Ataturk : Le tabou mythique populaire et immortel, aujourd’hui le chef virtuel de l’opposition
Ragip Duran
En Turquie partout il y a ses statues et ses portraits. Son nom est mentionné dans le préambule de la Constitution. De plus, une loi spéciale datée de 1951 interdit toute critique envers lui. Plusieurs centaines de livres ont été publiés, plusieurs dizaines de films et de programmes de TV ont été réalisés pour glorifier le fondateur de la République de Turquie et ‘’Le Grand Révolutionnaire’’.
Le Kémalisme, idéologie inventée après sa disparition en 1938, est devenu et l’est encore l’idéologie
officielle de l’Etat turc, bien qu’il ne propose aucune solution aux problèmes politiques,
économiques ou sociaux de nos jours. Mélange de nationalisme coloré légérement de racisme
, d’Etatisme et un peu d'européanisation cette idéologie est assez vague voire floue est en tout cas
une pensée de droite et de pouvoir, estime ses détracteurs. ‘’C’est une réligion laique’’ observait le
sociologue Prof.Kadir Cangizbay.
A l’exception d’une grande partie des kurdes, des islamistes radicaux et les membres des anciens minorités (Arméniens, Assyriens, Roums, Juifs...) de l’Empire Ottoman qui ne peuvent pas d’ailleurs ouvertement et publiquement s’opposer librement contre Ataturk, la population turque, gauche, droite, centre, libéral, conservateur confondus surtout depuis l’avènement du régime islamiste d’Erdogan devient de plus en plus Kémaliste.
Ceux qui osent critiquer Kémal risquent d’être lynchés sur les médias sociaux et si c’est un fonctionnaire il peut très facilement perdre son emploi.
Il s’agit d’un phonomène psycho-politique qui n’existe nul part sur la terre même pas en Corée du Nord. Le culte de la personnalité est érigé dans le coeur et la conscience des citoyens. Ces turcs, fidèles disciples de l’ancien Homme Unique ne se satisfont pas simplement de rendre hommage à un militaire, à un d’homme d’Etat très probablement exceptionnel, mais transforment Moustapha Kémal en un icône, un sauveur voire un prophète de nos jours. Il est élevé au rang d’un chef divin et vénéré comme un magicien tout puissant.
Pendant les fêtes officielles , Déclaration de la République (29 Octobre 1923), Premier Pas de la Guerre de Libération Nationale (19 Mai 1919) et surtout la commémoration de la mort de Kémal (10 Novembre 1938), lors des manifestations officielles et populaires, la réaction des Kémalistes atteint le niveau d’hystérie. Pas très démocratique en tout cas...
Le 10 Novembre n’est plus depuis 1988 une journée de deuil national mais à 09h05, l’heure de la mort d’Ataturk (Le Père/ L’ancêtre des Turcs), le pays tout entier est encore complètement immobilisé, 3 minutes de silence, la circulation qui s’arrête , les sirènes et les klaxons des véhicules créent un atmosphère des films de science-fiction. Avant 1988, les salles de cinéma, de théâtre, de jeux et les stades étaient fermés et la vente des boissons alcoolisées était interdite pendant toute la journée.
La propagande pro-Kémaliste est encore et toujours en vigueur alors que depuis 87 ans une biographie critique d’Ataturk n’a pas été rédigée et publiée. Car, observe Prof. Taner Akcam, grand spécialiste du problème arménien, ‘’les principes fondateurs de la République peuvent être alors interrogés voire mis en cause à commencer par le Génocide de 1915, le désastre Pontos 1919-1923, le problème kurde de 1925 jusqu’à nos jours’’.
Les millions de citoyens qui défilent dans les rues, qui manifestent très chaleureusement leur amour pour Kémal ne savent pas et ne veulent pas savoir les pages noires de l’histoire récent. Pour eux le tabou est sacré et doit être conservé.
‘’Erdogan aussi provoque les opposants. Il avait traité Kémal d’ivrogne mais il est apparamment très jaloux d’Ataturk’’ constate le Prof. Cengiz Aktar, politicologue en exil. Vu la carence actuelle d’un leader charismatique les opposants se réfugient chez Kémal, qui est encore intouchable même par le régime de l’Homme Unique d’aujourd’hui. (FIN/RD)