c’est bien pour masquer l’échec de cette Conférence qui est à l’image des résultats obtenus
l’an dernier à Copenhague, et non pour saluer des décisions à la hauteur des enjeux. « L ‘accord de Cancun a sauvé le processus de discussion des Nations-Unies, mais pas le climat » résumait le directeur de Greenpeace International. L’accord quasi unanime de Cancun cache en réalité le chantage que les pays « riches » imposent aux pays en développement pour leur permettre d’obtenir l’aide financière attendue. Les conclusions tirées par le M’PEP après la Conférence de Copenhague restent valables à l’issue de la Conférence de Cancun, un an plus tard. : refusant de mettre en cause le capitalisme, la communauté internationale s’avère incapable de s’attaquer à la racine du changement climatique. On ne peut être que confondu par la position d’Europe Ecologie et les Verts qui se félicitent du retour de « la confiance dans le multilatéralisme » à l’issue de Cancun tout en ajoutant que « le climat n’a pas
été sauvé ». 7.- Alors que faire et comment faire ?
Durant l’année 2010, les effets du changement climatique se sont faits toujours plus apparents : graves inondations au Pakistan, feux de forêts en Russie, glissements de terrain en Chine, cyclones dans les îles des Caraïbes. Il apparaît de plus en plus clairement que tous les pays sont désormais vulnérables, même les pays développés. Mais cette réalité est aussitôt utilisée pour masquer les responsabilités du système capitaliste. On peut citer la métaphore du Président mexicain Felipe Calderon à Cancun : « parfois je pense que nous ne parvenons pas à comprendre que nous sommes dans le même bateau ou dans le même avion. Quelque chose s’est produit dans le poste de pilotage et il se trouve que notre avion n’a plus de pilote. Tous les passagers sont désormais responsables de l’avion et ils se chamaillent pour savoir qui sont les fautifs, ceux de la classe
touriste ou bien ceux de la première classe, et l’avion continue à perdre de l’altitude. Je pense, mes amis, que quelqu’un doit prendre le contrôle de l’avion ». Si l’on en croît ce type de discours, les classes sociales n’auraient plus d’importance face aux enjeux climatiques. La crise écologique pourrait même justifier quelques mesures d’austérité supplémentaires pour les plus pauvres, comme la taxe carbone dont la France faillit se doter en 2009. Cette manipulation de l’opinion, qu’il faut absolument unir dans la défense des "générations futures", ne vise qu’une chose : la dépolitisation du débat et la consolidation du capitalisme.
Si rien n’a émergé concrètement à Copenhague, ni à Cancun, que faut-il attendre de la prochaine Conférence sur le climat qui aura lieu dans un an à Durban en Afrique du Sud ? Combien de temps faut-il attendre ? Faut-il attendre un consensus historique pour lutter contre
la dérive climatique ? Faut-il également attendre l’unanimité des 27 pays de l’Union européenne pour modifier la construction européenne et bâtir une Europe sociale et solidaire ? Au contraire, il suffit d’ouvrir les yeux pour voir qu’aucun changement sérieux n’émanera de l’ONU ou de l’Union européenne et que les initiatives de rupture avec le capitalisme et de protection de l’environnement proviendront des Etats.
Certains pays réalisent déjà de véritables réductions d’émissions. C’est le cas du Brésil qui annonce une chute du taux de déforestation amazonienne, passant de 27 000 km2 en 2004 à moins de 6 500 km2 en 2010 [14] . La réduction des émissions issues de la déforestation s’élève à 870 millions de tonnes de CO2 chaque année, soit l’équivalent de l’engagement européen de réduire de 20% ses émissions d’ici 2020 (850 millions de tonnes). La lutte pour endiguer la déforestation n’a
pas été facile, elle résulte des mesures gouvernementales, mais aussi de la pression citoyenne. On peut citer également le renoncement par l’Equateur au projet d’exploitation pétrolière en forêt amazonienne Yasuni-ITT. Ces deux exemples montrent qu’il est possible d’agir plutôt que de se cacher derrière l’inaction des pays voisins, et que l’action ne se limite pas à des solutions technologiques ou de marché.
Ceci tranche avec la position de l’Union européenne, qui prévoit de publier sa « feuille de route » pour une économie faiblement carbonée à l’horizon 2050. Quatre scénarios ont été présentés dernièrement par l’European Climate Foundation pour parvenir à une décarbonation minimale de 80%, en mettant fortement l’accent sur l’efficacité énergétique, la réduction de la demande, la décarbonisation du secteur énergétique, l’électrification des transports et du chauffage. Les différents
scénarios prennent en compte des niveaux d’énergie renouvelables allant de 40% à 100%, le complément étant assuré par le nucléaire et la capture et le stockage du carbone. Comme d’habitude, l’Union européenne promeut des solutions exclusivement techniques et cherche à occulter le débat politique. D’autre part, si l’on se base sur le prix actuel du carbone, les mécanismes du marché, les objectifs de réduction des émissions de GES à court terme, il y a de grandes chances de rester bloqué dans un système économique fortement émetteur de carbone.
Pour le M’PEP, il faut impérativement sortir du libre-échange et instaurer un nouvel ordre commercial. Une part très significative des émissions de GES provient de la fabrication des produits manufacturés dans les pays du sud pour être consommés dans les pays du nord. En parallèle, la "libre concurrence" rend impossible la mise en place de mesures sérieuses de
protection de l’environnement. Un protectionnisme écologique et social doit permettre de modifier très concrètement la situation actuelle, en stoppant le libre échange, en réduisant les émissions de GES et en relocalisant les économies. Ceci nécessite des ruptures franches : la sortie de l’OMC et l’adoption des principes de la Charte de la Havane ; la désobéissance européenne pour mettre en place de véritables politiques sociales et environnementales actuellement interdites par le traité, les règlements et les directives. En tant que 5ème puissance économique mondiale, la France a cette capacité d’agir et les responsables politiques doivent travailler sur cette question.
[1] Rappelons l’article 2 de la convention qui stipule « la stabilisation des concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche les interférences anthropogéniques dangereuses pour le système climatique
».
[2] cf. A. Bernier & M. Marchand, Ne Soyons pas des Ecologistes Benêts, Ed. Mille-et-Une Nuits, 2010.
[3] Les pays les plus vulnérables du continent africain et des pays insulaires notamment dans le Pacifique ont plaidé sans succès pour un seuil limite de 1,5°C.
[4] L’un est massivement endetté envers l’autre et l’autre produit et exporte ce que consomme l’un. En même temps, la Chine ne se laisse pas enfermer dans cette relation bilatérale, elle fait partie du groupe BASIC (Brésil, Afrique du Sud, Inde, Chine) et jouit d’un leadership au sein des PED. Le bloc des grands pays émergents est très éloigné du discours environnemental porté par les ONG (biodiversité, climat, sécurité alimentaire, limitation des ressources).
[5] A. Bernier, Le Climat otage de la finance, Ed. Mille et Une Nuits, 2008.
[6] Agence internationale de l’énergie (AIE), le World Energy Outlook,novembre
2010.
[7] Gt = gigatonnes, soit un milliard de tonnes.
[8] Le dernier rapport de la Royal Society parle d’une hausse de la température moyenne de 4°C.
[9] cf. le rapport du PNUE : http://www.unep.org/publications/ebooks/emissionsgapreport. ,
[10] Des archipels comme les îles Tuvalu, Kiribati, les Maldives et d’autres encore dont le territoire est à moins d’un mètre au-dessus du niveau de la mer risquent d’être submergés.
[11] Les pertes et les dommages causés par d’importantes inondations, l’augmentation du niveau de la mer, le retrait des glaces, l’acidification des océans et les pertes dans le domaine de la biodiversité n’existeraient pas si le monde ne subissait pas des changements climatiques importants.
[12] La plupart des informations sont issues de la lettre ECO journalière des ONG présentes à la Conférence de Cancun.
[13] REDD ou plus exactement UN-REDD pour the
United nations Collaborative Programme on Reducing Emissions from Deforestation and Forest Degradation in Developing Countries.
[14] Résultats du taux de déforestation en Amazonie brésilienne de 1988 à 2010, présentés par INPE/PRODES, Brazilian Ministry of Science and Technology.
M’PEP http://www.m-pep.org/spip.php?article1963
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Dr. Mohammed-Saïd KARROUK
Professeur de Climatologie
Président du Comité National IGBP / IHDP / ESSP - ICSU (Global Change)
Membre du GIEC / IPCC - WMO / UNEP - ONU (Climate Change)
Université Hassan II, FLSH Ben M'Sick
Centre de Recherche de Climatologie (CEREC)
Formation Doctorale "Climat & Développement" (ClimDev)
BP 8220 Oasis, MA-20103 Casablanca (Maroc)
Tél: +212 661 156 051 Fax. +212 522 705 100
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