Waterloo des kurdes ou bien le début d’un futur brillant?
Ragip Duran
Le message vidéo du Président du PKK (Parti Ouvrier du Kurdistan) Abdullah Ocalan diffusé mercredi annonce officiellement la fin de la lutte armée, l’auto-dissolution de l’organisation et invite ses militants à déposer le plus vite possible les armes.
Ocalan déclare que ‘’l’existence des kurdes est déjà reconnue’’ donc ‘’la création d’un Etat-Nation (kurde) a perdu son sens’’. Il parle d’une ‘’intégration positive’’ pour désigner les relations entre l’Etat turc et ses citoyens kurdes.
Il n’omet pas de préciser la nécessite ‘’d’une base légale’’ et ‘’l’intervention de la Grande Assemblée Nationale de Turquie’’ pour la réalisation de son ‘’Projet de Paix et de la Société Démocratique’’ nommé ‘’La Turquie Sans Terrorisme’’ par le régime.
Les dirigeants actuels du PKK, à Qandil (Irak du Nord) déclarent qu’ils ont remplis toutes les conditions (Auto-dissolution, désarmement) mais que l’Etat n’a toujours pas fait le nécessaire (La base juridique, la constitution d’un comité parlementaire, l’amnistie, l’amélioration des conditions carcérales d’Ocalan…etc…) pour faire avancer le processus.
Ocalan se présente comme un leader politique qui a remporté une victoire. ‘’Très charismatique’’ selon ses partisans, ‘’Il est carrément mégalo’’ rétroque ses opposants.
La forme et le contenu de ce vidéo de 7 minutes, une première depuis son imprisonnement en 1999, sont interprétés de plusieurs façon, en générale en pleine contradiction.
Ocalan croit qu’il s’agit d’une manifeste ‘’historique’’ (Le mot est cité 8 fois dans le texte). Ses partisans estiment que ‘’Monsieur Ocalan a désormais ouvert la voie du communalisme pas seulement en Turquie mais également au Moyen-Orient voire sur la terre entière’’. Ils estiment qu’il s’agit ‘’d’une transformation radicale pour adopter la voie politique contre la voie de la lutte armée’’.
Les spécialistes attirent l’attention sur les problèmes techniques de ce message vidéo:
- Enregistré dans la prison d’Imrali, Ocalan, accompagné de 6 autres prisonniers kurdes (Son secrétariat, dit-on) ne parle pas mais lit un texte. Ce message est diffusé au moins deux semaines après son enregistrement.
- On remarque qu’il y a au moins 3 coupures tout au long des 7 minutes.
Quant au contenu du message, plusieurs observateurs constatent qu’il ne s’agit pas du style classique d’Ocalan.
Autres points sont débattus par les politicologues:
- Ocalan dit que ‘’les kurdes sont désormais reconnus. Donc le but est atteint’’, alors que l’ensemble de la législation turque ne parle jamais et nul part des kurdes.
- Ocalan avoue qu’il a formé ses nouveaux points de vue et sa nouvelle théorie ‘’grâce aux entretiens qu’il a mené en prison’’ (Avec les représentants du régime, sans le dire). Il ajoute qu’il avait toujours gardé ‘’sa liberté d’esprit, la volonté de son indépendance’’. Libre en prison?
Enfin, les nationalistes turcs à commencer par les Kémalistes, critiquent violamment la dernière intervention d’Ocalan:
- La grande nation Turque n’a pas besoin d’un criminel terroriste pour résoudre ses problèmes.
- Ocalan se range du coté d’Erdogan. Il veut lui aussi une nouvelle Constitution qui annulera les principes fondamentaux de la République, comme l’intégrité de l’Etat et de la nation ainsi que le principe de la laicité.
- Le Projet américain du Grand Moyen-Orient fonctionne. Après l’Irak et la Syrie, Washington neutralisera l’Iran et ce sera le tour de la Turquie.
Des théoriciens de complot prétendent qu’Ocalan a été dès le départ un agent des services de renseignement turc. Les nationalistes et les islamistes kurdes accusent Ocalan de trahison. ‘’Et le sang de nos martyrs?’’ demandent-ils.
Les fractions pro-Ocalan sont optimistes, le régime l’est aussi mais le reste de la société turque a encore des doutes:
- Nous ne savons pas les détails des negociations entre l’Etat et Ocalan. Le processus n’est pas transparent.
- Qu’est ce que le régime Erdogan a promis à Ocalan pour le convaincre?
- Que feront les plus de 15 milles guérilléros du PKK ainsi que les cadres dirigeants?
- Tous les jours les maires de l’opposition sont arrêtés alors que le prisonnier no 1. fait des déclarations diffusées sur les chaînes publiques et privées comme un leader politique. Faut-il également savoir qu’en ce même moment le régime a interdit de diffusion les deux chaînes de TV de l’opposition pendant 10 jours.
- Pourquoi les militants du PKK déposent les armes en Irak du nord et pas en Turquie?
Depuis 1984 plus de 40 milles personnes, soldats turcs, militants armés kurdes et civils des deux cotés sont morts à cause des accrochages entre le PKK et les forces de l’ordre. L’économie turque a enregistré de lourdes pertes à cause de cette ‘’sale guerre civile’’ non déclarée.
Les régimes successifs de la République n’ont pas pu résoudre pacifiquement et politiquement le problème kurde depuis 1925. Les kurdes revendiquent une reconnaissance légale (Constitutionnelle) de leurs identités individuelle et collective, culturelle surtout linguistique alors que les dirigeants turcs insistent encore et toujours sur ‘’Un Seul Etat, Une Seule Nation, Un Seul Drapeau, Une Seule Langue’’ et depuis Erdoğan ‘’Une Seule Religion et Un Seul Chef’’.
‘’Le problème kurde est un problème de la sécurité nationale et la majorité des kurdes sont des terroristes séparatistes’’ croient la majorité des responsables d’Ankara. Les kurdes estiment qu’il s’agit d’un problème politique, économique, démographique et culturel. (FIN/RD)